Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 4 : Résurrection

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En remerciement à Bridget et Jerome Dobson

Chambre de Julia Wainwright Capwell.

- Mary...

Dans la chambre de Julia à l'hôpital, après plusieurs jours de coma, ce seul mot déchire le silence.

- Mary...

Il résonne comme une bombe, entre ces murs sans vie qui enfermaient jusque là deux âmes souffrantes.

- Mary...

Il explose en mille couleurs, symbole d'espoir avec le retour à la vie de Julia Wainwright Capwell. Après plusieurs jours de coma suite à son tragique accident de voiture, elle renaît. Et c'est petit à petit qu'elle reprend conscience.

Face à elle, son mari a entendu son cri. C'est pour lui une souffrance sans nom qui s'abat sur lui, et aussi une joie sans limite qui renverse tout sur son passage.

- Vivante, elle est vivante...

Mason ne peut s'empêcher de murmurer. C'est sans combattre qu'il se laisse totalement gagné par la joie qui irradie tout son être.

- Vivante, elle est vivante...

Face au merveilleux spectacle de la résurrection de sa femme, Mason reste sans voix. Lui qui avait passé des jours et des jours, des nuits et des nuits, à prier pour qu'un tel miracle arrive, contemplait avec admiration sa réalisation. Julia lui était revenue. Dieu avait entendu ses prières. Il l'avait exaucé. Incapable de faire autrement, Mason se laissa aller à pleurer. Des larmes salvatrices s'écoulaient de ses yeux et roulaient sur ses joues. Mélange de culpabilité et de bonheur, elles libéraient un peu Mason de sa souffrance.

Julia s'agita à nouveau dans son lit. Tout autour d'elle, comme par magie, se faisait le silence. Les machines semblaient avoir pris conscience de leur nouvelle inutilité et se repliaient sur elles-mêmes et diminuaient d'intensité.

Mason ne pouvait ni s'empêcher de pleurer, ni détourner son regard de sa femme. Tout l'amour qu'il éprouvait pour Julia se lisait dans son regard. Il cherchait à lui donner de sa force, qu'elle se serve à son coeur, à son âme, qu'elle y boive tout son saoul. De joie, de fatigue, Mason tremblait. Plus que des tremblements, c'étaient de véritables convulsions qui l'agitaient. Car, en raison des tourments qui secouaient son âme, Mason se méprenait sur les mots prononcés par Julia. Il ne l'avait pas entendu prononcer le nom de son premier grand amour, mais «maudit». Et à présent que la joie de voir renaître Julia avait abaissé toutes les barrières, la culpabilité se propageait dans son sang. Il était maudit... Julia le maudissait. Elle revenait de son coma pour rendre justice : elle le maudissait. Elle le maudissait pour l'accident, pour la mort de leur enfant, elle le maudissait pour tout le mal qu'il lui avait fait.

Mason pâlit. Il recula contre le mur. Ces larmes avaient cessé de couler. Et maintenant une sueur froide coulait sur son front, sur sa colonne vertébrale. Ces tremblements s'estompèrent. Son cerveau reprit le dessus. Julia avait raison, elle avait raison de le maudire. Il ne semait que la mort partout où il passait. La mort et la souffrance. Du plus loin de son enfance, la même souffrance le suivait, l'accompagnait, plus fidèle qu'une ombre. Sa mère l'avait abandonné. Son père le repoussait. Son frère le méprisait. Et Mary était morte par sa faute. Et aujourd'hui... Aujourd'hui, il était responsable de la mort de son fils, du premier fils Capwell de sang. Et l'accident... cet accident survenu à cause de lui, à cause de son arrogance, de son orgueil blessé. Mason détourna le regard de Julia, il ne supportait plus de la voir.

- Mary...

A nouveau, dans un souffle, dans un murmure, Julia reprononça le nom de Mary DuVall.

«Maudit...» Mason porta ses mains à ses oreilles. Il ne supportait plus d'entendre cette sentence. Au passage, il renversa une bouteille de whisky, le seul ami qui l'avait accompagné pendant ces jours de veille. Elle s'écrasa avec fracas. Au même moment, Julia s'agita. C'était comme si elle reprochait à Mason sa dépendance.

Mason regarda les morceaux de verre. Ils résumaient si bien sa vie. Des éclats de verre, trop difficile à recoller les uns aux autres. Le silence se fit dans la chambre. Des souvenirs lui revinrent en mémoire : la naissance de Samantha, son mariage avec Gina, alors qu'il aimait Julia, sa liaison avec Cassandra... Tellement de souffrance. Tellement de blessures envers Julia.

Pour la première fois peut-être, Mason ressentait le poids de ses fautes. Culpabilité ou responsabilité, le nom n'avait que peu d'importance. Ce qui importait, c'était ce que Mason éprouvait. La souffrance se propageait rapidement. Mason chercha du regard le soutien de l'alcool. Il ne voyait plus d'autres bouteilles. Un terrible et violent besoin d'alcool se faisait sentir et prit possession de lui. Son regard fuyait Julia. Il ne pouvait pas soutenir son regard...

- Oh...Oh...

Julia lentement reprenait vie. Ses yeux s'entrouvraient doucement. Ses yeux, comme attirés par un aimant, se posèrent sur Mason.

- Mason...

Mason se terra un peu plus... Il n'en pouvait plus.

Alertée par les appareils, une infirmière frappa à la porte et entra.

- Bonjour.

- Bon... Bon... Bonjour.

Tétanisé, Mason ne parvenait pas à faire le moindre mouvement.

Le regard de l'infirmière se posa sur Julia.

- Bonjour, Julia...

Puis se posa sur la bouteille brisée. Son regard glaça Mason. Celui-ci prit peur et quitta précipitamment la chambre. Il s'enfuit en courant, buta dans le couloir contre un chariot. Il ne supportait plus cette chambre. Il ne supportait plus cet hôpital. Il ne supportait plus le regard accusateur de Julia. Et plus que tout, il ne se supportait plus. Il dérapa dans un couloir et chercha à gagner le parking, le plus vite possible.

Dans la chambre, l'infirmière s'approcha de Julia. Tendrement, elle lui toucha le front.

- Bon retour parmi nous, Julia...

 

Villa Lockridge.

Gina avait ouvert grand les volets et les fenêtres, pour inonder de soleil toutes les pièces de la villa. Elle, qui s'était promis de transformer chacune des pièces, de rendre enfin habitable cette maison, avait trouvé une nouvelle occupation. Pour le moment, Gina avait plus important à faire. Bien plus important. Depuis le décès de Minx, elle avait remué, fouillé renversé, mis sans dessus dessous la chambre de sa belle-mère. Et ce à plusieurs reprises. Et il en avait été de même pour son bureau, pour la bibliothèque, et pour son petit salon. Tous les appartements que Minx s'était réservés dans la villa n'avaient été épargnés par le cyclone Gina DeMott. C'est à peine si elle avait su attendre que le cercueil soit recouvert de terre, pour fureter à la recherche de documents et d'informations concernant Amanda Lockridge. 

Après les conseils de son détective Tom Patterson, elle s'était résignée à tenter par elle-même d'en apprendre davantage sur le passé de sa belle-famille. Et comme elle ne pouvait interroger directement son mari, Gina n'avait pas d'autres solutions que de passer à l'action.

Déçue de n'avoir vraiment rien trouvé de compromettant, Gina avait décidé de changer complètement son fusil d'épaule. Comme elle avait facilement découvert que Lionel avait, des années plus tôt, accusé les Capwell d'être responsables du naufrage de l'Amanda Lockridge, Gina avait opté pour cette option. Si Minx ne pouvait indirectement la conduire vers la vérité, elle se servirait des Capwell. Et puis, si jamais les Capwell étaient vraiment impliqués dans ce naufrage, Gina savait avec certitude que Channing préférait payer, même une fortune, plutôt que de voir souiller le nom de ces ancêtres.

C'est pour cette raison que sur le bureau, Gina avait réuni différents outils : de vieilles coupures de journaux, des gants, une paire de ciseaux et de la colle. Après avoir vérifié que Lionel avait quitté la villa, Gina ramassa son trésor dans un sac et gagna le cellier de la villa. Là, derrière une étagère, elle trouva sans problème une vieille porte en fer. Elle jeta rapidement un dernier coup d'oeil derrière elle et ouvrit la porte. Une forte odeur de renfermé lui monta alors aux narines. Cela devait bien faire 15 ans que personne n'avait osé pénétrer dans l'antre de la villa. Gina surmonta son dégoût et alluma la lampe de poche qu'elle tenait à la main. Elle s'avança et l'odeur se fit encore plus violente.

- Courage, Gina.... Ce n'est pas cette odeur qui va t'arrêter...

Gina continua d'avancer.

- Pense à tout l'argent qu'il y a à la clé...

Revigorée par la seule pensée des dollars, Gina continua d'avancer. Après quelques mètres, l'odeur se fit plus lointaine. Soit elle s'habituait, soit elle diminuait, en raison d'une entrée d'air. Effectivement, Gina sentit un courant d'air frais qui semblait provenir du plafond du tunnel.

Gina s'aventura plus avant dans la partie du tunnel qui reliait la résidence Lockridge à celle des Capwell. Bien que des années plus tôt, elle ait failli perdre la vie dans ce lugubre endroit, Gina n'avait pas peur. Elle se souvenait à peine de cette période. Elle venait juste de débarquer à Santa Barbara, et elle tentait alors de rentrer dans les bonnes grâces de Channing.

- C'est comme si la roue revenait presque à son point de départ... Cela ne me déplairait pas de redevenir une troisième fois Madame Channing Capwell.

Gina devait être avoir quitté la propriété de son mari et avançait sous la luxueuse villa Capwell. Après plusieurs minutes de marche, elle reconnu l'endroit de l'explosion grâce aux débris. C'est à peine si elle songea à Hank Judson qui trouva ici la mort; si elle songea aussi à la drogue qu'elle avalait à l'époque; si elle songea à Ted qui risqua sa vie pour la sauver. C'était le passé. Et cela n'avait plus aucune importance : Gina DeMott n'était plus cette petite secrétaire timide, elle était devenue Gina Capwell Lockridge, les seuls noms qu'elle voulait garder, les seuls qui lui ouvraient les portes de la haute société de Santa Barbara.

Gina finit par atteindre l'autre extrémité du tunnel. Derrière un lourd panneau de bois se tenait la pièce la plus importante de la villa Capwell : le bureau de Channing. Ici, c'était la bibliothèque qui masquait l'entré du tunnel. Gina hésita à pousser la lourde porte de bois. Elle imagina la tête de Channing s'il la savait de l'autre côté, à quelques pas de lui.

Gina se prit d'un fou rire.

- Coucou Channing, surprise ! !

En imaginant la tête de son ancien mari, Gina ne pu s'empêcher de rire.

- A coup sur, il pourrait me faire un arrêt cardiaque....

