Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 40 : Des femmes hors du temps

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Et avec la participation exceptionnelle
de
Joan Collins dans le rôle d'Alexis Morell Carrington Colby Dexter Rowan
et de Patrick Duffy dans le rôle de Bobby Ewing

Toutes les femmes en moi
Sont souveraines
Je suis un peu chacune d'elle
Forte ou fragile
Douce ou rebelle
Toutes les femmes en moi se mêlent

On rêve toutes un peu
Des formes de Monroe
Du verbe de Djavan
Du courage de Bhutto
Je rêve du jour enfin
Où un mec perdra les eaux
Et où l'on gagnera comme lui
Le salaire du guerrier
Mais aussi le repos
Ce jour d'été suprême
Où coulera à flots, l'eau qu'on suce à la terre
Et qui nous fait défaut
Ce jour ce jour qui peine à arriver alors

Que dans notre ADN
S'inscrivent tous les torts
Et que Dieu se rassure
On ne lui en veut pas
C'est à nos grandes ratures
Que l'on doit ce karma
Dieu est une femme c'est sûr

Elle nous pardonnera
Elle nous pardonnera

Reportage de Deana Kincaid, en direct de l'hôpital de Santa Barbara.

Deanna et son équipe s'écartèrent un peu de l'agitation du hall de l'hôpital. Les traits fatigués, Deanna Kincaid devait en terminer avec ce reportage, point de conclusion du drame du musée.

- C'est du hall de l'hôpital de la ville que se joue le dernier acte d'un terrible drame qui agite notre ville depuis quelques semaines. Souvenez-vous de la soirée de charité qui s'est tenue au musée de la ville et qui s'est terminée dans un bain de sang : Julia Wainwright Capwell et Daniel McBride sont actuellement dans des chambres à l'étage, en train de lutter contre la mort.

Les drames, à nouveau, semblent avoir rattrapé la famille Capwell. Car le drame du musée s'est littéralement joué de l'intérieur. C'est Pamela Capwell Conrad et Jack Stanfield Lee qui sont à l'origine des coups de feu.

Pour le moment, nous n'avons pas eu de nouvelles informations ni sur l'état de santé, ni sur l'arrestation de Jack Lee. Seule certitude, ce dernier aurait quitté la ville peu de temps avant l'arrivée de la police. Toute personne possédant des informations sur cet homme doit sans tarder les communiquer à la police. Si vous possédez aussi des information sur l'étrange retour à la vie et en ville d'Eden Capwell, vous pouvez me contacter à la direction de KSB8.

Pièce isolée dans une vieille hacienda.

Un fin filet de lumière filtrait à travers la porte. Un nouveau jour se levait. Combien de matins s'étaient écoulés depuis son enlèvement ? 4, 5 12... Son esprit ne pouvait le déterminer avec précision.

Tout son être souffrait de douleur; son esprit paralysé par ces jours de captivité ne parvenait pas à chasser la peur qui l'habitait et qui bloquait ses muscles. Son corps ne parvenait pas non plus à repousser le plus loin possible les sombres et terribles souvenir de son passé, d'une autre vie.

Soudain, la porte s'ouvrit et la lumière aveuglante du soleil pénétra dans la pièce. Une vive lumière blanche remplaça les sombres voiles de l'obscurité. Un nouveau jour commençait...

Kiosque de la villa Capwell.

Sophia raccrocha le combiné. Arthur Donnelly ne lui avait pas donné de bonnes nouvelles en provenance de l'hôpital : Julia n'était pas encore sortie du bloc opératoire, quant à Daniel McBride, son état restait des plus critiques : la balle située à proximité de la colonne vertébrale rendait délicate toute intervention.

- Pauvre de nous... Quelle folie est en train de s'abattre sur nous !

Sophia resta quelques secondes l'esprit rivé sur Julia et sur les autres membres de sa famille qui avançaient sur une corde raide. Puis, elle reprit le combiné et tenta une énième fois de joindre Channing. Depuis sa sortie de prison en milieu de matinée, Sophia, heure après heure, avait vainement essayé de le joindre.

Cet appel aussi resta sans réponse. Elle détestait lorsqu'il agissait de la sorte. Sophia n'ignorait pas les motifs de ce silence : Channing se battait pour reprendre le contrôle complet sur sa compagnie.

Sophia s'arma de courage et se dirigea vers l'intérieur de la villa, où l'attendait le reste de la famille. A chacun de ses pas, elle ne pouvait s'empêcher de songer au retour d'Eden, retour qui marquait la fin de plusieurs années de silence. Arrivée dans l'atrium, Sophia se retrouva face à face avec Marisa Perkins.

- Je suis désolée de venir vous importuner, surtout avec les drames que vous traversez...

Les deux femmes gagnèrent le salon.

- Vraiment, j'insiste. Si vous voulez que je repasse, il n'y a pas de problème. Je comprendrais parfaitement.

- Marisa, je vous assure vous ne me dérangez pas. J'attends mes enfants pour partir ensuite pour l'hôpital. De quoi voulez-vous me parler, Marisa ?

- De Kelly et...

Une réelle inquiétude rongeait les sens de Marisa.

- De Kelly et de... et de Tyler. Personnellement, j'ai des doutes, non, je ne crois pas que Tyler soit Joe, soit mon Joe.

Ca y est, elle venait de livrer le secret qui la rongeait.

La surprise se devinait sur les traits de Sophia.

- Comment cela ? Vous avez des preuves pour cela ?

- Non, aucune.  Ce n'est qu'une sensation, une certitude au fond de moi. Non plutôt une absence de sentiment en sa présence.

- Marisa, comment cela ? Je sais que son retour à la vie est des plus incroyables, mais pourquoi repousser cette possibilité ? Vous savez, même s'il n'existe qu'une seule petite chance, une infime petite chance pour que ce soit votre Joe, vous devez la saisir. La saisir et croire en cette chance que la vie vous offre. Je sais vos craintes, Marisa... J'ai moi-même déjà pu le vivre lors de mon retour ici, à Santa Barbara.

Peur et angoisse se devinaient avec certitude dans chacun des gestes de Marisa.

- Sophia, mais c'était vraiment vous !

- Oui, mais mes enfants ne le savaient pas à l'époque... Il faut lui accorder toutes les chances possibles tant que le doute existe, tant qu'il y a le moindre espoir, il faut foncer... Vous pourriez vous le reprocher toute votre vie. Marisa, vous avez une chance inestimable, votre Joe est de retour...

- Oh, Sophia... Je ne sais pas. Quand je suis auprès de lui, je ne ressens rien. Il ne fait pas battre mon coeur. Il me laisse de marbre. Je ne retrouve rien en lui qui puisse éveiller en mon coeur de mère le souvenir de Joe. Vraiment, en dépit de tous mes efforts, je me sens face à un étranger, à un inconnu. Rien en lui, dans ses gestes, ses expressions, rien de tout cela me rappelle mon Joe... Et pourtant, Dieu peut vous assurer que je voudrais, que je veux y croire... Oh, je voudrais tellement que mon Joe soit vivant, et que le destin nous accorde une si belle chance...

