Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 45 : Hors du temps... Kelly |
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Et
avec la participation
exceptionnelle
de : Bridget Dobson dans son propre rôle Jerry Dobson dans son propre rôle Patrick Mulcahey dans son propre rôle |
J'ai
sur moi un peu de terre,
Un soleil si jamais j'ai froid.
J'ai aussi de quoi rêver
Si je ne m'endors pas.
J'ai sur moi des rires, des regards,
De l'oubli pour ce qui fait mal.
J'ai aussi pris un coffret
Où ranger mon courage,
Pour tout recommencer...
Là où je pars, je veux du ciel
Pour un nouveau départ.
Là où je pars...
Là où je pars, la vie est celle
D'un nouveau monde à part.
Là où je pars...
Hôpital
de Santa Barbara.
Dans
la chambre U4 du service des urgences de l'hôpital de Santa Barbara, l'équipe
médicale autour de Kelly Capwell retenaient son souffle. La tension était
palpable, tant la situation était critique. Car, médicalement, personne ne
trouvait d'explication plausible au brusque changement d'état de santé de
Kelly Capwell.
L'interne
qui, dès l'arrivée de la jeune femme, avait eu à assurer la prise en charge
de la patiente, avait été très vite remercié au détriment d'un médecin
plus expérimenté. Plus tôt dans la journée, ce dernier avait pris contact
avec le Dr Arthur Donnelly par visioconférence pour étudier avec un expert les
pistes à explorer.
Pour l'heure, un hélicoptère était prêt à décoller à tout moment pour transférer Arthur Donnelly vers Santa Barbara.
Obscurité
et silence se transformèrent. Lentement. Doucement. Le monde autour d'elle
semblait flotter, glisser imperceptiblement vers un autre temps. Le monde qui s'éveillait
autour d'elle n'était ni noir, ni lumineux; c'était un parfait mélange de
chaud, de froid, de bruit, de silence, de lumière et d'obscurité. Un univers cotonneux,
où le corps flottait séparé de toutes contraintes.
Puis,
soudain, des ombres se matérialisaient dans le lointain. De légers murmures
emplissaient l'espace, sans que l'on puisse comprendre précisément les mots.
Détachée
de toutes sensations, Kelly Capwell ouvrit les yeux. Le monde autour lui
apparaissait des plus agréables, diamétralement éloigné de son monde
quotidien. Etrangement, elle se retrouvait debout, au milieu de ce qui pouvait
bien évidement être un nuage, une plage, un jardin public, un sommet de
montagne enneigé.
Dans
un claquement sec, le monde autour d'elle se transforma, pour devenir un vaste
bureau de couleur gris anthracite. Face à elle, un large bureau occupait une très
grande partie de l'espace. Ce dernier débordait de nombreuses feuilles de
papiers soit griffonnées à la main, soit tapées à l'ordinateur. Et au-delà
du bureau, Kelly pouvait deviner un immense tableau de verre avec de nombreuses
photos accrochées : tout de suite, Kelly songea à un bureau d'une unité
spéciale de la police. Elle se força un moment pour tenter de deviner plus précisément
les traits des hommes et des femmes sur les photos, mais elle ne parvint pas à reconnaître
avec certitude les différentes personnes.
L'atmosphère aussi changea, elle se fit plus légère, si légère que Kelly avait l'impression que son corps flottait dans la pièce, que des parties d'elle-même se détachaient pour occuper plus d'espace. Elle tourna la tête vers la droite, puis vers la gauche, et elle se vit soudain présente quatre fois dans la pièce. A chaque fois, c'était elle mais pas vraiment elle non plus. C'était comme si elle était multiple : un même personnage mais jouée par des actrices différentes. Toutes les Kelly se dévisageaient à la recherche de la Kelly originelle.
Sans
qu'elle s'en aperçoive, trois personnes s'était matérialisées autour du
bureau : une femme assise sur un angle du meuble, un homme âgé sur un
fauteuil (de dos au tableau de verre) et un autre homme plus jeune, à l'autre
angle, avec un ordinateur portable. Ils semblaient être en grande conversation.
Les
yeux de Kelly se braquèrent sur eux. Elles ne paraissaient pas comprendre la
situation.
-
Est-ce le Paradis ?
La
femme prit la parole.
