Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 32 : Arrêt sur image...

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Et avec la participation exceptionnelle
de Patrick Duffy
dans le rôle de Bobby Ewing

Mais en entendant sa voix je saurai
que tous ces mots tous seront pour moi
en attendant le loup tendre ses bras
J'y pense tout le temps à cet
instant
oui quand on se
reconnaîtra
je lui dirai c'était bien longtemps
je ne lui dirai
sûrement pas
qu'en attendant ses pas
je digérais et je respirais pour ça
en attendant juste un sens à tout ça
à tout ça

 

Pacific Sud.

Face à son caméraman, Deana Kincaid, vêtue d'un tailleur gris argent, regardait les signes de son équipe attendant le début du direct.

- 4, 3, 2, à toi Deana...

- Je me trouve actuellement devant l'entrée du bâtiment administratif de Pacific Sud où C.C. Capwell, au bras de son associée Augusta Lockridge, a ouvert la garden-party inaugurative du nouveau centre écologique de la ville. C'est Augusta Lockridge qui a officiellement coupé le cordon, permettant à Pacific Sud de devenir un des hauts lieux de l'écologie de la Californie. Bien sûr, les recherches vont porter sur la protection de l'océan, mais aussi et surtout sur les moyens d'acheminer l'eau dans les régions plus pauvres de l'Etat. Au cours de mes entretiens, j'ai pu avoir la preuve que Bobby Ewing, chargé de l'environnement auprès du gouvernement, a validé le projet : des millions de mètres cubes d'eau transiteront bientôt par Pacific Sud vers les terres de l'est, afin de les rendre autonomes en eau. Terres qui sont aujourd'hui confrontées à de sérieux problèmes de sécheresse, en raison de l'augmentation croissante des besoins en eau de Las Vegas...

Derrière Deana, on pouvait facilement suivre le balai des invités qui profitaient de cette fête, que tout le monde espérait bien plus calme que les précédentes.

Au centre des invités, Augusta et C.C. ne cessaient de parler du projet, du virage pris par les Entreprises Capwell afin d'ouvrir la voie vers de nouvelles technologies écologiquement plus propres. Et alors qu'ils s'avançaient vers le buffet, Augusta terminait d'expliquer à C.C., le moyen utilisé pour obliger Gina à signer l'acte de restitution des terres avoisinantes de Pacific Sud.

- Je lui ai envoyé un coursier et, alors qu'elle croyait signer l'accusé de réception de la demande de procuration sur les droits de Brandon, demande transmise par son nouvel avocat Mason Capwell, elle me signait la restitution des terres...  J'aurais aimé voir sa tête lorsqu'elle a pris connaissance des faux documents... Ah, c'est si simple de se jouer de Gina ! !

Deana poursuivait son reportage.

- C'est donc sur les terres proches de la villa Capwell, que C.C. et Augusta ont mis fin à de longues années de guerre entre leurs deux familles pour bâtir le projet phare de Santa Barbara. En effet, depuis plusieurs décennies, Capwell et Lockridge se détestaient cordialement et se sont livrés une guerre sans pitié. Mais c'est surtout sur ces mêmes terres qu'a été découvert il y a plusieurs semaines le corps de Franco Parisi. Un prochain reportage nous permettra d'en découvrir plus sur les conditions exactes de sa mort...

- Coupez. C'est bon Deana, tu as été excellente.

- Merci. Allez, direction le jardin japonais pour la suite du reportage !

 

Hôpital de Santa Barbara.

Assis sur son lit, Brick avait retrouvé un peu de ses forces. Dans ses bras se reposait Johnny Perkins Wallace, l'enfant d'Amy, qu'il considérait comme le sien. A ses côtés, toute sa famille, famille des plus recomposées, fêtait son retour à la vie : Sophia sa mère, Lionel son père, Marisa sa belle-mère et Jane Wilson, sa nouvelle compagne. A présent que tout risque de complication était définitivement éloigné, Brick et les siens reprenaient confiance en la vie. Cependant, le souvenir d'une présence continuait de les hanter; la blessure de Brick en était la preuve tangible. Sophia, au plus profond de sa chair, portait l'empreinte, elle aussi, du souvenir de son fils perdu et de l'horrible vengeance dont elle avait été le jouet. Et bien qu'elle se félicitait du retour à la vie de Brick, elle n'ignorait pas que cette ombre qui ne la quittait pas pouvait à tout moment ressurgir et menacer les siens...

Au cours de l'après-midi, Brick demanda à rester seul avec Lionel et Sophia. Ils échangèrent alors un long silence et tout fut dit en un regard.

- Il est encore là... Je peux toujours sentir sa présence à mes côtés... Aujourd'hui, maman, je sais qu'il a trouvé la force de briser le lien entre lui et Marcello. Je reste intimement persuadé toutefois que sa vengeance ne va pas en rester là. Prenez garde pour Brandon... S'il doit revenir, il le fera pour Brandon...

 

Jardin japonais de Santa Barbara.

Sa maquilleuse personnelle terminait de repoudrer le visage de Deana Kincaid. Dans quelques minutes, cette dernière allait reprendre l'antenne pour poursuivre le reportage sur l'incident survenu au cours du défilé Armonti's. Plus tard, elle avait réussi à décrocher une interview exclusive avec Marcello Armonti.

D'un revers de la main, elle repoussa vers l'arrière ses boucles blondes. Revivifiée par l'échange tendu qu'elle avait eu avec Augusta, au sortir de son reportage à Pacific Sud, Deana s'apprêtait à éclairer la vie des Capwell d'un jour nouveau.

- C'est ici, au coeur du parc japonais de la ville, que s'est déroulé avant-hier soir le grand défilé Armonti's... Et une fois n'est pas coutume, nous ne retiendrons pas les nouvelles tenues dessinées par la société, mais le scandale survenu au cours de cette soirée de gala. C'est ici, sur ce petit pont de bois, au moment de la présentation du dernier modèle, que les spectateurs ont assisté, médusés, au retour d'Eden Capwell Castillo... L'aînée des filles Capwell, figure emblématique de la ville, propriétaire du restaurant l'Orient Express et ancienne journaliste, a surgi, comme par magie, au centre de la scène. Après avoir traversé le podium, coiffée du diadème Armonti, la jeune femme, rejointe par le psychiatre italien, se sont dirigés vers sa famille. Et là à l'écart de tous, c'est sur le ponton de bois que vous voyez derrière moi, que C.C. et Sophia Capwell se sont retrouvés face à face avec leur fille. Et comme le souligne un de mes confrères, Nicolas, dans son excellent article «Désordre psychologique chez les Capwell», l'état psychologique de la jeune femme reste des plus fragiles, puisqu'il semblerait qu'Eden soit revenue en ville dans le but de se venger de ses parents... On peut se souvenir, bien qu'à l'époque toute la presse locale ait choisi le silence, qu'Eden Capwell Castillo avait déjà tenté de tuer sa mère Sophia Capwell Armonti.

