Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 9 : Sale temps pour Capwell's... |
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Salle de réunion d'Armonti's.
Sophia Armonti mit quelques minutes avant de reprendre conscience. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Lionel, son fidèle ami était à ses côtés, ainsi que George. Lionel lui tendit un verre d'eau, qu'elle s'empressa de boire. Elle avait quelque chose au fond de la gorge, un noeud vieux de plusieurs années.
Puis, au fil des minutes, Sophia retrouva un peu de couleur sur ses joues. L'instinct de survie reprenait le dessus : ce même instinct qui l'avait obligée à nager, à nager pour rejoindre la côte, ce 3 mai 1969, ce même instinct de survie qui l'avait obligée à ne jamais abandonner, de conserver courage et espoir afin qu'elle retrouve ses enfants. Ainsi, réconfortée par Lionel, Sophia se remettait de son malaise, osant même par moments observer de loin sa nièce Venise, à quelques mètres d'elle.
Cette dernière faisait de son mieux pour ravaler sa colère et sa soif de vengeance; elle n'avait qu'une envie, et cela se lisait dans son regard, frapper à terre Sophia jusqu'à ce qu'elle ne puisse pas se relever. A ses côtés, Marcello, discrètement, tentait de la calmer. Mais Venise paraissait sourde aux conseils de son ami; elle voulait se battre contre Sophia, lui faire mordre la poussière...
George s'approcha de Sophia, tandis que tous les autres actionnaires s'étaient repliés, à l'écart, dans un autre angle de la salle de réunion.
- Sophia, vous désirez qu'on ajourne la séance ?
- Merci, George. Mais ce n'est pas la peine. Je crois qu'il va falloir qu'on ait tôt ou tard cette discussion, et maintenant me semble le meilleur moment.
- Mais cela va aller ?
- Oui... Oui...
Sophia se leva du fauteuil et se détacha des bras de Lionel. Elle rajusta ses cheveux, qu'elle portait courts à présent, et se resservit un nouveau verre d'eau.
- Sophia, si tu veux que je fasse quelque chose, que je mette un terme à tout cela...
- Merci Lionel, mais il est temps pour moi d'affronter cette partie de ma vie. Venise a raison, je l'ai oubliée, trop heureuse d'avoir retrouvé Eden, Kelly et Ted. C'est vrai. Mais la compagnie est à moi...
Sophia ferma les yeux et songea un bref moment à la jeune femme qu'elle était lorsqu'elle arriva en Italie, lorsqu'elle mit le pied pour la première fois, dans la splendide villa de Toscane du Comte Armonti. Il lui semblait encore sentir le soleil sur ses joues, entendre les cigales et bien sûr cette douce odeur d'olivier qui embaumait la villa durant toute l'année.
- Merci Lionel, mais il est temps de m'expliquer avec Venise... et avec Marcello.
Sophia s'avança vers Venise. Celle-ci fit aussi un pas vers elle. Son regard noir écrasait Sophia.
- C'est une habitude de te voir revenir du pays des morts...
- Venise, tu as bien fait de venir à Santa Barbara. Je crois que tu as raison, il est temps pour nous de discuter.
- Je ne veux pas parler avec toi, Sophia. Je veux juste que tu me rendes mon héritage. Celui qui me revient de droit, car contrairement à toi, c'est du sang Armonti qui coule dans mes veines.
Les deux femmes paraissaient telles deux lionnes, prêtes à tout pour défendre leur territoire.
- Et plus que tout, Sophia, je ne veux pas t'entendre geindre. Je n'ai aucune envie d'essayer de te comprendre.
Sophia ravala sa salive. Venise voulait la guerre. Elle était bien la nièce du Comte, le même feu italien coulait dans ses veines.
- Venise, il va quand même falloir que tu m'écoutes. Tu es venue ici m'affronter sur mon territoire... Tu ne vas pas croire que je vais tout de donner, comme cela, tout simplement parce que tu me le demandes.
- Oh, non... Je veux me battre avec toi, Sophia. Te faire payer chacune des heures que j'ai passées à pleurer à t'attendre, pendant que toi tu retrouvais tes enfants. Je veux me venger de tes années de silence...
- Très bien. Mais avant il faut que tu saches la vérité. Quand le comte est mort, tu crois vraiment que j'ai eu le choix ? Je ne pouvais pas rester.
- Tu étais trop pressée de retrouver ta famille, je sais, la belle excuse. Tu étais plutôt pressée de mettre un nouvel homme riche dans ton lit.
Sophia se planta les ongles dans la paume de sa main. L'insulte la blessa. Elle aurait aimé gifler sa nièce pour ces propos.
- Tu peux croire ce que tu veux... Ta mère, à la mort de ton oncle, est revenue à la villa pour me chasser. Tout comme toi, elle voulait prendre l'héritage Armonti, mais ton oncle avait fait en sorte que tout me revienne. Il ne lui avait toujours pas pardonné.
- A cause de toi... Je sais, maintenant, tout ce que tu lui as raconté sur ma mère pour que l'héritage te revienne. Toi qui te clamais si amoureuse d'un autre homme, tu es quand même vite allée en besogne pour devenir la Comtesse Armonti...
- Tu ne veux pas me croire... Alors demande à Marcello, si ce n'est pas vrai. Durant tout ce temps en Italie, j'ai fait tout mon possible pour qu'il pardonne à Francesca. Pour toi. Demande-lui à Marcello...
- Arrête, tu te fous de nous, comme à ton habitude, tu veux te faire passer pour la petite sainte qui aime tout le monde, qui vient en aide à toute la famille. Si ma mère a été déshéritée, c'est à cause de toi. Si j'ai été malheureuse durant mon enfance, c'est à cause de toi, tu m'avais si longtemps fait croire que tu resterais à mes côtés... Et si Marcello est dans cet état, c'est à cause de toi...
Venise s'approcha de Sophia et la poussa littéralement sur la table de réunion. Sophia s'y étala de tout son long. Le rouge était monté aux joues de Venise, et comme Lionel tenta de s'interposer, elle le menaça :
- Vous restez en dehors de cela, c'est entre elle et moi.
Lionel continua de s'avancer, mais le regard de Sophia le stoppa : elle ne voulait pas de son aide.
- Tu vas payer pour m'avoir volée, pour nous avoir oubliés...
Sophia se redressa.
- Je n'ai pas oublié, ta mère ne voulait pas que je reste ou que je revienne en Italie.
- Laisse ma mère tranquille, tu lui as assez fait de mal comme cela.
- Venise, écoute-moi...
- Non, plus jamais. Tu es un serpent, tu nous endors avec tes belles paroles, mais maintenant c'est fini. Je vais tout te prendre, et te montrer telle que tu es : une garce...
Clac.
La gifle claqua cette fois-ci. Sophia n'avait pu retenir sa main. La joue de Venise rougit très vite et l'empreinte de la main de Sophia s'y dessina. Paralysée une fraction par le choc, Venise resta immobile, bouche bée. Puis, se ressaisissant très vite, elle s'empara du broc d'eau posé sur la table et le lança à la figure de Sophia. Sophia était trempée, ses cheveux, la veste de son tailleur.
Lionel finit par s'interposer.
- Allons, je ne pense pas que cela soit le lieu et l'endroit pour une telle dispute.
Lionel se plaça aux côtés de Sophia et lui tendit une serviette.
- Je crois que je viens de gagner le premier round, non, Sophia ?
Bloquée par les mains de Lionel, Sophia ne pu contre-attaquer.
- Laisse-la, Sophia... Ne rentre pas dans son jeu.
Sophia tremblait de colère et de rage. Elle se sentait si impuissante face à la vengeance de Venise. Elle avait déjà dû faire face, en 1985, à la vengeance de Marcello, maintenant il revenait avec Venise pour lui arracher la compagnie, sa seule chance d'exister sans Channing; à la tête d'Armonti's, elle n'était pas Madame Channing Capwell...
Sophia jeta un dernier regard vers Venise, elle la suppliait de lui accorder une chance de discuter avec elle, de lui expliquer le passé.
George se rapproche et décida de prendre le contrôle de la situation, avant qu'elles ne se remettent à se ruer de coups.
- Très bien, Madame Armonti, j'ai bien compris le but de votre visite. Mais que comptez-vous faire pour le moment avec les parts que vous possédez ?
- Prendre le contrôle.
Sophia frissonna.
- Pour le moment, ce n'est pas possible.
- Pourquoi ? Nous sommes tous là, les actionnaires, nous n'avons qu'à procéder à un vote et élire ainsi le nouveau patron d'Armonti's.
- Cela ne se fait pas comme cela, Madame Armonti.
Tous les regards se tournèrent vers Sophia.
- Tu veux le contrôle, Venise. Tu oublies que je possède 35% des parts, et que selon les volontés de ton oncle, je ne peux pas être renversée. Tant que le testament Armonti est valide, je suis le seul maître à bord.
- Tu ne pourras pas te cacher très longtemps derrière ce papier, mes avocats sont en train de préparer le procès pour mettre un terme à ton usurpation.
- Je ne fais que respecter la volonté de ton oncle...
- J'ai 30% des parts, Sophia, autant dire que suivant le vote des associés, je peux avoir plus de parts que toi. Et dans la situation actuelle, cette prise de pouvoir risque de modifier le cours des actions...
- C'est exact...
En vrai visionnaire, George choisit d'intervenir, et de faire ce qu'il pensait juste de faire pour sauver la compagnie.
- C'est exact, mesdames. Si jamais cette tentative de prise de pouvoir sort de ces murs, l'action Armonti's risque de chuter. Et vous allez tout perdre, autant l'une que l'autre. Sophia y perdra sa compagnie, et vous aussi, Madame Armonti, puisque peut-être que vous en prendrez le contrôle, mais vous serez à la tête d'une compagnie ruinée, en cours de liquidation...
- Je préfère détruire la compagnie, plutôt que de continuer à la voir gérée par cette incapable...
- Très bien. Très bien... Dans ce cas-là, je propose si les actionnaires minoritaires sont d'accord, une co-présidence. L'une et l'autre vous n'aurez aucun pouvoir, il faudra que toutes les décisions soit validées par l'un des autres actionnaires. Qu'en pensez-vous, Messieurs ?
Mort Fielding s'avança le premier. Et avant de prendre la parole, il lança un rapide clin d'oeil à Venise Armonti, échange discret que seul remarqua George.
- Bien qu'il n'y ait pas vote, je tiens à dire que je joins mes 10% des parts à Venise Armonti. Je suis désolé Sophia, mais depuis la fusion, puis la séparation d'avec la société de votre ex-mari, je ne suis pas certain que vous ayez su toujours prendre les bonnes décisions pour la société Armonti's.
- Très bien, Mort, mais nous avons choisi de ne pas faire de vote ! Dites-nous simplement si vous êtes d'accord avec ce projet de co-présidence.
- Oui, il me convient. Mais à la seule condition qu'Aaron et Arthur soit les seules personnes capables de valider les décisions prises. Je suis désolé George, mais je n'ai pas vraiment confiance en votre impartialité.
- Très bien. Nous sommes donc d'accord. Venise Armonti et Sophia Armonti sont toutes les deux à la tête de la compagnie, jusqu'à ce qu'on arrive à trouver un accord pour régulariser la situation.
Tout le monde approuva du chef. Et comme Venise s'éloigna pour préparer avec George les contrats, Sophia s'approcha de Marcello. Elle s'agenouilla devant lui.
- Marcello... Marcello, c'est Sophia.
Sophia chercha à capter le regard de son beau-fils. Il paraissait perdu dans le vide.
De loin, Venise les observa, avant de venir rejoindre Marcello.
- Depuis son attaque, il a souvent des absences. Mais Sophia, je te rassure, je suis certaine qu'il a oublié. Après toutes ces années...
Venise guida Marcello vers le bureau de George, laissant Sophia toute seule, face à son passé. Et tandis qu'ils avançaient, Marcello murmura à Venise :
- Je suis fier de toi... Et je crois que ta maman le serait aussi.
- Merci.
- Et avec les papiers que nous avons, tu auras vite fait de récupérer l'héritage de ton oncle...
Poste de Police.
Les pneus de la voiture de Julia Capwell dérapèrent sur le goudron, lorsque Pearl gara le véhicule devant le poste de police. En descendant, Julia repoussa ses longs cheveux en arrière et elle prit une profonde respiration : elle n'en pouvait plus. La fatigue, la douleur se lisaient sur son visage. Elle n'avait quitté l'hôpital de la ville que quelques jours plus tôt, suite à son terrible accident de voiture. Depuis, Julia n'arrivait pas à trouver le sommeil : le jour elle s'occupait de sa fille, Samantha, et la nuit, elle s'inquiétait pour son mari, Mason, dont elle était sans nouvelles depuis qu'elle était sortie du coma.