Après un moment, Gina fit demi-tour et choisit de s'installer dans un large recoin aménagé en pièce, ou plutôt en chambre de fortune. Gina songea que c'était ici que se retrouvaient en secret Channing Capwell Junior et son amant Lindsay Smith. A quelques mètres de Channing... A nouveau l'aspect cocasse de la situation la fit sourire. Et maintenant, il allait la protéger et il veillerait aussi sur le coffre de Minx.

Gina sortit une couverture épaisse qu'elle étendit à même le sol. Elle prit place après avoir étalé tout le contenu de son sac. D'abord, elle se passa une paire de gants de ménage. Elle prit ensuite un journal et commença à chercher un article qui l'intéressait. Dès qu'elle en trouva un où le nom Capwell apparaissait dans le titre, elle se mit à le découper. Elle fit de même avec plusieurs titres. Une fois qu'elle eu découpé tous les mots dont elle avait besoin, elle s'appliqua à les coller sur une feuille de papier noir.

Au bout de quelques minutes, elle admira son oeuvre.

- Et bien, je crois que c'est parfait. Il ne me reste plus qu'à voir sa réaction, et je saurais si je suis dans le vrai. Je donnerais cher pour être une mouche, et voir sa tête...

 

Cimetière de Santa Barbara.

A l'abri des rayons du soleil, sous le feuillage d'arbres centenaires, Lionel Lockridge se promenait dans les allées du cimetière de la ville. Depuis le décès de sa mère, survenu des jours plus tôt, il faisait de son mieux pour ne pas rester dans la villa familiale. Quelque chose s'était brisé. Il ne pouvait pas vraiment expliquer ce qui le dérangeait, mais il cherchait à fuir cette maison, sa maison. Depuis quelques jours, il passait le plus clair de son temps sur son voilier. Il n'y avait que là, en mer, qu'il parvenait à retrouver un sentiment de paix. Il ne s'était pas préparé au décès de sa mère. La nouvelle l'avait anéanti, tout comme apprendre que Warren n'était pas son fils de sang l'avait brisé. Au fond de son coeur, il restait une part de vide que personne ne pourrait combler.

Lionel marchait au hasard; il réfléchissait à la nouvelle excuse qu'il pourrait donner à son avocat pour repousser l'ouverture du testament de Minx. Il ne craignait pas d'apprendre qu'il n'héritait de rien, car il savait que l'état des finances des Lockridge n'était plus celui des années glorieuses, mais même aujourd'hui, sa famille comptait parmi les plus riches de la région. Car, à deux reprises, Lionel avait décalé son rendez-vous avec Mike Clayburn Junior. Et aujourd'hui encore, il ne se sentait pas suffisamment fort pour faire face à cet acte légal qui lui certifierait le décès de sa mère.

Comme à son habitude, Lionel était incapable de faire face à la réalité. Lui, l'archéologue, l'historien, préférait vivre dans un monde passé où il n'était que spectateur et où il n'avait pas à gérer la réalité et prendre des décisions.

Et tandis qu'il parcourait le cimetière, Lionel regardait de temps à autre des pierres tombales, s'intéressant aux particularités des unes et des autres. Avant de rejoindre la partie la plus ancienne, là où se trouvait le caveau de sa famille, Lionel errait à présent dans la partie la plus récente. Curieusement, il fut forcé de constater qu'il connaissait bons nombres de noms : Joseph Perkins, Amy, enterrés aux côtés de leur père John, décédé lors du tremblement de terre de 1984, Hayley Benson Capwell, tuée lors d'un stupide accident de voiture, Andrea Bedford, assassinée par le violeur à la vidéo... une sombre histoire de meurtres en série qui n'était pas sans rappeler celle du tueur aux oeillets blancs.

Lionel s'arrêta un instant. Tous ces noms, ces visages qui avaient traversé sa vie... et puis il y avait aussi ceux dont les corps ne reposaient pas ici, comme Caroline Wilson... L'âme en peine, Lionel continua sa route et gagna le caveau des Lockridge. De nombreuses générations de Lockridge reposaient ici. Ses parents : Minx et T. McDonald. Ses grands-parents : Horatio et Amanda. Et puis les générations d'avant. En tout cinq générations de Lockridge dormaient là. Tous ceux qui avaient fui l'Irlande pour s'installer sur cette terre, cette terre qui au fil du temps était devenue la leur. Il revient en tête à Lionel les récits héroïques de ses ancêtres que lui racontait parfois son père.

- Je ne suis malheureusement pas le Lockridge qu'il vous faut. Je n'ai pas ce courage qui vous caractérise tous... Je ne serais pas à la hauteur de la tâche qui m'incombe... Je ne pourrais jamais me battre comme vous, comme toi maman. Je n'ai pas cette rage au fond de moi. J'ai toujours vécu dans le passé, je me délectais des récits de jadis, quand notre famille avait fuit l'Irlande, du courage de ces hommes et de ces femmes... Mais moi, je n'ai pas cette force, cette envie-là...

Lionel ferma les yeux. Des images de jadis dansaient devant lui. Il se souvenait parfaitement de cette époque : les récits des aventures d'Horatio, comment il avait résisté à l'océan lors de ces voyages en mer, des histoires d'Amanda, sa belle et douce grand-mère que tout le monde considérait comme folle, de l'épopée de Duncan et Anna Lockridge lors de leur traversée de l'océan et du continent pour s'installer ici, à Santa Barbara.

Perdu dans ses rêves de temps lointain, Lionel n'entendit pas Sophia. Elle était venue comme presque tous les jours depuis le départ d'Eden, prier sur la tombe de Channing Junior.

Sophia s'approcha de Lionel. Ils s'étaient aimés à la folie. Ils s'étaient détestés allant jusqu'à des envies de meurtres. Ils s'étaient retrouvés des années plus tard, et aujourd'hui une sincère et solide amitié les unissait. Ils partageaient la même peine : la mort de leur enfant, Channing Junior, et la résurrection de son double, Brick Wallace.

Sophia posa sa main sur l'épaule de son ami.

- Bonjour Lionel.

- Ah, Sophia, je ne t'avais pas vu venir.

- Comment vas-tu ?

Lionel se tourna face à Sophia et plongea son regard dans le sien.

- J'essaye de faire face. De me dire qu'il ne faut pas que je m'apitoie sur moi. Mais c'est difficile.

- Je sais...

- Ce qu'il y a de pire, c'est la solitude. Je me retrouve seul à la villa. Totalement seul, et c'est cela qui me terrifie.

Sophia, en amie compréhensive, ne lui jeta aucune pierre quant à son mariage avec Gina. Les deux femmes se détestaient et, aujourd'hui encore, Sophia ne comprenait pas pourquoi Lionel avait décidé de valider leur mariage de comédie.

- Tu n'es pas seul, Lionel. Tu as tes enfants... Warren et Laken vont certainement bientôt revenir. Et puis je suis là, moi.

Tout en lui parlant, Sophia lui offrit l'un de ses plus beaux sourires.

- Je sais que tu es présente pour moi. Mais, je sais que tu as plein d'autres soucis en tête, surtout avec Channing...

Sophia leva les yeux au ciel, comme pour dire que ces problèmes avec Channing n'avaient aucune importance.

- Quant à Warren et Laken... Je n'ai pu prévenir que B.J. du décès de Minx. Warren est en Irak, et je n'ai toujours pas de nouvelles. Je crains qu'il ne lui soit arrivé quelque chose. Quant à Laken... Dieu seul sait où elle est partie. Je n'arrive plus à la comprendre. Je me souviens de la jeune fille qui aimait Ted et qui était si droite, si juste... Et après son départ de Santa Barbara, la femme qui est revenue m'est totalement étrangère...

- Ils reviendront, Lionel. Tu peux en être sûr. Tu dois en être certain. Ils reviennent toujours.

Un silence s'installa entre eux. Il n'était ni lourd ni pesant. Juste une communion entre eux. Car au fond d'eux, ils partageaient la même peine, la même angoisse sur la séparation d'avec leurs enfants. Sophia avait vu partir en quelques mois Eden dans un premier temps; puis Kelly et Ted. Elle restait seule aussi à attendre de leurs nouvelles. Ses enfants lui manquaient terriblement. Et comme Lionel, elle ne trouvait pas de soutien auprès de Channing. En fait, ils se rapprochaient parce que ni Gina ni Channing ne voulaient ou ne pouvaient voir et comprendre leur solitude, ce mal qui rongeait de l'intérieur leur coeur de père et de mère.

- Tu as eu des nouvelles de Brick récemment ? Je n'ai pas osé lui téléphoner pour lui apprendre le décès de sa grand... de Minx. Après ce qu'elle lui a fait, je pense que pour lui, la blessure n'est pas encore totalement cicatrisée.

- J'ai eu des nouvelles le mois dernier de Jane. Ils comptent prendre un peu des vacances et passer par Santa Barbara. Je sais que Jane aimerait aussi aller sur la tombe de sa mère et retrouver Alice à Chicago.

- S'il va bien, c'est le principal. C'est terrible de voir que de tous ses enfants, c'est celui qu'on connaît le moins je dirais presque, qui vous manque le plus. J'ai raté quelque chose avec Warren et Laken, et je ne voudrais pas le faire aussi avec Brick.

- Ne dis pas de bêtises, Lionel, tu n'as rien raté avec tes enfants. Ils ont juste envie de vivre leur vie.

- Oh, Sophia, ne le prend pas mal, mais l'absence a des torts que rien ne pourra jamais excuser ou remplacer. Je suis parti trop loin et trop longtemps loin d'eux. Ils m'ont remplacé, ils ont été obligés de faire face à mes absences. Et aujourd'hui, ils y font si bien face qu'ils n'ont plus besoin de moi.

- Ne dis pas cela, Lionel. Je suis sûre qu'ils pensent à toi. Warren, il a toujours été un peu distant, c'est normal c'est un homme... Et tu sais comment sont les hommes ? Quant à Laken, je crois qu'elle a besoin de se trouver, c'est tout. Là où ils sont, je suis certaine qu'ils pensent à toi et qu'ils t'aiment.

- Je l'espère...

Sophia détourna Lionel de la tombe de sa mère. Brusquement, Sophia réalisa que peut-être Lionel ignorait la grande nouvelle concernant Julia : elle était sortie du coma.

- Lionel, viens avec moi, j'ai une bonne nouvelle à te montrer.

Lionel restait le visage grave et fermé.

- Où veux-tu qu'on aille ?

- A l'hôpital ! !

- A l'hôpital ?

Oui, Julia est sortie du coma. Elle est vivante et elle est revenue.

- Merci mon Dieu...

Lionel se détendit un peu. Il était vraiment soulagé du retour à la vie de son ancienne belle-soeur, qui était devenue son amie.

- Merci mon Dieu...

Sophia et Lionel quittèrent le cimetière, inconscients que depuis des mois, un homme suivait chacun des déplacements de Sophia et la prenait en photos. L'homme, entièrement vêtu de noir, continua de tirer des photos. Il paraissait très content de lui. Il possédait maintenant de très nombreux clichés de Sophia : seule, en compagnie de Lionel, de Channing... Depuis plus d'un mois, il conservait ainsi une trace de tous ses déplacements et de toutes ses rencontres.