Deana poursuivait le récit de la folle soirée de gala de la société italienne qui s'était clôturée par des coups de feu et avec l'arrestation de Marcello Armonti, le beau-fils de Sophia.

- De nombreuses questions restent encore sans réponse, d'autant que, tout de suite après leur confrontation, Eden Capwell Castillo fut immédiatement conduite à l'hôpital de la ville où elle s'enfuit sans la moindre difficulté quelques heures plus tard. Peut-on voir un lien entre le retour d'Eden Capwell et la découverte du corps de Franco Parisi ? C'est ce que nous essayerons de découvrir dans la suite du reportage...

 

Terrain de course du Country-club de Santa Barbara.

En apparence fragile, Gina DeMott Capwell attendait la venue de son avocat, Mason Capwell. Mentalement, elle refaisait la liste des actes de C.C. dont elle voulait se venger. Et à chaque fois, elle en revenait à Brandon. Combien de fois avait-il cherché, depuis son arrivée en ville, à lui reprendre le petit garçon ? Quatre, cinq fois ? De toutes façons, cela n'avait aucune importance : elle reprendrait la garde de ses enfants. Elle en restait certaine.

Gina s'arrêta un moment pour regarder la course de chevaux. La tension qui régnait dans ce lieu la stimulait, lui redonnait force et espoir et surtout envie de se battre. C.C. et Augusta venaient de se jouer d'elle en lui reprenant les terres autour de Pacific Sud, mais cela ne comptait pas vraiment.

- Je vais m'occuper de Channing en premier. Après viendra le temps où je pourrai battre Augusta Lockridge à son propre jeu... Bientôt, je possèderai toutes les pièces relatives au meurtre de Franco Parisi, et là, Channing, il faudra bien que tu payes...

 

Après quelques minutes, Mason vint s'asseoir à ses côtés. Une étrange complicité reliait ces deux êtres, un même besoin de vengeance.

-  Mason, je suis si heureuse que tu soit venu

Gina prit les mains de Mason dans les siennes et les serra fortement.

- Gina, j'ai abandonné une préparation d'audience pour venir te voir. Je t'ai déjà dit que pour le moment, je ne peux rien faire pour toi.

- Mason, je t'en prie ! J'ai besoin de retrouver mes enfants. J'en ai vraiment besoin.

- Gina, nous nous connaissons bien, nous sommes mêmes un peu pareils, alors je t'en prie, pas de fausses larmes...

Le visage de Gina se métamorphosa; elle n'arrivait pas à duper Mason.

- Mason, je veux reprendre mes fils. Je veux lui faire autant de mal qu'il m'en a fait... Je peux te promettre, Mason, que je ne veux pas que lui faire du mal, je veux le détruire. Complètement...

- Gina, nous savons toi et moi que c'est impossible. C'est une chose que j'ai appris au fil des années, Channing Capwell est indestructible. C'est un fait et rien ne peut aller contre cette évidence.

- Et bien moi, Gina, je vais le détruire...

 

Bureau d'Armonti's.

- Nous sommes à présent devant la salle du conseil d'administration où d'un instant à l'autre, on devrait savoir si Sophia Capwell Armonti reprend les rênes de la société ou si, au contraire, les actionnaires redonnent leur confiance à Venise Armonti. Souvenez-vous, c'est au cours de l'année dernière que cette belle jeune femme, venue tout droit de l'Europe, héritière légitime de l'empire Armonti's, a réussi à prendre le contrôle de la société à Sophia Capwell Armonti. Aidée de Marcello Armonti, Venise Armonti a apporté un souffle nouveau, en créant notamment une nouvelle collection mondialement reconnue et incarnée aux yeux de tous sous les traits de T.J. Daniels... Cependant, il est important de préciser que ce même T.J. Daniels a été l'amant de Sophia, au cours de l'année 1988.

Alors qu'elle en terminait de son introduction, les grandes portes acajou de la salle du conseil d'administration de la société s'ouvrirent et laissèrent sortir George, le fidèle bras droit de Sophia.

- Je tenais tout d'abord à vous remercier pour votre présence. Le conseil extraordinaire de la société Armonti's s'est achevé il y a presque une heure maintenant. C'est en raison des tragiques événements survenus lors du défilé que les principaux actionnaires ont exigé cette réunion, qu'on pourrait qualifier de crise. Au sortir de ce conseil, voici les principaux points évoqués : Sophia Capwell Armonti a été nommée PDG de la société à l'unanimité. Elle retrouve le poste qui était le sien. En raison du succès de la nouvelle collection et des modifications imposées au sein des magasins par Venise Armonti, notre nouvelle directrice a demandé à ce qu'elle soit associée à la direction, en poursuivant la gestion de cette collection et en prenant la direction d'Armonti's Europe. Ce conseil extraordinaire veut rassurer tous nos associés, nos....

Deana Kincaid détourna son regard de George et, suivie de son équipe, s'écarta du reste des journalistes.

- Ainsi, Sophia Armonti reprend les rênes de sa société et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais, mes chers amis, ne soyons pas dupes. Sophia vient poliment d'évincer Venise de la direction de la société en la pressant à regagner l'Europe, certainement au bras de son ancien amant, T.J. Daniels. Ce brave George, toutefois, ne répond pas aux questions fondamentales : comment expliquer les tragiques événements du défilé, ainsi que l'ampleur de la vengeance orchestrée par Marcello et Venise... Il reste qu'à espérer que Marcello Armonti lui-même sera capable de fournir toutes les explications...

 

Plate-forme pétrolière au large de Santa Barbara.

Assise derrière un écran d'ordinateur, Pamela Conrad écoutait d'une oreille attentive le curieux reportage de Deana Kincaid. Pamela semblait se délecter des différentes interventions de la journaliste. Sur l'écran d'ordinateur défilait un relevé des déplacements d'Augusta Lockridge. Pamela, depuis plusieurs jours, la faisait suivre en continu : elle désirait découvrir la cachette de la mallette qui accompagnait le corps de Franco Parisi.

- Elle n'a pu la cacher que dans ces endroits : Pacific Sud ou sa propriété. Il faut absolument que je reprenne ces documents...           

La sonnerie de son téléphone portable la détourna de ces interrogations.

A l'autre bout de la ligne, Kirk Cranston, son nouvel associé, avait suivi pour elle Eden Capwell dont le retour en ville l'avait laissée sans voix.

- Pamela, je suis actuellement sur le port de Las Sirenas. Je ne l'ai pas quittée des yeux une seule seconde. Non, non, elle ne se doute pas de ma présence. Je peux même vous assurer qu'elle ne m'a pas reconnu. Elle semble vraiment comme décalée... Elle ne sait pas qui je suis. C'est un peu comme si pour elle, le temps était revenu en arrière. Elle est à la recherche de Robert Barr. Elle est retournée à l'ancienne maison des Barr pour le retrouver. Ne voyant personne, elle est retournée sur le port à la recherche du vieux voilier de Robert... Je crois qu'elle a complètement disjoncté...