-
Le Paradis ? Ici ? Non... Ici, c'est... Comment pourrait-on décrire
cet endroit...
La femme leva la main et le temps s'arrêta. A la même seconde, les quatre Kelly se figèrent. L'univers lui échappa d'un seul coup.
Face
aux quatre Kelly, Bridget, Jerry Dobson et Patrick Mulcahey se regardèrent,
puis fixèrent un moment les quatre Kelly.
-
Alors Bridget, qu'en
penses-tu ?
-
Je ne sais pas, Jerry. C'est
terrible, c'est
comme de découvrir que son enfant peut à présent se passer de nous. Et je n'ai
pas vu venir que notre bébé puisse continuer de grandir, de vivre de façon
différente que celle que nous avons imaginé alors. Mes Capwell et mes
Lockridge poursuivent leurs routes...
-
Et ?
-
Je ne sais pas, Jerry...
-
Bridget, si je peux vous donner mon avis...
Vous devriez laisser votre enfant poursuivre sa route. Vos Capwell et vos
Lockridge poursuivent leurs vies et c'est
cela qui compte, et qu'ils
continuent à exister pour de nombreuses personnes. Et, pour être honnête,
leur nouvelle vie me parait respectueuse du passé.
-
J'en
conviens, Patrick...
Mais ce n'est
pas pareil, c'est
plus Frenchy !
Patrick déplaça des documents sur le bureau, à la recherche d'une petite liasse de papiers.
-
Regardez, vous avez là sous les yeux ce
qui aurait pu leur arriver, si la route prise par d'autres
était arrivée à son terme. On aurait fini par ne plus parler ni des Capwell
ni des Lockridge, au profit d'autres...
On aurait laissé tomber l'essentiel,
l'univers
des Capwell et des Lockridge au détriment d'autres...
Je ne pense pas que ce soit aussi ce dont vous rêviez pour votre enfant.
- Bridget, Patrick a raison. Nous avons vu, dans le passé, les erreurs commises, nous en avons souffert, et ce fut difficile de remettre notre enfant sur les rails... Je laisserais, tout comme Patrick, ce vent de changement venu d'outre-Atlantique souffler sur Santa Barbara.
Un
autre claquement sec fit sursauter les Kelly : son être retrouvait sa
mobilité. Son regard se déplaçait de l'un à l'autre des individus qui ne
cessaient de la dévisager. Doucement, sa mémoire retrouvait le chemin des
souvenirs passés.
-
Alors Kelly, qu'allons-nous bien faire de vous ?
Bridget
fixait Kelly avec intensité; elle la scrutait de l'intérieur comme si elle
essayait de retrouver dans chacune des Kelly, la jeune femme très romantique,
un peu rebelle, parfois naïve, qu'elle avait imaginée. Et comme Bridget Dobson
scrutait les âmes de Kelly, les quatre femmes blondes face à elle voyaient défiler
devant elles les grandes étapes de la vie de Kelly Capwell. Peter Flint. Joe
Perkins. Les frères Hartley. Jeffrey Conrad. T.J. Daniels. Craig Hunt. Robert
et Quinn, les frères jumeaux. Cruz Castillo. Connor McCabe. C'était comme le
souvenir de vies passées. D'agréables souvenirs...
-
Il me semble vous connaître. Vraiment. C'est un peu comme si vous faisiez
partie ma famille, de nos vies... Un peu comme les marraines de la Belle au bois
dormant qui sont toujours présentes autour d'elle. A force, on s'habitue et on
ne remarque même plus votre présence, mais vous êtes là. Toujours. Vous et
votre mari. Je vous imagine comme les gardiens de mes souvenirs, de nos
souvenirs. Je ressens la présence de tous les hommes qui ont traversé ma vie,
je ressens la force de leur amour et de...
-
Et de tous, lequel reste le plus présent ?
Patrick,
pour la première fois, prit la parole.
Kelly
se concentra, les unes après les autres. Un bref instant, elle ferma les yeux
comme pour voir à l'intérieur d'elle-même.
-
Kelly, nous savons, pour des raisons évidentes, que Joe est le seul amour de
toute votre vie. Le seul... Et qu'indirectement, vous n'avez eu de cesse de
rechercher dans chacun des autres hommes le souvenir de Joe Perkins... Du moins,
c'est comme cela que nous l'aurions écrit, n'est-ce pas Jerry ?