 

Villa Capwell.

Confortablement installé dans le fauteuil de cuir du bureau de sa villa, Channing Capwell terminait de consulter différents rapports relatifs aux différentes activités des Entreprises Capwell. Suite au scandale causé par l'important incendie, C.C. s'apprêtait à faire face à une éventuelle assemblée face à ses actionnaires.

La lumière du jour filtrait à peine par la large baie vitrée face à lui. Il avait baissé les stores, tant pour se protéger de la chaleur que pour se couper du monde extérieur. Depuis le scandale de l'incendie, Channing ne quittait sa propriété que pour se rendre au chevet de Julia, sa belle-fille. Comme au temps de son père, et du père de son père, c'est d'ici, de cette pièce, qu'étaient prises les décisions concenrnant l'avenir de la famille et de la société. Bien qu'il possédait un bureau en ville, Channing ne se sentait vraiment aux commandes de son navire qu'ici, au coeur même de la propriété de ses ancêtres.

Pour la énième fois depuis le début de l'après midi, Channing consulta sa montre. Il savait que le temps jouait contre lui. Il attendait avec impatience, et les gens qui le cotoyaient savaient qu'il détestait attendre, la venue de sa nouvelle collaboratrice, Pilar Alvarez. Afin de gagner du temps, il avait mis à sa disposition le jet privée de la société. Pilar Alvarez devait, dans la journée, arriver de San Fransisco et le conseiller dans la stratégie de défense contre les associations de protection de l'environnement.

C'est sur les conseils de son avocat, Daniel McBride, qu'il l'avait engagée. Mais, fidèle à sa réputation, Channing avait exigé qu'une enquête, la plus poussée possible, soit menée sur elle. D'ailleurs, le rapport tronait bien en vue sur un angle du bureau.

A nouveau, Channing consulta l'heure. Le temps s'écoulait et il n'avait toujours pas eu de nouvelles. Comme il replongeait dans l'étude de son dossier, la porte de son bureau s'ouvrit et une jeune femme s'avança. Channing se leva pour l'accueillir, tandis qu'elle rentra dans la pièce.

- Monsieur Capwell, bonjour, je suis Pilar Alvarez.

- Enchanté.

Channing invita d'un geste Pilar à avancer et lui tendit une main, qu'elle serra avec poigne et fermeté. Un dicton populaire voulait qu'on puisse juger un homme à sa poignée de main. Channing se dit que s'il en était de même pour les femmes, alors Pilar était bien comme on le lui avait décrit : ferme, forte et déterminée. D'ailleurs, elle ne paraissait nullement impressionnée par l'homme qu'elle avait face à elle.

- J'espère que vous avez fait un bon voyage ?

- Très bien. Et je vous remercie pour votre avion.

- Ne me remerciez pas, cela est normal. Si, comme je le pense, vous pouvez résoudre la crise que je traverse, cette ballade en avion ne sera que le début de tout ce que je pourrai faire pour vous.

Tout en parlant, Channing la jugeait du regard. Pilar semblait être de ces femmes issues de la Working Girl des années 80, mais qui avait su conserver une grande part de féminité en elle. Elle lui rappelait un petit peu son Eden : un subtil mélange de charme, de sensibilité et de détermination.

Pilar, dans un tailleur pantalon beige, se tenait bien droite face à Channing Capwell, n'hésitant pas à se présenter en égal avec lui. Bien qu'elle soit nettement plus petite que lui, elle ne se sentait pas écrasée par lui, ni par la taille physique, ni par le charisme du maître des lieux. Au contraire, c'est comme si elle se servait de lui pour se rendre plus forte.

- J'espère que vous avez pu jeter un coup au dossier que je vous ai fait parvenir.

Pilar s'arrêta une seconde et sortit plusieurs feuille du porte documents qu'elle tenait à la main.

- Effectivement…

- Avant de m'exposer vos idées, je vous en prie, installez-vous et parlez-moi un peu de vous. Je ne vous connais, en réalité, qu'à travers la présentation élogieuse de Daniel...

Channing s'installa dans son fauteuil, tandis que Pilar déposa les feuilles sur le bureau, avant de prendre place sur un des deux fauteuils face à Channing Capwell. Au moment où elle posa les documents sur le bureau, elle remarqua un dossier portant sur la première page son nom et sa photo. Elle ne cilla pas, bien qu'elle savait par expérience que des hommes tels que Channing Capwell menaient toujours une enquête approfondie sur leur futur collaborateur. Et, comme elle se passa une main sur le visage, elle croisa le regard de Channing et elle y trouva la preuve qu'il l'avait délibérement laissé là. Il voulait qu'elle le voit.

Pilar choisit de s'installer confortablement. Afin de venir en aide aux Entreprises Capwell, elle avait dû achever au plus vite les dossiers qu'elle gérait pour le compte du bureau du gouverneur. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait choisi d'accepter l'offre de Channing Capwell, elle qui d'ordinaire se dressait contre les entreprises, justement.

- Et bien, comme vous le savez certainement, je travaille actuellemnt pour le bureau du gouverneur, où j'ai en charge d'étudier les efforts faits par tous pour le respect de l'environnement. Diplomée de l'Université de Los Angeles, je n'ai pas vraiment quitté la Californie, terre qui a acceuilli il y a plusieurs années mes ancêtres. Je suis née ici et je sais que, pour certains, je ne suis qu'une femme hispano-américaine, utilisée par le gouverneur pour attirer des électeurs. Et contrairement à ce que pensent mes détracteurs, je ne suis ni une marionette, ni un faire valoir du gouverneur...

Pilar arrangea la veste de son tailleur avant de poursuivre.

- Depuis mon entrée dans l'équipe du gouverneur, j'ai mené de nombreux procès contre diverses sociétés et, au jour d'aujourd'hui, sur les neuf qui ont été jugés, j'en ai gagné sept. Et j'ai réussi à empêcher la municipalité de San Fransisco de construire sur une zone protégée. Contrairement aux assiociations écologistes, je sais faire la part des choses. Vous savez, il y a des années, j'ai empêché J.R. Ewing de forer à proximité de nos côtes. Je me suis ensuite attelé à l'assainissement du projet Point Lotus, où j'ai été sollicitée par l'équipe du gouverneur.

- J'ai appris cela. Et je dois reconnaître que votre combat et votre victoire contre J.R. Ewing force l'admiration...

- Merci.

Channing s'empara des feuilles déposées par Pilar Alvarez. Les informations que Channing avait réussies à glaner avaient toutes confirmé les propos de Daniel McBride. Et selon le gouverneur, si quelqu'un pouvait retourner les associations écologistes, c'était elle. Channing fixa son regard sur elle.

- Par contrre, l'affaire qui me préoccupe est totalement différente. Je serais curieux de connaître vos idées pour retourner à mon avantage le scandale qui souille mes entreprises.

Tout en parlant, Channing lisait les grandes lignes du projet de Pilar Alvarez.

- Détaillez-moi un peu votre projet, car cela me semble intéresant...

Pilar se redressa.

- J'ai longuement étudié les documents que vous m'avez fait parvenir. Le projet que je vous propose est double : en premier lieu, il faut effacer toutes responsabilités des Entreprises Capwell dans l'incendie. Ensuite, il faut que vous vous serviez de cette catastrophe écologique à votre avantage, en proposant tout de suite un projet de reconversion.

Pilar se leva et s'approcha de Channing, afin de montrer les différentes idées de son nouveau projet.

- Pour votre resposabilité, je laisse Daniel s'occuper de toute la partie légale. En ce qui concerne la reconversion du site, j'ai trois projets à vous proposer...

Captivé par les idées de Pilar Alvarez, Channing se mit à espérer qu'il pouvait sortir de cette impasse...

 

Hôpital de Santa Barbara.

L'aide soignante quitta la chambre de Julia. Elle venait de lui reprendre son repas. Depuis qu'elle avait réouvert les yeux, Julia Capwell reprenait vie avec rapidité. C'était comme si elle n'avait pas vraiment traversé plusieurs jours de coma. Personne à l'hôpital ne s'expliquait la rapidité d'une telle résurection. Physiquement, son corps avait effacé les blessures de l'accident. Moralement, son âme avait fait le deuil de la mort de son enfant. Et bien qu'elle avait accepté d'être suivie par un thérapeute, le secret de sa résurection restait inconnu.

Allongée sur son lit, Julia repensait à sa dernière conversation avec ses médecins. Elle avait accepté les entretiens avec un psychiatre, car elle sentait qu'elle en avait besoin, que son âme en avait besoin. Certes, elle avait fait le deuil de cet enfant, mais comment leur parler de ces rencontres avec Mary DuVall lors de son coma. Comment pourrait-elle leur raconter que Mary avait su panser son âme, sans passer pour une folle ? Mary était morte en 1986. Comment expliquer ces visions, cette paix qu'elle avait insflué dans son coprs et dans son âme ?

Julia se creusait l'esprit pour trouver une explication plausible à son retour, explication qu'elle pourrait offrir aux médecins, quand elle entendit plusieurs petits coups frappés contre sa porte.

- Entrez !

La porte s'ouvra doucement, laissant apparaître Samantha. Elle tenait dans ses bras sa peluche préférée. Elle s'approcha très vite du lit de sa mère; après de longs jours de séparation, Samantha rayonnait littéralement à la vue de sa maman.

- Maman...

Julia se redressa sur son lit et tendit les bras vers sa petite fille. Samantha avait les yeux, le visage et les cheveux de sa mère. Par contre, elle avait hérité de Mason la force de son caractère, et surtout un sentiment d'abandon. Samantha ne supportait pas de ne pas avoir ses deux parents à ses côtés, et si jamais l'un des deux s'absentait trop longtemps, elle s'accusait d'être à l'origine de sa disparition. Ainsi, les jours qui suivirent l'accident furent terribles. Samantha se retrouva sans son père et sans sa mère. Et tous les soirs, alors qu'elle habitait avec Sophia, elle se reprochait d'être la cause de leur disparition : elle ne les aimait pas assez, elle n'était pas assez sage, elle était trop jalouse avec l'arrivée de ce petit frère ou de cette petite soeur.

C'est le coeur léger et apaisé qu'elle retrouva les bras de sa mère. Elle se blottit contre elle, avec toute la force de son amour. Samantha pleurait, riait à la fois, tellement heureuse de retrouver la chaleur de ces bras qui lui avaient été retirés pendant trop longtemps.

- Tiens maman, je t'ai apporté Harry pour qu'il te réconforte. Et puis je t'ai fait des dessins, pour quand tu te réveillerais. Dis, tu étais si fatiguée que tu as dormi pendant si longtemps...

Samantha harcelait sa mère de questions, trop de mots retenus se déversaient librement. Julia attrapa sa fille, l'assit à ses côtés sur son lit et lui caressa amoureusement les cheveux. Que c'est bon de retrouver ces bavardages d'enfants. Samantha continua, ne laissa jamais la possibilité à sa mère de répondre; elle avait tant de choses à lui dire, tant de moments d'absence à combler, de chaleur à retrouver.

