Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 42 : Unis, un peu, beaucoup...

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Je serre encore les poings et je crie pour demain,
et je crie pour demain
Le lien, le lien
Racontez-moi
Quel est ce lien qui me tient vivant dans ce monde
Rassurez-moi
Si les douleurs nous rendaient meilleurs
Racontez-moi
Quel est ce lien qui nous tient vivant dans ce monde
Rassurez-moi
Si les douleurs nous rendaient meilleurs

 

Route dans la jungle mexicaine.

Assise à l'arrière du vieux véhicule militaire, B.J. restait les membres repliés sur eux-mêmes. Les souvenirs de ses vieux démons remontaient à la surface. Et avec eux, l'ombre de Frank Goodman se profilait à l'horizon.

Depuis le début de sa captivité, B.J. avait complètement perdu la notion du temps et de l'espace. Depuis combien de temps elle se retrouvait ici, prisonnière des ces guérilleros, au milieu de nulle part. Ses derniers souvenirs remontaient à la visite d'un site maya, à proximité des ruines de Palenque. C'est là que sa route avait croisé celles de ces hommes.

B.J. frissonna de tous ses membres : les doigts glacés de Frank courraient sur elle. Pour se redonner du courage et aussi et surtout pour obliger son esprit à se concentrer sur autre chose, B.J. essaya de rédiger les grandes lignes de son article.

Ils avaient quitté le campement à l'aube. A cet instant, elle avait pu revoir le visage de son guide, le contact de Lionel Lockridge dans cette région. B.J. avait beau forcer sa mémoire, elle ne parvenait pas à savoir si Pablo était ou non un ami.

Bercée par le trajet, B.J. finit par fermer les yeux. Et le visage de Warren se dessina devant elle.

Lorsque B.J. reprit lien avec la réalité, le camion s'était arrêté depuis un moment déjà et les hommes, tous habillés en treillis autour d'elle, déchargeaient des caisses de bois pour les monter à bord de plusieurs voiliers de plaisance. La nuit tombait sur l'océan, et B.J. ne put s'empêcher de penser à la baie de Santa Barbara et, avec elle, à ses parents et son époux.

Docilement, elle obéit aux hommes qui lui ordonnèrent de monter à bord d'un des voiliers pour une destination inconnue. Son corps, qui avait largement souffert depuis son enlèvement, se détendit lorsqu'elle s'allongea sur un matelas à bord d'une des cabines.

 

Plage privée de Santa Barbara.

Warren Lockridge arpentait la plage privée du bar de la plage. Il s'était réfugié ici après avoir présidé la traditionnelle réunion au journal pour l'édition du lendemain. Longuement, ils avaient débattu pour savoir s'ils devaient parler ou non de la disparition de B.J.. Le non avait finit par l'emporter. Warren avait usé de tout son poids et de son autorité de responsable pour se faire entendre : il ne voulait pas risquer de mettre plus en danger B.J..

En quittant son bureau, Warren avait pris contact avec Augusta pour savoir si elle avait eu des nouvelles de Danny et de ses acolytes. Warren n'avait eu droit qu'à sa messagerie : Augusta ne s'était pas montrée à Pacific Sud et personne là-bas ne savait où elle se trouvait. Et Warren enrageait un peu plus.

Il faisait de son mieux pour garder son calme et conserver force et espoir. Un moment plus tôt, il avait pris contact avec Lionel pour essayer d'organiser un voyage sur les traces de B.J.. Lionel avait réussi à le convaincre d'attendre un moment, le temps qu'il puisse organiser un voyage au Mexique pour tous les deux. Lionel se chargeait d'user de tous ses contacts pour obtenir le plus vite possible le maximum d'informations : les forces de police locales se chargeaient de retrouver Pablo, le guide de B.J..

Alors que le soleil déclinait, Warren Lockridge ne pouvait empêcher son corps de penser à sa femme : elle lui manquait tant. Depuis le jour de leur rencontre, ils n'avaient eu que trop peu de temps ensemble. Ils n'avaient même pas eu le temps de partir en voyage de noces.

Warren finit par s'asseoir sur le sable, le regard vers l'horizon. Il sortit pour la énième fois son téléphone portable afin de vérifier qu'il n'avait pas raté de message. Et tandis qu'il s'inquiétait pour celle qu'il aimait, Warren ressentit le poids de sa solitude, comme si les douleurs d'un passé mal assumé se réouvraient lentement. Depuis son retour de Macao, il n'avait eu que trop peu de temps pour lui : découvrir que Cassandra s'avérait être sa tante, puis les révélations de sa filiation. Curieusement, alors que le passé le hantait à nouveau, sa nouvelle amitié avec le jeune fils Capwell se fit essentielle.

- C'est possible, tout comme moi, il connaît Danny... Et peut-être que sa famille a des infos sur la famille Andrade.

Warren composa le numéro de Ted et lui demanda de le rejoindre.

- Pourvu qu'il puisse avoir des informations...

 

Capwell Tower.

