Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 5 : Hors du temps... ...Mason

 Accueil   Home  

Toit de l'hôtel Capwell.

La nuit était tombée sur Santa Barbara. De multitudes boules de lumières de toutes les couleurs brillaient, scintillaient ici et là. Du haut du toit de l'hôtel Capwell se déroulait une guirlande multicolore infinie, qui serpentait le long des rues. Cette guirlande avait même la particularité d'être mobile, car de nombreuses voitures circulaient encore sur les routes de la périphérie. Seul l'océan semblait être maintenu totalement à l'écart de la fête. D'ailleurs, il paraissait encore plus sombre; un peu comme une autre terre qui ne demandait qu'à être conquise.

Insensible au spectacle grandeur nature qui s'étalait à ses pieds, Mason Capwell, le regard embrumé par de nombreux verres d'alcool, fixait vaguement un point à l'horizon. Son regard fuyait la ville, les lumières, la vie. Il n'appartenait pas à ce monde là. Il ne se sentait pas d'humeur joyeuse. Les lumières, la vie, la beauté du décor, tout cela lui importait peu. Mason cherchait à atteindre dans l'horizon, scrutant les profondeurs lointaines de l'océan, un signe. Que Dieu vienne lui pardonner tous ses crimes et tous ses pêchés. Que le Diable vienne le féliciter pour tout le mal qu'il avait laissé derrière lui. Perdu dans le lointain, le regard hagard de Mason trahissait son réel désarroi. Il était arrivé à un tournant de sa vie, le second en fait, après celui qu'il avait connu à la mort de Mary. Sa douce Mary...

Mason but à même le goulot de la bouteille de whisky qu'il tenait à la main. Depuis son départ de l'hôpital, il n'avait pas cessé de boire, alignant les verres les uns après les autres, alignant les bars, les uns derrière les autres. Il s'essuya la bouche d'un revers du poignet.

- Tu vois, je suis revenu... Je n'ai pas vraiment changé depuis le temps...

Après la mort accidentelle de Mary DuVall sur ce même toit, Mason était venu hurler sa rage, sa peine à Dieu. Avant de partir, il avait tenu à lui faire part de ses sentiments, à lui montrer son erreur : il n'avait pas le droit de rappeler Mary à lui. Il n'avait pas le droit de la lui prendre... Comme dans le passé, Mason se sentait gagner par la colère, et avec elle revint aussi la haine.

- Un jour ou l'autre, il faudra que l'on s'explique. Qu'on en finisse une fois pour toute...

La colère étrangla ses derniers mots. Mason se leva et tituba jusqu'au muret qui délimitait le toit. Il leva un point rageur vers le ciel.

- Regarde-toi, Tu n'es qu'un lâche, Tu n'oses même pas Te montrer. Qu'as-Tu à dire pour ta défense ? Allez viens, de quoi Tu as peur ? Que je condamne. Moi, Mason Capwell, juge de Santa Barbara, je Te condamne à me rendre Mary... Je T'avais promis de T'obéir et de Te pardonner si Tu me rendais ma Julia, mais c'est trop facile... Et pardonner, je ne sais pas faire. J'ai perdu toute humanité avec la mort de Mary. L'autre Mason, qu'elle avait su faire disparaître au fil du temps, est revenu, plus amer que jamais...

Et tandis que Mason parlait à la nuit, une brume épaisse, sombre, presque mauvaise, se concentrait autour de l'hôtel Capwell. Mason, tout en continuant son monologue, ressentit comme une présence tout autour de lui. Surpris, il lâcha sa bouteille, qui explosa en plusieurs morceaux; l'alcool se répandit sur le toit. Mason recula du vide. Instinctivement, son regard se tourna vers le «C» de l'enseigne. Elle dominait Mason de toute sa hauteur, illuminant l'hôtel d'une puissante lumière rouge. Peu de temps après le dramatique accident qui entraîna la mort de Mary, Channing avait exigé de la remplacer. Comme par le passé, le nom Capwell surplombait toute la baie de Santa Barbara; Channing comptait montrer aux yeux de tous qui était le véritable maître de la ville. L'hôtel n'était certes pas le plus bel immeuble de la ville, il n'était pas non plus le plus haut, mais il était sans contexte le plus luxueux hôtel de la ville.