Des bruits de voix, en provenance de l'atrium, stoppèrent net les mots de Marisa. Les voix de Kelly et de Tyler approchaient : ils paraissaient très heureux.

- Bonjour, maman. Marisa, je suis contente de vous voir. As-tu eu des nouvelles de l'hôpital ?

- J'ai eu Arthur, tout à l'heure. Julia était encore au bloc, et l'état de Daniel ne permet pas pour le moment de l'opérer. Je vais partir avec Ted dans un moment pour l'hôpital.

Soudain, Sophia remarqua le sac de voyage posé derrière Tyler.

- Vous allez partir, à ce que je vois ?

- Oui, maman. Joe et moi avons besoin de temps, de passer du temps ensemble, loin de toute agitation.

A l'écart, Marisa pâlit. Son coeur se serra : une vieille peur se réveillait.

- Kelly, ne penses-tu pas que tu devrais venir avec moi, avec la famille, à l'hôpital pour voir Julia et Daniel ?

- Je sais, maman, que le moment est mal choisi...

Marisa choisit d'intervenir.

- Kelly chérie, je crois que ta maman a raison. Vous devriez aller à l'hôpital... Et puis, moi aussi j'ai besoin de parler avec Joe. Après je te le promets, il sera tout à toi.

Marisa s'approcha de Joe et l'attrapa par le bras.

- Viens, Joe, nous aussi nous avons du temps à rattraper.

Alors que Marisa guidait Joe vers la sortie du salon, son regard se plongea dans celui de Sophia : cette dernière put y lire la crainte et la détresse d'une mère.

Une fois Marisa partie, Kelly dévisagea sa mère.

- Maman, que voulait Marisa ?

- Juste prendre des nouvelles... Prendre des nouvelles... Elle s'inquiète pour la famille...

 

Hôpital de Santa Barbara.

Appuyé contre le lit de Daniel, Greg Hughes serrait la main de Daniel. Il ne cessait de prier pour que son état de santé s'améliore. Ses larmes s'étaient taries depuis plusieurs heures déjà, laissant la place à une profonde inquiétude et à une sourde angoisse qui étranglaient son coeur.

- Dan, je t'en supplie, il faut te battre. Ne lâche pas prise. Je t'en supplie. C'est toi qui a raison : je t'aime et j'ai besoin de toi. J'ai tellement besoin de toi.

De temps à autre, les mots s'étranglaient dans sa gorge.

- Daniel, ne m'abandonne pas... Je ne pourrais pas le supporter. Tu sais, de nous deux, c'est toi le plus fort. C'est toi qui me montre la voie, c'est grâce à toi que notre amour existe, que notre amour est là, bien vivant, en toi, en moi... Je t'en supplie, Daniel, je veux que tu te battes... Pour toi. Non, je veux que tu battes pour moi. Pour moi. Je t'en supplie. Accroche-toi à moi, je t'en supplie...

Greg ne parvenait pas à détacher son esprit du bruit des machines qui maintenaient en vie son amant. Sa raison se refusait pour l'heure à songer aux minutes suivantes.

Une infirmière entra dans la chambre.

- Vous devriez prendre un peu de repos, ou simplement un café à la cafétéria. Vous n'avez pas quitté cette chambre depuis plusieurs heures... D'ailleurs, il faut que je fasse quelques soins...

Greg quitta la chambre et s'assit dans le couloir, se laissant glisser lentement le long du mur, juste à côté de la porte de la chambre de son amant. Le visage entre les mains, Greg laissa là couler librement ses larmes, comme s'il pouvait exorciser ainsi ses peurs et ses pires craintes. Toutes les fibres de son être priaient pour le retour à la vie de Daniel : son âme, son coeur, son corps tout entier ne vibraient que pour cet objectif. Pour l'heure, Greg luttait de son mieux pour repousser toutes sombres pensées quant à l'avenir de Daniel. Il se refusait à envisager le pire, de peur de lui permettre de se réaliser. Car il avait déjà connu cette peur-là, avec la maladie et la mort de sa mère.

Greg ferma les yeux et laissa son esprit réveiller des souvenirs heureux partagés avec le jeune avocat Daniel McBride.

 

Jardin du tribunal de Santa Barbara.

- Je vous remercie d'être venu aussi vite, David.

- Avais-je vraiment le choix Pamela ?

David Raymond leva des yeux pleins de désillusion vers Pamela Pepperidge, tandis qu'elle prenait place à ses côtés sur le banc.

- David, voyons, nous nous connaissons depuis trop longtemps pour se passer des banalités. Où en êtes-vous en ce qui concerne Jack Lee ?

- J'ai fait tout ce que vous avez ordonné. Il y aura tellement de vices de procédures dans le dossier que ses avocats n'auront aucune peine à le faire libérer, et ce malgré les preuves accablantes.

- Merci.

Le visage de Pamela se transforma : les lourds nuages s'éloignaient lentement d'elle; bientôt elle pourrait se concentrer à nouveau sur sa vengeance contre Channing Capwell.

- Tenez, David, en échange de vos services, voici l'adresse d'Angela à la Nouvelle Orléans. Elle travaille dans un centre de réinsertion pour enfants qui ont tout perdu suite à l'ouragan Katrina. Tant de mièvrerie me donnerait presque la nausée...

David s'empara de la feuille de papier. Ses doigts, tels des griffes, se refermèrent sur le document. Une partie de son être s'accrochait au souvenir de sa femme, en dépit des années et de leur divorce.

- Allons, David, je suis certaine qu'elle se fera une fête de vous revoir ! Et surtout ne me remerciez pas...

Pamela s'éloigna, laissant David plus seul et plus désemparé que jamais, conscient de la frontière qu'il venait de franchir.

 

Maison au bord de la plage.

Eden / Lisa remercia l'agent immobilier.

- J'insiste, je ne veux pas que l'on puisse découvrir que j'ai acheté cette maison. Personne ne doit savoir. Je veux que vous laissiez le panneau à vendre et que pour le moment vous continuiez à la faire visiter comme si de rien n'était.

- Vous êtes certaine que vous voulez que je fasse comme si elle était encore à la vente ? Je ne comprends pas...

- Parfaitement.

Eden / Lisa s'assit un moment devant l'entrée de ce qui fut sa maison du bonheur, du temps où elle vivait avec Cruz Castillo. Un flot de souvenirs remonta à la surface; Eden se laissa gagner par cette douce torpeur qui ne demandait qu'à reprendre vie. Elle ferma les yeux et la présence et l'amour de Cruz reprirent possession des lieux.