- Tu préfères que je vienne avec toi ou que je t'attende ici ?
- Viens avec moi, Pearl, je ne suis pas certaine de tenir le coup.
- Ca marche.
Pearl prit la sacoche de Julia et, tout en lui tenant le bras, ils gravirent les marches du poste de police. Julia adressa à peine un regard aux employés qu'elle connaissait bien. Ces derniers étaient ravis pourtant de voir entre ces murs l'ancienne adjointe du procureur de la ville. Tout le monde ici se souvenait de celle qui, pendant de longues années, avait tenu tête à Keith Timmons. Julia et Pearl traversèrent rapidement plusieurs pièces avant de gagner la nouvelle salle d'interrogatoire. A travers la vitre, Julia jeta un bref coup d'oeil : Channing Capwell était assis face à elle, il paraissait encore calme. Dos à elle, elle reconnu tout de suite Connor et deux autres policiers.
Après avoir repris son souffle, c'est l'avocate Julia Capwell qui apparut sous le masque de fatigue et qui poussa la porte.
- Channing, ne dites plus rien. Cet interrogatoire est absolument illégal et nous allons faire en sorte que vous quittiez au plus vite ce lieu.
Tous les regards se tournèrent vers Pearl et Julia, qui pénétrèrent dans la pièce. Channing sourit; il recevait enfin de l'aide. Connor se tendit, il n'avait aucune envie de livrer bataille contre Julia.
Julia vint spontanément se placer aux côtés de Channing. Elle lui glissa quelques mots à l'oreille.
- Pearl m'a prévenue. Ne vous en faites pas, je vais vous faire sortir tout de suite d'ici.
- Je vous remercie Julia.
- J'espère que vous n'avez rien dit...
- Non. C'est à peine s'ils osaient me poser des questions.
- Très bien.
Julia sentit la fatigue qui la quittait, rien de tel que de retrouver d'anciennes sensations pour qu'elle se sente mieux.
- Connor, j'espère que tu as une bonne excuse pour expliquer ceci : l'arrestation et l'interrogatoire de Monsieur Capwell, dans la plus grande illégalité...
Connor McCabe, qui depuis sa rupture avec Kelly Capwell connaissait une petite traversée du désert, se referma. Non seulement il était persona non grata chez les Capwell, et maintenant qu'il avait en face de lui Julia Capwell, il se rendait compte de l'absurdité de sa démarche. Il avait agi trop vite, beaucoup trop vite. Obéissant à la fois aux ordres de son supérieur, de la presse, sous la voix de Deana Kincaid et des associations écologistes, Connor McCabe avait voulu déstabiliser Channing Capwell et essayer de lui faire reconnaître sa faute dans l'incendie qui avait failli ravager toute la ville.
Connor s'avança vers Julia.
- Julia, comprends-moi, j'ai essayé de comprendre...
- Comprendre, cela m'étonnerait. Dis plutôt que tu as essayé de te trouver un coupable. Et comme tu n'as aucune piste sérieuse, tu as choisi de croire ce que tout le monde raconte ici. C'est plus facile.
- Ce n'est pas vrai. Je fais simplement mon travail.
- Ton travail, tu crois sincèrement que si on parlait de quelqu'un d'autre... Mais voilà, tu es en face de Channing Capwell...
- Julia, laissez, cela ne sert à rien. Je n'ai rien dit face à leurs questions.
- Channing, de toutes façons, cela n'a aucune importance, ils ne peuvent pas se servir de cet interrogatoire lors du procès et, grâce à Connor, je doute sérieusement maintenant qu'ils aillent jusqu'au procès...
- Un procès ! ! Mais toutes ces accusations contre moi ne tiennent pas la route. Ils n'ont même aucune preuve... Ils me l'ont dit.
Tous les regards se portèrent vers Connor.
- Et bien, vous vous trompez tous, car il y aura bien un procès. Nous avons bien plus de preuves que vous ne l'imaginez...
- Suffisamment pour tenir un procès ? J'en doute, Connor. D'ailleurs, si tel était vraiment le cas, nous serions dans le bureau du procureur en ce moment, et vous auriez eu un mandat pour votre arrestation... On ne vous aurait jamais permis de faire une telle erreur...
Julia attrapa Channing par le bras et ils se dirigèrent vers la sortie.
- Venez Channing, allons-nous-en. Connor, attendez-vous à ce que nous nous défendions, car on ne peut pas tolérer que vous arrêtiez les gens simplement parce que la presse pense que mon client est coupable.
- Allez-y, mais nous nous reverrons au procès. Nous avons tant de plaintes déposées contre les Entreprises Capwell qu'il faudra bien qu'il rende compte de ses actes. Car les habitants de Santa Barbara ne peuvent pas tolérer que sous couvert de leurs millions, des hommes fassent tout et n'importe quoi.
Channing s'arrêta net.
- Monsieur McCabe, juste un conseil, vous devriez trouver une autre façon pour évacuer votre colère et votre frustration. Car, sincèrement, je ne suis pour rien dans le choix de Kelly. Si elle n'a pas voulu de vous, c'est qu'elle avait ses raisons. Et quand je vois votre comportement aujourd'hui, j'avoue que je comprends pleinement son choix. Non, vous n'êtes vraiment pas digne d'elle... Il vous manque ce petit quelque chose de loyauté...
Connor s'approcha de Channing Capwell, et l'air se chargea à nouveau d'électricité.
- De la loyauté... Et vous comptez peut-être me donner des cours... De la loyauté, vous en avez eu en menaçant dé détruire la ville, en polluant notre terre, nos rivières et notre océan... Arrêtez, Monsieur Capwell, gardez votre salive pour le procès, car, à la vue des dossiers constitués par les associations écologistes, vous allez en avoir besoin.
Julia s'interposa entre les deux hommes.
- Connor, arrêtez d'intimider mon client. Nous savons tous qu'il n'y aura pas de procès. Et je doute qu'un juge vous suive. Vous n'avez rien, rien de concret. Et la prochaine fois que vous désirez poser la moindre question à mon client, pensez à avoir un mandat...
Connor souriait maintenant.
- Et bien maître, nous nous reverrons prochainement au tribunal, sous la présidence du Juge Raymond... David Raymond, il me semble...
Julia pâlit et Channing cessa une seconde de respirer. David Raymond revenait en ville. Et tandis qu'ils quittaient le poste de police, Julia et Channing songeaient aux raisons qui l'avaient poussé à accepter ce procès. Pour Channing, c'était évident, il avait eu une aventure avec sa femme, la belle et sensuelle Angela. Quant à Julia, elle avait toujours repoussé chacune de ses avances. La bataille s'annonçait difficile, car David n'allait pas juger cette affaire en toute impartialité.
- Je vous remercie, Julia, pour votre aide. Alors, ça y est je suis devenu votre client; c'est officiel.
Arrivée sur le parking, Julia décida de clarifier les choses.
- Channing, vous savez, je n'ai pas eu vraiment le choix. J'accepte de vous défendre, mais jusqu'au retour de Mason. Après, je lui passe la main, vous savez j'ai vraiment besoin de me reposer.
- Le retour de Mason ? Julia, ne me dites pas que vous croyez encore qu'il va revenir ?
- Et pourquoi ne reviendrait-il pas ?
- Julia, c'est de Mason dont nous parlons. Le connaissant, il doit être dans un bar en train de boire pour oublier ses responsabilités...
- Je vous interdis de parler ainsi de Mason. C'est mon mari, le père de ma fille, et j'attends bien qu'il revienne.
- Voyons, Julia, vous devriez cesser d'espérer... Mason ne reviendra pas. Il doit être ivre mort à l'heure qu'il est... C'est un lâche, un lâche et un faible.
- Channing, vous parlez de votre fils...
- Justement, Julia, c'est parce que c'est mon fils que je peux me permettre de dire tout cela. Mason n'a jamais respecté ses engagements dans le passé, et je doute qu'il en soit différent aujourd'hui...
Arrivé devant la voiture, Steve Brewer les attendait.
- Monsieur Capwell, je dois vous parler.
- Steve, si vous venez pour me sortir des griffes de Connor, c'est trop tard. Ma belle-fille s'est déjà chargée de son cas.
- Non, ce n'est pas pour cela. Pouvons-nous discuter...
Steve paraissait très gêné, voire totalement dépassé par la situation.
- Attendez-moi, s'il vous plait, j'en ai pour cinq minutes.
Steve et Channing s'écartèrent.
- Monsieur Capwell, j'ai appris une nouvelle et je ne sais pas...
- Elle concerne l'incendie...
- Non, votre famille.
Steve se tordait les mains, et l'enveloppe qu'il tenait dans sa main droite se froissait davantage de seconde en seconde.
- Et bien allez-y.
- C'est... cela concerne Ted...
- Ted ?
- Oui...
- Et bien allez-y... Je ne vais pas attendre cent ans...
- Tenez.
Steve lui remit l'enveloppe. Elle contenait quelques photos de Ted, bâillonné, les mains attachées.
- D'après ce que je sais, votre fils aurait été kidnappé en Irak, en compagnie d'un autre, de Warren Lockridge.
- Ted et Warren kidnappés, mais cela n'a aucun sens. Et à combien s'élève la rançon, car j'imagine qu'ils veulent de l'argent ?
- Non. Il n'y a pas de demande de rançon...
Steve finit par tout raconter à Channing : l'enlèvement de Ted, l'intervention de Warren, et le fait que personne ne savait par qui ils avaient été kidnappés. Aux yeux de tous, ils avaient disparu de Bagdad et l'armée américaine ne se souciait pas de les retrouver.
Channing retourna vers la voiture de Julia.
- Partez sans moi, je vais avec Steve, une affaire urgente à régler. Pearl, si vous voulez prendre un jet de la compagnie pour vous rendre à Newport, ils sont à votre disposition. Encore merci Julia.
Channing s'éloigna avec Steve et Julia raccompagna Pearl.
- Pourquoi Newport, Pearl ?
- Ma famille a une maison là-bas. Avec Channing, on pense que mon père a pu y garder des documents. Je vais aller voir. Cela me permettra de revoir Brian, je crois qu'il habite là-bas...
Hôpital psychiatrique de Monterey.
Mason pénétra dans le parc de l'hôpital psychiatrique de Monterey. Il avait découvert, grâce à ses contacts au bureau du procureur de la ville, le lieu de résidence de Philip, l'ancien majordome de la villa Capwell. Depuis le milieu des années 80, Philip avait quitté le service de son père et, depuis 1989, Philip souffrait de la maladie d'Alzheimer et résidait ici.
Quelques jours plus tôt, il avait pris contact avec un infirmier et, suite à une forte promesse d'argent, il avait réussi à arranger un rendez-vous discret dans le parc avec Philip. Comme convenu, Mason, la barbe naissante, prit place sur un banc à l'abri du soleil, à proximité d'une vieille fontaine de type hispanique. Mason, les traits tirés, ressemblait à l'homme qui dormait en lui et qu'il tentait d'effacer depuis des années : un alcoolique marchant toujours sur la brèche... Depuis l'apparition du fantôme de Channing Junior, Mason ne dormait plus, ni le jour ni la nuit; ses anciens démons étaient revenus le hanter. Il en avait presque oublié Julia et Samantha. Tout son être de juriste se concentrait sur les dernières révélations de son frère : et si son meurtre n'était pas ce qu'il paraissait être... Pourtant, à l'époque de l'enquête de Cruz, tout paraissait si réel. Sophia avait reconnu avoir tiré sur Channing Junior, pensant menacer Lionel Lockridge avec une arme dont elle avait retiré les balles la veille. Tout était si clair, les pièces du puzzles s'emboîtaient à la perfection; alors pourquoi Channing Junior était-il revenu le hanter ? Après toutes ces années... Tandis qu'il échafaudait mille et une hypothèses, un infirmier s'approcha de lui, à ses bras s'accrochait un vieillard. Mason leva les yeux et, avec difficulté, il reconnut Philip.
- Voilà, l'homme dont je vous ai parlé. Il veut vous parler.
L'infirmier se sépara de Philip, il l'assit sur le banc. Mason se leva et s'accroupit devant le vieil homme qui avait veillé pendant de longues années sur sa famille.
Lentement, Philip redressa la tête et posa son regard sur Mason. Durant une fraction de seconde, la vie rebrilla dans ses yeux.
- Monsieur Capwell...
Mason se sentit soulagé, il l'avait reconnu. Malgré toutes ces années. Malgré sa maladie...
- Philip, comme je suis content de vous revoir.