Face à l'horizon, de la baie vitrée de son bureau, Channing Creighton Capwell scrutait la ville de Santa Barbara. Sa ville. Au-delà des lumières qui scintillaient le long de la baie, cette ville symbolisait pour C.C. Capwell la preuve de son pouvoir, la mainmise de sa famille sur ce coin de terre. Depuis plus de trois générations, les Capwell s'étaient installés ici, non pas pour construire un empire, mais pour se bâtir une terre où revenir, une terre où la famille Capwell, non la dynastie Capwell, pourrait s'enraciner. Et aujourd'hui, cette terre risquait de périr, en raison de Pamela...

Des frissons parcoururent le corps de C.C. Capwell. La même peine, la même souffrance l'habitait, comme au temps de la mort de son héritier, de son fils tant aimé...

- A nouveau, mes espoirs se brisent... Tous mes espoirs...

Après le visage de Channing Junior, c'est le visage de Pamela que se dessina sur la baie.

- Je te déteste, Pamela !

Ce cri le libéra d'une certaine façon.

C.C. se détourna et se retrouva face à face avec le désastre de ces derniers jours : il avait renversé tout ce qui occupait son bureau et, à cet instant, papiers, téléphone, photos jonchaient le sol.

- Tu vas me le payer, Pamela. Je vais finir par trouver un moyen de te détruire !

Et alors qu'il fixait le vide dans son bureau, C.C. entendit à la radio le dernier reportage de Deana Kincaid.

 

Reportage de Deana Kincaid.

Je me trouve actuellement à l'entrée de l'Orient Express, symbole Capwell parmi tous ceux présents dans notre jolie ville. Aujourd'hui, le restaurant est fermé. Pour la seconde fois depuis son ouverture en 1985. Il n'avait alors été fermé qu'une fois en 1987, lors de la disparition d'Eden Capwell Castillo dans les montagnes de l'Utah.

Aujourd'hui, le rideau est tiré sur le 10ème étage du bâtiment de l'Hôtel Capwell, preuve du séisme qui agite le monde Capwell. Nous avons assisté il y a trois jours à la conférence de presse de C.C. Capwell, conférence au cours de laquelle le puissant C.C. Capwell a annoncé la création de son  nouveau groupe : Capwell's Inc. Ce groupe reprend les mêmes avoirs que les Entreprises Capwell. Pour rappel, c'est suite à la catastrophe écologique de Khareef que le droit d'utiliser le nom des Entreprises Capwell a été interdit par décision du sénat des Etats-Unis.

C'est au cours de cette même conférence que nous avons appris, suite à l'apparition surprise de Pamela Pepperidge Capwell Conrad, la première épouse de ce même C.C. Capwell, que celle-ci est actionnaire à parts égales dans la société Capwell's Inc.

C'est un nouveau séisme qui secoue notre Etat, un puissant raz-de-marée qui ravage le monde des affaires. D'ailleurs, les actions des anciennes Entreprises Capwell viennent de perdre encore un tiers de leur valeur. D'après les informations que j'ai réussies à obtenir de mes confrères du service financier, personne ne peut dire si l'action Capwell peut encore perdre des points...

Depuis ce matin, tous les journalistes présents à Santa Barbara sont à la recherche de C.C. Capwell. La dernière fois que le patriarche de cette illustre famille a été vu, il quittait sa villa pour gagner la Capwell Tower, où il reste reclus au dernier étage.

Demain, j'accueillerai dans les studios la toute nouvelle associée de C.C. Capwell, j'ai nommé la surprenante, l'étonnante Pamela Conrad. Nous ferons avec elle le point sur la situation à la tête de Capwell's Inc. Nous verrons avec elle comment ces deux-là qui ne s'entendent pas, vont s'unir pour diriger cette nouvelle société.

Capwell Tower.

C.C. n'en pouvait plus. Il restait figé, comme abasourdi par les paroles de Deana Kincaid. Les mots de la journalistes, tels des poignards, le pénétraient profondément dans sa chair : car quoiqu'en pensait C.C. Capwell, c'était malheureusement la vérité. Et en cela, il n'en pouvait rien.

- Pamela, j'aurai ta peau. Je te promets que je vais te détruire... Je vais me battre comme jamais... Tant que je serai vivant, jamais, tu n'auras pas le moindre dollar appartenant aux Capwell. 

Plage privée de Santa Barbara.

- Warren, je viens d'avoir ma mère au téléphone, et elle n'a aucune nouvelle de Rosa depuis plusieurs mois. La dernière fois que ma famille a entendu parler des Andrade, ce fut lors de l'enlèvement de Brandon par Santana. Je suis désolé.

- Je te remercie...

Warren sentit un vent froid s'abattre sur lui.

- Tu ne dois pas perdre espoir, Warren... J'ai demandé à la police de faire des rondes dans tous les lieux où pourrait se cacher Danny. J'ai même fait le tour de nos anciens camarades de Lyman pour vérifier que Danny n'a pas pris contact avec eux. J'ai même eu Michael Adams...

- Je te remercie, Ted, pour tout ce que tu fais pour moi... pour nous.

Ted prit place aux côtés de son ami et, avec amitié, il lui passa un bras autour des épaules. Les deux hommes restèrent un long moment dans le silence.

Ted fut le premier à le rompre.