Leurs rires francs et généreux résonnèrent entre les murs de bois. Eden et Cruz étaient allongés à même le sol, devant un feu de cheminée. Les yeux dans les yeux, Eden fixait Cruz, souhaitant graver à tout jamais cet instant dans sa mémoire. Les paroles de Cruz reprirent vie : Cette maison est la nôtre. C'est ici, que je veux vivre avec toi. C'est ici que je veux t'aimer, jour après jour, pour toute une vie. Je veux que cet endroit résonne de nos rires, de nos moments de plaisir, des cris de nos enfants. C'est là que je veux construire un avenir, que je veux graver des souvenirs, nos souvenirs. Oh, Eden, je t'aime. Bien au-delà de tout ce que tu peux imaginer. Je t'aime pour toujours.

Soudain, une violente vague de froid la terrassa : Cruz ne faisait plus partie de sa vie. Par sa faute. D'autres souvenirs reprirent vie : sa fuite en avant sur la falaise et sa fausse chute mortelle, mensonge monté de toute pièce pour lui faire croire à sa disparition.

- Cruz... J'ai tellement besoin de toi. J'ai toujours besoin de toi...

Déterminée, Eden se dirigea vers sa voiture et prit le téléphone portable dans son sac.

- Allô, Warren ? C'est Eden. J'ai besoin de vous parler et de vous remettre quelques documents pour votre article.

- Où pouvons-nous nous rencontrer ?

- Sur la plage, au 105 White sand lane.

Eden raccrocha et, en dépit de tous ses efforts, elle ne put empêcher ses larmes de couler.

 

Hôpital de Santa Barbara.

- Tiens, maman, prends un café.

Ted glissa doucement une tasse de café dans les mains de sa mère, de Kelly et de Bobby Ewing. Ils prirent place dans le salon qui servait de salle d'attente aux familles dans le service des urgences.

Sophia s'approcha de Bobby Ewing.

- Vous devriez rentrer et prendre un peu de repos, si vous avez passé toute la nuit ici.

- Vous savez, je ne voulais pas la laisser toute seule. C'est à son mari d'être ici...

- Je sais... Mais c'est plus compliqué que ce que vous pouvez imaginer...

- Vous savez, Madame Capwell, je peux comprendre. C'est aussi comme cela dans ma famille. On s'est toujours caché derrière la compagnie et les affaires... Croyant à tort que si on perdait la compagnie, la famille s'effondrerait, mais ce n'est pas vrai. A cause de ces stupides croyances, j'ai perdu une femme que j'aimais plus que tout... Mon frère et moi nous nous sommes déchirés au-delà de toutes limites...

Sophia étreignit Bobby dans ses bras, certaine qu'il avait raison.

- Je souhaite de toutes mes forces que votre belle-fille s'en sorte. Elle est sortie, il y a un petit moment, du bloc. Sa soeur, Augusta je crois, est actuellement avec elle.

 

Hôpital de Santa Barbara.

Augusta arpentait de long en large la sinistre chambre de l'hôpital où Julia luttait pour reprendre des forces, après la longue intervention qu'elle venait de subir.

Augusta, pour l'une des rares fois de sa vie, laissait passer sa propre personne au second plan : elle apparaissait en cet instant à peine coiffée, maquillée par les restes de la veille, et profondément affectée par l'état de santé de Julia.

- Oh, Julia il faut que tu t'en sortes. Tu n'as pas le droit de me laisser toute seule. Comment est-ce que je vais faire, moi, sans toi ? Depuis que nous sommes toutes petites, tu as toujours veillé sur moi... Je t'en supplie, Julia, j'ai besoin de toi...

Augusta s'arrêta un moment. Elle se savait capable de faire face à Minx et à ses colères, à Lionel et à ses liaisons, à Warren et à ses certitudes, à Channing et à ses intrigues, à Gina et à ses sombres combines, à Sophia et ses simagrées... Mais comment pourrait-elle faire face à l'absence de Julia ?

Certes, Augusta restait profondément égoïste, mais au-delà d'elle-même et de ses angoisses, elle éprouvait une réelle détresse, une réelle souffrance à voir Julia dans cet état. Et lorsque Sophia et les autres Capwell entrèrent dans la chambre, elle ne s'obligea pas à cacher ses larmes et ses angoisses.

Sophia, lentement s'approcha d'elle et la prit dans ses bras.

- Augusta, quoique vous pensez de moi, vous n'êtes pas seule. Je suis de tout coeur avec vous...

Augusta leva les yeux sur Sophia.

- J'ai si peur...

Après tant d'années de luttes et de haine, Augusta acceptait la trêve de Sophia et Lockridge et Capwell unirent leurs prières.

 

Restaurant le Johnny's.

Après une ballade au bord de l'océan, les pas de Joe les amenèrent sur la jetée à proximité du restaurant le Johnny's. En voyant au devant l'enseigne bleu et rouge, Marisa frémit. Elle n'aimait pas cet endroit. Depuis l'explosion de Chez Buzz, l'ancien restaurant dans lequel sa fille Amy avait trouvé la mort, Marisa n'avait jamais remis le pied dans cet endroit. C'est à peine si elle osait s'en approcher.

Joe ressentit son trouble.

- Ce n'est rien de grave, mon chéri, juste un frisson...

Depuis qu'ils avaient quitté la villa Capwell, Marisa n'avait eu de cesse de parler et d'interroger Joe sur le passé, sur sa vie d'avant sa tragique disparition en 1985.

Bien sûr, Joe n'était pas dupe; il pouvait lire facilement en sa supposée mère. Au bout de quelques secondes, il avait compris qu'elle le soumettait à un interrogatoire dans toutes les règles. Heureusement, pour le moment, il avait réussi à lui donner le change, même si parfois les sujets abordés étaient des plus intimes, et les différents informations qu'il avait glanées ici et là ne pouvaient pas toujours répondre à ses questions.

Joe s'arrêta et prit Marisa dans ses bras.

- Bien sûr, maman, il y a des souvenirs que j'ai oubliés, des instants de nos vies dont ma mémoire a gardé la trace, et je comprends que cela te perturbe, que cela éveille des doutes en toi... Mais je peux te promettre, maman, que c'est bien moi. Je suis bien ton Joe, ton petit Joe à toi... Les médecins m'ont prévenu : c'est en raison des médicaments. Mais au fond de moi, je voudrais que tu en sois certaine, je suis Joe, un peu différent certes, mais je suis bien ton Joe...

- Je sais, mon petit...

Marisa ferma les yeux, et essaya de toutes ses forces de chasser ses doutes quant à la véritable identité de son fils. Marisa sonda son coeur de mère, puisant au plus profond d'elle-même cette essence, ce lien qui unissait une mère à son enfant. Et ce lien, elle ne le trouvait pas. Où du moins, il était rompu, cassé... Elle le savait. Elle en avait l'intime certitude. Cet homme-là n'était pas son Joe. Il lui fallait le prouver.

- Allez, fini les questions, je t'invite à prendre un verre. Si tu promets de ne plus me parler du passé. On a tout un avenir à construire... Je veux reprendre ma vie là où je le l'ai laissée... Avec ma Kelly. Avec toi. Avec ma famille...

Ils montèrent les quelques marches de bois pour accéder à la jetée. Marisa marqua une pause, les yeux rivés sur l'enseigne. Les terribles souvenirs du passé remontaient à la surface : le visage d'Amy, la souffrance d'une autre disparition au sein de la famille Perkins, après John, Joe...