-
Effectivement, Patrick ! Joe a tellement marqué votre vie, Kelly, qu'il ne
peut en être autrement. Patrick
a raison. Nick, Jeffrey, Cruz et
Connor sont, en quelque sorte, un substitut à Joe Perkins... Droit, juste et
intégre...
-
Jerry, là, on s'égare... Nous devons rapidement trouver un avenir pour Kelly.
-
Bridget, et si on la laissait nous guider un peu... Kelly, pouvez-vous fermer
les yeux et ne songer qu'à ce que représente Joe pour vous, et qui, au fond de
vous, est le plus proche de ce souvenir ?
Kelly
s'exécuta. En même temps, les quatre Kelly fermèrent les yeux. Et alors que
se dessinait dans l'esprit de Kelly le souvenir d'un seul homme, elle eut comme
la sensation de se retrouver pleine et entière dans un seul corps.
Très
vite, le souvenir de certains hommes de sa vie se dissipa dans son esprit :
T.J. fut le premier, puis ce fut Cruz... A la fin seule la présence de Jeffrey
Conrad emplissait le coeur de la jeune femme.
-
S'il n'en restait qu'un... Jeffrey peut-être...
Bridget,
Jerry et Patrick (avec un sourire en coin chez les deux hommes) se regardèrent :
pour eux aussi, la même réponse, comme une évidence, s'était dessinée dans
leur esprit.
-
Jeffrey... Jeffrey Conrad...
Kelly
ouvrit les yeux et, lentement, son regard se porta sur Patrick, Jerry et pour
finir sur Bridget qu'elle fixa intensément. Au fond d'elle, une porte, fermée
depuis longtemps, s'entrouvrit, et la joie et le bonheur qu'elle avait ressentis
au début de leur relation commença à irradier dans tout son être.
Et à nouveau, le temps s'arrêta pour Kelly.
Seuls
Bridget, Jerry et Patrick conservèrent leur liberté de mouvement. Et après s'être
longuement mutuellement dévisagés, ils partagèrent une vive discussion. A
tour de rôle, ils donnaient leur avis, émettaient des propositions, des
suppositions sur l'avenir de Kelly, et aussi, entre autres, sur celui de tous
les membres de la famille Capwell.
La
discussion dura de longues minutes, parfois ils n'étaient pas d'accord, souvent
leurs idées se regroupaient, et ils en revenaient toujours au même : il
était temps de retrouver l'âme du début...
-
Je suis d'accord avec vous, les garçons,... Cet accident est peut-être une
belle opportunité de revenir à l'essentiel... Alors, allons-y, laissons nos bébés
grandir et poursuivre leurs vies...
Bridget claqua des doigts et aussitôt la pièce s'enveloppa dans un nuage de fumée qui s'épaississait de seconde en seconde. Patrick, Jerry et Bridget finirent dans l'ombre.
Au
même moment, le monde qui entoura Kelly évolua : son corps traversa
plusieurs mondes : les plages de Santa Barbara, la maison qu'elle avait
occupée avec Jeffrey, le désert, la Suisse... C'était une explosion de
souvenirs : tous ces endroits où elle avait partagé de longs instants d'amour
et de bonheur en compagnie de Jeffrey. Dans le lointain, les accords de piano de
la mélodie que jouait régulièrement Jeffrey se firent entendre.
Le coeur de Kelly s'emplit de paix et d'espoir : le souvenir de Joe, pourtant, s'éloignait d'elle.
Dans
la chambre d'hôpital du service des urgences, l'état de santé de Kelly
Capwell restait stationnaire. Aucun des membres du personnel des urgences ne remarqua
le subtil changement dans son état de santé.
Dans
le monde qui se découvrait devant elle, Kelly se laissait guider alors que les
différentes facettes de son être s'emboîtaient les unes aux autres. Pour la
première fois depuis longtemps, depuis peut-être sa séparation d'avec Robert
Barr ou Quinn, précisément. Les empreintes de certains moments s'évanouissaient
de sa mémoire : Kelly semblait revenir à l'essentiel.
Le
brouillard qui l'enveloppait se dissipa lentement, et un ailleurs se révéla
devant elle. Un ailleurs que Kelly connaissait bien. Une douce torpeur se
propageait dans tout son être, comme un feu ardent qui se réveillait après de
longs mois d'hiver.