- Warren, il ne faut pas baisser les bras. Nous aurons bientôt des nouvelles de Danny. Nous finirons bien par savoir ce qu'il veut... Et tu pourras bientôt revoir B.J.. 

- Je l'espère, Ted. Je l'espère vraiment.

- Il ne faut pas cesser de garder espoir. Regarde-nous, Warren. Qui aurait pu dire que nous finirons là, ensemble toi et moi ? Toi, le fils Lockridge que j'ai connu ennemi, que j'ai connu sauveteur et flambeur, et un peu bon à rien... Moi, le plus jeune des fils Capwell, amoureux de ta soeur, prêt à tout pour être comme les autres... Et tu vois, nous sommes là, assis sur cette plage, à espérer un avenir meilleur pour chacun de nous. Alors, tu peux me croire, il ne faut pas perdre espoir...

- Merci, tu sais...

- Arrête, Warren. Ne me remercie pas. Nous savons toi et moi ce que nous avons traversé en Irak. Nous savons depuis ces heures-là, que tout ce que nous avons vécu n'est pas important... On s'est détaché du passé, et nous nous sommes trouvé un avenir. B.J. est ton avenir, j'en suis certain. Et nous allons faire tout ce qui est possible pour la retrouver. Ce serait bien la première fois qu'un Capwell ne parvient pas à obtenir ce qu'il veut. Et si en plus, il s'associe à un Lockridge, il y a encore moins de raisons qu'il n'y parvienne pas. Nous voilà unis, comme dans Les Trois Mousquetaires...

Plate-forme pétrolière.

- Nous sommes donc d'accord, Deana, pour une diffusion demain dans la soirée. A bientôt.

Pamela raccrocha son téléphone portable. Lentement, les rouages de son nouveau plan s'enclenchaient les uns dans les autres. Encore quelques jours et C.C. n'aurait d'autre solution que de céder à chacune de ses requêtes.

- Et à présent qu'Alexis a quitté la ville, te voilà sans joker, mon cher C.C. !

Pamela se leva et se dirigea vers son bureau pour consulter les documents placés dans une épaisse pochette frappée du logo des Entreprises Capwell. Pamela se mit à les parcourir rapidement.

- C'est vraiment du bon travail que Kirk a fait. Il ne me reste plus qu'à faire ratifier ces nouveaux statuts par Mason et lui et moi, nous nous retrouverons à la tête de Capwell's Inc. Et nous pourrons, toi et moi, retrouver la place qui nous revient de droit. Il en sera alors fini de Sophia et de ses sales gosses.

Yacht Capwell.

Kelly s'apprêtait à rejoindre Joe sur le pont avant du yacht, où ce dernier mettait les dernières touches au cadre qui allait servir aux retrouvailles avec Kelly.

Tout en installant le couvert, Joe ne pouvait s'empêcher de parler à son frère disparu, de lui décrire son plan (pour la énième fois) dans ses moindres détails.

- Peter, cette fois-ci, il n'y aura personne pour la sauver : pas de Joe, pas de Nick... Personne. Rien qu'elle et moi. Et puis toi. Tu verras, encore quelques minutes et tu pourras voir sa tête, lorsqu'elle découvrira que son Joe, Ah Ah Ah, son cher et tendre Joe, n'est pas celui qu'elle croit.

Joe s'écarta un peu de la table pour admirer son travail, puis se dirigea vers un vieux sac de toile qu'il avait posé là, et en sortit de nombreux oeillets blancs.

- Comme au bon vieux temps ! !  Kelly, laisse-moi encore cinq minutes, et bientôt tout sera prêt... Le passé pourra renaître et nous tracer un chemin vers notre futur.

Un large sourire se dessina sur les lèvres de Joe, tandis qu'il déposait des oeillets blancs sur la table et sur le sol tout autour.

Hôpital de Santa Barbara.

Doucement,  Greg baissa le store de la chambre pour offrir une ambiance plus douce, plus feutrée à cette chambre d'hôpital qui depuis trop longtemps était devenue comme leur seconde maison, à Daniel et lui. De leur ancien appartement, de leur ancienne vie, Greg avait rapporté de nombreux objets personnels, instants volés d'une vie d'amour.

Le regard de Greg se porta sur quelques photos d'eux, prises lors de moments d'intimités : des souvenirs de France, où ils avaient passé près d'un mois à découvrir les rues de Paris. Greg avait accroché à la porte de la chambre les pieds de paires de pantoufles qu'ils s'étaient mutuellement offerts, gages de l'espérance d'une longue vie à deux. Tout en détaillant la nouvelle chambre, Greg redonnait vie à ces souvenirs. Ses brèves années passées au côté de Daniel avaient littéralement transformé sa vie. Daniel avait su, à force de tendresse, lui faire accepter dans un premier temps son homosexualité, puis avait su faire taire les renoncements qui criaient en lui. De toute cette tendresse, Greg était né. Souvent, Greg le lui répétait, comme en cette seconde :

- Je suis vraiment né avec toi, Daniel. Je suis né de tes mains. Je suis devenu l'homme que je suis uniquement parce qu'un jour tu as croisé ma vie, tes mains ont frôlé mon corps et ton coeur a pénétré le mien, pour l'éveiller à l'amour.