- Tu viens ? Quelque chose ne va pas ?

- C'est... C'est... Je pense que tu sais pourquoi...

Joe dévisagea sa mère. Visiblement, il ne comprenait pas les réticences de sa mère.

- Non. C'est juste un restaurant...

Une vague de froid s'infiltra par chacun des pores de la peau de Marisa. Angoisse et horreur se mélangeaient dans son esprit. Mais une évidence se dessinait dans le coeur et l'esprit de Marisa : Joe n'était pas son fils... Comment ce frère aimant pouvait avoir occulté la mort de sa soeur ? Combien de médicaments pouvaient avoir raison de sa mémoire ?

Tous les muscles de Marisa se tendirent. Et elle se força à accepter le contact de cet intrus sur sa peau.

 

Sénat des Etats-Unis, Washington.

Channing Creighton Capwell descendait en courant les escaliers du Sénat. La colère se lisait sur son visage : il n'était pas homme habitué à ce qu'on lui dise non. Les paroles des derniers sénateurs qu'il venait de voir se répétaient sans cesse dans sa tête. Personne ne voulait appuyer sa demande pour annuler l'ordre de la dernière commission : dissoudre à tout jamais les Entreprises Capwell et rendre possible l'utilisation du nom.

- Je n'ai pas dit mon dernier mot. Je n'ai pas encore commencé à me battre... Vous allez voir de quel bois je me chauffe...

Channing s'engouffra dans le taxi qui l'attendait en bas des marches, et ordonna au chauffeur de le reconduire à son hôtel.

Channing s'engouffra dans le hall de son hôtel; il devait encore avoir une réunion avec Mason et Alexis Colby pour décider de nouvelles étapes dans son plan de reconquête des Entreprises Capwell. Il tomba rapidement sur Alexis, qui visiblement était déjà au courant du refus des sénateurs de les soutenir dans cette démarche.

- Triple C, il va falloir certainement songer plus sérieusement à mon plan... Il semblerait que cela soit la seule solution.

Channing ferma un instant les yeux; il ne se sentait pas encore prêt à franchir les barrières d'une certaine légalité.

- Je ne sais pas... Où est Mason ?

- Au bar.

Ils gagnèrent le bar de l'hôtel et, effectivement, ils tombèrent sur Mason, appuyé contre le comptoir, bouteille et verre de whisky juste devant lui.

- Mason !

C'est à peine s'il leva les yeux sur son père. Les ténèbres entouraient Mason et l'emprisonnaient dans des serres de plus en plus acérées.

- Mason, as-tu pu dresser une nouvelle liste de sénateurs qui seraient susceptibles de nous aider ? Je n'ai pas eu de réponses auprès de ceux que j'ai vus aujourd'hui.

- La liste ? Une liste ?

- Mason ! Tu es encore ivre, à ce que je vois ! Cela ne m'étonne pas venant de ta part ! Dès que la situation s'aggrave, on sait vers qui le grand avocat Mason Capwell trouve du réconfort !

Impassible, Mason, sans plus porter attention à son père, ajouta du whisky dans son verre.

- Ta liste... Je me souviens... Prendre des nouvelles de Julia, ma femme, qui est actuellement entre la vie et la mort... C'est ma priorité...

- Psssst...

Quel autre possibilité avait-il que de baisser les bras ?

Channing se détourna de Mason, lorsqu'Alexis posa sa main sur son bras.

- Passons à côté, Triple C. Je vous ferai part de ma liste... Je pourrai contacter rapidement les personnes qui pourront nous aider.

 

Restaurant le Johnny's.

Marisa choisit de rester sur le ponton de bois au lieu de pénétrer dans le restaurant. Contrairement à Brick, elle n'avait pas trouvé la force de pardonner à ces lieux, elle n'avait jamais eu suffisamment de force pour dépasser la détresse et la souffrance que lui renvoyait ce restaurant. Elle laissa l'inconnu passer commande. Au cours de ce laps de temps, elle concentra ses pensées pour trouver un moyen de révéler aux yeux de tous la supercherie.

Marisa, captivée par les flots, n'entendit pas Pearl approcher. Elle sursauta de peur et de surprise lorsqu'il lui posa la main sur l'épaule. Et c'est à peine s'ils avaient pu engager une conversation que Joe arriva. Prise au dépourvue, Marisa se chargea de faire les présentations. Le coeur de Pearl se resserra un peu : le retour à la vie de Joe l'éloignait davantage de conquérir un jour le coeur de Kelly Capwell.

Visiblement, ni Marisa, ni Joe ne voulaient faire perdurer la conversation sur cette résurrection : l'un comme l'autre ne voulait pas s'attarder sur des explications qu'ils n'avaient pas le coeur à donner. Visiblement, Pearl comprit ces non-dits et changea rapidement le sujet de la conversation.

- Je suis très surpris, Marisa, de vous voir ici ! J'imagine que le temps a joué son rôle et qu'aujourd'hui la peine est un peu moins forte.

Le regard de Joe passa tour à tour de sa mère à Pearl, cherchant dans l'échange de leurs regards des réponses. Marisa ne chercha pas à répondre et se détourna vers l'océan : «Si j'arrivais à l'éloigner un moment, je pourrais parler à Pearl. Je suis certaine qu'il me comprendrait.»

- Joe, pourrais-tu voir s'il n'y a pas des papiers à transmettre à Brick ? Je sais qu'il attend des documents importants.

Joe s'éloigna, sous le regard de Marisa

- Pearl, j'ai besoin d'aide. Passez ce soir m'inviter à manger, je vous raconterai tout... Mais n'en parlez pas à... à Joe.

Pearl acquiesça de la tête, tant une profonde détresse se lisait sur les traits de Marisa.

- Il n'y a rien. Le serveur m'a assuré que tout est parti dans la semaine pour le Canada.

- Je te remercie, Joe.

- Bon, il va falloir que je vous laisse, il me faut aller travailler. A bientôt. Je suis vraiment heureux pour vous de ce retour. Mes amitiés à Kelly.

- Cela sera fait.

Pearl serra chaleureusement la main de Joe et embrassa doucement Marisa tout en lui glissant à l'oreille :

- A ce soir...

Pearl pénétra dans le restaurant, laissant Joe et Marisa.

- Est-ce que je suis censé le connaître ? Car je n'ai aucun souvenir de lui.

- Non. Vos routes ne se sont jamais croisées. Il a aidé Kelly lors de...

- Tu peux tout me dire, maman.

Marisa ferma les yeux : comment lui parler de Dylan Hartley ?

- Elle a été harcelée par un homme, il y a longtemps, et elle a été placée quelques temps dans un sanatorium. Peux-tu me raccompagner ? Je suis fatiguée, Joe, je voudrais me reposer un moment.

 

Washington Court Hotel, Washington.