Après de longues minutes de retrouvailles entre mère et fille, Julia remarqua le visage de Sophia derrière la porte. Elle lui fit signe d'entrer. Sophia s'avança, et avec elle apparut toute une rangée de visages connus, souriants, soulagés de la retrouver. Sophia s'avança donc la première, les yeux pleins de larmes. Puis venaient Gracie, Jenny McKay, sa remplaçante au travail, puis Channing, et enfin Lionel, son beau-frère, qui fermait la marche. Même si elle ne laissa rien paraître sur son visage, Julia remarqua avec tristesse et regret l'absence de Mason.

Ils se réunirent tous autour du lit, exprimant avec leur sourire la joie de la revoir vivante.

Lionel posa sur un meuble un immense bouquet de fleurs. Très vite, son parfum embauma la pièce, chassant les désagréables odeurs de l'hôpital. Ils échangèrent peu de mots, tant l'émotion était intense. Ils avaient craint le pire, prié pour son retour, pleuré l'enfant qu'elle ne mettrait pas au monde. Ils ne savaient pas vraiment quoi dire : se laisser aller à leur joie comme Samantha, ou offrir des épaules solides où Julia pourrait pleurer la mort de son bébé. Et bien sûr, ils ne savaient pas comment parler de l'absence de Mason. Depuis qu'ils avaient appris que Julia était sortie du coma, ils avaient tous fait leur maximum pour le retrouver : téléphoné au bureau, chez lui, inspecté tous les bars de la ville, cherché sur la plage... Mais personne, depuis son départ de l'hôpital, ne savait où il se trouvait.

Sophia fut la première à rompre le silence. Elle lui parla de Samantha qui avait été adorable pendant tout le temps qu'elle l'avait gardée et puis, petit à petit, les choses se firent naturellement. Et ils se laissèrent guidés par Julia, n'abordant pas les thèmes qu'elle ne souhaitait pas. Ils parlèrent d'espoir. D'espoir et d'avenir.

Discrètement, Sophia s'écarta du groupe. Elle devait s'absenter un moment, car elle avait rendez-vous, comme chaque année à cette période, avec le docteur Lassiter, son cancérologue.

Personne ne remarqua son départ. Elle se faufila rapidement hors de la chambre et s'engouffra dans un ascenseur. Elle ne connaissait que trop bien cet endroit, car elle y allait tous les ans depuis 1986. Sophia se refusa à se laisser gagner par le doute. Après tout, la journée était belle, Dieu leur avait rendu Julia en parfaite santé. Elle quitta l'ascenseur et se rendit dans le bureau du docteur.

- Entrez Madame Capwell, le docteur Lassiter arrive.

- Merci, mademoiselle.

Obéissant aux conseils de l'infirmière, Sophia rentra. Elle n'eut pas le temps d'attendre, car tout de suite après elle, le docteur Lassiter entra à son tour. Il serra chaleureusement la main de Sophia, et lui fit signe de s'asseoir. Sophia le regarda dans les yeux, elle cherchait des indices quant à ses résultats. Le docteur Lassiter, médecin chef du service d'oncologie de l'hôpital de Santa Barbara, était de ces hommes entièrement dévoués à l'hôpital et à ses malades. En dépit de la difficulté de son métier, il conservait toujours une bonne humeur, qu'il essayait de transmettre à ses malades.

- J'ai appris pour votre belle-fille, Madame Capwell. Vous devez être soulagée ?

- C'est une très grande joie que nous avons eue. Nous avons tant prié...

- Elle a eu je pense de la chance, mais aussi je suis certain que son envie de se battre, de retrouver sa famille, a été la plus forte.

- Julia, oui, est une battante.

Un silence s'abattit dans le bureau. Mais très vite, le docteur Lassiter s'approcha de Sophia et prit place sur le fauteuil à ses côtés. Il reprit sans cesser de la regarder et de lui sourire.

- Je viens d'avoir les derniers résultats de vos examens.

Il ouvrit le dossier médical de Sophia et, sans le regarder, il continua :

- Les dernières analyses montrent une légère reprise de votre cancer.

Sophia pâlit. A nouveau le pire s'abattait sur elle. Toujours alors qu'elle se sentait faible. A chaque fois, elle n'avait pas Channing à ses côtés. Très vite, elle se ressaisit. Sophia, au fond d'elle, le savait. Elle avait ressenti, deux mois plus tôt, comme des signes avant coureur de la réapparition de la tumeur. Comme si elle l'avait senti en elle se réveiller.

Le docteur Lassiter remarqua tout de suite son trouble et il lui posa une main sur la sienne.

- Rien de grave pour le moment. Il est trop tôt pour le dire. Vous savez comment nous sommes, il nous faudra faire d'autres analyses. Madame Capwell, depuis toutes ces années, vous me connaissez bien. Je ne veux pas vous mentir.

Sophia approuva de la tête. En effet, il ne lui avait jamais rien caché de la maladie.

- Il est encore trop tôt pour se prononcer. Aujourd'hui, je peux juste vous dire qu'en 1986, on avait pensé détruire toute la tumeur, mais ce n'était pas le cas. Une partie s'était mise en dormance, et elle vient de se réveiller. Il faudra la suivre régulièrement pour juger de sa virulence. Il se peut qu'elle ne se développe pas. Peut-être qu'il faudra reprendre les rayons. Mais on verra cela en temps voulu, et nous prendrons ensemble la décision du combat à mener.

Sophia tremblait légèrement. Le cancer, son cancer était revenu. Et avec lui toutes les angoisses vieilles de près de dix ans : rayons, chimiothérapie, ablation... Sophia se laissa aller à verser quelques larmes.

Le docteur Lassiter posa une main sur son épaule.

- Vous devriez en parler avec votre mari ou vos amis. Il ne faut jamais être seule. Une grande partie de la guérison face au cancer passe par l'entourage... Regardez votre belle-fille, elle se savait aimée et entourée, c'est pour cela qu'elle est revenue...

Sophia se leva. Elle avait retrouvé ses forces. Elle devait vite retourner auprès de Julia pour que personne ne remarque son absence. Après, elle aurait tout le temps de pleurer, de se laisser aller, de songer au pire.

- Merci Docteur. Je vous rappelle pour les dates des examens.

Sophia s'enfuit plus qu'elle ne quitta le bureau. Elle courut dans les escaliers pour rejoindre la chambre de Julia. Elle voulait aller vite, retrouver les autres et ne plus avoir à penser à son cancer, à sa future souffrance...

Lorsqu'elle arriva, elle trouva Lionel devant la porte. Il discutait avec une infirmière. Celle-ci lui expliquait qu'elle avait bien joint le journal de Warren, mais que pour le moment, personne n'avait eu de ses nouvelles. La solitude s'abattit à nouveau sur Lionel. Une certaine absence de vie trahissait son désarroi. Warren lui manquait, et il craignait le pire pour lui. Depuis la mort de sa mère, il tremblait plus que d'habitude pour lui.

Lionel remarqua alors Sophia qui revenait. Il n'aurait su expliquer son geste, mais il vit sur son visage qu'elle avait besoin de lui. Un peu comme si elle lui lançait un appel, un appel déguisé. Lionel remercia l'infirmière et tendit les bras vers Sophia. Elle s'y engouffra, et s'abandonna contre le corps de son ami. Elle se laissa aller complètement, même si elle ne versa pas la moindre larme. Il la conduisit à l'écart.

Lionel tenait toujours contre lui le corps de Sophia, elle semblait si fragile. Il lui accorda tout le temps dont elle avait besoin pour récupérer. Après plusieurs minutes, elle donna l'impression de se calmer. Elle se dégagea de Lionel.

- Qu'est ce qui se passe Sophia ? Tu veux m'en parler...

- Non, je ne peux pas...

Lionel plongea ses yeux dans ceux de Sophia. Il essayait de percer les mystères de son départ, de cette soudaine crise.

- C'est Channing... Il ne comprendra jamais rien celui-là. Ne me dis pas qu'il s'imagine encore que nous sommes amants.

Lionel esquissa le début d'un sourire.

- Non, Channing n'a rien à voir..

- Alors, ce ne peut pas être grave. Vous êtes faits l'un pour l'autre et vous allez vous retrouver... Je le sais.

- Je ne sais...

Sophia détourna le regard et elle chercha à s'éloigner de Lionel. Elle sentait qu'elle avait besoin de se confier. Mais elle ne voulait pas le faire tout de suite, elle voulait s'accorder un peu de temps. Lionel ne la laissa pas s'échapper.

- Non, tu ne vas pas partir sans rien me dire. Je suis ton ami, Sophia, tu sais que tu peux tout me dire.

- Je sais... Mais je ne peux pas. Pas maintenant.

- Sophia, tu peux me parler, je garderai le secret...

- Je sais...

Sophia se remit à pleurer. Elle avait besoin d'un ami, d'une épaule sur laquelle elle pourrait se reposer. Et puis, elle ne pouvait se défaire d'un malaise plus profond : s'il fallait aller jusqu'à l'ablation de son sein, elle craignait de ne plus être une femme, une femme séduisante.

- J'ai peur, Lionel.

- Peur ? Mais de quoi ? Si c'est au sujet de Channing, je peux aller lui parler.

- Non, non. Channing, n'a rien à voir. Il n'est au courant de rien et il doit le rester. Tu dois me le jurer, Lionel.

Face à la détermination de son regard, Lionel jura. Il retrouvait là la force de la femme qu'il avait connue et aimée.

- Tu ne dois rien lui dire, jamais. Je suis retournée voir le docteur Lassiter et il vient de m'apprendre que mon cancer n'avait pas disparu pendant toutes ces années. Il était en dormance et il vient de se réveiller.

Lionel pâlit. Jamais il ne se serait attendu à cela.

- On doit me refaire des analyses, mais je suis certaine qu'il me faudra recommencer les rayons et la chimiothérapie. J'ai peur Lionel, peur de...

Même si elle ne put pas lui parler de ses peurs, Lionel comprit l'ampleur de son désarroi et de sa souffrance. D'autant plus qu'il la savait seule, dans l'appartement qu'elle partageait avec son ancien mari, Ken Mathis.

Lionel prit rapidement une décision.

- Je comprends que tu ne veuilles pas t'installer avec Gina et moi à la villa. Mais comme tu ne peux pas rester seule, je te propose mon bateau.

- Ton bateau ?

- Oui Sophia, tu ne peux pas rester seule. Alors viens habiter sur mon bateau, je passerai te voir tous les jours. Je sais que tu aimes la mer, tu pourras pleinement en profiter.

- Je ne sais pas...

- Tu ne peux pas dire non, Sophia. Ma décision est prise. Tu pourras être seule, et surtout tu auras toujours quelqu'un qui prendra soin de toi. N'est-ce pas à cela que servent les amis ?

- D'accord.