- Très bien, Kirk. Continuez à la suivre. Et tenez-moi au courant du moindre changement de son état. Je ne voudrais pas qu'elle revienne à Santa Barbara pour contrecarrer mes plans. Dans moins de deux jours, j'aurais pris à Channing tout ce qui a de l'importance à ses yeux...

Pamela raccrocha, le sourire aux lèvres, certaine de sa victoire. Elle sortit de son sac une photo de Mason enfant.

- Je t'avais promis que je reviendrai, mon fils chéri. Pamela tient toujours ses promesses. Encore quelques jours et tu auras droit à l'héritage qui aurait dû être le tien... Non, qui sera le tien...

 

Bureau du Santa Barbara Conscience.

Ted Capwell, en cette fin d'après-midi, était venu rejoindre son ami Warren Lockridge à son bureau. Depuis le départ de B.J. pour l'Amérique du Sud, Ted passait régulièrement le voir. Cette fois-ci, Ted avait tout prévu pour qu'ils passent une agréable fin d'après-midi et qu'ils retrouvent un peu de ces moments, hors du temps, qu'ils avaient connu en Irak.

Ted gara sa voiture sur State Street, juste devant l'entrée du journal. Le Santa Barbara Conscience tenait ses bureaux à l'angle de State Street, loin de l'effervescence des boutiques de luxe situées plus en contrebas. Appuyé contre sa voiture, Ted appela son ami et lui ordonna de descendre sur le parking du journal.

Lorsque Warren arriva, Ted avait fini d'installer le panier de basket et il s'entraînait à marquer des paniers.

- Je te laisse encore cinq minutes pour te mettre en tenue...

- Ted, je n'ai pas le temps !

- J'ai passé un accord avec ton boss. Tu as droit à deux heures de pause.

- Un costume n'est pas une tenue...

- J'ai un short et un t-shirt pour toi !

Ted lança à son ami un sac avec des vêtements. Warren en sortit le t-shirt; il portait le logo des Entreprises Capwell.

- Ce n'est pas très impartial pour un journaliste...

- Juste pour t'aider à accepter ta défaite. Tu pourras toujours dire que tu rêvais de plonger dans la défaite les Capwell.

- Très drôle. Mais je crois que je me passerais du t-shirt.

Après avoir passé un short, les deux amis se livrèrent à une partie endiablée, où seul primait le plaisir d'être ensemble.

- Allez Warren, encore un petit effort... Avec ta petite vie bien rangée, tu t'empâtes...

- Je vais te montrer...

Et ils repartirent de plus belle.

Au bout d'une bonne demi-heure de match, Ted siffla la fin de la rencontre.

- Et victoire pour le petit jeune Capwell, il me semble... Par respect pour le grand journaliste, je tairai le score...

- Profite, Ted. La prochaine fois, c'est moi qui choisis l'épreuve.

Les deux hommes prirent place sur un banc à l'ombre des palmiers face au journal et se désaltérèrent longuement. La complicité entre eux était évidente.

- Tu sais, Ted, si tu veux que je n'écrive pas une ligne sur le retour de ta soeur en ville, ce n'est pas la peine de te donner autant de mal, tu n'as qu'à me le demander simplement. D'ailleurs, j'ai déjà dit à ma mère que le journal n'en parlerait pas.

- C'est gentil à toi. Mais, je ne suis pas venu pour cela. Comme B.J. s'est absentée, je ne veux pas que tu restes seul, tu serais capable de passer ta vie derrière ton bureau. Et quand je vois le sauveteur que tu étais et l'homme que tu es devenu, je me dis que j'ai eu raison de te faire un peu courir.

Ted laissa filer quelques secondes, jouant avec sa bouteille d'eau.

- Warren, je viens de réfléchir et...  Moi, je voudrais que tu en parles... Je n'en peux plus de rester comme cela. Je crois sincèrement que je suis à un virage de ma vie. Et je t'envie, Warren. Tu as trouvé ta voie avec le journal. Tu es certes l'héritier d'une grande famille, mais tu as trouvé un moyen d'exister par toi-même... Je n'ai pas encore eu cette chance. J'ai toujours fait des choix en fonction de la famille Capwell... Même mon histoire avec ta soeur, c'était lié à la famille Capwell : à l'époque je voulais faire comme Mason et aller en sens contraire, prouver que j'existais aux yeux de C.C., et je ne voyais pas d'autres solutions que d'aller à l'encontre de sa volonté. Tu vois, même là, je me suis trompé. C'est de toi que j'aurais dû être proche. Cela nous aurait évité de perdre un temps fou...

- Merci, mais entre Laken et moi, il y a une grosse différence ! !

- Très drôle !

- Je vois très bien ce que tu veux dire, Ted.

- Je crains que nous passions tous à côté de notre vie pour rentrer dans le moule d'une sacro-sainte famille qui n'existe plus. C'est pour cela que je veux que tu parles d'Eden, que tu écrives un long article sur elle. Je veux qu'elle nous revienne. Si c'est ce qu'il faut faire pour qu'on la retrouve, eh bien, je veux que tu le fasses. Cela fera hurler mon père, mais ce n'est pas grave. Au moins on aura tout tenté... Mon Dieu, si mon père m'entendait... Tu sais, Warren, je vous envie, vous les Lockridge... Vous êtes si non conventionnels que, parfois, même très souvent, vous en êtes pathétiques, mais au moins vous restez une famille. Moi, je n'ai plus cela...

- Merci pour le compliment... Quand j'en parlerai à Augusta, je suis certain que cela va la faire rougir... Elle qui a toujours rêvé d'habiter la grande villa aux arcades de l'autre côté de la rue ! Non conventionnels !! C'est le moins que l'on puisse dire. Ted, je vais te faire à mon tour à un grand compliment, suite à cette belle confidence... A trop me fréquenter, tu as du Lockridge en toi !! 

- Si mon père t'entendait...

- Il ferait quoi ? Il te déshériterait ?...

Les deux hommes se levèrent et Warren, parce qu'il sentait que Ted se sentait seul (cela se voyait comme une évidence), le serra un moment contre lui avec pudeur et une infinie tendresse.

- Tu sais, si la villa aux arcades te semble trop grande, tu peux passer à la maison.

- Merci. C'est à moi peut-être de prendre la famille en main, de faire en sorte que Kelly, Eden et Mason reviennent.

- Allez, viens, on va l'écrire cet article !

 

Gina les observa en train de se battre pour marquer des paniers. Du coin de l'oeil, elle admira la carrure de sportif de Warren, en se disant, dans sa tête, qu'elle s'était certainement trompée de Lockridge. Lionel était loin d'avoir le même physique que son fils. Puis, elle traversa State Street en courant. Habillée d'un vieux foulard à fleurs aux couleurs criardes, d'une blouse fushia et de larges lunettes noires, Gina DeMott représentait le stéréotype parfait de l'agent d'entretien.

Gina se faufila sans le moindre doute à l'intérieur des bureaux du journal. Après avoir visité les archives de la bibliothèque de la ville en compagnie de son ancien associé Kirk Cranston, elle voulait inspecter les archives du Santa Barbara Conscience, à la recherche de la plus petite information concernant Franco Parisi.