Sous
la brume, le parc de la propriété de son père se métamorphosa devant elle.
La scène paraissait si réelle : Kelly pouvait presque sentir le vent
courir sur son visage, sentir l'herbe grasse sous ses pieds. Tout autour d'elle,
le parc, non son endroit préféré du parc de la villa, surgissait dans la pièce.
Kelly savait que cela était parfaitement impossible, et pourtant l'illusion était
parfaite. Et elle voulait y croire. De tout son coeur, de toute son âme... Elle
ferma une très brève seconde les yeux, mais elle s'empressa de les ouvrir, de
peur que l'illusion disparaisse.
Le
coeur de Kelly s'emplit de joie lorsqu'elle réalisa que le parc était toujours
là. De fines larmes se mirent à couler sur ses joues, tant l'endroit lui
faisait du bien. C'était dans ce coin de la propriété qu'elle avait pleuré
la disparition de sa mère. C'est contre les pierres de la fontaine qu'elle
avait déposé tout son chagrin. C'est en ce lieu qu'elle avait confié sa
peine, mais aussi son amour perdu lorsque Joe avait été incarcéré pour le
meurtre de Channing Junior. C'est encore ici, à l'abri de tous, qu'elle avait déposé
tout son amour lorsque son Joe avait trouvé la mort. Kelly pouvait encore
sentir le gout amer de ces larmes de désespoir qu'elle avait versées. Son
corps, son coeur, jusqu'au plus profond de son âme portaient l'empreinte de
cette souffrance; certaines blessures ne s'effacent jamais complètement.
Le
regard de Kelly se porta vers le lointain.
-
Oh, Joe, je t'aimais tant... Je t'aime tant... Oh, mon tendre amour, si tu
savais combien tu me manques... Combien ton absence peine sur ma vie... J'en
porte la blessure sur mon coeur. Et je fais tout, jour après jour, pour ne pas
qu'elle cicatrise. La conserver, c'est te conserver encore auprès de moi. En
ressentir sa douleur, c'est encore te garder près de moi. Et te sentir vivant...
Oh, je donnerais tout, même ma vie, pour te revoir près de moi. Te toucher un
instant. Te frôler. Même du bout des doigts. Oh, Joe... Si une seconde chance
pouvait nous être accordée. J'ai tant d'amour à te donner... Tant de vide à
combler... Tant de temps à rattraper.
Comme
un dernier appel à la chance, Kelly tendit une main tremblante devant elle,
avec l'espoir fou, impossible, que peut-être la main de Joe viendrait se
glisser dans la sienne. Avec l'arrivée de Tyler, Kelly avait bien dû se rendre
à l'évidence qu'elle espérait depuis tant d'années un miracle. Son coeur s'était
littéralement, et avec la plus grande facilité, attendu au retour de Joe.
Kelly
fit un pas, puis un second, heureuse de retrouver le seul endroit de sa vie qui
n'avait pas été souillé par Peter, par la mort... Et même si elle songeait
aux plus sombres heures de sa vie, Kelly ne ressentait aucune peur, aucun froid...
Le lieu conservait encore tout le pouvoir et le charme de son enfance : il demeurait
son jardin secret, son jardin de princesse.
Le regard de Kelly embrassa tout le parc : les allées de fleurs, la fontaine, les escaliers, les buis... Rien n'avait changé. L'émotion saisit Kelly lorsque elle revit, soudain, la fontaine se mettre en marche. Au milieu des jeux d'eau, Kelly crut apercevoir les nombreuses fleurs qui avaient orné le parc lorsque... lorsqu'elle s'était mariée avec Jeffrey. Jeffrey Conrad... Au fond de son coeur, Kelly sentit brusquement renaître la force de l'amour qu'elle avait éprouvé pour lui, au début de leur relation... Lorsqu'ils devaient échapper à la police en Europe, puis plus tard, ici, à Santa Barbara. Bien sûr, elle se souvenait de ses doutes, de ses peurs, de l'ombre d'Elizabeth ou de Pamela... Pamela... Au seul souvenir de son nom, Kelly retrouva la certitude que l'échec de son mariage reposait entièrement sur sa faute...