Greg s'assit sur le lit et prit la main de son amant dans la sienne. Les larmes ne coulaient plus sur le visage de Greg Hugues Capwell. Une sourde résignation avait pris place dans son âme. Greg continuait de parler à son amant : de leur passé, de leur amour, de la chaleur qu'il avait su mettre au plus profond de lui, lui qui avait traversé ici-même des sombres heures. Il chassa vite de ses pensées toute la peine qu'il éprouvait encore face au décès de sa mère, pour se concentrer entièrement à son amant. Et uniquement à lui.

La douceur des lieux aidant, Greg s'allongea délicatement, avec infinie précaution, contre le corps de Daniel. Il repoussa un peu le drap, pour admirer ce corps qu'il avait tant aimé et qu'il aimait encore.  Greg pouvait voir au-delà des blessures et des cicatrices.

Un vague souvenir d'une chanson entendue lors de leur séjour à Paris lui revint en mémoire. Greg se mit à la fredonner : Et s'il fallait le faire. Moi j'arrêterai l'hiver, à grands coups de printemps...

- Et s'il fallait le faire...

La main de Greg étreignit plus fermement encore celle de Daniel. Ce dernier ne bougeait toujours pas : depuis le drame au musée, les yeux de Daniel McBride s'étaient clos, le corps de Daniel n'avait plus bougé, mais son coeur n'avait, lui, cessé de battre. De battre pour lui, de battre pour la vie qu'il aurait aimé vivre pour l'amour de Greg...

Puis, toujours avec tendresse, Greg se leva et prit une seringue posée sur la table de nuit à ses côtés. Sa main ne tremblait pas. D'ailleurs pourquoi aurait-elle tremblé ? Tout en parlant, il injecta le produit dans la perfusion de son amant, et il reprit sa place, contre le corps de l'homme qu'il aimait.

Le temps se perdit et Greg sombra dans des eaux troubles, peuplées du souvenir de Daniel.

Yacht Capwell.

Un grand cri déchira le calme de l'océan. Puis ce fut quelques secondes de silence avant qu'un autre cri ne lui succède...

Chalet de Cain Garver.

...Le cri se répercuta le long des montagnes de l'Utah. Eden, tremblante, hurla de toutes ses forces; elle laissait s'échapper ainsi sa rage et sa frustration d'être à nouveau enfermée, ici, sous la coupe du frère de Cain. Son cri finit par mourir...

Villa Capwell.

...Mais un autre lui succéda, plus puissant encore. C.C. n'en revenait pas encore de s'être ainsi fait rouler par Pamela. Son cri traduisait bien au-delà du dégoût qu'il éprouvait envers cette femme, sa profonde colère contre lui-même. C'était là la preuve de toute l'impuissance du puissant Channing Creighton Capwell...

Hôpital de Santa Barbara.

...Impuissant face à la destinée. Voilà le cri que poussa Greg Hughes lorsque, pour la première fois de sa vie, son amour se trouva vaincu. Incapable de faire autre chose, il hurla pour se libérer un peu du poids de sa peine. Mais cela ne changeait rien à la douleur...

Yacht Capwell.

...Cela ne changeait rien ni à la douleur, ni à la réalité. Kelly se figea lorsqu'elle découvrit les fleurs qui jonchaient le pont du bateau : des oeillets blancs. Des oeillets blancs par dizaines. Des oeillets bancs par centaines. Des oeillets blancs par milliers.

Phare de l'île d'Anacapa.

- Pearl, je t'en prie, il faut faire vite !

Assise à même le sol du phare, Courtney Capwell fixait les cartes de tarot qu'elle avait lancées sur le sol.

- Les cartes sont formelles, Kelly est en grand danger, les minutes sont comptées. Il te faut faire vite pour la sauver !

- Si tu venais m'aider à mettre en marche ce fichu rafiot, peut-être que nous serions déjà partis ! !

Tandis que Courtney suivait la trace de sa cousine, Pearl, depuis plusieurs minutes, essayait de mettre en marche le moteur d'un vieux bateau de pêche.

- Est-ce que je m'y connais, moi, en bateaux de pêche ? Ce n'est parce que je suis de Boston que je sais piloter tous les bateaux ! Je voudrais bien t'y voir, toi !

- Tu ferais mieux de te dépêcher, car je crois que Kelly va bientôt se retrouver confrontée à son passé. Et, si j'arrive bien à déchiffrer le message que m'envoient les cartes, c'est un mort qui va revenir la voir. Je vois des fleurs, des tas de fleurs autour d'elle...

VROUMMMM ! !

- Ca y est !!

Un nuage de fumée noire se dessina devant Pearl et, lorsque celui-ci leva la tête, c'est un visage tout noir que découvrit Courtney. Le moteur ne vrombissait pas pleinement car, de temps à autres, des à-coups l'agitaient.

- J'espère qu'il va pouvoir nous conduire jusqu'au yacht. Alors, capitaine, quelle est la route à suivre ?

- C'est très simple, Pearl, tu n'as qu'à suivre le nuage en forme de balance, c'est lui qui doit nous conduire jusqu'à Kelly.