 

Pendant ce temps, réunis autour du bureau de patron du journal, Ted et Warren mangeaient des pizzas tout en rédigeant un article consacré à Eden Capwell Castillo et à son étrange comportement depuis sa demande de divorce. Bien que certains moments soient difficiles pour Ted, ce dernier paraissait nettement plus serein depuis qu'il avait pris sa décision. Il était d'autant plus apaisé qu'il se livrait avec facilité devant son ami. D'ailleurs, souvent au cours de leur échange, ils se prirent de fou-rires en évoquant de vieux souvenirs ou en revenant sur leurs rapports des années plus tôt. Tout à leur discussion, ils n'entendirent pas Augusta qui rentra dans la pièce, comme une tornade.

- Tiens, Warren, voici quelques photos et documents que je veux que tu publies sur l'ouverture de Pacific Sud. Oh, je crois rêver, un Capwell ! Mon pauvre Ted, tu n'as pas de maison ?!

Sans être invitée, Augusta prit place avec eux.

- Warren chéri, tu n'as pas autre chose que de la bière ? Tu sais, je suis plus champagne, moi ! Alors, mon petit Ted, vous m'inquiétez vraiment !

- Ah oui, et pourquoi ?

- Il faut toujours que vous tourniez autour d'un Lockridge. D'abord Laken, puis maintenant Warren... Je m'interrogerais à votre place pour savoir si Minx n'a pas fait comme pour Brick... Une petite inversion de bébé à la maternité... Et de Capwell, on devient Lockridge...

- Maman ! ! !

- Oh chéri, si on ne peut plus plaisanter...

Ted échangea un regard avec son ami.

- Warren, je te laisse. Tu penses à me faire suivre par mail le document ?

- Demain, sans faute.

- Bonsoir. Madame Lockridge, si vous voulez manger notre moyen de communication, j'imagine qu'un téléphone sera nettement moins digeste qu'un pigeon voyageur !!

 

Hôpital de Santa Barbara.

Dans le vaste hall blanc de l'hôpital, Deana Kincaid en terminait de son interview avec un interne du service des urgences. La discussion semblait avoir été des plus animées. Deana, dans l'espoir d'avoir des renseignements, avait tout essayé : crier, séduire, pleurer, menacer... Mais rien n'y fit; l'interne respecta le secret professionnel.

Deana, dépitée, finit par rejoindre le reste de son équipe.

- Nous partons pour la prison. Je n'ai rien réussi à obtenir de lui. La seule info qu'il a bien voulu reconnaître, c'est qu'Eden s'est enfuie au cours de la nuit et qu'elle semblait traumatisée par les événements survenus lors du défilé... Tu parles d'un scoop !

L'équipe rangea le matériel, regagna les véhicules et partit en direction de la prison.

 

Aéroport de Santa Barbara.

Portant un plateau avec les cafés, Bobby Ewing retourna à la table où l'attendait Julia Capwell. Il venait de passer une semaine en compagnie de cette femme, et il n'aurait pas su préciser l'impression qui ne le quittait pas : il y avait une petite chose en elle qui lui rappelait Pamela, sa première femme. Et, à l'évidence, tout comme lui et Pam, son amour pour son mari était sans cesse contrarié par leur famille.

- Merci pour le café, j'en ai vraiment besoin. Depuis que Gracie, je vous ai parlé d'elle, a reconnu avoir tué son enfant, je n'ai plus connu une véritable nuit de repos. J'ai sans cesse l'image de Gracie au-dessus du lit de Sam... Je ne peux pas m'empêcher de pense à ce qu'elle aurait pu faire à ma fille...

- L'important, c'est qu'elle ne lui a rien fait. Après pour le reste, il faut pas vivre avec, mais simplement vivre...

- Hum...

Le regard de Julia se porta sur la piste et se perdit.

Au bout d'un moment, Bobby prit ses mains dans les siennes. Julia frémit. Cet homme portait en lui une réelle bonté d'âme qui faisait qu'on ne pouvait que se sentir bien à son contact.

- Julia, je vais vous confier un secret, ou plutôt une doctrine de vie.

- Dites...

- Mason, votre mari, vous manque. Vous ne comprenez pas son attachement pour cette femme que vous méprisez tant, c'est...

- Non, c'est que...

- Chut... Vous n'arrivez pas à comprendre le fait qu'il n'imagine pas la situation selon votre point de vue. J'ai connu cela avec ma première femme. Ma famille et la sienne ont toujours fait en sorte que nos points de vue, notre style de vie, diffèrent. Au début pourtant, tout paraissait si simple... Un jour, on a cessé de se battre. Ni elle, ni moi, avons poursuivi le combat pour mettre notre amour au centre de notre vie... Ne faites pas cette erreur, Julia. Pour vous, pour votre couple, et pour votre petite fille... Allez le voir sur le champ. Dites-lui que vous l'aimez. Dites-lui que vous ne comprenez pas son intérêt pour cette femme. Dites que vous allez vous battre pour que votre couple reste sa priorité. Ne restez pas sans rien faire...

- Vous savez...

- Je sais. Un jour, vous risquez de le perdre, au hasard d'une rencontre... La vie va même peut-être vous le prendre... Et après, on reste amputé d'une partie de soi et la vie ne sera jamais plus comme avant. Elle ne pourra pas être pleine, car on conservera remords et regrets... Et on sera incapable de vivre la vie qui nous attend. C'est mon quotidien, Julia. Pamela, ma première femme, me manque. J'aurais dû me battre lorsqu'elle s'est tournée vers un autre. J'aurais dû me battre !! Et depuis, je suis en transit de ma vie !!  Ne faites pas comme moi. Vous seule pouvez aller vers lui et le ramener à vous...

Bobby dû s'arrêter, car on appelait les passagers de son vol.

- Vous  m'avez l'air d'être une chouette femme, combative et courageuse. Suivez mon conseil, allez-y. Et en ce qui concerne l'autre femme, faites comme je vous ai appris. N'oubliez pas, chez moi à Southfork, on n'a pas peur de cogner !!

Reprenant son sac, Bobby déposa un fougueux baiser sur les lèvres de Julia.

- J'attends votre rapport complet sur le projet et de vos nouvelles.

Immobile, Julia le regarda s'éloigner. Elle regarda les portes de verre se refermer sur lui. Puis, elle prit son portable et appela Mason, à leur bureau. Elle avait son idée...

 

Restaurant l'Orient Express.

C.C. Capwell attendait devant l'entrée du restaurant, depuis de longues minutes, la venue de Sophia. Depuis le départ d'Eden, il ne revenait que très rarement dans ce lieu qu'elle avait marqué de son empreinte. Sans même avoir à fermer les yeux, C.C. pouvait se souvenir de l'envie de sa fille, le besoin d'Eden de mener ce projet à bien.