Sophia accepta sans lutter, elle n'avait pas la force de se battre, et puis la solution que lui proposait Lionel lui convenait parfaitement. Elle quitterait enfin son appartement et pourrait ainsi tourner définitivement la page de Sophia Mathis,

Sophia étreignit Lionel et lui déposa un baiser sur la joue en signe d'amitié. Channing, qui les observait depuis un moment, sortit de ses gonds.

- Que c'est poignant. De belles retrouvailles.

- Channing ! !

Sophia se mit en colère.

- Channing, arrête !

- Quel beau tableau vous faites ! ! !

Lionel chercha à s'interposer. Il se précipita sur Channing. Les deux hommes se mesurèrent du regard.

- Vous me faites rire tous les deux. Après tant d'années, replonger ainsi dans les bras l'un de l'autre.

- Tu ne peux pas comprendre, Channing.

- Comprendre quoi, Sophia ? Que tu es attirée par les minables...

Lionel frappa d'un violent coup de poing Channing. Channing le lui rendit avec force et Lionel recula contre un fauteuil. Sophia se précipita auprès de Lionel.

- Va courir auprès de lui, Sophia...

Sophia lança un regard à glacer le sang à Channing.

- Vous me dégoûtez.

- Tais-toi, Channing, s'il te plait.

- Regarde-moi ce minable, Sophia. Mais regarde-le...

- Arrête, Channing.

- Laisse-le parler, Sophia. Il y a longtemps que ses insultes ne me touchent plus.

Lionel se redressa. Et il retint le bras de Sophia qui allait partir en guerre.

- Laisse-le, Sophia, c'est la jalousie...

- La jalousie, la jalousie. Mais comment Lionel, je pourrais être jaloux de vous. Vous êtes là toujours à courir après les miettes que je laisse. Au début, cela a été Sophia, puis ce fut Caroline... Il y a quelques temps, ce fut au tour de Gina, et maintenant à nouveau Sophia... Jaloux de vous, d'un raté... Jamais de la vie. Gardez-là, puisqu'elle vous plait tant.

Channing se détourna et partit.

Sophia s'écroula dans les bras de Lionel. Et avant même que Lionel ne prononce le moindre mot, elle répéta :

- Jamais il ne doit savoir, tu me l'as promis...

 

Baie de Monaco.

La France, en ce mois d'aôut 1993, connaissait un été chaud sans précédent. Et Monaco n'échappait pas à la régle. Une chaleur suffocante depuis le milieu du mois de juillet s'était installée sur la principauté. C'est à peine si des bains quotidiens parvenaient à rafraîchir les corps des habitants de la ville et des touristes. En ce milieu de matiné, le soleil, qui n'était pas encore à son zénith, frappait fort sur la baie. Et de nombreux privilégiés avait ainsi amarré leur bateau dans la baie.

Confortablement installée sur un sofa à l'intérieur de son yacht, une jeune femme blonde terminait de siroter sa limonade glacée. Elle tenait dans ses mains différents documents financiers. Depuis son réveil, elle les parcourait attentivement, prenant par moment quelques notes. Le temps s'était écoulé sans que vraiement elle ne s'en rende compte. Captivée par les documents, elle ne remarqua pas que l'ordinateur, posé sur la table basse devant elle, indiquait qu'elle avait reçu un e-mail. Les documents qui captaient toute son attention étaient relatifs à ses avoirs financiers et immobiliers. La liste des biens financiers comportaient de nombreuses lignes. Sa famille était une des plus riche de son pays : contrairement à de nombreuses illustres familles, la sienne parvenait à unir la fortune au prestige d'une longue lignée. Peu de monde aujourd'hui pouvait se valoriser d'un tel prestige. Surtout pas aux Etats-Unis, où il n'existait pas réellement de véritables passés de noblesses. Il ne s'agissait que pour la quasi-totalité de nouveaux riches. Alors qu'elle pouvait se prévaloir d'illustres ancêtres qui avaient pour certains accédé aux plus hautes sphères du pouvoir en Europe. Et aujourd'hui, c'était elle l'une des dernières repréentantes de cette famille, et elle se préparait à livrer bataille pour reprendre le titre dont on l'avait dépouillée.

Passé de longues minutes, elle jeta un bref coup d'oeil sur l'écran de son ordianteur. Elle regarda l'expéditeur de son mail et elle l'ouvrit sur le champ.

- Enfin des nouvelles de Santa Barbara.

Elle laissa tomber le dossier sur les coussins de cuir crème et se concentra sur son e-mail. Il s'agissait d'un message de Gianni. Celui-ci lui rendait officiel qu'il avait atteint l'objectif fixé des 20%.

- Très bien. Ce fut encore bien plus facile que prévu. Nous avons plusieurs jours d'avance sur le planning. Je vais donc pouvoir bientôt me rendre à Santa Barbara.

La jeune femme brune lissa une mèche de cheveux entre ses doists.

- Comme prévu, mon plan fonctionne à merveille.

Elle s'empara d'un nouveau dossier parmi une pile posée par terre à ses pieds. Elle sembla chercher un papier bien précis. Ses doigts couraient sur les divers documents, à la recherche de l'information. Après plusieurs pages, elle tomba sur celle qui l'intéressait : elle indiquait la date précise d'une assemblée générale de tous les actionnaires. La réunion était fixée au 17 aôut, soit dans une dizaine de jours.

- Cela me laisse largement le temps de me trouver un hôtel. Et de réunir d'autres fonds pour passer à l'offensive.

Consciente de la rapidité avec laquelle il lui fallait agir, elle répondit sans tarder à Gianni. D'abord pour le féliciter de ses résultats, ensuite pour lui donner l'ordre de lui réserver une suite dans un des meilleurs hôtels de la ville.

Tout en envoyant le mail, elle murmura :

- C'est maintenant la phase deux du plan qui commence.

La jeune femme reposa tous les documents autour d'elle. Elle les avait maintes et maintes fois vérifiés. Son plan ne comportait pas de failles. Son ennemie paraissait très affaibli, tant moralement que fiancièrement. Il lui serait facile de la battre.

Elle se leva et se resservit un verre de limonade. Bien que l'air conditionné fonctionnait sur le bateau, elle sentait la force de la chaleur. Revêtue d'un maillot de bain noir, qui découpait au mieux ses formes, et d'une sortie de bain de soie entièrement noire, elle s'était pourtant préparée à lui faire face. Elle monta cependant les marches qui menaient sur le pont. Elle avait soudain besoin de sentir l'air sur sa peau, dans ses poumons, même si celui-ci était à plus de 30°. Avant de franchir la porte de verre, elle s'empara d'un épais dossier rouge, portant en grosses lettres la mention PHOTOS.

Sur le pont, elle ne croisa aucun membre d'équipage. Elle exigeait toujours quand elle était sur son yacht ou dans l'une de ses villas, de croiser le moins souvent possible ses employés. Elle n'avait que trop souffert de la présence d'étrangers lors de son internant en institution catholique. Elle aimait être seule.

Seule sur le pont, elle fit voler ses cheveux longs dans la légère brise marine. Bien qu'aucun membre de sa famille n'ait jamais vraiment quitté le continent, elle aimait la mer, l'océan. Elle aimait naviguer, même seule, à la barre. De toute sa famille, elle était la seule à posséder cette particularité. C'était sans doute le prolongement du côté rebelle qu'elle avait hérité de sa mère.

Elle ne regarda pas le paysage qui s'offrait à elle. Elle avait tellement admiré Monaco qu'elle s'y était habitué. Elle aimait cette ville; à ses yeux de petite fille, c'était le seul endroit sur Terre où se cotoyaient luxe et noblesse. Une ville hors du temps, comme coupée du modernisme et de ses excès. Aujourd'hui, elle s'était rendue compte de ses erreurs. Monaco était comme Paris, Milan, New York... Rongée par les affaires, l'argent, l'excès de tout... Et cependant, elle aimait à y revenir; flâner dans les ruelles du rocher, assister à un opéra.

Elle choisit de s'asseoir sur un transat. Elle sortit des photos du dossier et les étala devant elle. Sur la quasi-totalité, on pouvait reconnaître la même femme : Sophia Capwell. Sophia à la sortie de l'hôpital. Sophia au cimetière. Sophia avec son ancien mari, Channing Capwell. Sophia avec son ancien amant, Lionel Lockridge. Sophia, au milieu de ces deux hommes...

- Comme dans le passé, tu es à nouveau prise au piège entre ces deux hommes... Moi aussi, je viens du passé... Et tout comme eux, je vais me battre pour reprendre mon bien.

Elle s'attarda longuement sur une photo de profil de Sophia. Elle la regarda attentivement. Les années ne l'avaient pas transformée. Elle retrouvait encore aujourd'hui les mêmes traits que portait la femme qu'elle avait connue, enfant. Ses yeux continuaient d'exprimer la même tristesse...

 

Villa Capwell.

Installés sous le belvédère de sa propriété, Channing Capwell et Pilar Alvarez continuaient de travailler à la conférence de presse qu'ils tiendraient dans quelques jours. Pilar détaillait les différents points à soulever pour faire face aux problèmes soulevés par les associations écologistes. La plus virulente était sans conteste la CEL : California Ecological League, association que Pilar avait elle-même présidée.

Alors qu'il lisait le rapport détaillé de ses propres experts, Channing fit une pause et regarda attentivement Pilar. La jeune femme flirtait avec la trentaine et possédait ce je ne sais quoi de charme et de charisme propre aux personnes d'origine hispanique. Il retrouvait chez elle de profondes similitudes avec Santana Andrade. Elles étaient de ces femmes prêtes à tout pour sortir de leur condition d'immigrés. A la différence que Pilar avait pour cela choisit la lutte. Bien qu'ayant lu un épais rapport sur elle, Channing s'imagina une partie de son enfance : cela avait du être difficile pour elle de prendre la route qu'elle s'était tracée. Après des études dans un lycée de la banlieu de San Fransisco, elle avait intégré l'Université de Los Angeles et pris des petits boulots çà et là dans l'administration. C'est là qu'elle avait opté pour l'écologie. Pour réussir, Channing était certain qu'elle s'était servie au mieux des quotas : politiquement c'était toujours un plus d'offrir une chance à des jeunes de banlieues difficiles. A la tête de la CEL, elle avait mené de grands combats et le plus souvent, elle avait obtenu gain de cause. Et surtout, dans chacune de ces luttes, elle avait su conduire l'opinion publique à pencher de son côté. Enfin, événement rare qui méritait d'être signalé, Pilar Alvarez, même lorsqu'elle travaillait pour le bureau du gouverneur, avait su rester indépendante, n'hésitant pas à aller contre la politique du bureau pour lequel elle travaillait. Pilar était de ces militantes convaincues.

Pilar s'arrêta de travailler une seconde et arrangea des méches rebelles de sa queue de cheval. Elle avait remarqué depuis un moment le regard de Channing fixé sur elle. Elle leva la tête et lui sourit.

- Je peux vous poser une question, Pilar ?

- Bien sûr.