Pearl leva les yeux au ciel, à la recherche du fameux nuage. Bien sûr, aucun d'entre eux n'évoquait pour lui une balance... Courtney grimpa sur le bateau et prit les commandes.

Maison de Mason et Julia Capwell.

C.C. gara sa voiture personnelle juste devant la maison de Mason et de Julia. Une seule certitude à présent martelait son esprit. Mason devait être au courant et, si ce n'était pas le cas, il pouvait être le seul capable de faire entendre raison à sa sorcière de mère.

La maison était vide, mais leur employé l'avertit qu'ils se trouvaient en ce moment-même à l'hôpital  de la ville.

C.C. repartit aussitôt, le coeur rongé par sa soif de reconquête.

Chalet de Cain Garver.

- Vous savez, si vous comptez sur moi pour vous faire à manger et vous garder en vie, vous vous trompez. Je ne suis pas Cain, moi, vous savez. Je n'ai que faire d'avoir un animal de compagnie à la maison, même s'il est de luxe.

Eden le dévisagea froidement. Ses yeux ne trahissaient plus sa peur; elle avait dépassé ce stade. Elle se languissait d'en finir. Menottée à son lit, jour après jour, Eden sentait ses forces lui échapper heures après heures. Eden Capwell se laissait mourir, vaincue pour la première fois. Toutes ses forces l'avaient abandonnée en revenant ici, comme si le poids du passé, le souvenir d'Elena Nikolas, avaient brisé ses dernières ressources. D'ailleurs, même Lisa ou Channing Junior s'étaient tus, brisés eux aussi par le poids du passé emprisonné entre ces montagnes.

Eden ferma les yeux et s'obligea à ne plus entendre les paroles de son geôlier. Et alors qu'elle repliait son esprit au plus profond d'elle-même, une étrange sensation, disparue depuis de longs mois, sembla remonter lentement à la surface. Une douce sensation de paix, de bien-être. Doucement, Eden plongea dans un rêve éveillé, comme si une autre réalité se matérialisait devant elle. Son esprit, emporté par un aigle centenaire, quitta les montagnes de l'Utah. Plus il s'éloignait de cette terre, plus Eden se sentait légère. Au cours de cet étrange vol, Eden glissa dans un profond sommeil, la certitude dans le coeur qu'un lien se reconstituait.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Eden ne se trouvait plus dans le chalet de Cain, mais devant la porte de la maison de bois que Cruz avait achetée pour elle, en bord de plage de Santa Barbara. Le lien devint alors évident pour elle. Le fait d'être retournée dans cette maison, ce lien qui, tel un sanctuaire, veillait sur les meilleurs moments de sa vie, avait su faire renaître en elle le lien si particulier qui l'unissait à Cruz.

- Cruz...

Comme si ce simple mot avait le pouvoir de changer le cours de sa vie, Eden le murmura lentement et à plusieurs reprises. C'était comme une prière qu'elle récitait.

Face à elle, Caleb la dévisageait toujours, inconscient de la transformation qui se réalisait chez la jeune femme. Eden Capwell reprenait vie.

Eden redevenait la fille du puissant C.C. Capwell, prête à se battre, si fière d'être une Capwell. Elle redevenait aussi et surtout la femme transformée, née de la force de l'amour de Cruz Castillo. C'est pour lui qu'elle avait affronté son père. C'est au nom de ce lien d'amour qu'elle s'était battue pour s'imposer de marcher à nouveau, ici, enfermée entre ces murs. C'est la force de ce lien qui les unissait l'un à l'autre qui lui avait donné force et courage pour redonner vie à ses jambes mortes.

Forte de ce lien qui les unissait, Eden prit l'assiette posée à ses côtés et se mit à manger, prête au combat.

Quelque part au milieu de l'océan.

- Plus vite Pearl... Plus vite, je le vois dans les étoiles. Kelly est en danger. Elle est à nouveau confrontée à son passé. Au pire cauchemar de son passé.

Pearl se mit à trembler, tant le ton de la voix de Courtney laissait deviner peur et angoisse. L'esprit de Pearl remontait le temps à la recherche du pire moment du passé de Kelly Capwell. Des noms remontèrent rapidement à la surface : T.J. Daniels. Jeffrey Conrad. Dylan Hartley...

Quelque part au milieu de l'océan.

Dans un état de semi-sommeil, B.J. entendait par moments des voix dans le lointain. En ce moment même, des hommes parlaient fort sur le pont. Ca et là, elle pouvait reconnaître certains mots : argent revenait le plus souvent.

Depuis son départ du Mexique, B.J. compilait mentalement toutes les informations qu'elle avait réussi à glaner. Une évidence prenait vie dans son esprit, évidence qu'elle se refusait de considérer comme réelle. Pourtant, toutes les données se croisaient : le bateau faisait route vers Santa Barbara. Et B.J. ne comprenait pas : trop d'éléments lui faisaient encore défaut.

- Mon Dieu, faites que j'ai raison... Que le lien qui nous unit Warren et moi puissent lui faire sentir ma présence...

Hôpital de Santa Barbara.

C.C. Capwell rajusta ses lunettes de soleil, se dirigea vers le service des urgences de l'hôpital, et évita les journalistes qui attendaient devant l'entrée principale : plus que quelques heures avant qu'il tienne son conseil de guerre dans son bureau, au sommet de la tour.