Soudain, les portes de l'ascenseur laissèrent sortir Sophia Armonti. Son visage n'exprimait pas la joie d'avoir retrouvé le pouvoir au sein de sa compagnie, bien au contraire. Face à la fuite en avant de chacun de ses enfants, Sophia se sentait atteinte profondément dans sa fonction de mère, un peu comme si elle avait échoué.

- Sophia, ne voudrais-tu pas qu'on sorte ? Je peux difficilement rester ici.

Ils s'engouffrèrent tous les deux dans l'ascenseur, en silence.

Sophia restait la grande force et aussi la grande faiblesse de Channing. Face à ce bout de femme, le grand Channing Capwell perdait tous ses moyens. Il ne savait vraiment quoi faire ou quoi lui dire pour qu'elle comprenne son amour pour elle et le besoin intime qu'il avait de la savoir à ses côtés. Et à chaque fois qu'il utilisait une méthode pour la reconquérir, Channing devait bien reconnaître que cela tournait au fiasco : quand elle voulait qu'il soit tendre, il était tout le contraire.

Arrivés dehors, Channing amena Sophia dans les jardins de l'Hôtel Capwell.

- Sophia, je... Je voudrais vraiment que tu reviennes vivre avec moi, à la villa. J'ai besoin de t'avoir à mes côtés.

- Channing, je ne peux pas.

Le sol s'effondrait sous les pas de C.C.. Il ne comprenait pas. La rage et la colère qu'il éprouvait pour toutes ses autres ex-femmes se mélangeait à la frustration qui l'habitait d'être continuellement repoussé par Sophia depuis quelques temps.

- Sophia, c'est important pour moi que tu reviennes. J'en ai vraiment besoin...

- Channing, comment l'expliquer...  Je vais partir un moment de Santa Barbara pour accompagner Brick... Il a besoin de se retrouver en famille...

- Et bien sûr, l'autre Lionel va t'accompagner !

- Nous en avons un peu discuté. Et oui, je pense qu'il va venir avec Marisa, Jane et moi.

- Ah, je vois, tu fais passer Lionel et VOTRE fils avant ta famille !

- Channing, je savais que tu allais le prendre ainsi.

Sophia essaya de se rapprocher de Channing. Ce dernier se recula aussitôt, comme s'il allait être sali à son contact.

- Je te rassure, Sophia, je le prends bien. Et si tu n'y vois pas d'inconvénient, pendant que tu seras aux côtés de TON fils, j'essayerai de sauver le reste de la famille Capwell. Si tu juges que partir avec Lionel et Brick est bien plus important que de retrouver Eden, alors je comprends...

- Arrête, Channing, ne me fais pas cela. J'ai l'intime conviction au fond de moi que, si j'aide Brick, je pourrais aussi aider Eden... Je sais que c'est difficilement compréhensible, mais j'en ai la certitude.

- Très bien, Sophia. Je crois que nous n'avons plus rien à nous dire. Tu as ta famille, et moi la mienne. Chacun ses priorités.

Et Channing se détourna de Sophia. Cette dernière s'effondra sur un banc de pierre. Elle craignait que Channing ne la comprenne pas, mais là, c'était bien au-delà de tout ce qu'elle avait imaginé. Et pourtant, sa réaction ne la surprenait pas. Channing avait toujours agi de la sorte. Il lui fallait tout et tout de suite. Et jamais il ne pouvait tolérer que son entourage ou ses associés puissent choisir une autre voie que la sienne. Effondrée, Sophia  laissa libre cours à ses larmes. Au fond d'elle, elle revivait les mêmes peurs qu'à son retour en ville, des années plus tôt. Quoiqu'elle fasse, elle savait sa famille au bord du gouffre. D'Eden à Kelly, en passant par Brick et Ted, tous ses enfants se trouvaient au bord du gouffre. Et elle ne savait pas quoi faire pour les aider...

 

Appartement de Daniel McBride.

- Greg, tu préfères manger quoi, chinois ou mexicain ?

- Moi, je dirais Californien... Un avocat californien me plairait bien...

- De toutes façons, je suis certaine qu'elle saura que nous sommes venus.

- C'est dommage, je n'en ai pas sous la main pour faire une salade !

- Alors, je serais obligé de me contenter du juriste...

Greg rejoignit Daniel dans leur cuisine. Greg enlaça Daniel et il ne tarda pas à lui caresser amoureusement le torse, empêchant ce dernier de préparer leur repas du soir.

- Je ne vais pas pouvoir préparer la salade...

- Tu sais, Dan, pour le moment, je n'ai pas vraiment faim.

Lentement, Greg retira le t-shirt de son amant et tous deux se trouvèrent torse nu dans la cuisine. C'est en plein milieu de leurs échanges fougueux de baisers que C.C. gara sa voiture devant l'immeuble de l'appartement de son avocat.

- Non, laisse sonner, Dan !

- Cela peut être important...

- Plus important que moi ?!

Daniel se dirigea vers la porte et, avec stupeur, il vit devant lui son patron, Channing Capwell. Tous deux se dévisagèrent.

- Je peux entrer ?...

Daniel fut obligé de laisser passer C.C.. Et ce n'est que lorsqu'il vit son propre fils, lui aussi à moitié dévêtu, qu'il comprit pleinement la situation.

- Allez vous rhabiller... Je ne peux même pas imaginer cela.

- Et tu t'attendais à quoi ?

- Pas de cela maintenant, Greg. Je n'ai aucune envie d'une telle discussion.

Très vite, Daniel les rejoignit; il avait passé un vieux t-shirt.

- Daniel, je suis venu pour qu'on discute de ce qui est plus ou moins légalement possible de faire pour contrer Pamela.

- Alors...

Greg l'interrompit.

- Papa, nous allons passer une soirée sympa, Daniel et moi. Je ne pense donc pas que cela soit le lieu et le moment pour parler de cela. Tu l'as à ta disposition le reste de la semaine... Tu ne crois pas qu'il peut avoir une soirée de libre ?

Channing vit rouge. Après Sophia, un autre membre de son clan ne se rendait pas compte de la situation : l'empire Capwell était sur le point de s'effondrer.

- Quand on entre au service des Capwell, en situation de crise, personne ne peut avoir de repos. Surtout pour que vous puissiez vous... Daniel, j'ai besoin d'un état des lieux le plus vite possible. Je me bats pour ma famille... C'est important pour moi. Et cela devrait être important pour vous aussi. Non seulement parce que vous êtes à mon service, mais aussi parce que Greg et vous...

Tout en parlant, Channing recula vers la porte. Il ne se sentait pas à l'aise au coeur de l'intimité qui unissait ces deux hommes.

- Je veux vous voir demain dès la première heure dans mon bureau.

Channing quitta l'appartement aussi rapidement qu'il y était entré.

- J'imagine que tu n'as plus faim, Dan...

- Je crois que j'ai du boulot pour ce soir !

 

Villa Capwell.

Durant tout le trajet de retour, au volant de sa vieille Bentley de collection, C.C. se refusa à penser à la curieuse scène qu'il venait de vivre. Il forçait son esprit à se concentrer sur sa guerre contre Pamela. Pourtant, à plusieurs reprises, il dû se faire violence pour repousser au loin les souvenirs de Greg et Daniel, d'autant que ce genre de situation réveillait en lui le douloureux souvenir de Channing Junior.