L'ombre s'épaississait encore tout autour de Mason. Ce dernier fit plusieurs fois des tours sur lui-même, à la recherche de l'étrange présence qu'il ressentait à ses côtés. C'est alors que dans son dos, il entendit le timbre d'une voix qu'il reconnut tout de suite, même si elle lui semblait parvenir d'outre-tombe.

- Tu as beau chercher toutes les excuses du monde... Tu es un raté, et tu le resteras toute ta vie...

Mason se retourna. Il ne vit rien, excepté un nuage épais qui flottait près de lui. Bien qu'il était seul, la voix continua :

- Tu ne seras jamais un Capwell. Tu es indigne de porter ce nom...

Mason se détourna à nouveau. Il regarda vers l'enseigne. Il n'y avait personne, et pourtant il pouvait presque sentir son souffle près de lui, entendre son rire moqueur qui résonnait dans la nuit. Et pourtant, c'était bien la voix de Channing Junior qu'il entendait. Channing Junior...

- Ce n'est pas possible. Tu es mort.

Mason continuait son étrange danse, solitaire, à la recherche de son frère.

- Tu ne peux pas être là, c'est l'alcool qui me joue des tours...

Et alors que l'ombre s'intensifia encore, avec stupeur, Mason pu nettement apercevoir, au cœur même de ce nuage, la silhouette de son frère, mort des années plus tôt, qui s'avançait vers lui.

Mason recula d'un pas à la vue de son fantôme.

- Ce n'est pas possible. J'ai vu ton corps, mort. Tu gisais dans ton sang...

L'ombre se dissipa et Channing Capwell Junior apparut dans toute sa splendeur. Il n'avait pas changé. Ses traits avaient leur aspect juvénile et son visage conservait l'aspect supérieur qu'il n'avait jamais quitté. Ses cheveux, son corps ne témoignaient pas des ravages du temps. D'ailleurs, il semblait être vêtu du même costume qu'il portait lors de la soirée donnée en son honneur ce 30 juillet 1979.

Mason dessaoula en quelques secondes. De toutes les personnes capables de venir hanter sa vie, c'est bien sûr son frère cadet qui venait en tête de liste. Il n'en croyait pas ses yeux.

- Ne fais pas cette tête-là... Il est normal, tu ne crois pas, que je vienne voir ce que tu es devenu. Après tout, ne suis-je pas ton frère ! !

Channing se mit à rire, moqueur, rempli de mépris à l'égard de son frère aîné.

- Après toutes ces années, tu pourrais même faire semblant d'être content de me retrouver. Moi, je le suis... Etre capable de voir ce que tu es devenu. Et je dois reconnaître que la réalité dépasse de loin tous mes rêves.

Channing Junior avançait toujours. Les deux frères pouvaient se toucher. Channing sentait la forte odeur d'alcool qui émanait de Mason.

- Quand je te vois aujourd'hui, et sachant ce que tu as fait de ta vie, il apparaît avec évidence que tu n'es pas fait pour être un Capwell. Tu souilles le nom de notre famille. Tu es si faible, si lâche, si prévisible... Toujours une bouteille d'alcool à la main... Quand je te regarde, je peine à réprimer mon rire...

Channing tourna autour de Mason, avant de se figer face à son frère et de le défier du regard.

- Tu es tout sauf un Capwell. Mais regarde-toi, tu fais pitié. Tu es là, à te battre contre tous, contre papa, et qu'as-tu fait de bien ? Rien. Tu es un raté et tu les resteras. Tu es indigne de porter le nom Capwell...

- Tais-toi, Channing... Tu es mort.

- Mort, certes, je le suis. Mais regarde. Même mort, je continue de te hanter, d'être une référence pour notre père, d'être l'héritier Capwell.

Lentement, passé le moment de surprise, Mason reprenait de l'assurance.

- Tais-toi. Ton discours est bien joli, ta réapparition troublante, mais tu oublies que tu n'es pas de sang Capwell, tu n'es qu'un bâtard...

- Peut-être, mais aux yeux de papa, je suis plus Capwell que vous tous réunis. Je suis le meilleur de tous les enfants... Et d'outre-tombe, je continue à peser sur vos vies. Je suis l'héritier Capwell, et toi tu n'es rien. Tu resteras l'éternel raté de la famille sur lequel on ne peut pas compter. Car, qu'est-ce que tu as réussi dans ta vie ? Rien. Absolument rien. Tu n'as pas su faire condamner Joe Perkins. Tu n'as pas su protéger Kelly. Tu n'as pas su prendre les rênes des Entreprises Capwell. Tu n'as pas su faire oublier mon nom... Et pire encore, tu n'as pas su protéger ni Mary, ni Julia... Ni personne d'ailleurs...