Alexis Colby attrapa C.C. par le bras et le mena, presque de force, vers le jardin d'hiver de l'hôtel. Ils prirent place au centre du jardin d'hiver. Alexis était visiblement heureuse d'être le centre des attentions de cet hôtel, où se croisaient politiciens et hommes d'affaires.

- Ne fais pas cette tête-là. Si Mason préfère un peu d'alcool à notre compagnie, que grand bien lui face. Nous, nous avons d'autres choses à faire...

Tout en lui parlant, elle fit courir sa main sur l'avant-bras de Channing Capwell.

- J'ai moi aussi un fils qui se comporte comme Mason... Il s'appelle Adam... Mais je sais qu'au moment de l'ultime confrontation, il sera de mon côté. Tout comme je reste persuadée que Mason saura choisir son camp.

Channing lança un regard de glace à Alexis.

- Mason n'est pas comme cela... Mais là n'est pas le problème, Alexis. Oublions cela. Nous ne sommes pas ici pour parler de Mason.

- Très bien.

Alexis arrangea ses cheveux bruns, puis déposa sur la table un dossier de plusieurs pages.

- Triple C, voici ce qui me semble la meilleure solution. Tu sais, je connais plusieurs personnes qui sont prêtes à m'aider.

- Alexis, je ne veux pas de choses illégales... Il existe des barrières que je ne veux pas...

- Teu Teu Teu... Voyons, Triple C, il faut vivre dangereusement. Mais il n'y a rien de terrible là-dedans. J'ai déjà pris contact avec le sénateur Fallmont. Avec la sénatrice Donna Culver. Ils se chargent de faire pression de l'intérieur au Sénat pour que la commission revienne sur sa décision. Connaissant Brett Fallmont, je peux t'assurer qu'il n'aura pas relâche dans ses attaques.

Channing prit le dossier et commença à s'intéresser aux détails du plan d'Alexis.

- En plus, j'ai mis un de mes meilleurs détectives, B.D. Calhoun, pour découvrir ce que Pamela sait sur les quatre sénateurs. Quoiqu'elle ait entre les mains, nous parviendrons à le découvrir et à les faire changer d'avis...

Tout en parlant, Alexis fit signe à un serveur de leur apporter du champagne.

- Allez, laisse-moi m'occuper de toute l'organisation de cette aventure... De plus, il vaut mieux que ton nom ne soit pas lié à ce... ce qui figure dans ces papiers...

- Très bien. Alors je vais retourner à Santa Barbara, puisque tu t'occupes de tout.

- Pourquoi précipiter ce départ... J'ai une très grande suite là-haut... Nous pourrions l'occuper avec plus... d'extravagance !!

 

Hôpital de Santa Barbara.

Arthur Donnelly traversa avec difficulté le hall des urgences, encombré une fois n'est pas coutume par de nombreux journalistes. Il gagna seul la zone réservée aux familles, et rejoignit les membres des familles Capwell et Lockridge présents.

- Bonjour à tous.

Arthur semblait concentrer son attention sur Sophia. Naturellement le silence se fit, et ce très vite très pesant.

- J'ai plusieurs nouvelles pour vous. D'abord, et je peux vous dire que c'est une bonne nouvelle, Julia vient de sortir du coma.

- Merci, Seigneur...

Augusta se laissa tomber sur un des lourds fauteuils.

- Il est certain que les prochaines heures restent capitales, mais je reste intimement persuadé que le plus dur est derrière elle. Nous avons, au cours de l'intervention, ôté la balle et celle-ci n'a pas créé de sérieuses lésions. Après un long repos, elle redeviendra la jeune femme dynamique qu'elle a toujours été.

Tous les regards se concentrèrent sur Augusta et Warren Lockridge. Un profond soulagement s'abattit brusquement sur eux; on leur ôtait un poids immense.

A l'écart, Greg Hughes s'accrocha au sens propre du terme au dossier d'un fauteuil. Il le serrait si fort que ses articulations en devenaient blanches.

- Dans un moment, il vous sera possible de la voir. Juste un moment, pour ne pas la fatiguer. Vous pourrez revenir les prochains jours. Elle a besoin de beaucoup de repos.

Warren serra la main de sa mère, tandis que Sophia s'agenouilla devant elle.

- Je vous avais bien dit, Augusta, qu'elle était forte...

Ted, de son côté, posa une main amicale sur l'épaule du fils Lockridge.

- En ce qui concerne Daniel McBride, mon pronostic est incertain. Nous ne pouvons pas opérer du fait de la proximité de la balle avec la colonne vertébrale. De plus, à ce stade, nous ignorons encore les raisons de son coma. Je peux vous assurer que nous mettons tout en oeuvre pour lui offrir les soins les plus adaptés... Je ne sais pas qui est légalement le plus proche de lui, mais, bien que rien ne soit encore certain au stade actuel, il serait bon d'envisager un don d'organes. Je sais que c'est difficile, mais.. 

Greg ferma les yeux. Il ne voulait plus ni voir, ni entendre. Il voulait s'échapper de ce lieu de mort et de souffrance. Les mêmes mots prononcés par d'autres médecins, lors de la maladie de sa mère, résonnaient dans sa tête. Une brusque montée de chaleur le fit chanceler. Ted essaya de le retenir, mais Greg le repoussa.

- Non. Laissez-moi. Je n'ai pas besoin de vos bons sentiments. Nous n'en voulons pas. Ce n'est pas la peine de jouer... Vos prières étaient toutes pour Julia. Pas pour Daniel ou pour moi. Laissez-nous.

Les larmes coulaient sur le visage de Greg.

- Je n'ai pas besoin de cela en plus. Docteur, est-ce que je peux le voir ?

- Bien sûr.

Greg s'éloigna. Et à chacun de ses pas vers la chambre, il semblait porter de plus en plus de poids.

Ted essaya à nouveau d'aller vers lui, mais Sophia le retint.

- Accorde-leur un moment. Ils ont besoin d'être un peu seuls.

Warren embrassa Augusta.

- Dis à Julia que je l'aime et que je pense à elle.

- Tu ne viens pas la voir ?

- Non, j'ai un rendez-vous urgent...

Augusta se leva, telle une reine, et accorda un regard à Sophia, puis à Bobby Ewing.

- Je vais voir Julia, lui dire que vous pensez bien à elle...

 

Maison au bord de la plage.

Assise dans sa voiture de location, Eden Capwell Castillo ne parvenait pas à détacher son regard de l'ancienne maison qui avait abrité ses amours avec Cruz Castillo.

Elle en avait fait à nouveau le tour, caressé le bois, frôlé les vitres. Le temps n'avait rien transformé ni dans sa mémoire, ni dans la maison. La moindre petite parcelle de bois conservait les souvenirs de l'amour qui avait vécu en ce lieu.

Eden finit par sortir de sa voiture et elle alla s'asseoir sur la balancelle devant sa maison.

Quelques minutes plus tard, elle vit Warren Lockridge qui s'approchait.

- Je vous remercie d'être venu, Warren. Vous avez des nouvelles de Julia ?

Warren lui raconta les dernières nouvelles en provenance de l'hôpital.