C.C. accéléra le pas pour rejoindre les urgences ; mentalement il essayait de placer chronologiquement les derniers événements et remontait le temps pour découvrir le point de non retour à partir duquel Mason avait choisi de le trahir au profit de Pamela.

Aux urgences, il remarqua tout de suite Mason et Julia. Ils s'approcha d'eux, lorsque Greg sortit de la chambre de Daniel pour les rejoindre. La pâleur mortelle de son fils le stoppa net.

Greg Hugues, lentement, se dirigea vers Julia et Mason. Il ne marchait pas, il titubait; ses yeux fuyait le moindre point fixe.

- Il... Il...

Julia fut la première à avancer vers Greg. Ses mains tremblaient. Elle prit Greg dans ses bras et le serra tendrement contre elle. Greg, lentement, sentait son corps se vider, comme si, en partant, Daniel lui volait son amour et sa force. Le corps de Greg glissa entre les bras de Julia. Et en même temps, tous les pleurs contenus depuis le drame au musée se déversèrent d'un seul coup. De violents spasmes le secouèrent.

- Il... Il est parti... Oh...

Julia s'agenouilla auprès de Greg et, affectueusement, le consola, tout du moins elle essaya.

Mason se leva de son fauteuil et se dirigea vers sa femme et son demi-frère, quand soudain il remarqua la présence de son père. Mason s'arrêta net : il comprit tout de suite les raisons de sa visite. Il venait lui imposer de choisir un camp et de l'aider dans sa bataille contre Pamela.

Mason s'écarta, abandonnant Julia et Greg à leur peine, pour rejoindre C.C.. L'électricité autour d'eux empêcha tout de suite la moindre affection entre le père et le fils.

- Mason, tu dois parler à ta mère. Tu es le seul à pouvoir encore parler avec cette folle...

- Je croyais avoir été assez clair. Je ne veux pas intervenir dans cette guerre. Elle ne me concerne pas. Je veux rester en dehors de cela...

C.C. se figea. Il retrouvait bien là son fils aîné, toujours à ne jamais choisir son camp... et à toujours se plaindre sur son sort.

- Mason... C'est ta famille, ton héritage que ta mère est en train de détruire... Tu es un Capwell, ne l'oublie jamais. Et c'est le fils Capwell, mon fils, que je viens voir...

- Arrête ce jeu-là. Cela ne prendra pas. Je sais ce que tu attends de moi, et je ne le ferai pas. J'ai grandi... A présent, je ne cours plus après ces miettes d'espérance d'être Channing Junior... J'ai grandi, je ne suis plus ce fils qui se désespère de ne pas être lui... Tu te trompes de fils. Ou tu arrives trop tard.

- Ah, c'est bien toi que je retrouve, Mason, jamais capable de choisir un camp. Depuis des années, tu me demandes de te faire confiance, de croire en toi... Mais au fond, tu ne veux surtout pas que l'on te fasse confiance. Tu n'es pas un vrai Capwell...

- Ah, ça y est, on y revient... Le fils Capwell que je suis... Mais regardes-toi, papa, tu n'es pas le père que tu crois être... Tu vis toujours dans le passé, tu cherches, non pire que cela, tu t'inventes des traces de Channing Junior en chacun de nous... Et tu ne te rends même pas compte que tes enfants ont changé, qu'aucun d'eux ne correspond à l'image que tu t'es construite. Ni Ted, ni Kelly et encore moins Eden ne deviendront jamais Channing Junior.

- Arrête de souiller la mémoire de ton frère. Nous sommes en train de parler de toi. C'est toi, toujours toi, qui nous abandonne dans la bataille, comme toujours... Je me demande bien pourquoi je suis venu... Je croyais que tu avais fini par sentir le lien Capwell qui nous unit tous, les uns aux autres. Mais, je crois que je me suis trompé... Non, en réalité, j'ai toujours eu raison. Tu n'es qu'un lâche... Incapable de se battre pour la famille, mais toujours prêt à mordre la main qui te nourrit... Tu n'es pas digne d'être un Capwell...

- Ah Ah Ah ! ! ! Je ne suis pas digne d'être un Capwell... Il faudra un jour que tu dresses la liste de ce que peut, doit faire, un Capwell...

- Cesse d'être cynique... Puisque tu ne veux pas nous aider, tu ne fais plus partie de la famille... Je ne veux plus te voir... Ni aujourd'hui, ne demain.

- La famille... La famille... Celle que tu ne vois pas et qui est en train d'exploser... Peux-tu me dire ce qu'est en train de faire Ted à l'instant où l'on parle ? De ce que fait Kelly ou Eden... Non, tu ne peux. Car cela ne t'intéresse pas... A moins qu'à présent, je ne suis plus le meilleur candidat pour prendre la place de Junior, tu vas te tourner vers un autre de tes enfants.... Mais, papa, regarde autour de toi, il n'y a plus de famille. Ta famille, telle que tu la conçois, n'existe que dans ta tête... Ted continue à se construire tout seul, Kelly poursuit sa quête éperdue d'amour, quand à Eden... Ah, et j'oublie Greg... L'héritier caché... Peux-tu me parler du drame de Greg... Non, tu ne peux pas. Car tu n'es pas encore arrivé à lui trouver une place dans TA famille... Sais-tu qu'aujourd'hui, qu'il y a quelques minutes, Daniel est mort... Sais-tu que c'est Greg qui a débranché l'appareil qui le maintenait en vie... Non, tu n'en sais rien.