- Pourquoi avez-vous accepté de m'aider dans ce combat ? Je sais que ce n'est pas pour l'argent, ni pour la grandeur du poste, car vous avez exigé en même temps de garder votre bureau dans l'équipe de gouverneur. Alors pourquoi ?

- Mais pour l'environnement, Monsieur Capwell.

- Je vous en prie, Pilar, vous pouvez m'appeler Channing. Nous allons être amenés, je pense, à travailler assez longtemps ensemble.

- Très bien, Channing. J'ai accepté pour plusieurs raisons, mais qui tournent toutes en fait autour de mon combat pour l'écologie. Vous êtes un homme puissant, Channing, surtout dans la région, et votre décision est souvent suivie par certains de vos collègues. Si j'arrive à vous faire, pour cette affaire, agir en fonction de l'environnement, j'aurais marqué des points. Et puis, tout le monde ici est au courant que Harold est votre poulain dans la course à la municipalité. Alors, peut-être que je pourrais aussi, avec votre aide, lui faire entrevoir l'interêt de cesser de délivrer des permis de construire le long de nos côtes, s'il est élu, bien entendu.

- Vous pensez vraiment que si je me préoccupe aujourd'hui d'écologie, d'autres industriels vont me suivre ?

- Pourquoi pas ? Il faut bien un début à tout. Regardez Channing, dans cet incendie vous avez failli perdre votre villa. Une grand partie de votre parc est détruite. Mais pire encore, sur des kilomètres et des kilomètres, nos côtes sont souillées, contaminées avec différents produits chimiques. Sans le savoir, vous être en train de vivre au bord d'une décharge publique... Je ne suis pas sûre que votre terrain, dans dix ans ait toujours autant de valeur... Et que vous continuerez d'habiter ici... Channing, qui souhaite vraiment vivre au bord d'une poubelle... Aussi belle que soit votre vlla, elle n'en reste pas moins une poubelle...

Channing approuva du regard. Pilar lui plaisait : elle voyait bien, et surtout elle savait trouver les mots pour délivrer son message.

- Vous avez raison, Pilar. Mais, pour cette catastrophe-là, je vous jure que je n'y suis pour rien. Je peux vous promettre que je ne cherchais pas à construire un hôtel ou forer si près de ma villa.

- Je l'imagine, Channing, maintenant que j'ai pu consulter vos dossiers. Mais avec le recul, vous vous rendrez compte qu'en fin de course, la facture aurait été moins élevée si dès le début, vous aviez pris en compte le respect de la nature. Car, entre l'asssainisement du lieu et les frais de procès, votre combat va se chiffrer en millions de dollars.

Channing détourna la tête vers la partie de sa propriété ravagée par les flammes.

- Et cela aurait pu être pire, il y aurait pu avoir des pertes humaines...

Channing se taisait, en chef de file il n'aimait pas qu'on lui prouve ses erreurs. L'attaque était d'autant plus blessante qu'elle venait d'une femme. Channing conservait au fond de lui un immense égo qui acceptait difficilement d'être remis à sa place par une femme, aussi séduisante soit-elle.

Channing changea aussitôt de sujet de conversation.

- Vous avez réussi à avoir des informations sur le Général Bradford par votre ami à Washington ?

- Non. Personne ne sait où il se trouve. Il a été vu la dernière fois lors d'une réception à la Maison Blanche. Par contre, je sais que l'armée est en train de préparer une ligne de défense. Je ne sais pas comment, mais l'armée s'attend à ce que vous la rendiez responsable de l'incendie. Leur communiqué est déjà prêt.

- Comment peuvent-ils être au courant ?

- Mon ami ne le sait pas. Dans les couloirs de Washington, on parle beaucoup de vous. Et il n'est pas certain que vos appuis puissent vous venir en aide.

- C'est trop fort. J'ai prêté ces terrains à l'armée. C'est Michael Bradford lui-même qui est venu me le demander, au nom de nos longues années d'amitié. Bien sûr que j'ai accepté. Qui dans ma situation aurait pu refuser ? Qui ?

En colère, Chaning tapa du poing sur la table.

- Il m'a expliqué qu'ils avaient besoin de ces terrains pour des travaux secrets sur un nouveau bateau, ou un sous-marin, je ne sais plus...

Channing se leva.

- Vous savez, Pilar, cela ne va pas se passer comme cela. Je ne porterai pas le chapeau pour cette catastrophe. Que ce soit l'armée ou Michael le responsable, je m'en fiche. La seule chose que je veux, et je me battrais, c'est que le nom Capwell ne soit pas sali...

- Je vous comprends, et c'est bien ce pourquoi je suis là.

- Sans vouloir vous blesser, Pilar, votre job, pour moi, est de redorer mon blason et de trouver une solution qui va permettre d'assainir et d'utilier au mieux ces terrains. Votre projet est excellent, je vous l'affirme, mais il ne va en rien blanchir le nom des Capwell et de mes entreprises.

Channing regarda la jeune femme. Touchée par ses paroles, elle baissa la tête.

- Cela n'a rien à voir contre vous, Pilar. Je vous apprécie beaucoup et je suis reconnaissant de votre travail. Mais, si je puis dire, le plus dur reste à faire : se battre...

Channing s'interrompit, car Daniel McBride arrivait. Le jeune avocat s'approchait. Il avait quitté sa veste, sa cravate et défait les premiers boutons de sa chemise. Channing remarqua tout de suite la colère sur ses traits.

- Bonjour Channing. Pilar.

Rapidement ils se serrèrent la main. Et Daniel tendit à Channing, le dernier article de Deana Kincaid.

- Elle est au courant pour l'armée. Bien sûr, elle écrit qu'il s'agit de mensonges pour couvrir les erreurs des Entreprises Capwell, que vous chargez à vous débarasser de vos fautes et surtout que vous essayez de faire payer aux contribuables les frais d'assainissement.

- La garce ! !

Pilar prit l'article et entreprit de le lire attentivement.

- Quelqu'un épie chacun de nos actes, ou sait par avance tout ce que nous préparons.

- Channing, nous n'y sommes pour rien.

- Je sais Daniel. Cela vient d'ailleurs. Je connais la tactique de Deana : c'est d'écrire noir sur blanc des scandales, en se servant de bouts de vérités. Qui a pu lui parler de l'armée ? Michael ?

Pilar le stoppa dans se réfléxion.

- Son article est très bien détaillé, et d'après ce qu'elle dit, il est clair qu'elle a un contact haut placé. Et je retrouve aussi des informations connues de la CEL et des pompiers. Comment a-t-elle pu avoir accès aux rapports officiels, alors qu'ils n'ont pas été rendus publique ?

- Tout se paye ici, Pilar. Tout s'achète. Et le nom de Deana Kincaid doit ouvrir des portes, reste à savoir lesquelles...

Après avoir bu un verre de limonade bien fraîche, Daniel reprit.

- Channing, pour vous défendre, vous devez me donner les doubles des documents que vous avez signés avec le Général Bradford. Au début, je sais que vous comptiez qu'il s'excuse lui-même, mais aujourd'hui, il est trop tard. Il va falloir vous battre.

- Tu les auras Daniel. Ils ont été rédigés à l'époque par mon ancien avocat : Jack Stanfield Lee. Son cabinet n'existe plus maintenant, il a été racheté par Grainger et Benson. Je ferai en sorte qu'on te transmette les documents.

- Bien. J'aurais aussi besoin de votre accord pour engager officieusement des recherches sur le Général...

- Accordé. Il veut la guerre, il va l'avoir. Préparez tout pour la conférence de presse. Nous la tiendrons sur les lieux mêmes de l'incendie, sur la parcelle 44. Invitez Deana Kincaid, je me ferai un plaisir de répondre à ses questions... Je suis prêt à livrer bataille...

Channing s'éloigna, laissant seuls Pilar et Daniel.

- Tu penses qu'il va s'en sortir, Daniel ?

- Je le connais depuis peu, mais si on s'en tient à sa légende, il est fort, très fort...

- D'après toi, qui lui en veut autant ?

- A mon avis, le traitre c'est le Général, son ami... J'espère qu'il a les reins solides, car Channing aime se battre et surtout, il est prêt à tout lorsqu'on touche à sa famille ou sa société. Je me souviens, j'étais encore étudiant, de son combat contre Robert Barr...

 

Archives de Santa Barbara.

Après avoir fait le tour de plusieurs magasins de jouets pour calmer les pleurs incessants de son dernier fils, Creighton Capwell Lockridge, Gina retrouva un peu de sérénité. Cela faisait des heures et des heures qu'elle tournait dans la rue commerçante de la ville, à la recherche d'un objet magique capable de calmer son fils. Gina, bien qu'ayant eu un premier enfant, Brandon, ne savait pas s'y prendre avec les bébés. Leurs cris continus l'exaspéraient. Mais à présent, tout ceci était bien loin. Creighton venait enfin de s'endormir dans sa poussette. Et Gina pouvait maintenant passer au but réel de sa venue en ville. Obéissant aux conseils de son détective privé, elle se rendait aux archives de la ville, afin de consulter des documents sur le passé de la famille Lockridge.

Il lui tardait de connaître le fin mot de cette histoire et ainsi de percer à jour les secrets de Minx. Avant d'entrer dans le bâtiment de style colonial, Gina vérifia qu'elle avait bien l'appareil photo numérique au fond de son sac. Preuve à l'appui, elle n'aurait alors aucune difficulté à convaincre Tom Patterson de commencer ses recherches.

Et c'est en poussant sa poussette que Gina pénétra dans le bâtiment, heureuse de trouver un endroit climatisé. Elle gagna tout de suite l'accueil, ne se souciant pas de la file d'attente.

- Bonjour Mademoiselle, je suis Gina Capwell Lockridge et je souhaiterais avoir accès aux archives concernant ma famille.

- Excusez-moi, vous avez pris rendez-vous ?

- Vous ne m'avez pas bien comprise, Mademoiselle, je suis Madame Gina Capwell Lockridge.

Dubitative, la réceptioniste regardait sans rien comprendre le femme blonde face à elle.

Intérieurement, Gina enrageait : comment ne pouvait-on pas la reconnaître, elle qui à plusieurs reprises avait fait la une des journaux de la ville. Encore une nouvelle venue qui ne connaissait pas le nom des Capwell, ou celui des Lockridge, qui tel un sésame était capable d'ouvrir toutes les portes.

D'impatience, Gina faisait résonner ses ongles sur le bois du guichet. Perdue dans ses papiers, la réceptioniste rougissait et devenait incapable de faire le moindre geste.

- Mademoiselle, j'attends...

- Euh...

C'est alors que surgit à la rescousse de la jeune femme une dame d'origine hispanique, d'un certain âge, vêtue comme sa collègue de l'uniforme de la ville.

- Bonjour Madame, je suis Teresa Hidalgo, que puis-je faire pour vous ?

Sans se soucier de la standartiste, Gina se tourna vers la nouvelle venue.

- Je suis Gina Capwell Lockridge, et je souhaiterais consulter les archives relatives à ma famille, et votre employée ne semble même pas savoir qui je suis...