- Mais, Monsieur Capwell, nous nous sommes vus avant votre départ pour la Côte Est...
Mason haussa les sourcils, tout en se détournant vers l'infirmier. Il ne comprenait pas; Philip l'avait reconnu et puis subitement, il le prenait pour un autre. L'infirmier lui répondit par un haussement d'épaule.
- Avec les gens comme lui, il ne faut pas s'attendre à des miracles. Je vous avais prévenu.
- Oui... Oui...
- Et comment c'est Boston, Monsieur Capwell ?
- Très bien. Totalement différent de Santa Barbara. C'est pour cela que je suis revenu.
- Quand votre père va apprendre la nouvelle, il risque de rentrer dans une colère noire. Depuis vos problèmes avec la police, il veut que vous quittiez la ville et que vous repartiez de zéro, à Boston. Je ne crois pas qu'il vous laisse le choix...
- Oh, Philip, vous savez bien que ce n'est pas le premier différent entre mon père et moi...
- Oui, mais cette fois-ci, c'est différent il me semble. J'ai rarement vu Emmett Capwell revenir sur sa décision.
- Emmett...
Mason se releva et s'assit aux côtés de Philip. Après quelques secondes, Mason finit par faire le lien. Si Philip parlait d'Emmett, alors c'est qu'il le prenait pour son oncle : Grant Capwell. Car, c'est Emmett qui a obligé Grant à quitter la ville et à s'installer à Boston, laissant la gestion des biens et des Entreprises Capwell à son autre fils, Channing.
- Philip, je suis venu vous voir pour que vous me parliez de mon pè... de mon oncle et de son fils aîné, Channing Junior.
- Ah, Channing Junior, un enfant adorable... Si gentil...
Mason soupira : au moins, il se souvenait.
- Philip, pourriez-vous me parler du jour où il est mort ?
- Du jour de sa mort ? Comment Channing Junior est mort ? C'est arrivé comment ?
- Vous ne vous souvenez vraiment pas, Philip ? Du jour où on l'a tué ?
Philip leva les yeux vers la fontaine et le souvenir d'une autre fontaine de pierre se dessina devant lui
- Je me souviens d'une fontaine de pierre que votre grand-père avait fait venir spécialement d'Europe, et il l'avait fait installer au centre de la villa. Je crois qu'elle ressemblait un peu à celle-ci.
- Je sais tout cela, Philip.
- Je n'en doute pas, Grant. L'histoire Capwell...
Philip marqua une pause. Son regard se perdit sur les feuilles des arbres du parc.
- La prochaine fois que vous viendrez me voir, Monsieur, n'oubliez pas de me prévenir. Je ne suis pas certain que la prochaine fois, je pourrai quitter mon travail. Vous savez, ici c'est une grande maison, et nous sommes si peu de personnel.
Philip se leva difficilement et tendit une main à Mason. L'infirmier, qui s'était éloigné, se précipita pour soutenir Philip, qui manqua de tomber. Il réussit à lui prendre le bras.
- Je vous avais prévenu, Monsieur Capwell. Son état de santé est totalement imprévisible... Comme vous l'avez constaté et que comme je vous l'ai déjà expliqué, je ne pense pas qu'il soit capable un jour de répondre à vos questions.
- Monsieur Capwell... J'ai travaillé pour des Capwell, seriez-vous de leur famille ?
Mason dévisageait Philip, espérant qu'à force de l'observer, ses souvenirs lui reviendraient.
- Philip, je suis Mason... Mason Capwell, le fils de Channing...
- Mason... Mason... Je me souviens d'un Mason, mais c'était un petit garçon... Un petit garçon qui aimait se déguiser en cow-boy...
L'infirmier et Philip s'éloignèrent. Mason, après quelques secondes, se précipita pour les rejoindre.
- Attendez-moi...
- Oui ?
- Est-ce que je pourrais revenir le voir ?
- Si vous voulez, mais je ne suis pas sûr qu'il puisse vous répondre la prochaine fois...
Mason regarda Philip qui s'éloignait, et d'autres souvenirs lui vinrent en mémoire. Mason songea un bref instant à sa vie d'avant, celle de l'époque où il n'était qu'un jeune garçon qui aimait se déguiser en cow-boy, avec le déguisement que sa mère lui avait offert... L'image de Sonny Sprockett dansa devant lui.
- C'était une autre époque... Une belle époque...
Villa Capwell.
Discètement,
sans faire de bruit, Gina poussa le panneau de la bibliothèque et elle entra
dans le sacro saint de la villa : le bureau de son deux fois ex-mari,
Channing Capwell. La pièce était plongée dans le noir. Curieusement, Channing
n'avait pas ouvert les fenêtres, laissant ainsi pénétrer la lumière en
provenance du parc. Dans un premier temps, Gina alla entrouvrir la porte et écouta
les bruits de la villa. C'est à peine si elle entendait des sons en provenance
de l'atrium. Elle ne reconnut pas la voix de Channing; il devait certainement être
occupé à trouver un moyen pour sauver sa réputation. Gina, silencieusement,
referma la porte et alluma les apppliques. Une douce lumière tamisée illumina
la pièce. Gina remarqua tout de suite la maquette posée sur un présentoir au
centre de la pièce. Bien que ce nouveau projet l'intéressait au plus haut
point, Gina s'en détacha très vite; elle était venue ici pour une autre
raison. A la lecture des papiers d'Amanda Lockridge, elle s'était facilement
rendue compte que pour percer le secret des Lockridge, il lui fallait en
apprendre davantage sur Nathaniel Capwell, le grand père de Channing et membre
fondateur de l'Empire Capwell.
Gina
se précipita donc sur l'aile de la bibliothèque réservée aux archives
familiales. Tout son être frémissait, stimulé par le désir de découvrir de
sombres mystères. Et déjà, les millions de dollars dansaient devant ses yeux;
elle était certaine que Capwell et Lockridge payeraient pour que leurs secrets
restent enfouis à jamais.
Après
quelques hésitations, Gina finit par trouver ce qu'elle cherchait. Il faut
reconnaître que Channing conservait tous les documents et coupures de presse
relatifs à sa famille. Au fil de sa lecture, un large sourire se dessina sur
ses lèvres. Gina n'en croyait pas ses yeux. Certaine d'avoir entre les mains
une partie de la clé de l'égnime, elle glissa le livre dans son sac,
avant de poursuivre ses recherches. Au bout de plusieurs minutes, Gina entendit
des bruits de pas. Puis la sonnerie du téléphone et, à quelques pas d'elle,
la voix de Channing qui criait qu'il prenait l'appel depuis son bureau.
Gina
referma la bibliothèque et chercha un endroit où se cacher. Elle n'eut pas le
temps de le faire que Channing la surprit, au milieu de la pièce.
-
Que fais-tu là, Gina ?
Gina
avala sa salive, elle n'avait que quelques secondes pour sauver sa peau.
-
Je voulais voir l'idée géniale pour sauver tes Entreprises.
-
Ne mens pas, Gina. Que fais-tu dans le bureau ?
La
colère se lisait dans le regard de Channing. Il s'approcha d'elle, les muscles
tendus. Et le téléphone cessa de sonner.
-
Réponds-moi Gina...
Gina
recula et buta contre le bureau.
-
En fait, je cherchais le numéro du camp de Brandon. Je l'ai perdu et je me suis
dit que toi aussi tu devrais l'avoir.
Channing
l'empoigna par le bras.
-
Aie...
-
Je croyais t'avoir dit de ne plus jamais remettre un pied ici.
-
Je sais, je sais... Channing lâche-moi, tu me fais mal.
Au
contraire, Channing ressera son étreinte.
-
Tu es venue m'espionner pour le compte de ton idiot de mari, c'est cela.
-
Lionel ?
Subitement,
une idée germa dans l'esprit machiavélique de Gina.
-
Si tu me lâches, je t'avouerai la raison de ma visite.
Channing,
au bout de quelques secondes, obéit.
-
Vas-y, je t'écoute.
Actrice
et perfide jusqu'au bout des ongles, Gina laissa libre cours à son talent. Des
larmes commençaient même à briller au coin de ses yeux.
-
Je voulais te voir, Channing. Je voulais que tu ordonnes à Sophia de laisser
mon mari en paix.
-
Sophia ?
-
Oui, si tu ne le sais peut-être pas, elle tourne autour de Lionel. Je ne la
supporte plus. Elle est toujours là, la larme à l'oeil, à faire les yeux doux
à Lionel... Je la désteste. Je voulais te voir pour que tu l'obliges à
laisser mon mari en paix.
-
Ah ah aha ah, ma pauvre Gina... Et tu imagines que je vais te croire. Sophia
fait ce qu'elle veut. Si elle a envie de briser ton mariage avec Lionel, et bien
qu'elle le fasse.
A
présent tout le visage de Gina respirait la tristesse.
-
Et ce n'est pas la peine de faire couler tes larmes de crocodile, je te connais
trop bien, Gina. Je sais parfaitement que tu es incapable d'aimer un homme...
-
Channing, ce n'est pas vrai. Je t'ai aimé...
Et je t'aime encore... D'ailleurs maintenant que Sophia s'en est retournée
vers Lionel, on pourrait reprendre là où on en était avant qu'elle ne
revienne...
Pris
par surprise, Channing manqua de s'étouffer..
-
Reprendre toi et moi... Mais je te déteste, Gina. Je te hais de toute mon âme...
-
Il ne faut pas dire cela, Channing, tu sais que je suis la mère de ton dernier
fils, ton héritier...
-
Dehors, j'en ai assez entendu. Retourne en enfer... Tiens, Sophia et toi, vous
faites bien la paire...
Channing
empoigna à nouveau Gina par le bras. Celle-ci essaya bien de se défendre, mais
Channing la tenait si serrée.
-
Arrête, tu me fais mal... Channing, lâche-moi, où...
Mais
Channing n'écoutait plus. La colère le commandait. Comment cette femme
osait-elle remettre un pied chez lui, après tout le mal qu'elle lui avait fait.
Elle ne manquait pas de culot.
Channing
traina Gina du bureau jusqu'à l'atrium et, tout le long du chemin, Gina ne
cessa de geindre. Arrivés devant la lourde porte de bois, Channing l'ouvrit et
poussa hors de chez lui l'intriguante.
-
Dehors, et que je ne te revois plus jamais, où je lâche mes chiens.
Sous
la violence de la poussée, Gina tomba par terre.
-
Aie ...
-
Va au diable, Gina...
Gina,
lentement, se releva et se frotta énergiquement les reins. Sa robe était déchirée
par endroit et il lui manquait une chaussure.
-
Tu vas me le payer, Channing... Tu vas me le payer...
Channing
s'apprêta à fermer la porte quand il remarque la chaussure qui trainait à
deux pas de lui. Il la ramassa et la lança à la figure de son ex-femme.
-
Dehors, dehors...
Sans
demander son reste, Gina remit sa chaussure et quitta la villa. Même si elle
avait perdu cette bataille, elle tenait encore serré contre elle, dans son sac,
les armes qui lui feraient gagner la guerre. Et puis, peut-être que redevenir
pour la troisième fois Madame Capwell lui plairait bien. Rien que de voir la tête
de Channing...
De
l'autre côté du mur, Channing s'appuya contre la porte. Comme il détestait
cette femme. Pour son plus grand malheur, un jour il lui avait ouvert les portes
de sa vie et depuis tout marchait de travers.
Toutefois,
Channing sourit. Cette dispute l'avait revigoré, d'autant plus qu'il avait le
sentiment d'avoir battu Gina. Et à ce souvenir se surperposa un autre souvenir,
tout aussi agréable, lorsqu'il avait chassé Gina de sa villa, en tenue d'Eve...
Sur
le chemin entre la villa Capwell et celle des Lockridge, Gina ne cessa de songer
à sa lecture, dans le bureau de C.C. Déjà dans sa tête, les pièces du
puzzle se mettaient en place. Contrairement à ce que tout le monde croyait, le
naufrage de l'Amanda Lockridge ne s'était pas produit à cause de la tempête.
Cela aurait été si simple. Un à un, les murs autour d'Amanda s'écroulaient,
laissant entrevoir à Gina, les véritables raisons de ses troubles. Horatio
Lockridge, Nathaniel Capwell étaient tous deux en partie responsables de la
douleur d'Amanda...
Alors
qu'elle entrait dans la propriété de son mari, Gina entendit des rires en
provenance de la piscine. Craignant de voir, en plus d'Augusta et de Julia,
Sophia s'installer à la villa, Gina gagna la piscine. Sur place, elle retrouva
son sourire, ce n'était qu'Augusta et sa soeur qui riaient aux éclats. Au même
moment, lorsque les deux soeurs Wainwright remarquèrent la présence de Gina,
elle cessèrent sur le champ de rire. Et prenant cela comme un affront, Gina s'avança.