- Espèce de salaud...

- Ah ! Ah ! Ah !

Channing explosa d'un rire acide. Plus cinglant que jamais, il reprit :

- Plus je te regarde, et plus tu me fais pitié. C'est le mot. Tu nous fais pitié à tous... Pitié... Combien de fois, as-tu échoué ? Combien de fois as-tu abandonné ? Tu veux que je te dresse une liste : Santana, Ted, Mary, même ta propre mère, Pamela, tu l'as abandonnée...

- Arrête. Regarde-toi, plutôt que de cracher ton venin sur moi. Qui es-tu vraiment ? Si tu ne le sais pas, je peux moi aussi faire ton portrait. Tu n'es qu'un sale bâtard. Tu n'es que le fils d'artistes de cirque. Tu n'es rien. Absolument rien. Et surtout pas l'héritier de notre famille.

- Je...

- Tais-toi ! Ecoute... Tu n'es qu'un pauvre gosse de riche, trop gâté. Voilà ce que tu es. Un pauvre gosse, assassiné par sa mère... Tué par sa propre mère.

- Ne me parle pas de cette trainée... Si tu savais comme je la déteste...

- Et tu oublies tout ceux qui auraient aimé appuyer sur la gâchette. Lionel Lockridge, Warren Lockridge, Lindsay Smith, peut-être même Santana, quand elle aurait su ta liaison avec un homme... Car tu n'es qu'un petit pédé...

- Tu oublies, cher frère, ton nom à cette longue liste...

- C'est vrai, plus d'une fois, j'aurais aimé te tuer. Mais avoir brisé ton image de fils idéal auprès de papa, élevé ton fils, me suffit amplement.

- Tu as raison, contente-toi des miettes, comme tu l'as toujours fait. C'est bien toi, ça... Toujours se contenter d'être à la seconde place, jamais la première... Comme dans le testament de papa...

- Continue à répandre ton poison, cela ne me touche pas... Tu es mort, abandonné de tous... Et aujourd'hui, plus personne ne se souvient même de ton visage.

- Tous, sauf Eden... Eden qui est toujours son mon contrôle. Ah ! Ah ! Ah....

- Salaud...

Mason se précipita sur son frère pour l'étrangler, mais l'image de Channing Junior disparut comme par enchantement, et elle se reforma quelques mètres plus loin.

- Ah ! Ah ! Tu ne peux rien contre moi. Personne ne peut rien contre moi. Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

A l'infini, le rire se répercutait sur les murs des immeubles voisins.

- Personne ne peut rien contre moi. Personne.

- Tais-toi, tu es mort. Mort... Mort, assassiné par sa mère, un soir de juillet...

- Peut-être que oui, peut-être que non.

A la seconde même où Mason entendit ses mots, son sang se glaça. Et une autre voix résonna dans sa tête, celle de Mary DuVall.

- Ne l'écoute pas, Mason. Tu ne dois pas l'écouter, pour notre salut à tous, tu ne dois pas l'écouter. Pense à Julia. Pense à Samantha. Ses mots sont un venin terrible... Mason, je t'en supplie, au nom de notre amour, ne l'écoute pas.

- Tais-toi, oiseau de malheur.

- Mary, Mary...

- Mason, écoute ma voix, oublie ton frère... Je t'en prie. Il veut te détruire. Ne lui fournit pas les armes pour te détruire. Je t'en supplie.

- Continue Channing, parle une fois pour toute et qu'on en finisse.

Mason se détourna de la brève vision de Mary qui se tenait à côté de l'enseigne, et fixa Channing du regard.

- Je suis prêt à t'entendre...

- Non, Mason, je t'en supplie...

Plus Mason s'intéressait à son frère, plus l'apparition de Mary diminuait d'intensité. Elle finit par disparaître. Les ombres noires reprirent leur place autour de l'enseigne Capwell.

- Crache ton venin, puisque je pense que c'est l'objet de ta visite. Je suis prêt. Parle-moi de cette soirée de juillet, et dit moi ta vérité...

Channing souriait. Trait pour trait, il apparaissait comme le Channing Junior de la soirée de juillet 1979, fier, arrogant, méprisant pour les autres, sûr de son pouvoir...