Un long silence s'interposa entre eux. Depuis le retour d'Eden, celui de 1984, Eden et Warren n'avaient que très rarement partagé des moments ensemble. L'un comme l'autre étaient restés sur leur position : il était un Lockridge et elle une Capwell.

- Warren, je voulais vous remettre ceci. Il s'agit de documents mettant en évidence le complot de Pamela pour la prise de contrôle des Entreprises Capwell. Comme vous pourrez le lire, mon père et ma famille n'y sont pour rien.

- Si vous voulez que je prenne part au conflit entre Channing et Pamela, vous vous trompez, Eden.

- Non non... Je veux juste que l'on sache la vérité. Mon père n'agirait pas de la sorte. Jamais.

- Je ne suis pas certain que vous soyez objective, Eden, sur les agissements de votre père.

Warren prit place aux côtés d'Eden.

- Eden, je peux vous poser une question ? Pourquoi être revenue, si c'est pour repartir ce soir ?

- Il fallait que je revienne, pour ma famille. Je devais les aider et empêcher Pamela de prendre le contrôle sur la société. Vous savez, Warren, au début je faisais partie de son plan. Aujourd'hui, j'ai réussi à me détacher de mon double.

- Alors pourquoi repartir ?

- Parce que je ne suis pas guérie. Ce double, Lisa, qui me hante, est encore présent. Avant d'envisager de reprendre ma place, il faut que je sois certaine de m'être complètement libérée d'elle. Sinon, je ne sais quel drame pourrait naître de ce conflit. Je me souviens d'avoir essayé de tuer ma mère... Je ne peux pas faire courir de tels risques à ma famille. Je me dois de les protéger, même si pour cela je dois rester loin d'eux.

Warren observait Eden.

- Pourquoi croyez-vous, Warren, que je ne sois pas revenue plus tôt alors ? Pourquoi n'ai-je pas repris contact avec... Cruz, si ce n'est pour les protéger ?

- Qui essayez-vous de convaincre, Eden ? Moi ou vous ?

- Comment cela ?

- Et si on jouait franc jeu, Eden, pour une fois ? Après tout, nous nous connaissons depuis longtemps.

Eden détourna le regard vers l'océan.

- Warren, je ne vous demande pas de me juger ou de me comprendre, vous savez. Je veux juste apporter la preuve de l'innocence de ma famille et partir... pour finir de me soigner. Le reste ne regarde que moi !

- Vous savez, Eden, je ne vous aurais jamais cru lâche. Je crois que vous cherchez de fausses raisons à votre départ, pour la simple et bonne raison que vous avez peur.

- Je...

- Non, laissez-moi finir. Je crois vraiment, Eden, que vous avez peur. Qu'une partie de vous veut revenir, mais que comme vous n'êtes pas certaine que votre famille et que Cruz surtout trouvent la force de vous pardonner, vous préférez fuir... Sinon, pourquoi ce lieu de rendez-vous ici, dans la maison que Cruz vous a offerte ? Au fond de vous, vous espérez que je vous parle de lui, n'est-ce pas...

- Euh...

- Allez, Eden, pas de faux-semblants. Montrez-vous honnête pour une fois. Je suis peut-être votre seule chance de vous parler de Cruz...

Les traits d'Eden se tendirent, et la sensation d'être mise à nue lui mettait du rouge aux joues.

- Effectivement, Warren, qu'une partie de moi veut savoir comment il va !

- Ah, nous y voilà, Eden. Et bien à moi aussi d'être honnête... Je ne crois pas que vos intentions soient si bonnes. Il n'a que trop souffert après votre départ. Il n'a surtout pas compris les raisons qui vous ont fait le quitter. Il a mis si longtemps à s'en remettre. Aujourd'hui encore, je sais qu'il y pense... Que le manque est encore là. Que la blessure n'est pas cicatrisée... C'est pour cela que je ne vous parlerai pas de lui, Eden. Cachez-vous derrière de fausses excuses, de bons sentiments... C'est une vraie manie Capwell... Se sacrifier au nom des autres ! Mais regardez un peu autour de vous, Eden... Qui peut croire à ce grand sacrifice ? Non, personne ! Vous êtes trop égoïste pour penser aux autres ! Vous avez choisi d'abandonner Cruz il y a des années ! Alors restez sur cette ligne de conduite. Je ne vous laisserai pas lui faire à nouveau du mal. Retournez d'où vous venez et oubliez Santa Barbara... Allez porter la bonne parole dans une église, vous qui êtes si apte au sacrifice, mais laissez Cruz tranquille. La vérité, c'est qu'il vous aime encore, qu'il vous espère et qu'il en souffre jour après jour, nuit après nuit...

Warren se leva.

- Tenez Eden, je vous laisse votre dossier, je n'en parlerai pas dans le journal. Je ne voudrais pas avoir à mentir à Ted, lorsqu'il m'interrogera sur la façon dont j'ai obtenu ces informations. Car lui aussi, il souffre de votre absence ! Vous leur manquez, Eden Capwell, et si vous être trop égoïste pour vous en rendre compte, libre à vous.

- Assez, Warren. Vous me jugez et me condamnez sans comprendre. Que savez-vous de ma souffrance ? Du manque et de l'absence ? Vous êtes si suffisant à me parler de la souffrance de Cruz et des miens, mais la mienne ? Elle vous paraît si insignifiante ? Et pourtant, je peux jurer qu'il ne s'est pas passé une journée sans que je pense à eux, que je prie pour eux. Pensez-vous que mon coeur soit si dur, si fait de pierre, pour croire une seule seconde que j'ai pu me détourner et oublier complètement mon amour pour Cruz ? Non, c'est impossible. Il est en moi. Il fait partie intégrante de moi. C'est ma force de vivre. Il me fait vivre. Aujourd'hui, si je vais mieux, si je suis vivante, c'est grâce à cet amour... Quand je vous vois si prompt à me juger, Warren, je me demande ce que vous en savez, vous, de l'amour... Alors oui, je voulais avoir des nouvelles de Cruz et, à un moment, j'ai espéré, c'est vrai, que vous lui parliez un peu de moi... J'avais espéré savoir qu'il était vivant et qu'il ne m'avait pas oubliée... Est-ce inhumain, Warren ?

- Non, c'est vrai, Eden, ce n'est pas inhumain. Mais ce qu'il l'est, c'est de maintenir l'espoir... Car à l'évidence, à vos yeux, il n'y a plus d'Eden et Cruz... Et vous voulez que je sois le messager qui entretiendra chez Cruz l'espoir d'un possible. Je ne serai pas celui là, Eden, c'est tout. Quelque soit la raison de votre départ... Je ne peux pas faire ce mal à un ami.

- Alors, ne lui dites rien, si cela vous dérange ! Mais cela n'enlève rien à ma souffrance, croyez-moi. De tout coeur, Warren, je vous souhaite de ne jamais souffrir par amour, et de ne jamais avoir à abandonner ceux que vous aimez...