Elle se sentait en forme après sa dispute avec Channing.
-
Augusta, Julia, bonjour.
-
Hum...
C'est
tout ce que Gina obtint comme réponse.
-
Julia, j'espère que vous vous remettez de votre accident. Une femme dans votre
état doit se reposer...
-
Merci Gina. Je me repose, je vous assure.
L'échange
était glacial.
-
C'est que cela doit être difficile pour vous, en plus de vos problèmes de santé,
vous avez votre fille à élever et puis, Mason qui a déserté... Vous n'avez
toujours pas de nouvelles ?
-
Non !!
Julia
grogna plus qu'elle ne répondit. Mais Augusta réagit pour elle.
-
Taisez-vous, Gina.
-
Ah, j'aurais touché un point sensible...
-
La ferme ! ! Vous ne pouvez pas comprendre...
-
Quand j'étais mariée avec Mason, il ne risquait pas de déserter, je l'occupais
trop bien.
Julia
releva la tête.
-
C'est vous qui le dites. Si je me souviens bien, il vous a quand même quittée
pour moi...
-
Peut-être, mais c'était pour Samantha, pas pour vous.
Augusta
se redressa et prit la défense de sa soeur.
-
Ce n'est pas sûr... Votre problème Gina, c'est que vous êtes incapable d'aimer.
Que ce soit Mason ou les autres. Vous savez pourquoi Mason est parti ?
Parce que Julia a pu lui donner un enfant. Ce que vous êtes incapable de
faire... Que ce soit avec Mason ou avec les autres. Vous êtes tellement sèche
et mauvaise à l'intérieur, que même cela, donner un enfant à un homme, vous
ne savez pas faire. Les vôtres, il a fallu que vous les voliez...
Après
un moment de silence, Gina reprit
-
C'est étrange, non. Il manque de vous tuer et puis disparaît... C'est du pur
Mason, cela... Avec moi, il n'était pas comme cela...
N'ayant
pas le coeur à se battre, Julia se leva.
-
Certainement, Gina... Avec vous les hommes sont très différents... Lionel est
malheureux, il s'ennuit à mourir, Mason s'était inventé une autre personnalité...
-
Je ne trouve pas que Lionel s'ennuie avec moi...
Comme
Julia quittait les lieux, Gina continua pour Augusta qui la dévisageait, en
souriant.
-
Vous trouvez, Augusta, qu'avec moi, Lionel s'ennuie ? Peut-être vous
sentez-vous mal à l'aise pour répondre ?
-
Rien qu'à voir comme il tourne après Sophia, une femme si lisse et si
monotone, alors oui Gina, je suis certaine que Lionel s'ennuie avec vous.
Gina
fit le geste de s'asseoir.
-
Ah, avant de vous asseoir, allez me faire chauffer de l'eau pour mon thé, et
surtout elle ne doit pas bouillir. Le thé avec de l'eau bouillie, cela n'a rien
d'agréable.
-
Pardon... Vous voulez que je vous serve votre thé ?
-
Et oui, d'après la loi, la maîtresse de maison, c'est moi... Vous, vous n'êtes
que... que la bonne.
Blessée
par l'insulte, Gina réagit vivement. Elle prit le verre de Julia et lança l'orangeade
à la tête d'Augusta. Celle-ci n'en entendait pas mieux. Elle sauta littéralement
sur Gina et l'empoigna par les cheveux. Les deux femmes se roulaient dans la
pelouse. Leur respiration s'accéléra. Un moment Gina sembla prendre le dessus.
Elle tenait Augusta collée au sol. Elle en profita pour lui administrer une
violente paire de claques.
-
Tiens, regarde ce que te fait la bonne... Regarde bien.
Dans
un sursaut d'orgueil, Augusta empoigna les cheveux de Gina et tira fort, et en même
temps, d'une autre main, elle planta ses ongles dans le crâne de Gina.
-
Aie, vous me faites mal...
Gina
dut relâcher son emprise sur Augusta, qui en profita pour se relever. Les
cheveux défaits, les vêtements de travers, Augusta resplendissait. Elle
jubilait de ce combat. Et elle sauta sur Gina qui tentait elle aussi de se
relever. Gina s'affalla sur la terre, visage contre l'herbe.
-
Alors, qu'est-ce que cela fait de mordre la poussière...
Gina
cracha la terre qui lui était rentrée par la bouche.
-
Tu vas me le payer...
Gina
s'accrocha à un pied de la chaise et réussit à prendre suffisament de force
pour se redresser. Augusta tomba à la renverse. Tout en toussant, Gina prit le
piché sur la table et le renversa sur Augusta. Les cheveux plaqués, le
maquillage coulant sur son visage, Augusta n'entendait pas en rester là.
Bondissant tel un félin, elle empoigna Gina par l'encolure de son chemisier et
la tira jusqu'à la piscine, où elle la poussa. Gina plongea, quasi vaincue.
Augusta, à son tour, sauta dans l'eau. Elle attrappa la tête de Gina et la
maintint sous l'eau.
-
Tiens, profite, c'est tout ce que tu auras des terres Lockridge, un peu de terre
et un peu d'eau.
Lorsqu'elle
fut certaine que Gina rendait les armes, elle la releva.
-
Alors, vaincue ?
Gina
ne répondit rien. Alors, forte de sa victoire, Augusta lui remit la tête sous
l'eau. Gina se débattait de son mieux, mais elle ne pouvait rien faire. Augusta
la sortit de l'eau une seconde fois.
-
Vaincue ?
Gina
toussa et reconnut sa défaite. Vaincue, épuisée, elle ne bougea pas lorsqu'Augusta
sortit de la piscine.
-
En sortant, pensez à bien tout nettoyer... Et si l'humeur vous en dit, je suis
prête pour le second round... La prochaine fois que tu t'en prendras à Julia,
je te promets de te noyer...
Gina
ne dit rien, elle faisait de son mieux pour retrouver au plus vite son souffle.
- Tu veux que je te dises ce que tu es, tu n'es qu'une mante religieuse. Tu te nourris des hommes, avant de les jeter comme des mouchoirs en papiers. Et je te garantis que tu ne feras pas la même chose avec Lionel. Je te le promets Gina. Je vais te détruire. Je vais faire en sorte que tu quittes cette villa le plus vite possible. Profite bien de tes jours ici, car ils sont comptés...
Villa Capwell.
Channing
Capwell se réveilla avec la tête des mauvais jours. Depuis qu'il avait appris
le kidnapping de Ted en Irak, son esprit ne cessait de craindre le pire. Il
avait passé toute la nuit à se tourner et se retourner, seul, dans le grand
lit qu'il occupait depuis que Sophia ne voulait plus entendre parler de lui. Au
cours de la nuit, il s'était concentré sur les raisons d'un tel désastre
familial; pourtant, quelques mois plus tôt, tout allait bien. Mais aujourd'hui...
Mais
aujourd'hui... Sophia se rapprochait de Lionel, et elle semblait même avoir
repris sa liaison passée avec lui. Toutefois, rien ne laissait prévoir un tel
revirement de situation après la mort de son dernier mari, Ken Mathis.
...
Tous ses enfants avaient fuit la villa. Et il se retrouvait plus seul que
jamais, à la tête d'un empire, sans le moindre héritier. Kelly avait trouvé
refuge à New York, où elle s'activait à se construire une nouvelle vie, après
les fiascos de sa vie amoureuse.
...
Eden... Ah, Eden... L'enfant sur lequel il plaçait le plus d'espoir avait fini
aussi par s'effondrer. Eden, prise au piège de ses trauamtismes d'enfant, avait
non seulement abandonné sa famille, mais aussi l'unique amour de sa vie, Cruz.
A l'heure actuelle, Channing n'avait plus de nouvelles. Selon les derniers
rapports qu'il avait eus entre les mains, Eden avait quitté la République
Dominicaine pour une destination inconnue. Toutefois, au fond de lui, Channing
ne perdait pas espoir : un jour Eden lui reviendrait. Un jour, Eden
reviendrait à Santa Barbara, ne serait-ce qu'au jour de sa mort, afin d'assumer
l'héritage qu'il lui revient.
...
Mason était parti lui aussi. Et bien que cela lui coûtait énormément de le
reconnaître, il lui manquait. Sans ce fils à ses côtés, il se sentait bien
seul. Certes, leur relation avait toujours été différente de celle qu'il
avait avec les enfants de Sophia, mais, même s'il n'avait vraiment jamais osé
lui dire en face, il tenait à lui à sa façon. Et depuis l'accident, Channing
se sentait en partie responsable : après tout, avant qu'il ne quitte la
villa, ils avaient eu une violente dispute.
...
Et Ted, à présent. Lui aussi avait aspiré à voler de ses propres ailes. D'ailleurs,
de tous ses enfants, Ted était certainement le plus indépendant. Pour l'heure,
il était retenu en otage en Irak. Channing n'arrivait pas à le croire...
Comment pouvait-on en vouloir à Ted, lui qui offrait toujours une seconde
chance aux gens, qui portait secours et assistance aux plus faibles ? Cela
le révoltait.
Aujourd'hui,
pour conserver un semblant d'équilibre, il ne lui restait que les Entreprises
Capwell, mises à mal par cet incendie.
Effectivement
tout allait mal dans sa vie.
-
Qui se cache derrière tous ces évennements ? Qui peut bien m'en vouloir
autant pour chercher à me détruire ?
Et tandis qu'il descendait l'escalier de sa villa pour rejoindre l'atrium, où il allait prendre son petit déjeuner, Channing se répétait inlassablement la même question : Qui ?
A peine descendu, il remarqua tout de suite la présence d'Augusta Lockridge, confortablement installée dans un fauteuil en osier, en train de boire une tasse de café.
-
Enfin ! Encore cinq minutes et j'allais vous l'apporter au lit...
-
Augusta... Que faites-vous chez moi ? Dehors, je ne suis pas d'humeur à
supporter vos jérémiades...
Lentement,
Augusta versa un café à Channing Capwell.
-
Installez-vous, prenez tranquillement votre café, Channing. J'ai à vous
parler.
Channing
prit place lui aussi sur un des fauteuils d'osier, fuyant du regard Augusta.
-
Si vous cherchez le jus d'orange, il faudra vous presser vous-même les
oranges... Je ne suis pas votre bonne, Channing...
-
Allez droit au but, Augusta !
Augusta
Lockridge reposa sa tasse de café.
-
J'imagine que vous savez très bien pourquoi je suis ici..
Pendant
un instant, Channing songea à Ted et à Warren Lockdrige, retenus en otage en
Irak. Augusta ne pouvait être au courant. Il avait passé plusieurs coups de
fil pour faire en sorte que la nouvelle reste secrète. Il avait déjà tout prévu,
demain il s'envolerait pour rejoindre un ami capable de faire libérer Ted.
-
Pas vraiment...
Les
mots de Channing manquèrent de l'étrangler. Il n'avait jamais été à l'aise
face à Augusta Lockridge, et aujourd'hui, ce malaise paraissait plus fort.
Quand à Augusta, il était évident qu'elle prenanit du plaisir à ce face à
face.
-
En fait, si je suis là, c'est pour plusieurs raisons... J'imagine que vous
pensez que je viens vous parler de Sophia et de Lionel...
Channing
pâlit légèrement; toutefois Augusta, qui le connaissait, l'avait parfaitement
remarqué.
-
Channing, que Sophia essaye à nouveau de mettre le grapin sur mon mari, cela ne
m'inquiéte pas. Lionel est à moi, et Sophia ne peut rien contre cela.
-
Augusta, je me moque de Sophia et de qui elle fréquente...
-
Teu Teu... Channing, à moi on ne la fait pas. Je vois bien dans votre regard
que vous ne le pensez pas... Dès que j'ai prononcé le nom de Sophia, les
battements de votre coeur se sont accelérés... Sophia et Lionel. Rien que cela
doit vous dégouter, Channing. Comme dans le passé, Sophia s'en est retournée
vers son amant.
-
Augusta, si c'est pour me parler de Sophia, vous perdez votre temps... Je m'en
moque. Et puis si je ne m'abuse, Lionel est marié avec Gina, pas avec vous...
La liste de ses femmes commence à être longue.
-
Par rapport à la vôtre, il a encore de la marge.
-
Sauf qu'il prend toujours mes restes. A croire qu'il aime bien être l'éternel
second.
-
Peut-être... Et pour que tout le monde soit quitte Channing, peut-être que
nous devrions essayer d'être amants nous aussi...