- Mason...

Julia se tourna vers son mari; elle soutenait Greg avec grande difficulté. Mason s'empressa de la rejoindre et tous les trois s'en retournèrent dans la chambre de Daniel McBride.

Seul, au milieu du couloir, C.C. resta immobile, impuissant face au temps qui s'écoulait. Et si Mason avait raison... Et si vraiment la famille, sa famille, était au bord du gouffre... Si le lien qui les unissait tous venait de se rompre...

- Il faut que j'appelle Kelly... Elle pourra m'aider... Elle pourrait prendre contact avec Jeffrey. Je pourrai alors lui parler pour qu'il parle avec Pamela...

 

Parc de la propriété Lockridge.

Augusta Lockridge sortit de la piscine, puis alla s'étendre sur l'un des transats installé au bord du bassin. Elle s'empressa de mettre lunettes noires et large chapeau.

Des éclats de voix en provenance de la villa lui firent lever les yeux.

Soudain Danny Andrade s'avançait vers elle, Lu Ann, la nouvelle bonne d'Augusta, derrière lui, criant à Danny de partir, et hurlant ses excuses à Augusta.

Augusta Lockridge fit signe à Lu Ann de laisser Danny avancer. Elle ne prit même pas la peine de se lever ou de mettre un peignoir; Augusta Lockridge ne se préoccupait pas de ce genre de détail et puis, au fond d'elle, Danny Andrade ou pas, Augusta appréciait de sentir poser sur elle le regard d'un homme.

- Bonjour. Je passais pour savoir si vous avez réfléchi à ma demande.

- Danny... Danny... Je me souviens encore de toi, lorsque tu allais à Lyman et que tu traînais avec Laken... Déjà à l'époque, on sentait que tu ne poursuivrais pas la même route...

- Je ne suis pas là pour parler du passé... Je veux juste savoir si on peut disposer du port de Pacific Sud et du réseau des canalisations d'eau potable qui va jusqu'au Nevada.

Augusta se leva et domina Danny.

- Danny, Pacific Sud n'est pas à louer pour un un groupe de délinquants en herbe ou pour qui que ce soit d'autre. Il s'agit de mon centre...

- Je voudrais juste vous rappeler un petit détail... Pour le règlement, nous ne parlons pas de somme d'argent... Je ne suis pas certain que Warren apprécie votre décision.

- Danny... Je ne suis pas facilement impressionnable, vous savez. Vous n'êtes pas le premier à essayer de me menacer ou...

Danny l'arrêta de la main. Puis il sortit un téléphone portable d'une poche de son blouson noir. Il pianota quelques secondes dessus; il le montra ensuite à Augusta.

- Juste pour clarifier la situation : le versement pour la location est prêt... On ne pourra peut-être pas le conserver à disposition encore longtemps.

Augusta regarda longuement la photo sur le portable : B.J. était allongée à même le sol, les traits tirés, les mains attachées, le corps visiblement fatigué par sa détention.

- Je passerai demain matin à Pacific Sud pour l'organisation au port et pour l'accès aux canalisations...

Augusta le regarda s'éloigner, immobile. Elle ne bougea pas pendant de longues secondes, puis un froid glacial lui fit reprendre vie.

- Oh... Warren, qu'est ce que je dois faire...

 

Hôpital de Santa Barbara.

Julia s'empressa de quitter la chambre de Daniel pour rejoindre C.C. dans le couloir qui s'apprêtait à quitter les lieux.

- C.C., vous devriez venir voir Greg, il a besoin de vous. Vos enfants ont besoin de vous.

- Julia, je ne suis pas certain que cela soit le bon moment. J'ai...

- C.C., permettez-moi d'insister. Greg et Mason ont besoin de vous. Ils ont besoin de sentir qu'ils appartiennent encore à la famille.

C.C. s'écarta.

- C'est Mason qui vous envoie...

- Non, C.C.. Je m'inquiète pour vous, pour la famille tout simplement.

- Oh, Julia, arrêtez avec ça. La famille... La famille, permettez-moi de vous rappeler que la famille Capwell n'est pas votre famille. Vous êtes une Lockridge.

- Ah, on y revient, C.C.. Je sais ce que vous pensez de moi, et même de Mason. Mais toute Lockridge que je suis, je suis obligée de vous dire que votre famille est en train de s'effondrer. Tous vos enfants sont en train de s'éloigner les uns des autres, de vous... Bientôt, il n'y aura plus de famille Capwell... Et vous resterez seul dans votre villa... J'ai peur pour vous et pour la famille. Eden est en train de faire face à son passé, toute seule. Kelly poursuit des chimères. Ted se construit tout seul. Et Mason... Mason...