Eden ferma un moment les yeux, puis s'éloigna.

- Au revoir, Warren...

Warren la regarda s'éloigner, le corps encore empli de colère. Il aurait voulu empoigner cette femme, lui dire de rester, d'affronter ses démons plutôt que de les fuir, lui faire comprendre que sa famille n'espérait que son retour, tout comme Cruz qui ne cessait de souffrir à l'aimer pleinement.

 

Washington Court Hotel, Washington.

Mason quitta le bar, une bouteille de whisky à la main. Lentement, il se dirigea vers les ascenseurs et gagna la suite réservée par Alexis et son père.

Ses yeux gonflés par le manque de sommeil et par l'absence de larmes le faisaient souffrir. Il avançait comme un fou drogué par trop de tranquillisants.

Exténué, Mason n'avait plus de force. Il ne voulait plus baisser sa garde de peur de voir danser devant lui le souvenir conjugué de Julia et de Mary. L'une comme l'autre, elles l'avaient aimé au-delà de toute rationalité, et l'une comme l'autre elles lui avaient été enlevées.

Ses doigts s'accrochaient à la bouteille d'alcool, seule amarre solide en ce monde; amarre immuable, amarre capable de le maintenir à flot.

Lorsqu'il poussa la porte de la suite, il se retrouva nez à nez avec son père, le Channing Capwell des mauvais jours.

- Il ne reste plus assez d'alcool au bar, tu viens t'attaquer à celui de nos chambres ? Es-tu parvenu à oublier les raisons pour lesquelles nous sommes à Washington ?

- Père, il n'y a pas assez d'alcool en ce monde pour que je puisse oublier tes sordides raisons... Pour mon plus grand malheur, je me souviens encore de toi, de tes combats... Je pourrais boire tout l'alcool de la ville, jamais je ne pourrais oublier qui je suis...

- Et qui es-tu, Mason ?

- A vous de me le dire, maître des Entreprises Capwell...

- Mason ! Ton insolence...

- Bla Bla Bla... J'ai suffisamment entendu tes sermons pour les connaître par coeur... Tu sais, au fond, le drame de nos vies : c'est que jamais je ne serai Channing Junior...

Blessé, Channing se leva et se prépara à gifler son fils.

- Ne pourras-tu jamais cesser de te comparer à lui...

- Lorsque je cesserai de lire des reproches dans ton regard. Je le vois là, au plus profond des yeux de Channing Capwell. Le mépris qu'il a pour moi. Le mépris qu'il a pour ce fils qui l'a trahi... Ose être honnête au moins une fois dans ta vie ! Tu nous méprises tous les deux, mais je suis le seul à qui tu peux le dire, le seul à qui tu peux le reconnaître... Car jamais tu n'oserais salir le souvenir du grand, du magnifique Channing Junior, fils de Sophia et Lionel...

Mason s'agita et finit par tomber à la renverse dans le sofa blanc.

- Mon pauvre Mason... Je ne sais pas ce qui coule dans tes veines...

- De la rage et de la colère... Et une peine immense.

Channing s'éloigna de Mason pour gagner la baie vitrée qui dominait la ville.

- As-tu eu des nouvelles du Sénat ?

- Je te remercie de te soucier de ma femme ! Je ne sais toujours pas si Julia est sortie du coma. Je ne sais pas comment s'est passée la nuit de ma fille, de Samantha, en l'absence de ses parents ? Mais oui, j'ai des nouvelles du Sénat.

Tout en l'écoutant, C.C. faisait de son mieux pour contenir sa colère : ne voyait-il pas que lui aussi souffrait de cet éloignement : Sophia était en prison, Kelly livrée au retour de Joe Perkins, Eden de retour après un trop long silence... Mais s'il voulait sauver sa famille, il devait sauver la compagnie. C'est pour cela qu'il avait choisi de suivre Alexis et de partir à Washington. Pour sauver sa famille.

Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas les propos de son fils.

- Pardon, tu disais ?

- J'ai eu le sénateur Culver au téléphone. Les pleins pouvoirs sur les Entreprises Capwell te sont rendus. Une annonce sera faite dans la soirée par le ministre des affaires étrangères pour innocenter complètement les Entreprises Capwell de la catastrophe à Khareef. Tes avoirs te sont rendus et tes comptes débloqués.

- Et pour le nom ?

- Il ne t'est pas rendu.

- Pardon ?

- Il ne t'est pas rendu.

Mason hurla.

- La décision prise par le groupe des sénateurs est irrévocable. Personne ici, ni même le président, ne peut casser cette décision... Il est définitivement interdit pour nous tous d'utiliser à nouveau le nom Entreprises Capwell... Je peux te proposer la société Channing Channing...

C.C. n'écoutait déjà plus. La voix de son père résonnait dans ses oreilles. Il avait failli dans la sauvegarde de son héritage.

 

Restaurant La Mesa.

Isolés sous une des arcades, à une table isolée, Marisa Perkins et Pearl Bradford venaient de passer commande d'une copieuse salade mexicaine.

- Je crois sincèrement que je n'aurais jamais dû revenir à Santa Barbara. Tous ces lieux me parlent et me blessent comme par le passé. Le temps n'a rien effacé. Pearl, je n'en peux plus. J'ai perdu toutes mes forces à supporter le poids de l'absence des membres de ma  famille. Ce fut d'abord mon John qui est parti alors que nous venions de nous retrouver, que nous allions reformer à nouveau une famille. Puis ce fut mon Joe... L'espoir de toute une vie. Et enfin, ma douce Amy. Comment Dieu a-t-il pu me l'arracher... Je suis si lasse...

Pearl, tendrement, posa une main pleine de réconfort sur le bras de cette femme que la peine et les années n'avaient pas épargnée. Il lui accorda un peu de temps pour qu'elle parvienne à contenir le flot de souvenirs qui remontaient à la surface.

- Vous savez, c'est ici où Peter Flint, vous ne l'avez pas connu, sélectionnait ses victimes... C'est ici où il a faillit tuer Kelly... C'est dans notre ancienne maison qu'il a tué mon Joe. Et c'est sur la jetée, chez Buzz, qu'Amy a trouvé la mort pour une histoire de casino... Si vous saviez comme elle s'en moquait du Casino Capwell... Elle venait de donner naissance à Johnny et elle aimait Brick. Une vie s'offrait à eux...

- Il ne faut pas cesser d'espérer, de vouloir continuer sa route, de songer à demain. Vous avez encore Jade, et puis remerciez Dieu d'exaucer vos prières, votre Joe vous a été rendu.

- Oh, celui-là...

- Je ne comprends pas, Marisa... Je ne comprends pas, vous devriez être aux anges...

Marisa détourna le regard et s'octroya quelques secondes avant de confier le douloureux poids qui empoissonnait son coeur.

- Pearl, je suis certaine qu'il ne s'agit pas de mon Joe. Mon coeur de mère voudrait y croire, je vous le jure. Sincèrement. Mais ce n'est pas mon fils. Tout à l'heure, il ignorait même que c'est dans ce lieu avant le Johnny's que sa soeur a trouvé la mort...