Augusta
pointa une main langoureuse sur la joue de Channing. Horrifié, Channing la
repoussa vivement.
-
N'y comptez pas Augusta...
-
Vous avez raison, Channing, je m'ennuierais à mourir avec vous... C'est d'ailleurs
pour cela qu'elles finissent toutes par partir... Par lassitude.
Channing
se leva en manquant de renverser les tasses.
-
J'en ai assez entendu, alors sortez Augusta...
-
Rasseyez-vous Channing, moi je n'ai pas terminé...
-
Augusta, je ne vous reconduis pas.
Channing
prit la direction du bureau.
-
Et si on parlait des terres de Pacific Sud.
Channing
s'arrêta et revint sur ses pas.
-
Des terres de Pacific Sud ?
-
Oui oui...
Channing
s'appuya sur le dossier du fauteuil.
-
Et qu'avez-vous, Augusta, à me dire de si important qui justifierait votre
retour...
Jouant
des ongles sur la table, Augusta reprit :
-
J'ai écouté votre conférence de presse, et je dois reconnaître que j'admire
votre faculté à retomber sur vos pattes... Je ne connaitrais pas votre esprit
retord, je crois que j'éprouverais presque de la peine pour vous... L'incendie
et à présent la pollution... Quel retournement...
-
Cela suffit Augusta, venez-en au fait...
-
J'y viens... J'ai consulté les plans de construction de Pacific Sud... Et ne
vous en déplaise, après avoir joué à l'incendiaire, vous faites très bien
le voleur...
-
Augusta, si c'est pour m'insulter, vous pouvez repartir d'où vous venez, vous n'avez
que quelques pas à faire pour retourner au nid de vipères qu'est la villa
Lockridge...
Augusta
se leva et fit face à Channing. C'est à ce moment que Channing remarqua qu'elle
tenait une épaisse enveloppe.
-
Channing, calmez-vous... Nous allons parler affaire.
-
Avec vous ! !
-
Oui, avec moi. J'ai bien étudié votre projet et ô, surprise, une partie de
Pacific Sud va être construit sur les terres appartenant aux Lockridge. Vos géomètres
sont allés vite en besogne, si vite qu'ils n'ont même pas remarqué qu'ils
allaient construire sur des terres qui ne sont pas vôtres.
-
Comment cela ?
-
Channing, vous trouverez là-dedans toutes les preuves de ce que j'avance. Et
vous trouverez aussi mes conditions rédigées par mon avocat...
-
Vos conditions ?
-
Channing, vous n'aurez pas le choix si vous ne voulez pas de procès... Cela
ferait désordre. N'oubliez pas qu'avec les fonds Tonell et Lockridge que je gère,
j'ai les reins suffisament solides pour tenir un procès de plusieurs années...
Ce qui n'arrangerait pas les affaires des Entreprises Capwell...
Channing
déglutit avec peine.
-
Et...
-
Et, Channing, nous allons être associés..
-
Associés ?
-
Tout est là, dans l'enveloppe, vous n'avez qu'à signer les papiers. Channing,
n'oubliez pas, c'est soit cela, soit le procès... J'en rêverais...
Augusta
jubilait. Elle était certaine qu'elle venait de mettre Channing Capwell KO, dès
le premier round.
-
Channing, dès que vous aurez signé, apportez-moi les papiers chez moi, je vous
offrirai le café que vous prendrez avec une de vos femmes, celle de votre
choix...
Augusta
prit son sac et, dans un bruissement de satin, elle se détourna et quitta la pièce.
- Quelle garce... Elle ne pouvait pas rester en enfer...
Résidence Capwell à Boston.
Bien
qu'elle aurait préféré rester chez son amie, Courtney Capwell avait bien dû
se résigner à retourner dans la maison familiale. Depuis le décès de son père,
elle était la seule locataire de cette immense demeure victorienne, bâtie au coeur
du centre historique de la ville. Courtney gara sa voiture devant la villa. Même
si elle avait toujours habité ici, elle ne put s'empêcher de ressentir une légère
appréhension en revenant : depuis la visite du cambrioleur et de la
police, sa maison n'était plus vraiment le havre de sécurité qu'elle avait
toujours été. Un instant, en détaillant la bâtisse, elle songea à Grant,
son père, et aussi à Madeline, sa soeur, disparue à Santa Barbara.
Etrangement, Courtney repoussa tous souvenirs de sa mère; elle ne voulait pas
songer à elle en cet instant. Songer à Ellen serait ouvrir la porte à la
folie et Courtney ne voulait pas, en ces heures pénibles, ouvrir cette porte et
entrevoir peut-être ce qui pourrait être son destin : une chambre d'asile
psychiatrique.
Courtney
monta le perron, le coeur tremblant. La dernière fois qu'elle avait poussé la
lourde porte, elle avait senti la présence d'un intrus dans le bureau de son père.
Courtney rentra. Elle se sentait seule. Trop seule. La police avait fouillé,
inspecté chacune des pièces à la recherche du moindre indice, incapable d'expliquer
l'étrange cambriolage; car rien n'avait été volé ce soir-là.
Courtney
s'avança vers le bureau de Grant. Elle savait qu'elle devait y rentrer dès
aujourd'hui. Comme après un accident de voiture, où il est important de
reprendre le volant tout de suite, Courtney poussa la porte. Dès que ses yeux s'étaient
habitués à la pénombre, elle constata que tout avait été remis à sa place.
Elle resta un long moment sur le seuil de la pièce. Une curieuse sensation la
retenait. Le souvenir de son père et de sa mère dansa un moment devant elle.
Puis lorsqu'elle pénétra vraiment, Courtney crut entendre à ses oreilles la
voix de Madeline qui lui ordonnait de quitter la pièce et de ne jamais y
revenir.
-
Vous êtes morts, tous... Et je suis seule...
Courtney
effaça tous souvenirs et prit pleinement possesion de la pièce. Elle ouvrit
rideaux et fenêtres, et laissa l'air et la lumière pénétrer jusqu'au moindre
recoin. Courtney soupira. Aucun fantôme, aucun voleur n'était revenu hanter sa
maison. Tout était redevenu comme avant. Comme avant.
Courtney
laissa son regard se promener sur l'imposante bibliothèque. Passionnée d'art,
Ellen Capwell avait rempli la bibliothèque; elle regorgeait d'ouvrages sur la
peinture, la sculpture ou l'architecture. Laissant courir ses doigts sur les
rayonnages, Courtney s'imprégnait d'une douce sensation de sécurité et de
bonheur : celle d'être enfin revenue chez elle. Ensuite, elle inspecta les
diverses photos, posées çà et là dans la pièce. Elle reconnut tout de suite
celle de son premier Noël, avec Madeline à ses côtés. Madeline, sa soeur ainée
qu'elle avait tuée par excès de jalousie. Car Madeline, dans sa vie, avait
tout eu, l'amour de ses parents, l'admiration de leur père, les regards
amoureux des hommes... Un instant, ses yeux se voilèrent; d'un certain côté,
Madeline lui manquait. Souvent, lorsqu'elle songeait à sa soeur, Courtney
ressentait au plus profond de son être l'étrange sensation qu'elle était
encore vivante, qu'elle appartenait toujours à ce monde.
-
Madeline, je voudrais tant, malgré tous nos différents, que tu sois encore près
de moi...
Courtney
alla s'asseoir sur le fauteuil de son père. Là, l'air frais qui pénétrait
dans la pièce réussit à chasser toutes ses sombres pensées. C'est alors qu'elle
remarqua que, face à elle, les deux statues égyptiennes qui encadraient la
porte avaient été bougées. L'une surtout semblait même ne plus être à sa
place sur son socle. Courtney rala intérieurement contre les policiers,
incapables de remettre les choses à leur place. Elle se leva et gagna la statue
d'Anubis, gardien du sommeil des morts pour les égyptiens.
Courtney
s'efforça de déplacer la statue. Lentement, la statue retrouva un axe
identique à son double, de l'autre côté de la porte. Toutefois, cela n'allait
toujours pas pour Courtney. Comme elle l'avait remarqué, la statue avait été
déplacée sur son socle. En s'agenouillant, elle remarqua que ce dernier
paraissait récent. Elle inspecta le second socle et détailla les différences.
Contrairement à l'autre, le premier socle ne s'effritait pas et surtout sa
couleur était nettement différente du reste de la statue, comme s'il avait été
restauré de façon grossière. Ce détail, curieusement, intrigua Courtney.
-
Comme c'est étrange. On dirait un faux... On dirait même que le socle est
creux.
Après
avoir frappé contre l'un et l'autre socle, elle réalisa rapidement que le
support de la statue contre laquelle elle était agenouillée était
effectivement creux. Elle fit courir ses doigts tout autour du socle. Au début,
elle ne remarqua rien. Puis, après comparaison avec l'autre socle, elle nota la
présence d'une fissure franche à l'arrière du socle. La fissure courrait sur
les 30 centimètres d'épaisseur du socle.
Après
un ultime effort, Courtney poussa la statue loin du mur. Maintenant qu'elle
pouvait inspecter le dos du socle, l'évidence lui crevait les yeux. Une
cachette, à la va-vite, avait été creusée dans le socle. Courtney se leva et
alla chercher un aigle de bronze posé sur une étagère. Sans plus réfléchir,
elle donna de violents coups secs sur la pierre. Très vite, la partie protégeant
la cachette céda. Courtney fouilla la cachette et ses doigts trouvèrent tout
de suite une boite en métal. Il s'agissait de la cantine de son père; elle
portait d'ailleurs son nom : Grant Capwell, Major de l'aviation américaine,
1940.
Courtney
faisait courir ses doigts sur les lettres gravées. Des souvenirs affluèrent
dans sa mémoire. Petite, elle adorait quand son père lui parlait de ses
exploits lors de la seconde guerre mondiale. Tout comme son frère, Channing, il
appartenait à l'aviation, et tels de vrais héros de l'Amérique, ils avaient
quitté leur famille, leur maison, leur pays, pour défendre l'Europe contre le
nazisme. Elle se souvenait de son uniforme, de son blouson d'aviateur...
Tremblante,
Courtney redevint la petite fille qu'elle était. Son coeur battait la chamade,
car elle savait qu'elle tenait là les trèsors de son père : de vieux
souvenirs de guerre, peut-être. Ayant perdu sa mère très tôt, Courtney avait
reporté tout son amour sur Grant, même si le plus souvent, il ne semblait pas
remarquer sa présence. Grant n'avait de l'attention que pour Madeline, parce qu'elle
ne ressemblait ni de caractère ni physiquement à sa mère. Madeline était une
Capwell. Courtney, elle, avait le teint, les cheveux, et la douceur d'Ellen.
Courtney
se releva et, tenant toujours précautieusement la boite, retourna s'asseoir sur
le bureau. Elle hésitait : devait-elle oui ou non percer les secrets de
son père ? Comme la boite ne comportait aucune serrure, elle en déduit
que les secrets renfermés à l'intérieur ne devaient pas avoir beaucoup d'importance.
Alors, elle ouvrit la boite. Délicatement, elle en renversa le contenu. Comme
elle le prévoyait, la boite ne renfermait que quelques médailles, une clé, de
nombreuses photos et un petit carnet noir, à spirales, frappé du blason des
Etats-Unis.
Absorbée
par la découverte, Courtney oublia rapidement le récent cambriolage, son
esprit se concentrant uniquement, à présent, sur la nouvelle découverte. Son
esprit fonctionnait à vive allure, car une partie d'elle cherchait une
explication à cette cachette : pourquoi son père avait cherché à cacher
ces documents à sa famille ?
Désireuse
de découvrir la part de mystère, les doigts tremblants de Courtney commencèrent
à trier les photos. Ce n'est qu'en les posant les unes après les autres qu'elle
commença à se rendre compte. La première, toute anodine, représentait son père
avec son frère Channing et un autre homme, devant un avion. Elle était même
datée : Avranches 1942, Grant, Channing et Winnie. Les suivantes représentaient
le plus souvent son père avec des hommes de son régiment et avec un troisième
homme, celui qui se nommait Winnie. Tout en regardant les photos, Courtney fit
travailler sa mémoire. Elle n'avait pas le moindre souvenir d'un homme, ami de
son père, se nommant Winnie.
Soudain
ses doigts s'arrêtèrent. Durant une seconde, Courtney crut voir une terrible
vision. Elle ferma les yeux, repoussant au loin l'horrible image qu'elle avait
vue ou cru voir. Puis, lentement, elle reposa la photo sur le bureau. Son père
y était dessus, vétu de son uniforme. Autour de lui se tenaient des femmes
nues. Courtney pâlit. Incapable de se contrôler, elle jeta de plus en plus en
vite de brefs regards sur les photos suivantes. La quasi-totalité représentaient
son père avec Winnie, entourés de femmes nues, et même sur certaines, ils étaient
entourés de soldats en uniforme nazi. Courtney ne comprenait pas.