- Vous me ferez toujours rire, vous autres... Il suffit de vous donner un bout de vérité, et vous en oubliez tout le reste. La vérité, vous allez bientôt la découvrir. Bientôt... Vous saurez enfin ce qu'il s'est passé dans le bureau, ce soir de juillet. Je n'ai pas dit mon dernier mot, Mason, je vous réserve une dernière surprise...

- Et c'est tout ? Tu es revenu pour ça, proférer des menaces...

- Ce ne sont pas des menaces, Mason. Eden est sous mon contrôle, Kelly ne m'intéresse pas, pas plus que Ted. Sophia va bientôt être confrontée à la vérité, elle devra faire face à ce qu'elle est vraiment... Certes, elle a tenu l'arme, mais quand vous saurez qui l'a mise entre ses mains et pourquoi... Je me vengerai d'elle, de vous tous. Je me le suis promis.

- Tu es fou, Channing, fou... Nous savons tous ce qui s'est passé dans le bureau. Nous savons la vérité; Sophia la sait, et elle vit avec... Elle fait face à son crime...

- Peut-être, mais fera-t-elle face au reste ?

Soudain, l'image de Channing disparut. Et Mason se retrouva seul, sur le toit de l'hôtel Capwell.

- Channing ? Channing ? Reviens !!!

Mason eut beau crier tout son saoul, il resta seul. Seul, abandonné, avec de nombreuses interrogations dans la tête : que voulait dire Channing ? Quel était le secret de cette maudite nuit de juillet qu'ils ignoraient encore ? Quelle sera sa vengeance ?

A la recherche de son frère, Mason tournait sur lui-même. Le poison versé par Channing Junior faisait son effet : Mason se sentait hanté par d'insoutenables questions.

C'est alors qu'une nouvelle ombre s'intensifiait à quelques pas de lui. Une silhouette se dessinait petit à petit à l'intérieur : celle d'une femme.

- Je ne peux rien pour toi, cette fois-ci.

Mason se détourna. Une femme brune, aux yeux verts, le regardait fixement. Elle s'avança vers lui. Mason pâlit. Un nouveau revenant se présentait à lui.

- Je ne peux rien pour toi. J'ai beau être ta sœur, je ne peux pas te protéger de lui. Son désir de vengeance est trop fort. Bien trop fort pour moi...

Mason n'en revenait pas. Elle était morte, il y a quoi, cinq, six ans... Il murmura avec difficulté.

- Elena... Elena...

Mason recula.

- Ce n'est pas possible...

- Je suis revenue pour te sauver. Pour essayer de te sauver... Tout comme lui, je veux la perte de Sophia, la perte de Channing. Ce sont eux qui ont brisé la vie de notre mère. Pamela a souffert a cause d'eux. Et moi, je n'ai pas connu mon père... Je n'ai pas eu droit à une vraie vie de famille, parce qu'une intrigante à pris la place de ma mère...

- Arrête. Tu es morte. C'est un mauvais cauchemar.

- Non, tu ne rêves pas. Je suis bien là, ici devant toi. Je suis revenue pour t'épargner la colère de Channing Junior. Tu dois partir, Mason. Partir loin de Santa Barbara. Partir et les oublier. Ta vie n'est pas ici. Part en Angleterre, part et retrouve notre mère et fonder votre famille. Tu dois oublier jusqu'au nom Capwell. Songe à Pamela, à tout ce qu'elle a souffert. Il est temps qu'elle ait elle aussi sa famille autour d'elle. Mason, je t'en prie... Jeffrey est en Angleterre, formez ensemble une famille...

Malgré les ombres noires qui flottaient autour de lui, Mason sentait la paix autour de lui. Et si Elena avait raison ? Et s'il était temps pour lui de construire sa famille, de s'occuper de son autre famille, de sa mère, de son frère...

L'apparition d'Elena disparut doucement. Ses paroles brisaient les dernières barrières chez Mason.

- Et si Elena avait raison. Je pourrais nous réunir, Jeffrey et moi. Nous installer ensemble. Gérer la société de maman... Etre une vraie famille...

Assis, sur le toit de l'hôtel Capwell, Mason se mit à pleurer. De douloureuses larmes s'écoulaient : sur sa vie passée brisée, sur sa vie présente ratée, sur sa vie future espérée...

Chapitre 6