- Je n'ai pas d'autres choix, je crois, que d'affronter Pamela seul... Mais comment faire pour ne pas qu'elle parle de la mort de Franco ? Comment faire pour protéger ma famille ?...

Channing se gara juste devant l'entrée de la villa. Il se précipita hors de la voiture. Il lui tardait de retrouver la sécurité de sa villa, de la protection de son antre : son bureau.

Dès qu'il referma la lourde porte de bois derrière lui, C.C. entendit les éclats de rire de Brandon, en provenance de l'étage. Il monta alors le large escalier avec l'intention de lui souhaiter une bonne nuit. Intérieurement, C.C. se félicitait d'avoir repris à Gina, Brandon et Channing III. Grâce à eux, la villa retrouvait un semblant de vie de famille. Alors qu'il arrivait en haut des marches, la colère explosa en lui : il venait de reconnaître la voix de Mason. Tout devenait clair dans son esprit. Pour une raison obscure, Brandon avait toujours aimé Mason et, ce soir, bien que cela lui soit interdit, Mason était venu retrouver Brandon.

- Comment oses-tu venir me défier ici, dans ma maison ?!

Avec une réelle violence, Channing poussa la porte de la chambre de Brandon et il interrompit la partie de Risk entre Brandon et Mason.

- Oups, je crois qu'il va y avoir du grabuge, Brandon...

- Dehors, Mason... Dehors ! Je croyais avoir été des plus clairs, tu n'as pas le droit de t'approcher de Brandon !

- Mais, oncle Channing...

Mason écarta doucement le petit garçon.

- Je crois qu'il vaut mieux que tu restes en dehors de tout cela. C'est une histoire de grands et ce n'est pas très joli.

Channing, n'en tenant plus, repoussa le plateau de jeu, attrapa Mason et le repoussa vers la porte de la chambre.

- Oncle Channing, c'est moi qui lui ai demandé de venir, je me sentais seul...

- Brandon, c'est entre Mason et moi.

Mason se laissa sortir de la chambre, mais une fois dans le couloir, il sembla retrouver ses forces et son esprit.

- Arrête, tu peux me lâcher, je ne voudrais pas que tu me fasses un arrêt cardiaque !

- Dehors... Je ne veux pas te voir auprès de Brandon... Tu vas...

- Tu as peur de quoi, que je le convertisse ?!

- Dehors Mason, tu corromps tout ce que tu touches... Et je ne veux pas que tu t'approches trop près de Brandon...

- Tu as raison, garde-le dans cette belle tour d'ivoire que tu es en train de lui construire. Garde-le seul, et tu en feras un double de toi !! Un monstre d'égoïsme qui ne comprend rien à rien, qui s'intéresse plus aux pierres des maisons qu'aux hommes qui y habitent. Tu ne vois donc pas que Brandon souffre ? Tu ne te rends pas compte qu'il est malheureux, que sa mère et ses amis lui manquent... Qu'il est seul... Seul et malheureux...

- Fiche le camp, Mason. Je ne veux plus de toi dans cette maison. Tu ne fais plus partie de cette famille !!

Mason résistait à son père, comme un roc au milieu de l'océan malmené par les nombreux assauts des vagues, mais qui faisait face. C'est au milieu du couloir de l'étage que C.C. et Mason poursuivaient leur dispute.

- Cette famille, comme tu dis, mais plus personne ne veut en faire partie ! Il n'y a que toi qui en parles comme si elle existait encore... Mais il n'y a plus rien. Ouvre les yeux. Tout le monde a déserté la villa. Il ne reste que toi. Toi, qui continues de vivre dans l'illusion de cette famille.

- Arrête. Tu ne sais pas de quoi tu parles.

- Papa, sois lucide. Eden est partie. Kelly est à New York. Et Ted est en transit... Ce n'est pas parce que tu as réussi à obtenir la garde de Brandon et de son petit frère que tu as reconstitué une famille. Ils n'ont pas envie de vivre ici. Ce n'est pas leur place.

- Brandon est mon petit-fils. Il est à moi...

Tout en parlant, Channing repoussait Mason vers les escaliers.

- A toi, mais nous ne sommes pas tes sujets. Et il n'est pas Channing Junior. Ce fils tant adoré, ce fils parfait est mort !

CLAC

Le bruit de la gifle que Channing administra à Mason surpassa les cris.

- Va-t'en et ne remets plus jamais les pieds dans cette maison ! Ce n'est plus ta maison !

- Elle ne l'a jamais vraiment été, papa... Je n'ai jamais vraiment fait partie de cette famille. Il y a toujours eu Mason et les autres ! Et parfois, je me dis que j'ai peut être eu plus de chance. Quand je vois l'avenir des autres enfants Capwell... Je te plains, papa, car tu vas finir tout seul... Seul au milieu de ces vieilles pierres sans vie !

Mason était arrivé dans l'immense hall d'entrée entouré d'arches.

- Ecoute... Ecoute ce silence. C'est cela que tu veux pour Brandon ?... C'est cela que tu souhaites pour cet enfant... Regarde-toi, toi le puissant Channing Capwell, tu vis entouré d'illusions ! Autour de toi, il ne reste que Greg et moi, deux fils dont tu ne supportes pas la présence.

- Va-t'en, Mason... Va-t'en rejoindre ta mère... Et dis-lui que je n'ai pas encore perdu la guerre...

Mason poussa la lourde porte de bois et quitta la villa, tout en se promettant de revenir pour Brandon. Mason s'identifiait tellement à lui : tous deux connaissaient le même destin, séparés de leur mère selon le souhait de Channing Creighton Capwell.

 

Après avoir refermé la porte, Channing se dirigea vers la lourde cheminée qui trônait dans la pièce. Ses yeux se portèrent sur l'immense tableau de la famille qui la décorait. Il s'obligea alors à effacer de sa mémoire les terribles propos de Mason. Oui, sa famille existait encore. Elle était bel et bien là. Quoique puisse en dire Mason, Eden, Ted, et Kelly restaient à ses côtés.

Hôpital de Santa Barbara.

Santana finit par s'endormir, en serrant la main de sa mère. Après une dispute acharnée, elle avait fini par se ranger aux arguments de Rosa : dès sa sortie de l'hôpital, elle allait partir loin de Santa Barbara et s'installer avec sa soeur. Elle devait définitivement tourner la page de son histoire avec Channing Junior. Elle devait oublier pour ne pas être complètement détruite par cette histoire. Rosa avait raison : jamais elle ne pourrait reprendre Brandon. Il lui fallait désormais attendre que Brandon accepte de revenir vers elle.

Port de Las Sirenas.