Avec
horreur, elle repoussa les photos et ouvrit le carnet. Elle reconnut tout de
suite la fine écriture de son père. Il n'y avait aucun doute pour elle. Elle
le feuilleta rapidement. A la première vue, il ne contenait rien de bien intéressant,
des noms, des dates et des chiffres. Courtney était déçue, car elle aurait
aimé tomber sur un document capable d'expliquer les photos.
Courtney
reposa le carnet noir et prit lentement une photo au milieu du tas devant elle.
Repoussant son dégout, elle la regarda attentivement. Son père était au
premier plan, tenant les cheveux d'une femme dans une main et une cravache dans
l'autre. Derrière la femme, elle reconnut le visage de Winnie, alors que d'autres
hommes au fond semblaient regarder la scène. En observant bien la photo,
Courtney réalisa qu'il ne s'agissait pas d'une femme, mais d'une jeune fille.
Sa vue alors se troubla, et elle sentit la nausée qui la prenait. Courtney
jaillit hors du fauteuil et se précipita à côté de la fenêtre pour aspirer
de l'air frais. Une partie de son univers s'écroulait. Après sa mère, voilà
qu'elle découvrait la face sombre de son père. Tremblante, Courtney manqua de
s'évanouir.
-
Papa... papa...
Des
larmes amères coulaient sur son visage. La pièce semblait rapetisser sur elle,
prête à l'avaler.
-
Non... Dis-moi que ce n'est pas ce que je pense... C'est impossible.. Tu n'es
pas comme cela...
Après
plusieurs minutes, Courtney retourna au bureau et rangea photos et carnet dans
la boite. Puis, elle prit le téléphone et composa un numéro. Dans son esprit,
un seul homme pouvait détruire l'horreur qui naissait dans sa tête : son
oncle Channing. Elle devait se rendre à Santa Barbara et le questionner afin de
découvrir la vérité.
- Allô, bonjour, je voudrais le numéro de téléphone de l'aéroport...
Propriété Capwell.
Channing
stoppa sa Mercedes cabriolet à plusieurs mètres du lieu de la nouvelle réunion.
Depuis son arrestation quelques jours plus tôt par Connor, il avait décidé de
passer à la vitesse supérieure. Il avait réussi à convaincre Julia de
rejoindre, jusqu'au retour de Mason, sa garde rapprochée, comme il aimait l'appeler.
Ainsi, elle travaillait avec Daniel, Pilar et Steve Brewer à la mise en place
de sa ligne de défence. Car, à présent, il lui fallait convaincre la justice
de son innocence, convaincre l'opinion publique de son réel intêret à l'écologie,
et accélérer le processus de construction de Pacific Sud. Même Pearl s'était
joint, avec entrain, à l'équipe.
C'est
donc sur différents fronts que Channing Capwell livrait bataille. Julia et
Daniel s'occupaient des aspects légaux, Pearl de l'enquête sur les origines de
l'incendie, Pilar de l'avancement des travaux de Pacific Sud et de la protection
de l'environnement, Steve défendait sa place pour les prochaines élections
municipales qui auraient lieu le mois prochain. Quant à lui, il supervisait le
tout, et surtout il s'occupait de l'opinion publique. D'ailleurs, c'est pour répondre
aux nouvelles attaques de Deana Kincaid qu'il avait proposé cette réunion :
il voulait personnellement parler avec les différents personnes directement lésées
par l'icendie. Aujourd'hui, il rencontrait vignerons, propriétaires terriens,
éleveurs...
En
descendant de voiture, il s'arrêta un instant pour regarder les travaux. Grâce
à Steve et Pilar, ils avaient pu commencer les travaux de construction sans l'obtention
de tous les papiers officiels. En ce début de XXIème siècle, Channing savait
que les efforts consentis par les Entreprises Capwell sur l'aspect écologique
seraient payant, et qu'ils, du même coup, lui offraient une exellente campagne
publicitaire.
Un
court instant, Channing songea à son entrevue avec Augusta Lockridge. Cette vipère
n'avait pas perdu de temps pour se glisser dans son projet. Certes, une partie
de Pacific Sud s'étendait sur des terres Lockridge, mais l'important pour lui
était de redorer le blason Capwell en reconstruisant la quasi-totalité des
terres ravagées par les flammes. Et afin d'éviter une nouvelle bataille, il
avait bien dû accepter les termes du contrat : Capwell et Lockridge étaient
à présent associés à part entière dans le projet Pacific Sud.
-
Je trouverai bien un moyen pour me débarasser d'eux... Comme j'ai toujours su
le faire. Finissons le projet, et après je m'occuperai d'Augusta...
Channing
s'avança vers la vingtaine de personnes qui l'attendaient. Tous le dévisageaient
avec colère. Aux yeux de tous, Channing Capwell était le seul responsable de
ce désastre. C'était à cause de lui et de sa soif démesurée de pouvoir qu'une
partie des terres au sud de la ville avait été détruite. Quand il traversa le
groupe d'hommes, Channing pouvait sentir la haine à son égard. D'ailleurs, à
son passage, il entendit vaguement quelques sifflets et quelques insultes :
assassin, criminel, incendiaire... Channing prit sur lui pour ne pas répondre
à ces attaques.
Il
prit place sur l'estrade qui n'avait pas bougé depuis sa dernière conférence
de presse. Dans son dos flottait le logo de Pacific Sud, avec un panneau
affichant une esquisse de la maquette et les principes fondamentaux de ce
nouveau projet.
Channing
se tourna face à l'assemblée. Il reconnaissait la plus grande partie de ses
adversaires. Tous, autant qu'ils étaient, étaient venus un jour le trouver
pour les aider financièrement, pour soutenir leur projet, pour leur trouver du
travail, pour eux directement ou pour un proche, et aujourd'hui, ils se tenaient
face à lui, menaçants. Channing se félicita intérieurement : la majorité
des hommes lui devaient une dette; il saurait le leur rappeler.
-
Incendiaire, voleur...
Une
clameur surgissant de nulle part s'éléva. Channing reconnut pourtant la voix
de Norman Driscoll, un propriétaire terrien, à qui il avait refusé de
financer son projet.
-
Capwell, que comptez-vous faire pour nous ?
-
Oui, c'est vrai ? Que comptez-vous faire...
-
Après le feu, l'arsenic et le plomb... Quel est le prochain fléau qui doit s'abattre
sur nous ?
Tout
le monde parlait en même temps. Tout le monde grondait, mais personne n'osait l'attaquer
directement. Channing sourit intérieurement, certain de sa victoire. Driscoll n'avait
pas dû réussir à tous les monter contre lui. Donc, certains lui étaient restés
fidèles.
-
Messieurs, comme je vous l'ai promis, je me présente à vous pour faire le
point sur la situation.
-
Ce n'est pas cela qui va assainir nos terres.
-
Laissez-le parler...
-
Je tiens aussi à vous remercier pour votre présence, et aussi pour avoir
respecté ma volonté : à savoir que nos rencontres doivent se faire loin
de toutes pressions extérieures. A nouveau, je vous le répète, je suis prêt
à vous aider, mais si jamais une ligne sur nos rencontres apparaît dans la
presse, je cesserai de vous soutenir financièrement.
En
effet, la plupart des hommes présents étaient directement dédomagés par les
Entreprises Capwell, par rapport aux dégâts de l'incendie.
-
Maintenant, écoutez-moi.
-
Encore des paroles, jamais des actes...
-
Norman Driscoll, puisque vous voulez prendre la parole, allez-y.
Channing
dévisagea l'homme qui lui faisait face. En l'attaquant en premier, Channing
comptait désarmocer les autres. Driscoll baissa un instant le regard, puis se
plaça au milieu du groupe.
-
Monsieur Capwell, après l'incendie, nos terres doivent faire face à présent
à une contamination au plomb et à l'arsenic. Cette pollution, d'après les
premières rapports d'experts, serait liée à l'incendie. Je vous le demande à
nouveau, que comptez-vous faire pour nous dédommager des pertes et pour palier
à cette grave pollution ?
-
D'abord, Monsieur Driscoll, je n'ai pas encore eu de rapport définitif ni sur l'incendie
ni sur la pollution.
-
J'ai des rapports qui disent que...
-
Voyons, nous savons vous et moi qu'on peut faire dire ce qu'on veut à des
rapports. Je pourrais moi aussi vous présenter des rapports de mes experts qui
vous jugeront parfaitement le contraire. Les analyses sont en cours d'être réalisées,
laissons faire la justice.
Plusieurs
hommes approuvèrent Channing Capwell.
-
Monsieur Driscoll, pour le moment seules quelques terres sont touchées par
cette pollution. Et par un curieux hasard, vos élevages de chevaux restent épagnés.
-
Que voulez-vous dire ?
-
Ni plus ni moins que vous n'êtes pas concerné directement par cette pollution,
alors je vous serais gré de me laisser terminer de m'adresser aux personnes
concernées.
Norman
Driscoll recula, en fin de groupe. Ses yeux lançaient des éclairs à Capwell.
Les deux hommes se détestaient depuis plusieurs années. Driscoll, comme bon
nombre de propriétaires terriens à Santa Barbara, méprisait les Capwell pour
avoir eu la chance de trouver des gisements de pétrole sur leur sol. Norman
Driscoll, comme plusieurs de ses voisins, vivotaient à l'ombre de la puissante
villa Capwell; certains cultivaient la vigne, d'autres des arbres frutiers, et d'autres,
comme lui, géraient un élevage de chevaux.
Channing
se calma et apaisa son regard. Il reprit à l'adresse des autres riverains.
-
J'attends comme vous la rédaction des rapports d'enquêtes pour comprendre les
raisons de cet incendie, puis de cette pollution qui s'abat sur nous. Soyez
certains que je suis de votre côté, et que les Entreprises Capwell feront tout
ce qui est possible pour redonner éclat et qualité à cette terre. Tout comme
vous, je suis d'ici. Tout comme vous, je suis de cette terre. Je l'aime et je la
respecte, contrairement à ce qu'on veut vous faire croire. Et bien sûr que j'ai
conscience de vos problèmes. C'est pour cela que les Entreprises Capwell vous
ont toujours soutenus. Jed, n'ai-je pas trouvé du travail à ta femme, lorsque
tu as eu ton licenciement pour maladie ? Hank, n'ai-je pas payé les frais
d'hospitalisation de ton fils, lors de sa leucémie ? Vous tous, je vous
aidés... Aujourd'hui, je vous demande de me faire confiance et de me croire
lorsque je vous jure que je suis innocent de l'incendie et de la pollution.
Les
hommes cités approuvèrent les propos de Channing Capwell. Il est vrai que les
Entreprises Capwell, et Channing aussi, les avaient toujours soutenus. La
tension commençait à baisser.
-
Regardez-moi, me croyez-vous capable d'empoisonner cette terre, cette même
terre où je vis, ma famille et moi ! Je vous promets de vous donner toutes
les réponses et d'apporter mon aide à chacun d'entre vous. Je vous le promets.
D'ailleurs, le nouveau projet que je souhaite bâtir ici ne peut que vous être
bénéfique. Pour la première fois, un puissant industriel vous promet de
respecter l'environnement... Messieurs, je vous propose de vous retrouver demain
en présence des experts, et de voir ce que nous pouvons faire pour assainir la
terre sur laquelle nous vivons. Bien sur, les Entreprises Capwell se chargeront
de la totalité des frais...
-
Bravo...
Les
hommes applaudirent, heureux de trouver en Channing Capwell un homme qui
respecte et aime la terre de la même façon qu'eux.
Channing
descendit de l'estrade. Il serra plusieurs mains, alors qu'il retournait à sa
voiture. Demain, la journée serait plus difficile. Il se doutait bien que les
experts allaient certainement rendre les Entreprises Capwell responsables de la
pollution. Déjà, on parlait que des produits toxiques se trouvaient sur le
site. Certain osaient même parler de produits radioactifs. Channing enrageait
intérieurement. Il lui tardait de mettre la main sur le Général Michael
Bradford, à qui il allait faire payer toute cette situation. Depuis près de
vingt ans, il lui prêtait ces terrains, depuis plus de vingt ans, le Génèral
réalisait ici, dans le plus grand secret, des expériences qui risquaient de détruire
la région. Channing maudissait son ami. Pour la seconde fois, il le trahissait.