Alors
que son regard se promenait sur le parc, Kelly prêta attention à la musique
qui, soudain, se fit entendre derrière elle. Il ne lui fallut que quelques
secondes pour reconnaître les harpes et la mélodie jouée le jour de son
mariage.
Un
flot de souvenirs, d'agréables souvenirs se présenta à elle, vestige non pas
d'une vie passée, mais d'une étape inachevée. La force de son amour emplit
tout son être. Jeffrey, son preux chevalier... Soudain, avec la violence des
flots de l'océan, leur amour se déversa sur elle. C'était comme s'ils ne s'étaient
jamais quittés, comme si elle n'avait jamais cessé de l'aimer. Au loin, dans
les arbres, elle devinait presque son visage. Kelly sentit renaître en elle le
désir et l'envie. Pourtant...
Pourtant,
elle gardait bien évidemment, au fond d'elle, de profondes blessures : car
elle ne pouvait oublier que Jeffrey, que son Jeffrey, l'avait trahie, l'avait
trompée... La douleur aussi remonta à la surface. Une douleur électrique,
violente. Kelly manqua presque de tomber tant l'aiguille qui la traversait de
part en part la faisait souffrir.
Au
loin, la musique se tut. Kelly se retrouvait seule dans le parc. Et, à nouveau,
les lieux remplissaient le devoir d'apaisement...
«Kelly, ma douce et tendre Kelly... Je connais le fond de ton coeur. Je sais lire au plus profond de ton âme... Je sais le poids du doute qui te ronge...»
Kelly
ferma les yeux et se laissa emporter par la voie de son Joe. Elle referma ses
bras autour d'elle, comme pour l'enchaîner à son corps. Elle avait tant besoin
de sa présence. Tellement. Eperdument. Désespérément. Tout son être
frissonnait.
Le parc de la villa Capwell se dissipa et Kelly sentit le sable naître sous ses pieds. Avant même que l'image se matérialise devant elle, d'instinct, elle reconnut la petite crique de Catalina... Ce lieu hors du monde où Joe et elle avaient scellé leur amour, par l'étreinte de leurs corps.
-
Joe... Mon amour...
«Ma douce Kelly... Je n'aurais de cesse de t'aimer. Et je sais dans mon coeur qu'il en sera toujours de même pour toi. Nos coeurs s'appartiennent bien au-delà des mots. Je suis devenu une partie de toi dès
l'instant où mes yeux se sont posés sur toi. Dès cette seconde, j'ai su qu'il ne pourrait y avoir une autre que toi dans ma vie. Je ne savais pas
alors que l'on pouvait aimer autant. Je ne savais pas que l'on pouvait aimer qu'une seule fois »
-
Oh, Joe, si tu savais combien tu me manques, combien je t'aime...
«Je le sais. Je le ressens tous les jours, dans la moindre cellule de
mon corps. En dépit de tout, je suis toujours lié à toi. Je veille sur toi.
Je n'ai pas cessé de t'aimer... Je souffre quand tu souffres, je ris avec toi et j'aime... J'aime aussi avec toi.
Ma douce aimée... Je sais l'absence et ses doutes... Je sais le doute qui ronge... Je sais le venin que d'autres sèment dans les coeurs... Souviens toi de ton père et de Mason lors de l'enquête sur le meurtre de Channing Junior... Souviens-toi de leurs paroles... Souviens-toi du procès... Pour Jeffrey, c'est pareil... Ecoute ce que te dit ton coeur... Je pourrais te prouver qui il est vraiment, mais cela ne doit pas
marcher ainsi. Il te faut faire seule ce chemin... C'est ton coeur qui toit te conduire. Uniquement ton coeur. Ferme les yeux, ma douce... Ferme les yeux et songe à nos retrouvailles, à ma sortie de prison.
Va chercher au fond de ton coeur le souvenir de l'instant où Peter a cessé d'être, l'instant où je suis redevenu l'unique, à ton coeur... Souviens-toi de cette seconde, de cette sensation. Souviens-toi de l'instant, du lieu, de l'émotion... Garde bien l'émoi de ce moment. Et maintenant, sans te mentir, sans nous mentir,
as-tu à nouveau ressenti ce doux émoi ?»
Kelly
resta les yeux fermés. Son esprit remontait le temps. Le début de son amour
avec Joe. La colère de son père lorsqu'il le découvrit. Le mépris de Mason.