C'est face aux récifs qui jouxtaient le port de Las Sirenas qu'Eden / Lisa était venue admirer le coucher de soleil. Toute la journée, elle avait arpenté la ville à la recherche de la moindre piste pour retrouver Robert. Longuement, elle avait fouillé les ruines du vieux théâtre où ils se retrouvaient en secret. Mais la ville, l'île, ne portaient plus aucune trace, plus aucune empreinte de leur amour.

Soudain, Eden / Lisa fut prise de frissons, terrassée par un puissant souffle glacé : et si les propos que lui avait tenus son nouvel ami, Kirk Cranston, étaient vrais ? Et si Robert avait définitivement quitté l'île, emporté vers d'autres horizons ?...

Eden / Lisa repoussa les mèches blondes avec lesquelles jouait le vent. Non, cela était impossible : même lorsqu'ils étaient venus l'arrêter pour le meurtre de Raoul Mondragon, il jurait qu'il reviendrait... Robert ne pouvait pas l'avoir oublié. Au fond d'elle, elle savait que l'amour l'attendrait et qu'il lui reviendrait un jour. Elle se laissa alors aller aux souvenirs...

Elle se souvenait de l'amour qui l'unissait à Robert. Ce fut comme un choc, si soudain et si violent. L'amour l'avait prise, possédée dès le tout premier jour. Elle n'avait pas été préparée à cette vague qui déferla sur elle. Pour Robert, elle renia ses origines, elle nia être une Capwell, elle était prête à tous les renoncements pour lui. Tout ce qu'elle pouvait recevoir de Robert, toute l'espérance qu'elle avait en cet amour, restait incomparable à tout ce qu'elle devait abandonner pour être avec lui.

J'ai été si satisfaite durant ces années à Las Sirenas, auprès de Robert. Son amour me portait, me nourrissait, parvenait à me transformer... Lentement, je crois que je devenais cette femme qu'il aurait aimé que je sois...

Pourtant, dans la mémoire d'Eden / Lisa, d'autres moments parfois refaisaient surface, d'étranges sensations dont elle s'interrogeait pour savoir si elles avaient un réel lien avec Robert. Quelque chose au fond d'elle lui criait que l'amour n'était pas fait de renoncement, que c'était au-delà... Cette voix lui susurrait que l'amour n'était pas un abandon de soi, mais la conviction d'avoir trouvé la pièce manquante de notre être profond. Eden / Lisa sentait qu'elle avait déjà connu cette certitude d'être l'axe central de la vie d'un homme. Cette évidence restait écrite dans la chair de son âme... Elle avait aimé et été aimée bien au-delà des mots... Aimée comme on peut le lire dans les plus belles histoires... Aimée au point de se sentir vivante jusque dans la moindre petite cellule de son coeur.

- Robert... Si je te retrouvais, pourrais-je revivre à nouveau ?

Maison de Mason et Julia Capwell.

Julia s'étira longuement; elle baignait encore dans le plaisir de cette folle nuit d'amour qu'elle venait de vivre avec Mason. Au fond d'elle, Julia se félicitait d'avoir suivi les conseils de Bobby Ewing. A présent, elle savait qu'elle faisait bonne route, d'autant qu'au cours de cette nuit, Mason s'était livré à elle comme jamais. Et c'était peut-être ce pur moment d'intimité qui l'avait comblé au-delà de toutes ses espérances. Mason lui avait raconté sa dispute avec Channing, lui avait parlé de la souffrance de Brandon et de la sienne... Pour la première fois depuis de longs moments, Mason avait non pas trouvé refuge dans l'alcool, mais auprès de sa femme.

Epanouie, Julia se prépara à retrouver Mason avant le transfert de Gracie vers un autre tribunal, où elle allait être jugée.

Poste de police de Santa Barbara.

Deana Kincaid surveillait une nouvelle recrue de la police. Ouvertement, elle fixait attentivement chacun de ses mouvements, certaine que sous l'uniforme se cachait un réel corps d'athlète.

Elle dû mettre un terme à sa séance, lorsqu'un vieil inspecteur la conduisit dans la salle d'interrogatoire où l'attendait le docteur Marcello Armonti pour une interview exclusive.

Une dernière fois, bien que les caméras soient absentes, Deana arrangea ses mèches pour leur donner l'aspect voulu : un élégant coiffé décoiffé...

- Vous avez le temps que vous voulez... Un garde sera présent avec vous car, bien entendu, vous n'avez ni le droit de filmer, de prendre des photos, ou encore de toucher le suspect.

Deana fit signe d'un mouvement de tête qu'elle avait parfaitement compris le message. Et elle prit place face à l'éminent psychiatre qui la fixait de ses yeux bleus intense. Nul doute qu'il jouait là encore une de ses cartes maîtresses.

- Pour que votre reportage soit complet, il est nécessaire de commencer l'histoire à son tout début. Je m'appelle Hans, et je suis né dans un pays où les Capwell n'existent pas. Mon univers s'est effondré le jour où ma route, ainsi que celle de ma jeune soeur, a croisé celle de Channing et Grant Capwell...

Deana l'écouta longuement. Marcello lui conta l'histoire de sa soeur, kidnappée et vendue aux nazis par Grant Capwell et Winnie Bradford. Marcello lui parla des tortures auxquelles elle fut soumise... Il lui parla de la toute première fois où il vit Channing Creighton Capwell, soldat américain protégé par ses parents. Il lui conta les jeux du hasard qui lui firent rencontrer un jour de mai 1969, une jeune femme échouée sur la plage : Sophia Capwell. Il lui avoua son envie de justice, son besoin vital de venger la souffrance et la mort de sa soeur... Il lui parla des événements qui se succédèrent sans que réellement il intervienne, le mariage de Sophia et du Comte Armonti, l'amnésie de Sophia envers son passé, jusqu'à ce qu'elle lâche dans un cri, le nom de Channing Capwell...

Après plus de deux heures de confidences, Deana quitta la prison certaine de tenir là un véritable scoop : elle tenait entre les mains le sort des Capwell...

 

Poste de police de Santa Barbara.

Alors que Deana Kincaid écoutait les confidences de Marcello Armonti, Julia Capwell s'assit au soleil sur les marches, à l'entrée des locaux. Tout en buvant un café, elle songeait au passé, d'abord à Cruz qui avait travaillé ici, à Keith Timmons, le procureur corrompu, puis à Michael Donnelly... Un vent de nostalgie soufflait autour d'elle. Cruz lui manquait tant. Elle réalisait à présent à quel point son départ l'avait laissée seule, seule et abandonnée. Heureusement, elle avait retrouvé hier soir la présence de son mari. Le souvenir de leurs retrouvailles charnelles la fit presque rougir, elle la femme forte et indépendante.

Julia ne remarqua pas tout de suite la subite effervescence qui naissait autour d'elle. Ce n'est que lorsqu'elle entendit les cris et vit les journalistes qu'elle réalisa que le transfert de Gracie vers une  autre prison du comté était en train d'avoir lieu. Elle remarqua tout de suite la présence de Mason. Il se tenait aux côtés de la jeune fille. Julia ne comprenait toujours pas les raisons de son soutien. Julia, elle, ne voyait que les risques qu'ils avaient frôlés... C'est à peine si Julia osait penser aux nombreuses fois où Gracie avait gardé Samantha.