- Vous avez fini ? Je ne veux plus rien entendre. Pour qui vous prenez-vous pour me juger et juger les membres de ma famille ? Je vous conseille de rester à votre place. Restez avec Mason... Faites ce que vous voulez ensemble... Sachez qu'il a refusé de m'aider... D'aider cette famille à laquelle vous prétendez appartenir...

C.C. s'écarta presque avec violence.

- Je pense que nous nous sommes tout dit... Vous m'excuserez, je dois sauver ce qui maintient cette famille unie : les Entreprises Capwell !

Julia le regarda s'éloigner, impassible. Puis lorsque C.C. sortit de son champ de vision, elle laissa éclater sa colère en donnant un coup de poing dans le mur. Puis elle regagna la chambre de Daniel McBride.

Hacienda mexicaine.

Cruz Castillo s'arrêta dans son footing le long de la plage : quelque chose au fond de lui venait de vibrer, comme si une décharge électrique venait de raviver un vieil appareil. Un ancien lien venait d'être à nouveau sollicité.

Cruz détourna le regard vers l'océan et, doucement, murmura pour le soleil, pour l'horizon, pour lui-même :

- Eden... Eden... Je suis là...

Quelque part au milieu de l'océan.

Kelly hurla et son cri mit longtemps avant de mourir.

Elle resta figée un moment : les oeillets blancs attiraient fixement son regard.  Elle ne pouvait pas s'en détacher. Dans son esprit, de vieilles portes s'ouvraient et libéraient le souvenir d'un autre qui n'avait rien à voir avec l'ancien amour de sa vie, Joe Perkins. Le temps défilait à une vitesse vertigineuse. D'ailleurs, les jambes de Kelly tremblaient; elle sentait que d'un moment à l'autre, elle allait s'effondrer.

Doucement, Kelly commença à effectuer un premier pas pour reculer. Tout en reculant, Kelly leva les yeux sur l'homme en face d'elle. Sous les traits de Tyler, le souvenir du visage de Joe s'était rapidement effacé. Elle ne voyait plus que Tyler, elle se refusait à imaginer un autre visage... Elle se refusait même à imaginer qu'elle puisse concevoir un autre visage derrière celui de Tyler.

- Ce n'est pas possible ! ! !

Tyler la dévisageait. Un large sourire sur les lèvres.

Kelly reculait toujours. Soudain, elle s'arrêta. Elle venait de cogner contre la barrière du yacht. Sans détourner le regard de Tyler, Kelly chercha un soutien de ses mains.

- Bonjour Kelly, j'espère que ma surprise te plait. Tu vois, tu avais raison, il existe bien un lien unique entre toi et moi. Un lien indestructible. Je suis à toi pour la vie. Tu es à moi pour la vie. Nous sommes unis. L'un avec l'autre. Et ce soir, nous allons fêter ce lien magique qui existe entre nous.

Tyler s'avança vers Kelly, un oeillet blanc à la main.

- J'espère que tu apprécies mes fleurs !

Kelly n'écoutait pas vraiment et pourtant, surgies d'un autre temps, elle entendait ces mêmes paroles résonner dans son esprit. Des paroles prononcées par un autre. Kelly ne voulait pas songer à son nom, de peur de lui redonner vie, de recréer ce lien dont lui parlait Tyler. Et pourtant, elle savait qu'il était mort. Elle avait vu son corps emporté par les ambulanciers. Elle l'avait vu à l'hôpital. Il était bien mort. Tout comme son Joe, et pourtant, elle avait cru l'inconcevable, en jurant que Joe était bien vivant.

- Tu t'interroges, n'est-ce pas ? Je le vois à ton regard. Je le ressens dans tout ton être. Tu te dis que ce n'est pas possible... Et pourtant, cela ne t'apparaissait pas si inconcevable lorsque tu croyais que j'étais Joe... Oh, mon Joe, tu m'as tant manqué... Oh, Joe comment ai-je pu croire que tu étais mort... J'aurais dû le sentir en moi... Jamais je n'aurais dû croire en ton absence... Ah Ah Ah Ah ! ! !

Kelly, bloquée contre la barrière, fixait les traits de Tyler. Elle se forçait à le dévisager, dans l'espoir de découvrir l'absence des traits de cet autre homme...

- Tu avais raison, ma douce Kelly, le passé n'est pas mort. Tant que ce lien existera entre nous, le passé ne peut pas mourir...

- Non... Non... Tu es mort. Je t'ai vu mort. Tu es mort.

Kelly répétait inlassablement ces mots, comme pour tuer à nouveau jusqu'au moindre souvenir de cet homme. Il fallait qu'elle le chasse de ses souvenirs si elle voulait rester ancrée dans cette réalité.

- Tu es mort... Tu es mort... Il n'existe plus rien entre nous. Plus de lien.

- Oh si, ce lien existe... Kelly Capwell, tu es à moi... Pour l'éternité. Il est temps de finir ce que nous avons construit il y a des années.

Tyler, à présent, était si proche de Kelly qu'elle pouvait sentir son souffle sur sa peau. Puis, lentement, il fit courir les pétales de la fleur sur le bras, puis l'épaule de Kelly.

Kelly eut un haut le coeur...

Effectivement, Tyler avait raison, un lien puissant les reliait l'un à l'autre : la peur.

Chapitre 43