Le mépris aussi de Channing Junior. Le meurtre. Le venin qu'on avait distillé
en elle. Le procès. Ses propos à la barre. Sa peine. Sa terrible peine car, ce
jour-là, elle avait perdu un frère, un amoureux. Le départ d'Eden pour l'Europe.
Sa solitude. Sa terrible solitude. Le retour de Joe et la peur. Puis l'amour. L'amour
qui avait repris sa place et ses droits. L'amour...
Alors
qu'elle sondait les entrailles de son coeur, elle sentait la présence de Joe près
d'elle, comme s'il lui tenait la main sur ce chemin difficile. Kelly éveilla en
elle son amour pour Nick, son attirance physique pour Dylan, son amour pour
Jeffrey, sa fausse route avec T.J., sa passion pour Robert, sa passade pour Ric,
sa confusion des sentiments avec Cruz, sa quête de substitut avec Connor. Kelly
pouvait enfin lire sans confusion la véritable nature de ses sentiments. Oui,
comme toujours, Joe avait raison : seul Jeffrey avait su toucher son âme
et son coeur. Elle conservait encore l'agréable souvenir non pas de moments de
vie, mais le tendre et délicat frisson qui la parcourait quand leur peau se frôlait,
quand elle l'attendait, quand il l'embrassait, quand il lui faisait l'amour.
Oui, elle avait aimé Jeffrey de tout son être, de toute son âme. Elle s'était
battue pour lui, pour qu'il soit accepté par son clan, en dépit de sa
naissance... En dépit qu'il soit le fils de Pamela...
-
Oh, Joe, qu'ai-je fait... Tout comme avec toi, j'ai permis aux autres, que ce
soit les membres de ma famille, mes amis, tous les autres, je leur ai permis de
diriger ma vie... Suis-je si faible pour ainsi me laisser convaincre ?
Suis-je si bête pour laisser mes sentiments changer au gré des autres ?
Oh parfois, je voudrais être comme Eden... Elle a toujours su qu'elle aimait
Cruz et que c'était pour la vie... Je voudrais...
L'émotion
submergea Kelly, et la plage disparut au profit à nouveau du parc de la villa
Capwell. Cette fois-ci, Kelly se trouvait à deux pas de la fontaine de pierre.
A nouveau, le son des harpes se fit entendre dans le lointain. La magie des
lieux reprenait vie. Et un souffle de paix enveloppa Kelly.
-
Joe... Si tu savais comme tu me manques... Si tu savais comme j'ai toujours
cherché chez les autres cette part de toi, qui te rendait unique à mes yeux.
Dans tous les hommes en qui j'ai donné mon amour, ma confiance, je te
recherchais...
«N'ai aucune peine, ma douce... Je connais la profondeur de ton coeur, la nature profonde de tes sentiments... Je te connais, mon amour. Je ressens tes sentiments... Je les partage avec toi. De Nick à Connor, je comprends chacun de tes
attachements... Mais, parce que je sais lire en toi et que je te connais, peut-être
mieux que toi-même, je sais que Jeffrey est celui qui a le plus compté.»
Kelly
ferma les yeux. Dans son esprit, les âmes de Joe et de Jeffrey se superposèrent.
Son Joe ne lui mentait pas. Nul doute en cela : Jeffrey restait l'homme
dont la nature profonde ressemblait le plus à celle de Joe.
Elle
ouvrit les yeux et, devant elle, la silhouette de Jeffrey, tel qu'il était le
jour de leur mariage, se devina dans les ombres. Et au loin, la voix de Joe
continuait de résonner.
« Jeffrey reste celui qui peut te combler. Jeffrey est l'homme qui peut te donner tout le bonheur que tu mérites. Il t'aime et il n'a jamais cessé de t'aimer... Tu as su au début effacer sa part d'ombre. Mais le retour de sa mère a brouillé toutes les cartes. Avec le
retour de Pamela, il s'est retrouvé pris entre deux femmes : et malheureusement pour
vous, tu lui as imposé un choix. Il n'était alors pas assez fort pour choisir la bonne voie. Tout comme toi,
il a accordé bien trop d'importance au choix des autres.... Si Pamela n'était pas revenue, votre amour serait resté le même que celui du
premier jour... Je le lis dans les astres. Je le lis dans notre coeur, Kelly.»