Julia s'approcha du regroupement de personnes. Elle écarta d'une main ferme les journalistes : elle n'avait rien à dire sur Gracie. Elle s'approchait toujours. Elle posa sa main sur le bras de son époux pour lui donner du courage et pour lui témoigner son soutien. Au même moment, son regard croisa celui de Gracie Lively. Julia détourna la tête. Elle ne pouvait toujours pas comprendre son geste. Elles étaient mère, et une mère ne peut pas faire le geste qu'elle avait eu.

 

Lorsque le transfert fut achevé, Julia et Mason se retrouvèrent à l'écart sous un palmier. Ils s'embrassèrent longuement. Julia s'abandonnait aux baisers de son mari. Son être entier frémissait sous ses mains.

- Je suis heureuse de t'avoir retrouvé. C'est comme si je retrouvais ma maison après de long mois d'absence...

- Merci pour la comparaison... En espérant que tu n'aies pas le ménage à faire... Tu aurais dû parler à Gracie, je suis certain qu'elle aurait été contente...

- Je ne peux pas, Mason. Je n'ai vraiment rien à lui... Je ne peux, ni ne veux comprendre les raisons de son geste. C'est au-delà de mes forces...

- Pourtant, quand on l'écoute, ce qui est terrible, c'est qu'on se rend compte qu'elle n'avait pas vraiment d'autres choix. Je crois vraiment qu'elle aimait Chester, mais qu'elle était trop jeune et trop seule.

- Mais on était là, nous...

- Oui, on était là. Mais on ne voyait pas la vraie Gracie, celle qui souffrait, celle qui rêvait d'une autre vie... Elle me fait tant penser à moi ou à Brandon. Nous sommes enfermés dans une vie qui n'est pas la nôtre. C'est horrible de se rendre compte que les autres nous imaginent différemment de ce que nous sommes réellement. Regarde Brandon, regarde la façon dont on voit Gina et la façon dont lui, il voit sa mère. Comment veux-tu qu'il ne souffre pas ? A force, nous sommes obligés de devenir l'image que les autres nous renvoient. J'ai grandi en n'étant pas le vrai Mason... Et aujourd'hui, je me bats pour que Brandon ne subisse pas cette souffrance. Il n'a pas à être élevé comme s'il était Channing Junior...  Ce sera trop lourd à porter... Demain, j'irai à la villa et j'essayerai de parler à C.C.. Je t'en parle, pour que tu comprennes pourquoi je vais aider Gina à reprendre la garde de son fils. Ma décision est prise. Et je peux te jurer que les raisons qui me motivent n'ont rien à voir ni avec Gina, ni avec mon père. Je ne pense qu'à Brandon... Je ne voudrais pas qu'il finisse comme moi.

Julia passa ses bras autour de Mason : l'homme qu'il laissait apparaître à présent devant elle, osait afficher ses blessures. Elle ne l'en aimait que davantage. Et, en cet instant, elle ne craignait pas Gina...

 

Villa Lockridge.

Augusta referma à double tour la porte de la villa; elle ne voulait surtout pas être dérangée. Elle se précipita dans les étages, ordonna à Breeze IV de se coucher et de surveiller le passage. Seule dans l'ancienne chambre à coucher de Minx, Augusta tira les lourds rideaux de velours. Ce n'est que lorsqu'elle eut la certitude qu'elle était seule et que personne ne viendrait la déranger, qu'elle sortit de sa cachette la mallette de métal qu'elle avait retrouvé près du corps de Franco Parisi.

- A nous deux, maintenant. Je vais enfin savoir ce que tu as dans le ventre...

Avec facilité, elle crocheta les vieux cadenas qui maintenaient scellée la mallette.

- Ma réserve de champagne que Pamela donnerait un empire pour me reprendre... Tu sais il ne s'agit que de vieilles photos et de vieux papiers !

 

Atrium, Villa Capwell.

Après une nuit agitée passée dans son bureau, Channing gagna l'atrium de sa villa pour prendre son petit-déjeuner. Ses yeux rougis par le manque de sommeil occupaient tout son visage. Il avait cherché, cherché un moyen de contrer les plans de Pamela. Il n'avait pas trouvé la moindre solution qui le satisfasse vraiment. Et il s'était résigné au milieu de la nuit à perdre une grande partie de l'Empire Capwell pour sauver sa famille.

Il se dirigea, la tasse à la main, vers une baie vitrée ouverte. Il avait besoin d'air. Il prit place sur un fauteuil en rotin sous la terrasse, à proximité de la piscine.

- Heureusement que cette villa a toujours été dissociée des Entreprises Capwell... Tu ne pourras pas me la prendre, Pamela. Lors de notre divorce, tu avais essayé déjà de me la voler. Aujourd'hui encore, elle ne t'appartiendra pas...

Et tandis qu'il se parlait à voix haute, il remarqua le journal posé là. Il s'agissait du Santa Barbara Conscience. Machinalement il l'ouvrit et quel ne fut pas le choc lorsqu'il vit le titre : A la recherche d'Eden Capwell...

Son sang ne fit qu'un tour.

- Ce maudit Lockridge ne perd rien pour attendre... S'il cherche un Capwell, il va me trouver !

Son sang bouillait. Le départ de Sophia, la disparition d'Eden, sa rencontre d'hier avec Mason, tous ces événements avaient eu raison de la patience de C.C..

Il se dirigea avec rapidité vers son bureau. Et lorsqu'il passa à proximité de la cuisine, il entendit des voix : il reconnut tout de suite celles de Ted et de Warren Lockridge...

- Non mais, dites-moi que je rêve...

C.C. se rua tel un taureau vers la cuisine.

- Fous-moi ce type hors de ma maison... Et tu peux prendre avec toi ce ramassis de mensonges... Je ne veux pas d'un Lockridge sous mon toit...

Ted essaya de s'interposer, mais Channing ne voulait rien entendre. Il parvint, non sans mal, à empêcher son père de frapper son ami. Et c'est non sans mal aussi qu'il supplia Warren de ne pas répondre aux attaques de son père.

- Warren, laisse-nous, s'il te plait. Il faut que je parle avec lui. Je t'appellerai après.

Warren quitta la pièce, laissant à Ted la plaisir d'expliquer à C.C. les raisons de cet article.

Channing ne voulait rien entendre. Comprendre qu'on puisse étaler les problèmes de la famille, de leur famille, dans la presse, restait bien au-delà de ses facultés...

 

Au même moment, sur la plate-forme qui lui servait de QG, Pamela Pepperidge se délectait de l'article...

- Pauvre Channing, à croire que le ciel est en train de te tomber sur la tête... Plus que quelques heures, et je te prendrai tout ce qui me revient de droit !

 

Assise dans sa loge, Deana ne pouvait s'empêcher de sourire.

- Channing, après cet article, je suis certaine que tu seras prêt à aligner les millions pour m'empêcher d'écrire le mien...

Chapitre 33