Pour la seconde fois, il risquait de détruire un Capwell...
Alors
qu'il s'approchait de sa voiture, Channing se fit accoster par un jeune homme qu'il
ne connaissait pas.
-
Monsieur Capwell, excusez-moi...
-
Pardon ?
L'homme
lui tendit la main. Channing finit par lui la serrer. Il détestait être ainsi
accosté de la sorte.
-
Monsieur Capwell, permettez-moi de me présenter, je suis Ben Agretti. Je suis
nouveau ici, dans la région, et je cultive les terres,au sud de Catalina, en
bordure de votre propriété.
-
Oui...
Channing
jugea Ben du regard. Il le trouva franc, dans sa nature.
-
J'ai une certaine expérience en études géologiques. J'ai fait analyser mes
terres et j'ai trouvé quelque chose d'étrange.
-
Excusez-moi, mais pourquoi m'en parler à moi ? Contactez plutôt mes
experts et expliquez-leur votre situation.
-
Monsieur Capwell, j'ai déjà montré le sol de mes vignes aux experts, et je n'ai
trouvé aucune trace de mes propos dans leur rapport. J'ai fait mes propres
analyses et, curieusement, on a retrouvé du plomb et de l'arsenic qu'en
surface. De plus, la pollution s'étend sur des terres physiquement éloignées
les unes des autres, ce qui laisse supposer une contamination souterraine,
contamination véhiculée par l'eau.
-
Et...
-
Et, cela ne colle pas. Si la pollution par le plomb et par l'arsenic était
transportée par l'eau, on en retrouverait en profondeur dans la terre. Et ce n'est
pas le cas. Passés les premiers millimètres, il n'y a aucune trace de
pollution. Pas la moindre...
-
Selon vous, le rapport des experts serait faux.
-
Faux ou inexact...
Channing
comprit alors en un éclair les propos de Ben Agretti.
-
Il n'y a pas de trace de pollution en profondeur. Donc, pour vous, on a déversé
le plomb et l'arsenic en surface.
-
C'est une des possibiltés.
-
Monsieur Agretti, avez-vous des preuves de ce que vous avancez ?
Ben
tendit un paquet de feuilles à Channing Capwell.
-
Chaque année, je vends mes raisins à Falcon Crest, c'est pour cela que ce sont
eux qui ont fait les expertises.
Tout
en jetant un coup d'oeil aux documents, Channing invita Ben Agretti à monter
avec lui dans sa voiture.
-
Venez, je vais avoir besoin de vous. Vous allez m'expliquer les résultats de
vos analyses et les conclusions qui vous paraissent logiques...
Channing souriait. Il venait de trouver un allié de taille dans sa bataille, un allié qui pouvait lui retirer toute responsabilité dans l'incendie...
Cabinet d'avocats de Julia Wainwright Capwell.
Réunie autour de la table de conférence de Julia Capwell, la force de frappe de C.C. Capwell réfléchissait aux moyens de sauver les Entreprises Capwell. Julia, plus habituée à ce genre de réunion, menait l'équipe. Après son terrible accident de voiture, elle replongeait, non sans un certain plaisir, dans le monde de la justice. Le travail, le travail, toujours le travail... Cela lui donnait la force de continuer et surtout de ne pas songer à Mason...
Repoussant à l'arrière ses longs cheveux bouclés, Julia Capwell terminait la relecture de ses notes. Elle devait maintenant superviser l'élaboration du projet de Pacific Sud avec l'aide de Daniel McBride, coordonner la campagne politique de Harold Brewer, et enfin donner les moyens légaux à Pilar Alvarez de protéger l'environnement.
Tout autour de la table, ses confrères Pilar et Harold dévisageaient avec une certaine admiration cette femme qui se lançait à corps perdu dans la bataille de Channing Capwell. Personne n'ignorait son accident, le départ de Mason, sa situation difficile d'être le chaînon entre les Capwell et les Lockridge.
- Si je refais le point, nous nous trouvons face à un double problème. D'abord trouver une stratégie de défense pour le couple Capwell Enterprise et Pacific Sud. Et ensuite, je pense trouver ce qui se cache derrière toutes les attaques dirigées contre les Capwell. Je viens de plonger dans le bain, avec du retard si je puis dire, car comme je vous l'ai dit, j'ai été appelée pour défendre Channing lors de son interrogatoire. Je vous demande donc de me préparer pour le plus tôt possible un bref rapport sur votre fonction, vos idées et vos suggestions. Je n'ai pas encore...
La porte de la salle de conférence s'ouvrit, laissant entrer Daniel McBride dans la pièce.
- Excusez-moi, je viens juste de terminer de ranger les archives.
- Nous commencions juste...
Daniel s'approcha de Julia et lui serra la main. Julia remarqua tout de suite l'épaisseur de poussière qui recouvrait les cheveux et les habits de Daniel.
- Si vous voulez, il y a à côté de mon bureau un cabinet de toilettes.
- Merci. Je reviens tout de suite.
Daniel s'absenta à nouveau et entra dans le cabinet de toilette. Il se passa rapidement les cheveux sous l'eau, et retira sa chemise, entièrement recouverte d'une épaisse couche de poussière. Il retourna dans la salle de conférence, vêtu d'un jeans et d'un débardeur qui laissait voir sa musculature.
Il prit place autour de la table.
- Je ne sais pas où vous en étiez, mais il faut que vous sachiez que je viens de passer une demi-journée à fouiller les archives des Entreprises Capwell. Et curieusement, il manque toute une partie des archives relatives aux années 70, époque où Channing Capwell accepta de prêter le terrain à l'armée. Tous les cartons de ces années ont disparu. L'avocat de l'époque, soit a tout emporté, soit tout détruit.
- Vous êtes certain qu'il ne reste rien ?
- Absolument rien, madame Capwell...
- Oh, pitié, Julia.
- Julia... Non, absolument rien, c'est comme si Jack Lee, l'avocat de Channing Capwell, avait tout emporté après son départ...
Jack Stanfield Lee. Julia frémit en entendant Daniel prononcer ce nom surgit d'outre-tombe. Jack Stanfield Lee était complètement sorti de sa vie... Et pourtant, son souvenir ressurgit dans son esprit, comme s'il n'avait quitté Santa Barbara que quelques jours plus tôt. Et avec ce souvenir, Julia songea à d'autres souvenirs... la fuite à Vienne, le kidnapping du bébé d'Amy à New Stailand. Le souvenir d'une ancienne relation...
- Jack Stanfield Lee... Je me souviens de lui... D'ailleurs, il y a longtemps, il avait essayé de prendre le contrôle des Entreprises Capwell.
- Se peut-il qu'il se cache derrière toutes ces attaques ?
- Je ne pense pas, Daniel. Jack est mort depuis. Et son fils... Son fils est en prison à perpétuité...
Julia baissa les yeux. Est-ce possible que le passé revienne les détruire ? Jack Lee... et aujourd'hui David Raymond, qui devrait présider le procès. Deux hommes qui ont fait partie de sa vie.
Après plusieurs minutes, Julia reprit le contrôle de la réunion.
- Très bien, merci Daniel. J'attends de vous une entière interaction. Je ne suis pas là pour prendre le contrôle, je veux juste assurer l'intérim avant que Mason vienne me remplacer.
Tous les regards marquèrent leur surprise.
- Pilar et Harold, je vous laisse le champ libre pour déposer tous les permis et les demandes, car je pense qu'au jour d'aujourd'hui, l'important est de préparer le procès contre Channing. D'ailleurs, Pilar, je vous demanderais de me laisser vos notes sur la catastrophe écologique.
- D'accord, je vous apporte tout cela demain.
- Merci.
- Par contre Daniel, je pense qu'il va falloir qu'on échange nos idées... Je sais qu'aujourd'hui c'est vous qui avez en charge l'aspect juridique des Entreprises... Ce n'est pas que je veuille prendre votre place, mais je connais bien Channing et surtout... je connais personnellement le juge David Raymond.
- Il n'y a pas de soucis, Julia, en ce qui me concerne.
Daniel s'installa aux côtés de Julia, tandis que Pilar et Harold partirent.
- Et bien, Daniel, allons-y. Comment voyez-vous la défense de Channing Capwell ?
- D'abord, je ne pense pas, comme le prévoit Monsieur Capwell, que financer l'épuration et la reconstruction du site soit le meilleur moyen pour prouver son innocence. Bien au contraire.
Daniel McBride, jeune et brillant avocat, avait réussi par le plus grand des hasards et par un étrange concours de circonstances à entrer au service des Entreprises Capwell, et en devenir le plus jeune conseiller financier. Il exposa à Julia une partie de ses idées, expliquant de façon constructive chacune de ses remarques. De temps à autre, Julia notait des points qui lui paraissaient importants, au contraire rayait les pistes qu'elle jugeait trop risquées. Sur plusieurs points, le raisonnement de Daniel se recoupait avec celui de Julia. Et après une longue heure de débats, Julia choisit de mettre un terme à cette première réunion.
- Daniel, je peux vous assurer que vous avez fait du bon travail. J'ai noté en particulier deux pistes importantes.
- Merci. Je vous laisse alors mes notes, j'en ai gardé un double chez moi.
Julia ramassa les documents et les glissa dans son épais porte-documents.
- Vous n'êtes pas trop fatiguée, Julia ?
- Pour le moment, je suis effectivement un peu lasse, mais c'est normal. Je suis en train de faire ma rentrée... Un peu plus tôt que prévu...
Daniel se leva et passa derrière Julia.
- Vous permettez ?
Julia se laissa faire. Daniel souleva ses cheveux et commença à lui masser énergiquement le cou. Lentement, Julia sentit une partie de son fardeau et de sa douleur qui s'effaçait.
- Bon avocat, excellent masseur... Quelle autre surprise me réservez-vous, Daniel ?
- C'est un vieux truc que j'ai appris à la fac de droit, pour supporter le rythme de travail. Car comme le disait toujours un de mes professeurs, apprendre ce n'est pas tout; savoir se détendre mène aussi au barreau.
- Vous avez connu Martinson ?
- Oui, c'était mon prof en dernière année.
- Il a été aussi le mien. A l'époque, nous étions toutes folles de lui. Et quand il posait les mains sur une fille pour la masser, nous étions vertes de jalousie...
Daniel continuait de masser Julia. L'ambiance se détendit et un début de complicité s'installa entre eux.
- Tout à l'heure, Julia, vous avez laissé entendre que vous connaissiez le juge Raymond et dans votre façon de le dire, j'ai senti que ... cela pouvait rendre les choses plus difficiles.
- J'ai connu David. Disons qu'après son divorce, il a tout fait pour essayer de me séduire. Je n'ai jamais voulu accepter ses avances...
- Je comprends mieux maintenant...
- Mais s'il n'y avait que cela Daniel, cela serait très simple. Le problème c'est que son ex-femme, Angela, a eu pendant un moment une liaison avec Channing... Et j'ai peur qu'il ne retourne sa frustration contre les Entreprises Capwell pour venger son orgueil de mâle blessé.
- Je comprends mieux.
- Je suis certaine que le passé va nous exploser au visage. Cette affaire sent trop le coup monté pour qu'il en soit autrement.
- Pourquoi dites-vous cela ?
- Tout simplement parce que cet incendie fait appel à trop de noms surgis du passé. D'abord Michael Bradford, qui fut un vieil ami de C.C.. Ensuite, Jack Stanfield Lee, l'avocat corrompu et ambitieux. Puis, David Raymond... A mon goût cela fait trop de coïncidences.
- Et si ce n'était que le fruit du hasard...
- Et Mason qui n'est toujours pas là !
- Il vous manque.
- Plus que jamais. Et pourtant, ce qu'il y a de terrible, c'est que je m'habitue à ses absences... Daniel, je peux vous jurer que je l'aime plus que tout.
Julia commença à pleurer et Daniel la prit dans ses bras.
- Je l'aime, mais mon corps s'habitue à vivre parfois sans lui.
- Il va vous revenir, Julia...
- Peut-être...
Julia s'éloigna du torse de Daniel.
- Peut-être... Et puis, je crois parfois que nous sommes trop indépendants l'un et l'autre pour vivre longtemps ensemble. Je ne porte pas la faute que sur Mason. Je suis presque certaine au fond de moi, que s'il ne s'éloignait pas de moi, c'est moi qui en ferait autant. Nous avons besoin de prendre de la distance...
Julia ramassa ses affaires et se prépara à partir, suivie par Daniel.
- On se revoit demain.
- D'accord, Julia, vous voulez que je passe vous chercher ?
- Si vous voulez.
- Demain, alors à 11 heures, et je vous invite à manger.
- O.K.