Rouge de honte, la jeune femme en question baissa la tête. Elle semblait chercher à se cacher le plus possible.

- Mais il n'y a pas de soucis Madame Lockridge. Je vais vous y conduire tout de suite.

- Merci. Il est quand même absolument impensable qu'on puisse ignorer une personne portant mon nom.

- Vous savez, il doit s'agir d'une nouvelle employée. Je vous prie de bien vouloir nous excuser.

Teresa Hidalgo, comme de nombreuses personnes à Santa Barbara, connaissait le nom Capwell ou Lockridge. Pour les habitants de la ville, il était synonyme de pouvoir et d'argent. Les deux familles habitaient au sud de la ville, sur les hauteurs, et jouissaient, de leur splendide villa, d'une vue imprenable sur la baie de Santa Barbara. Qui plus est, les frasques de leur vie quotidienne s'étalaient à la une de la presse locale et de la presse people. Qui, ici en ville, pouvait vraiment ignorer la vie des Capwell et celle de leurs rivaux les Lockridge ? Depuis la mort tragique de Channing Capwell Junior, en 1979, il ne se passait pas une semaine sans que leur nom soit à la une des journaux. Et en bonne lectrice de la presse people, Teresa Hidalgo n'ignorait rien du destin de Gina Blake DeMott Capwell Capwell Timmons Lockridge. Partie de rien, elle était devenue à plusieurs reprises l'épouse d'un milliardaire, et aujourd'hui sa vie, comme celle des stars hollywoodiennes, faisait rêver les petites filles de la ville.

Gina suivit Teresa dans les couloirs du bâtiment, tout en poussant la poussette de son fils.

- Je vais vous conduire aux archives. C'est deux niveaux en dessous de cet étage. Bien que vous n'ayez pas de rendez-vous, je crois que nos archivistes se feront un plaisir de répondre à toutes vos questions.

Gina ne prenait pas la peine de se souvenir du chemin, elle savait qu'on la raccompagnearait. Dans l'ascenseur qui les conduisait au niveau inférieur, Gina sentait le regard de Teresa posé sur elle : c'était à la fois un regard chargé de curiosité et un regard rempli d'admiration. Et dans le seul but de se faire remarquer, Gina prit un malin plaisir à jouer avec les différents bijoux qu'elle portait.

Une fois arrivé, Teresa resta dans l'ascenseur.

- C'est la porte au fond, face à vous. Nos archivistes, Jerome et Bridget Dobson, répondront à toutes vos questions.

- Bien.

Gina s'avança, prenant soin d'éviter les cartons posés sur le sol. Elle espérait que Creighton lui laisserait tout le temps de mener sa petite enquête. Il avait encore deux bonnes heures avant son prochain biberon.

Sans frapper, elle entra, laissa la porte ouverte et sa poussette juste à l'entrée.

- Bonjour. Que puis-je pour vous ?

Une femme s'approcha d'elle. Bridget Dobson s'avança vers Gina. Elle avait les cheveux blonds, le regard bleu. Tout de suite, les deux femmes se détestèrent et l'air de la pièce se chargea d'électricité.

- Bonjour. Je suis Gina Capwell Lockridge et je souhaiterais, pour les besoins d'un article, consulter d'anciens documents relatifs à ma famille.

- Très bien. A quelle époque désirez-vous, Madame Blake ?

Le ton de Bridget Dobson était sec et cassant, et c'est à l'évidence exprès qu'elle nomma Gina par son nom de jeune fille.

- Je m'appelle Capwell ou Lockridge...

Avant qu'elle puisse continuer, Bridget l'interrompit.

- Vous savez, ici nous préférons nommer tout le monde par leur nom de jeune fille. Il me semble que le vôtre c'est Blake, non ?

Gina acquiesça de la tête.

- Vous savez Madame Blake, c'est le seul nom qu'une femme garde. Un mariage ça va, ça vient... Et il y a toujours le divorce.

Gina accusa le coup des allusions sans rien dire. Elle avait pour le moment besoin d'elle, après elle se promit de s'occuper de son cas. Alors elle pouvait l'appeler Blake aussi longtemps que cela lui faisait plaisir.

- Je voudrais en connaître plus sur le passé de ma famille.

- Laquelle ? Les DeMott ? Les Capwell ? ou les Lockridge ?

Gina ravala sa salive et sa colère. Nul doute qu'elle le faisait exprès.

- Et bien, tout ce qui peut concerner Amanda Lockridge et son époux, ainsi que Nathaniel Capwell.

- Bien. Jerome, tu pourrais me sortir les documents concernant Amanda De Courtray, s'il te plait ?

Jusque là, resté dans l'ombre de sa femme, un homme s'activait à trier et ranger différents documents.

- Concernant Amanda, nous n'avons que peu d'archives. Il en va de même au sujet de Horatio et de Nathaniel. De nombreux documents ont brûlé en 1962, dans l'incendie de la ville, et malheureusement à cette époque, il n'existait pas d'archivage sous forme de microfilm.

- Très bien.

Jerome Dobson finit par revenir avec plusieurs cartons entre les mains. En véritable expert, Bridget et Jerome commencèrent à les ouvrir et à consulter les documents.

- Tenez, ceci est le portrait d'Amanda De Courtray Lockridge. Et celle-ci est la photo officielle de son mariage avec Horatio Lockridge.

Gina regarda les photos. Amanda était une très belle jeune femme. Et sous ses traits pourtant lisses, on pouvait deviner un caractère bien défini. De même, l'éclat dans ses yeux laissait entrevoir une réelle vivacité d'esprit et un fort appétit de vivre. La seconde photo la montrait en robe de mariée à très longue traîne devant l'entrée de la villa, au bras de son mari. Horatio était bien plus âgé qu'elle.

- Horatio était bien plus vieux qu'elle, si je ne me trompe ?

- Effectivement, il avait 26 ans de plus qu'elle. Et c'était son tout premier mariage. Il n'avait pas d'enfant, et étant lui-même le seul descendant de sa famille, il était pressé par les siens de donner un héritier aux Lockridge.

Gina prit les documents que lui tendait Bridget.

- Vous aurez tout le loisir de les consulter et d'en faire des photocopies, si vous voulez les emporter.

- D'accord. Et que pouvez-vous me dire sur le naufrage du bateau et sur son départ de la ville ?

Bridget s'arrêta de chercher et elle lança un regard à son mari. Ce dernier lui donna implicitement la permission de continuer. Après tout, Gina était à la fois une Capwell et une Lockridge.

- Amanda était une femme passionnée. Elle est arrivée à Santa Barbara deux ans avant son mariage. Toute la ville, à l'époque, tomba sous le charme de cette jeune française. Elle possédait le charme de la jeunesse et surtout la prestance de ces femmes européennes, habituées à recevoir et à tenir un rang. Très vite, un cercle d'admirateurs se forma autour d'elle. Et malgré les prétendants, Amanda semblait les ignorer. Elle n'était interessée que par l'art. D'ailleurs, son hôtel particulier regorgeait de tableaux, de sculptures, qu'elle avait fait venir spécialement d'Europe. Sa fortune semblait illimitée. Au fil du temps, on la remarqua souvent au bras d'un jeune homme de bonne famille : Nathaniel Capwell. Mais très vite, elle cessa de le fréquenter. D'après ce qui se disait à l'époque, Nathaniel était un homme violent, torturé par les démons de l'alcool. Elle fut alors prise sous l'aile de Horatio. Amateur d'art et passionné de navigation, il l'emmena souvent se promener en mer. Et à la surprise générale, Amanda, un jour, annonça son désir de retourner sur le continent. En cadeau d'adieu, Horatio lui fit don d'un voilier, aujourd'hui connu sous le nom de l'Amanda Lockridge. Voilà, la suite de l'histoire personne ne la connaît vraiment. Amanda ne quitta pas la ville et elle se maria avec Horatio. Nathaniel, peu de temps après, disparut de la région. Il avait de nombreux problèmes avec ce qu'on appellerait aujourd'hui des trafiquants. Après son mariage, Amanda fit partir son voilier en Europe, pour qu'il revienne avec d'autres toiles de maîtres. Malheureusement, il fit naufrage au retour, dans la baie de la ville. Peu de temps après, Horatio et Amanda partirent pour un tour du monde qui dura plusieurs mois. Et quand ils rentrèrent, Amanda était enceinte d'une petite fille : Ella Lockridge. Horatio mourut d'une maladie tropicale, quelques temps après la naissance de leur second enfant : votre beau-père. Et Amanda perdit la raison. Voilà, c'est à peu près tout de l'histoire de votre famille.

- Sait-on où sont partis Horatio et Amanda ?

- Pas précisément, mais je dirais qu'ils ont dû aller en France, dans la famille d'Amanda, ou en Irlande, dans le berceau de la famille Lockridge.

Gina soupira. Elle n'avait que peu d'éléments capables de la mettre sur une piste.

- Vous désirez autre chose ?

- Non. Enfin, oui. Faites-moi les photocopies des documents et faites-les-moi parvenir à ma villa, le plus vite possible. Pour les frais, je vous ferai suivre un chèque.

- Bien Madame Blake.

Gina rendit documents et photos et sortit de la salle. Elle reprit son fils et gagna l'ascenseur. Tout en marchant, elle songea à l'histoire d'Amanda. Elle voulait fuir. Pourquoi ? Un enfant secret ? Retrouver quelqu'un ? Pourquoi avait-elle rompu avec Nathaniel ? Et pourquoi ce mariage si soudain avec Horatio ? Et le naufrage du bateau ? Elle se souvenait que Lionel lui avait raconté que le bateau avait coulé une nuit, par temps calme. En experte en la matière, Gina sentait qu'il y avait trop de zones d'ombres dans cette histoire.

- Il y a un secret là-dessous, et c'est à moi de le découvrir...

 

Hôpital de Santa Barbara.

Allongée sur son lit d'hôpital, Julia Capwell avait perdu toute notion du temps. Elle ne savait pas combien de temps s'était écoulé depuis l'accident, depuis son réveil. Elle se sentait extrémement fatiguée. Elle l'avait signalé aux médecins, mais ils lui expliquèrent que c'était parfaitement normal après le traumastisme qu'elle venait de vivre.

Julia ne pouvait s'empêcher de porter ses mains à son ventre. C'était une très étrange sensation de savor que quelques jous plus tôt, elle portait encore l'enfant de Mason. Un petit garçon... Un fils qui manquait tant à Mason, et qui continuerait encore de lui manquer. Julia se laissa aller à pleurer. Elle évacuait toute sa peine et sa frustration. Il n'y avait plus de colère en elle : Mary avait su trouver les mots pour la réconforter, pour lui redonner espoir et confiance en l'avenir. Mary... Leur chemin s'était croisé, il y a une éternité. Julia se souvenait parfaitement de son tragique accident, sur le toit de l'hôtel Capwell. Mary se débattait entre Mark McCormick et Mason. Mary se débattait entre son amour pour Dieu et son amour pour Mason. Mary, plus que tout, recherchait la liberté. Elle voulait être libre. Au sens noble du terme, libre d'aimer, libre de vivre, libre de ne pas avoir à choisir, libre de mettre au monde un enfant... Car, tout comme Julia qui avait frôlé la mort, Mary attendait un enfant, lorsqu'elle mourut écrasée par l'enseigne de l'hôtel.