Marisa, lentement, laissa couler sa détresse, et Pearl se montra d'une oreille attentive et compatissante. Elle lui confia ces doutes, toutes ces interrogations et bien sûr toutes ces impressions qu'elle avait su glaner ici et là au contact de celui qui se faisait appeler Joe Perkins; toutes ces impressions qui, mises bout à bout, devenaient des certitudes.

- Vous savez, Pearl, ce n'est pas pour moi que j'ai peur. Qui que puisse être cet homme, il n'a pas d'intérêt à me mentir, rien à y gagner, ni famille, ni gloire, ni argent. Comme vous l'avez si bien dit, je n'ai plus que Jade et quelques économies. Non, c'est pour Kelly que je tremble. J'ai peur que le passé remonte à la surface et nous fasse revivre de nouveaux drames.

- C'est certain que, vu sous cet angle, le portrait que vous dressez est monstrueux... Mais alors pourquoi prendre l'identité de Joe ? Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir à gagner...

- Moi aussi je me suis posé cette question. Voilà des jours que je n'en dors plus... L'argent, Pearl... Voilà la clé de l'énigme.

- L'argent ? Je doute que le montant de toutes vos économies vaillent la peine de monter cette arnaque. Vous êtes loin d'avoir les millions des... Capwell... Ce n'est pas votre argent qu'il cherche à voler, mais celui des Capwell. Et Kelly pouvait lui donner accès à l'argent Capwell ?...

Il s'écoula de longues minutes de silence : l'un et l'autre faisaient le point sur les conclusions qu'ils venaient de mettre à jour.

- Et que pouvons nous faire ?

- Trouver un moyen de le démasquer, de dévoiler au grand jour ses mensonges. Et protéger Kelly. C'est pour cela que j'ai besoin de vous, Pearl. Il ne vous connaît pas, et vous pouvez approcher Kelly pour faire en sorte qu'elle soit le moins possible seule avec lui.

- Ah, si Cruz était là ! Il saurait quoi faire... Mais je vais vous aider, Marisa. Pour Kelly et aussi pour vous.

Tout en mangeant, ils dressèrent une liste des points importants à vérifier pour le démasquer. Ils planifièrent aussi des rencontres fortuites pour que tous les jours, leur route croise celle de Kelly.

 

Reportage de Deana Kincaid, en direct de la Capwell Tower, Santa Barbara.

- Deana, attention, direct dans quatre, trois, deux, à toi...

- Bonsoir, chers amis. Je me trouve en ce moment-même devant l'entrée de la Capwell Tower, siège du pouvoir des ex-Entreprises Capwell, pour vous faire part de la nouvelle en provenance de Washington. Le sénateur David Culver, neveu de la sénatrice Donna Culver Krebbs, vient d'annuler partiellement la décision prise il y a peu, par une commission sénatoriale. Les Entreprises Capwell sont officiellement innocentées de la catastrophe écologique qui a frappé la ville de Khareef. Je vous rappelle qu'une marée noire est en train de souiller les côtes de cet Etat en raison de l'explosion de plusieurs pétroliers portant pavillon Capwell. Les comptes, les avoirs et les sociétés Capwell viennent d'être restitués à leur président Channing Capwell. Le seul point qui n'a pu être annulé est l'utilisation du nom Entreprises Capwell...

Assise derrière son bureau, Pamela balança la télécommande de la télévision à travers la pièce.

- Quelle bande d'incapables !

 

Aéroport de Santa Barbara.

Le bruit du moteur du jet privé qui s'avançait sur la piste surpassait tous les autres. La nuit était tombée. Au loin, Eden / Lisa pouvait deviner les lumières de la ville. En descendant du taxi, elle ne s'attarda pas à regarder le paysage et encore moins à songer aux vieux souvenirs.

Sans la moindre hésitation, elle prit sa valise et se dirigea vers le jet. Ses pas sur le tarmac battaient le sol au même rythme que les battements de son coeur.

Arrivée devant la passerelle, Eden / Lisa ne put s'empêcher de lancer un bref regarde derrière elle.

- Je reviendrai.... Un jour, je reviendrai, Lisa. Je te le promets. Santa Barbara est ma ville. Je suis chez moi. Et un jour, je rentrerai chez moi, et ma famille, les miens, et... et Cruz, je le sais, m'accueilleront les bras grands ouverts.

Eden / Lisa s'engouffra dans l'avion et prit place sur un des fauteuils en cuir. Pour la centième fois peut-être de la soirée, elle consulta son téléphone portable, à la recherche d'un message. Son téléphone était resté muet. Prenant son courage à deux mains, Eden composa un numéro. Après plusieurs sonneries, elle tomba sur une messagerie.

- Bonjour c'est Eden. Comme je n'ai pas eu de réponse de ta part, je voudrais te confirmer que je prends un vol à destination de l'Utah ce soir, et que j'aimerais que tu sois là à mon arrivée. J'ai besoin de toi, Cain. A nouveau. J'attends de tes nouvelles...

Certaine d'avoir fait le bon choix, Eden raccrocha.

 

Port de Santa Barbara.

La nuit régnait en maître absolu sur le port de la ville. Les rares personnes présentes le long de la jetée, du soûlard au mendiant, luttaient quotidiennement pour survivre, pour défendre ce bout de territoire qui leur appartenait, et ne se souciaient nullement de la petite embarcation qui approchait.

Les trois hommes à l'intérieur ne parlaient pas, et tandis que deux se concentraient sur la manoeuvre d'approche, le troisième homme laissait son regard se promener le long de la baie.

- Plutôt que de regarder la vue, tu ne pourrais pas nous aider ? D'autant que tu connais bien la ville, à ce qu'il parait !

Danny Andrade détourna la tête, et aida ses compagnons à faire glisser sans bruit et le plus rapidement possible l'embarcation au milieu des bateaux amarrés.

- Bon, vous savez ce que vous avez à faire. Danny, toi qui connais si bien la région, cela ne devrait pas être trop difficile.

Danny acquiesça de la tête.

- J'attends rapidement de vos nouvelles. Et essayez aussi d'en savoir un peu plus sur cette journaliste, B.J. Walker... Il n'aime pas trop que des inconnus viennent mettre leur nez dans ses affaires.

- Pas de soucis.

Danny sauta par-dessus le rebord du bateau. L'eau lui arrivait à la taille. Un des hommes fit de même. Tout en avançant dans l'océan, ils maintenaient de lourds sac au-dessus du niveau de l'eau.

Danny Andrade, pour le moment, repoussait les émotions suscitées par son retour en ville. Depuis combien de temps avait-il fuit la ville : quatre, cinq ans ? Il ne se souvenait pas précisément de la date. Son esprit ne conservait de son départ que le centre de désintoxication où ses parents l'avait fait enfermer.

Arrivé sur la terre ferme, Danny posa son sac et souffla un grand coup.

- Santa Barbara, nous revoilà... Je viens prendre ma revanche...

Chapitre 41