Daniel et Julia montèrent chacun dans leur voiture. Julia continua de songer à Mason. Pourquoi avait-elle parlé d'indépendance ?
- Parfois tu es une gourde ma pauvre fille !
Son esprit cependant s'en retournait vers son mari. Elle songea à leur rencontre, au début de leur histoire. Elle songea au contrat qu'ils avaient conclu au sujet de Samantha. Ils ne devaient pas tomber amoureux l'un de l'autre... Cela paraissait si simple au début. Des rencontres à la va-vite, juste pour faire un enfant. Comment avait-elle pu tomber amoureuse et surtout de Mason... Ils étaient trop semblables pour que leur relation marche. Trop indépendants aussi. Trop intransigeants aussi. Combien de fois lui avait-elle demandé de choisir entre elle et l'alcool ? Combien de fois lui avait-il demandé de changer ? Non, ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre, et Julia commençait à s'en rendre compte. Leur petit jeu du chat et de la souris pouvait durer longtemps, mais à présent il y avait Samantha. Et elle ne devait pas à avoir à souffrir de leur immaturité. Car tout était là. Mason n'était qu'un adolescent rebelle. Et elle, même si elle avait peine à le reconnaître, une petite fille frustrée de ne pas mener sa vie comme sa soeur Augusta.
En roulant vers la villa Lockridge, Julia se faisait sa petite analyse. Elle songea aussi à toutes les barrières qu'ils avaient eues à franchir : toutes ces femmes et ces hommes qui les avaient empêchés pour une raison ou une autre de s'aimer. Victoria Lane, David Laurent, Sasha Schmidt, Michael Donnelly et Gina DeMott...
- Et si, en réalité, nous n'étions pas faits pour vivre ensemble... Si nous avions eu le courage de nous en tenir au contrat de départ...
Centre des affaires de Los Angeles.
Tôt dans la matinée, C.C. Capwell avait pris son jet particulier pour se
rendre à Los Angeles. Il avait quitté Santa Barbara dans le plus grand secret,
et tout le monde autour de lui ignorait tout de sa destination. Seul Tom, son
pilote, connaissait la destination : Los Angeles. L'avion s'était posé
une heure plus tôt sur le tarmac de la ville et, à présent, il conduisait une
limousine de location à destination du centre des affaires de la ville.
La
limousine finit par se garer devant un haut building. Channing sortit de la
voiture.
-
Attendez-moi là.
Il
se précipita à l'intérieur du bâtiment, et s'engouffra dans un ascenceur.
Sans réfléchir, il appuya sur le bouton du dernier étage, là où se tenaient
les bureaux présidentiels. Alors que l'ascenceur commençait sa course, C.C.
fit le vide dans son esprit : il ne devait songer qu'à Ted et à sa libération.
La colère montait en lui. Channing prit sur lui pour la contenir. Il était
certain que l'homme qu'il allait voir l'aiderait; ancien sénateur et richissime
homme d'affaires, il avait le pouvoir de faire libérer le plus discrètement
possible Ted des griffes de ces géolier. Qui plus est, il lui devait un
service...
L'ascenceur
s'arrêta et Channing en descendit. Sans prêter la moindre attention à la secrétaire
qui s'agitait devant lui, Channing gagna le bureau. C'est à peine s'il remarqua
la jeune femme blonde qui en
sortit, en claquant la porte. De l'autre côté, il reconnut la voix famillière
qui hurlait :
-
Paige, reviens ici...
Nul
doute, c'était bien lui. Sans frapper, il poussa la porte.
-
Tu as enfin décidé à obéir...
-
Bonjour Gregory.
L'homme
se retourna et une grande surprise se lit sur son visage.
-
Channing... Channing Capwell.
-
Et oui, Gregory, après toutes ces années...
La
secrétaire de Gregory Sumner entra à son tour dans le bureau.
-
Excusez-moi, Monsieur Sumner, j'ai fait ce que j'ai pu pour l'empêcher d'entrer.
-
Ce n'est pas grave.
-
Et faites en sorte qu'on ne nous dérange pas.
La
secrétaire regarda son patron et elle comprit, à son hochement de tête, qu'elle
devait obéir aux ordres de l'inconnu.
Greg
prit place derrière son bureau et il fit signe à Channing de s'installer.
-
Je ne te sers pas à boire, j'imagine que tu n'es pas là pour le plaisir.
-
Effectivement.
Les
deux hommes se fixèrent longuement. L'air se chargea en électricité et, à
les voir ainsi, personne ne pouvait dire avec certitude s'ils étaient amis ou
ennemis. Cependant, il paraissait évident que les deux hommes se connaissaient
bien.
-
Très bien, alors que puis-je faire pour le grand Channing Creighton Capwell...
-
Ne soit pas insultant, Greg. Cela ne me fait pas plus plaisir qu'à toi de venir
ici, solliciter ton aide.
-
D'accord. Et que veux-tu ? Si c'est au sujet de l'incendie et de la
pollution, je suis désolé, mais je ne peux rien faire pour toi. Je suis à l'heure
actuelle dans le collimateur du gouverneur. Même si je le voulais, je ne
pourrais pas t'aider.
-
Ce n'est pas au sujet de cela.
Channing
se leva et se plaça face à la fenêtre, observant la fantastique vue. Il
tournait le dos à Gregory Sumner. Passé quelques pénibles secondes, il reprit :
-
Je peux très bien faire face à ce problème.
-
Alors, je ne comprends pas...
Channing
finit par affronter le regard de Greg.
-
Tiens, Gregory.
Channing
tendit cinq photos à Gregory : elles représentaient toutes Ted, attaché,
blessé, lors de sa détention en Irak. Gregory leva les sourcils,
interrogateur. Il ne comprenait pas.
-
Gregory, je veux que tu te serves de tes relations pour moi. Mon plus jeune
fils, Ted, est actuellement retenu en otage en Irak. Je veux que tu fasses tout
ton possible pour le faire libérer le plus vite possible, et que tu découvres
qui se cache derrière ce kidnapping.
-
Channing, je suis navré, mais je ne suis plus sénateur. Je peux te recommander
quelques noms...
-
Greg, arrête. Tu es un ancien sénateur, un homme d'affaires puissant et
respecté, et en plus tu es le fils d'un industriel qui a toujours étroitement
collaboré avec l'armée. Alors ne me dis pas que tu ne peux rien faire.
Voyons,
Channing, Paul Galveston est mort. Quant à moi, cela fait des années qui j'ai
quitté le Sénat. Je suis désolé, mais je ne peux rien faire. Sincèrement.
Greg
tendit les photos à leur propriétaire.
-
Je vais te donner un nom et un numéro de téléphone, et tu lui diras que tu
viens de ma part.
-
Greg, tu m'as peut-être mal compris. Je veux que cela soit toi qui t'en occupe.
Je ne veux pas que mon nom soit prononcé. C'est toi, Gregory, qui doit te
charger de la libération de mon fils. Personne n'est encore au courant et je
veux que tout ceci reste secret, tant que Ted n'est pas revenu aux Etats-Unis.
-
Voyons, Channing, je n'ai plus de contact... Ni avec l'armée, ni avec le Sénat.
-
Alors, il faudra en renouer. Greg, je suis venu te voir parce que tu es le seul
à pouvoir m‘aider. Le seul.
Channing
s'approcha de Gregory Sumner. L'un comme l'autre se fixaient avec détermination.
-
Greg, je te demande de m'aider.
-
Je ne peux pas. J'ai de gros problèmes de fusion et de rachat sur le Groupe à
l'heure actuelle... Je suis désolé, Channing, mais je ne peux pas.
-
D'accord, alors je serais curieux de connaître la réaction de ton associé
quand il saura que tu l'as doublé dans le projet Empire Valley. Comment s'appellait-il
déjà ? Ah oui, Gary
Ewing...
Greg
déglutit avec peine.
-
Je suis même certain que la commission boursière serait heureuse de découvrir
l'origine des fonds qui t'ont permis de racheter le groupe.
-
Channing, tu ne peux pas me faire cela, pas à l'heure actuelle...
C.C.
frappa du poing sur la table, fou de colère. Depuis le temps qu'elle montait en
lui, il était content de lâcher un peu de pression.
-
Je te promets, Gregory, que je le ferai. Je dirai toute la vérité sur le
projet Empire Valley...
-
Tu ne peux pas. On saura que c'est toi qui m'a fourni l'argent...
-
Peut-être que oui, peut-être que non. Comme tu l'as souligné, je ne crois pas
que le Groupe Sumner résisterait à un tel raz-de-marée. Tu as le choix,
Gregory, soit tu sauves mon fils, soit tu perds le groupe. Il n'y a pas d'autres
possibilités. Aucune autre...
Gregory
reprit les photos entre les mains.
-
Très bien, je vais voir ce que je peux faire.
-
J'attends mon fils le plus vite possible.
-
Je ne te promets rien...
-
Tu sais ce qui est en jeu, Gregory...
Sans
plus rien dire, Channing quitta le bureau, laissant Gregory méditer sur le
choix qu'il devait faire : jouer de ses anciennes relations ou perdre,
peut-être définitivement, le Groupe Sumner.
En
reprenant l'ascenceur, Channing savait pertinement quel choix il ferait.
Et effectivement, Gregory, après avoir refermé la porte de son bureau, composa le numéro du Sénat...
Quelque part en Irak.
La
nuit venait de tomber sur le sud de la ville de Bagdad. Au loin, on entendait
les vols des avions américains qui survolaient la ville. D'ailleurs, un peu
partout sonnaient diverses sirènes; le couvre-feu tombait sur la ville.
Une
jeep stoppa devant une vieille maison, à moitié délabrée. Tous les volets étaient
clos. Un chien aboya au loin. Quatre hommes descendirent de la jeep. Ils
portaient des vêtements noirs, et en-dessous l'uniforme américain. Ils frappèrent
trois coups secs à la porte, puis ils se glissèrent dans l'ouverture. Ils
descendirent à la cave, où une vieille ampoule pendait au plafond. Les hommes
regardèrent les deux corps allongés à même le sol. Comme tous les quatre
jours depuis leur détention, ils allaient changer de cachette Ted Capwell et
Warren Lockridge. C'étaient les seuls ordres qu'ils recevaient : les déplacer
tous les quatre jours et faire en sorte qu'ils restent dans un état léthargique,
jusqu'à ce qu'ils reçoivent de nouvelles instructions.
Les
quatre soldats échangèrent un regard et par groupe de deux, ils se dirigèrent
vers Ted et Warren. Lorsqu'ils s'empoignèrent de Warren, celui-ci aggrippa
soudainement un des soldats par le cou et tenta de l'étrangler. Surpris, il
baissa sa garde et, en dépit de ses efforts, il n'arrivait pas à se dégager.
Le second soldat s'approcha d'eux. En même temps, Warren essayait de se diriger
vers la sortie.
-
Ted, va-t'en...
Warren
se déplaçait lentement, en traînant avec lui le soldat.
De
son côté, Ted sauta sur ses pieds. Surpris, les gardes portèrent toute leur
attention sur Warren, laissant ainsi une possibilité à Ted de s'approcher de
la sortie. Ted se déplaçait malheureusement trop lentement. Un des soldats se
détourna vers lui et le menaça de son arme. Ted s'arrêta net, et perdit de
trop précieuses secondes...
Un
des quatre soldats jaillit sur Ted et l'empoigna avec force. Bien que celui-ci
se débattit, il ne put résister aux soldats. De son côté, Warren maintenait
toujours un des quatre soldats, lorsqu'une crosse de fusil le frappa en plein
visage.
-
Ahhh ! !
Warren,
malgré la violence du choc, ne lâcha pas prise. Il savait qu'il tenait là
leur chance de s'échapper. Warren reçut un autre coup. Ce n'est qu'au troisième
qu'il s'effondra, libérant ainsi l'autre soldat. Ted accourut vers lui.
-
Warren... Warren...
Ted
s'assit aux côtés de son ami; il regarda son visage recouvert de sang. Ce n'était
pas la première fois que Warren prenait des coups. D'ailleurs, c'était
toujours vers lui que s'était portée la colère des ravisseurs.
Ted
ne put pas prendre le temps de porter secours à Warren, que déjà les soldats
s'emparèrent de lui et le portèrent vers la sortie. Les autres firent de même
avec Warren. Arrivés à la jeep, ils les jetèrent dans le véhicule. Et comme
on les attachait sur leur siège, Ted put voir les blessures sur le corps de son
ami. Ses lèvres étaient en sang, son torse tumefié par les nombreux coups de
bottes... Ted ravala sa salive, impuissant.
Très vite, la jeep démarra, les emportant vers une destination inconnue...