Plus Julia songeait à Mary, plus elle revenait à Mason. Mason, l'étrange lien qui unissait ces deux femmes. Mason, la pierre angulaire de leur vie. Mary, du ciel, le protégeait. Julia, de la Terre, l'aimait.

- Oh, Mason où es-tu ? Pourquoi n'es-tu pas là, à mes côtés ?

A nouveau, Julia se sentit envahir par une profonde lassitude. Ses rapports avec Mason avaient toujours été très particuliers : un subtil jeu du chat et de la souris, où ni l'un ni l'autre ne voulaient avouer ses vrais sentiments. Il y avait d'abord eu entre eux cet étrange contrat pour qu'il lui fasse un enfant. Et puis, Victoria, Dash, Cassandra, David Raymond, s'étaient subtilement glissés sur leur route, compliquant un peu plus les règles du jeu.

- Oh, Mason, j'ai tant besoin de toi... Je voudrais tant que tu sois à mes côtés, pour pleurer avec toi la mort de notre petit garçon...

Les derniers mots moururent dans sa bouche.

 

Dans un sordide bar, à la sortie de la ville, la musique country remplissait la salle. Accoudé au comptoir, Mason Capwell terminait son énième verre. Depuis qu'il avait quitté précipitamment l'hôpital, Mason avait fait le tour de tous les bars de la ville. Il ne se souvenait plus par où il était passé, ce qu'il avait bu. Il commençait à oublier. Il voulait tout oublier. Oublier Julia. Oublier Mary. Oublier le mal qu'il était capable de faire. Il voulait oublier Channing. Oublier jusqu'au nom Capwell.

- Un autre, s'il vous plait.

- Vous avez assez bu, je pense...

- Qui êtes-vous, pour juger de ce que j'ai bu. Servez-moi un autre verre, ou je vais moi-même le chercher.

Sur ces mots, Mason se leva et tituba jusqu'à l'autre bout du comptoir.

- C'est bon, le voilà votre verre...

- Merci.

Mason reprit sa place et manqua rater le tabouret.

- Vous ne pouvez pas faire attention.

Pour se venger, il donna un coup de pied au tabouret. Assis, il but rapidement son verre et en commanda un autre. Rapidement, il se sentit envahir par l'oubli. Son nom s'effaçait de sa mémoire. Julia disparaissait aussi. Samantha s'effeuillait. Le nom Capwell s'estompait. Mason redevenait un autre : l'enfant de ses 13 ans, et doucement Sonny Sprockett ressurgit du plus profond de sa mémoire...

Du haut de son nuage, Mary DuVall observait la scène. Elle était auprès de Julia pour la réconforter, pour lui offrir une présence; elle était auprès de Mason pour essayer de le retenir, pour empêcher son double de revenir. Tout autour d'elle, un nuage blanc se concentra. Assise sur un banc, Mary trembla.

- Oh, Mason qu'es-tu en train de faire ?

Malgré le fait qu'elle soit au Paradis, Mary arrivait à sentir la souffrance de Mason. Mary se concentra sur lui, tentant de réveiller le père qui vivait en lui. Mais la peine de Mason était trop grande, sa culpabilité aussi. Mason espérait noyer dans l'alcool sa culpabilité, ses échecs de père, de mari, de fils...

Petit à petit le nuage devint plus épais et Mary s'éloigna. Elle finit par voir disparaître l'image de Julia et de Mason. Elle savait que son temps s'achevait et que Mason et Julia maintenant se retrouvaient face à leur destin. C'était à eux de parcourir le chemin, à eux de se retrouver.

 

Villa Capwell.

Le soir était tombé sur Santa Barbara. Channing se promenait seul dans sa villa. Il venait juste de quitter son bureau, où il venait de terminer un article qui serait publié demain dans les journaux. Il suivait les conseils de Pilar Alvarez; il allait tenter de retourner la position des média à son avantage. Après tout, ce n'était pas la première crise qu'il traversait... Il s'en sortirait, comme toujours.

Il gagna à présent la grande salle à manger de la villa. Spontanément, son regard se porta sur l'immense portrait de famille qui ornait la cheminée. Ils étaient tous là, autour de lui : Mason, Ted, Kelly, Eden et Sophia... Sophia qui lui manquait tant. Sophia qui s'en était retournée auprès de Lionel. Channing resongea à leur discussion de la veille, lors de la fête à l'hôpital pour le retour de Julia. Lionel avait vu juste, il était jaloux. Jaloux de lui, parce que Sophia l'aimait...

Channing détourna le regard. Il n'aimait pas ce sentiment de dépendance. Il aimait Sophia plus que tout, plus que cette villa, plus que les Entreprises Capwell, et pourtant elle le fuyait. Ne comprenait-elle pas qu'il l'aimait ? Que voulait-elle de plus ?

Channing quitta rapidement la pièce. Cette maison l'oppressait. Il avait connu tant de belles années, enfant, puis adulte auprès de Sophia et de leurs enfants. Toute sa famille lui manquait et il ne savait pas quoi faire pour la reconstruire.

La sonnerie du téléphone le sortit de ses rêveries. Channing décrocha.

- Allô ?

- Monsieur Capwell, c'est Pearl. Pearl Bradford.

- Ah oui, Pearl, comment allez-vous ?

- Très bien. J'ai appris que vous avez essayé de me joindre.

- Oui. En fait, je voudrais parler à votre père. Savez-vous où il se trouve ?

- Je crois qu'il est à Boston ou à Washington.

- J'ai essayé partout, et personne ne sait où il se trouve. Pearl, il faut absolument que je lui parle, c'est très important.

- Je ne sais pas où il est, Monsieur Capwell. Avez-vous essayé à son bureau au Pentagone ?

- Il n'y est pas. Personne ne l'a vu depuis plusieurs jours.

- Alors, je ne sais pas. Vous savez, mon père ne me signale jamais ses déplacements. Je vais essayer de le trouver et je vous tiens au courant.

- Si vous le joignez au téléphone, dites-lui qu'il appelle Channing Capwell au plus vite. C'est très urgent.

- D'accord. Au revoir Monsieur Capwell.

- Au revoir Pearl.

Channing raccrocha. Pearl le replongea des années en arrières. Lorsque Kelly, après la mort de Dylan Hartley, fut placée dans l'asile du docteur Rawlings. Pearl les avait aidés. Il avait toujours été du côté des Capwell, du côté de Kelly ou de Madeline. Channing raccrocha en espérant que plus de dix ans après, il en serait encore de même...

 

A quelques kilomètres de là, au même moment, un homme debout au bord d'une large piscine, regardait les étoiles apparaître les unes après les autres au dessus de l'océan. Habillé tout de noir, il se tenait parfaitement immobile face au ciel. A quelques pas de lui, des hommes armés épiaient chacun de ses gestes. Placé sous étroite surveillance, le Général Michael Baldwin Bradford était prisonnier ici depuis plusieurs jours. C'est de sa prison qu'il avait appris l'incendie sur la propriété de son ami Channing Creighton Capwell, qu'il suivait la guerre que lui préparait son geolier. Il ne comprenait ni la tactique, ni le but suivi : à ses yeux, il était évident que Channing résisterait à cet incendie. Même si toutes les associations écologistes du pays se liguaient contre lui, Channing arriverait à s'en sortir. Il se souvenait d'un autre temps, d'une autre guerre, où Channing les avait, lui et Grant Capwell, tirés d'une situation bien plus difficile.

Perdu dans ses songes, le Général n'entendit pas son geolier qui arrivait.

- Alors Général, on admire le ciel ?

Il se retourna, surpris et gêné de s'être laisser surprendre ainsi.

- On ne vous a jamais appris qu'il ne fallait jamais tourner le dos à l'ennemi. Ah Ah Ah !!

L'homme en face de lui était grand, mince. Il sortit un cigare de la poche de sa veste de costume de lin et l'alluma.

- Vous en désirez un ?

- Non merci.

- Voyons, Général, nous sommes amis. Et des amis peuvent fumer de temps en temps un cigare ensemble.

- Nous, je ne suis pas votre ami, mais votre prisonnier...

Les traits tirés, le Général manquait d'ardeur dans sa défense. Il paraissait ce qu'il était vraiment : un vieillard fatigué, épuisé.

- Mon prisonnier ? Non pas du tout. Vous êtes mon hôte, certes un hôte particulier, mais mon hôte quand même.

Un sourire se dessina sur le visage du fumeur. Les yeux bleus acier et la barbe naissante, l'homme écrasait littéralement de sa présence le Général, pourtant habitué à faire face à des hommes charismatiques.

- Alors, Général, j'espère que vous avez pris votre décision : il me faut les papiers que vous avez signé avec Capwell pour la location de son terrain.

- Je ne les ai plus. Ils sont à Washington, conservés avec toutes les archives. Je ne peux plus vous aider...

- Allons Général... Je sais que l'armée n'est au courant qu'officieusement de votre petite transaction. Moi aussi, je sais me servir d'un réseau de renseignements...

L'homme s'approcha, il ne se tenait qu'à quelques centimètres de lui. Michael Bradford pouvait sentir la tension qui le parcourait.

- Et je peux aussi te traiter un véritable prisonnier...

- Vous ne me faites pas peur...

- Non ?

L'attitude du Général, pourtant, prouvait le contraire.

- Vous savez, vous ne serez pas le premier à qui je briserai les reins. Pour le moment je m'occupe de Capwell, mais vous pourriez bien être le prochain sur la liste.

Il lui reccracha toute la fumée de son cigare au visage et, vaincu, Michael détourna la tête.

- Cesse de jouer au héros, ton temps est fini. Je veux ces papiers. Je te laisse quelques jours et à mon retour, je les veux. Pense à ta famille... Je pourrais peut-être dévoiler ton passé glorieux de jeune militaire...

Sur ces paroles, l'inconnu se détourna et avança vers la villa. Il n'avait pas besoin de voir les effets de ces dernières paroles sur son hôte. Il connaissait son pire secret et il savait qu'il ne laissait aucun choix à Michael. Il le tenait. Et plutôt que jouer avec sa proie, il avait des choses bien plus importantes à faire.

Resté seul, les épaules de Michael s'affaissèrent par le poids de la solitude et des fautes dont parlait son geolier. Il n'avait pas le choix : participer à la mise à mort de son ami ou signer sa perte et, avec elle, la destruction de toute sa famille. C'est Pearl qui avait raison : il n'était qu'un lâche... Il s'était toujours battu contre des plus faibles, laissant aux plus forts sa place dans les batailles. C'est ainsi qu'il avait connu Channing. C'est ainsi que Channing l'avait sauvé, obligé de se battre pour lui et Grant...

Chapitre 5