Le
souvenir de Pamela Pepperidge vint à nouveau hanter les lieux : ce même
lieu où des décennies plus tôt, Pamela avait épousé C.C. Capwell. Kelly
frissonna. D'autres souvenirs lui revinrent alors en mémoire : la
tentative d'empoissonnement de Pamela.
-
Pamela n'a jamais été celle qu'elle prétendait. Je lui ai accordé ma
confiance, parce qu'elle était la mère de Jeffrey... Je l'ai laissée revenir
dans la famille, alors que mon père l'en a chassé il y a des années... J'ai
permis au mal de retrouver le chemin de la lumière.
Alors que Kelly ouvrait vraiment les yeux sur la nature profonde de Pamela, elle ressentait ses forces lui revenir. Parallèlement, le souvenir et l'affection des autres hommes de sa vie s'effaçaient... Et Jeffrey reprenait la place qui lui revenait.
Dans
la chambre d'hôpital, Kelly commençait à s'agiter. Un air nouveau emplissait
ses poumons. Kelly retrouvait la part Capwell qui sommeillait en elle. Kelly
retrouvait en elle l'espérance d'un amour. Autour d'elle, les voyants des
machines reprenaient un rythme plus soutenu traduisant le retour à la vie de
Kelly Capwell.
Si son corps tardait à récupérer, son coeur avait retrouvé toutes ses certitudes et la part Capwell qui l'habitait se réveillait lentement. La présence de Joe, la certitude qu'il resterait toujours auprès d'elle, confiaient à Kelly une sourde détermination. Pour l'heure, son esprit se concentrait sur son réveil, à chasser le souvenir de Peter et de son frère. Mais, au fond d'elle, une infime partie d'elle songeait déjà au moyen d'éloigner Pamela de sa famille.
Assis
sur un banc blanc, dans une pièce toute blanche, Joe Perkins observait Kelly au
travers d'un large écran. Juste à côté de l'écran de Kelly, on devinait un
autre écran sur lequel il pouvait regarder sa jeune soeur Jade qui vivait à
Las Vegas.
L'image sur l'écran de Kelly perdait de la netteté. Joe sentait qu'à présent, elle n'avait plus besoin de lui. Avant que l'image ne disparaisse totalement, il lui envoya un baiser et lui murmura dans un dernier souffle : Je t'aime.
Dans
une autre pièce, Bridget, Jerome et Patrick regardaient sur un écran, eux
aussi, le retour à la vie de Kelly Capwell. Bridget souriait : elle
sentait renaître sa Kelly, ce mélange subtil de force et de fragilité.
Sur
une autre partie de l'écran, ils survolaient Pacific Sud : observant tour
à tour Pamela, Augusta et les autres personnes présentes sur les lieux. Au
loin, le regard de Bridget se porta sur l'hélicoptère marqué au logo des
Entreprises Capwell. Elle le regardait voler, s'approcher de la terre, avant de
le voir exploser.
-
Et si on assistait là au retour de la guerre entre les Capwell et les
Lockridge, Bridget ? Cela serait une bonne chose, de revenir à la guerre
entre eux. Et puis, la nouvelle Augusta me plaît ! Elle te ressemble, chérie...
Bridget
regarda son mari.
-
C'est vrai. Et je dois reconnaître que cela me plait. Alors, poursuivons...
Nous savons que C.C. ne va pas mourir dans l'explosion... Je suis certaine que c'est
dans le passé que nous allons découvrir la suite. Nous avons laissé tant de
pistes pour cela. Le testament d'Emmett
Capwell... Le souvenir d'Amanda Lockridge... La présence obsédante de Channing
Junior... Des noms prononcés, mais restés dans l'ombre... Et vous, Patrick,
que voyez-vous ?
- Moi ? J'espère le retour sur le devant de la scène de Gina. Comme vous, Bridget, je vois arriver un nom prononcé, mais resté sans visage... Et, j'attends de voir Eden revenir... Et retrouver Cruz...
Dans
sa chambre d'hôpital, Kelly finit par ouvrir les yeux.
-
Joe...
Tout
en revenant à la vie, Kelly jouait avec son alliance, le simple anneau d'or qui
l'unissait à Joe.
A quelques pas de là, l'infirmière de nuit écoutait avec plaisir une compilation des plus belles chansons d'amour de Jeffrey Osborne.