Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 27 : Femmes des années 80... |
|
Et
avec la participation exceptionnelle de Jane Wyman dans le rôle d'Angela Gioberti Channing Erikson Stavros Agretti |
Femme
des années 80,
Mais femme jusqu'au bout des seins,
Ayant réussi l'amalgame
De l'autorité et du charme.
Femme des années 80,
Moins Colombine qu'Arlequin,
Sachant pianoter sur la gamme
Qui va du grand sourire aux larmes.
Être un P.D.G. en bas noirs,
Sexy comm'autrefois les stars,
Être un général d'infanterie
Rouler des patins aux conscrits.
Vignoble de Falcon Crest : Angela la maîtresse femme.
Chao-Li
accompagna Augusta Lockridge dans les chais de Falcon Crest.
Conformément à la demande d'Angela Channing, Augusta était venue le
plus vite possible à ce curieux rendez-vous.
Les
deux femmes s'étaient déjà rencontrées et Augusta se demandait bien ce que
cette étrange vieille dame pouvait bien lui vouloir. Elle la trouva devant des
grands tonneaux de bois, en train de déguster différents vins, en compagnie de
Lance Cumson.
-
Madame Channing, votre invitée est là.
-
Merci Chao-Li.
Sans que le moindre mot soit prononcé, tout le monde s'écarta, laissant les deux femmes face à face. Curieusement, au-delà de l'apparence physique se dessinait une réelle similitude entre Augusta et Angela.
Angela
servit lentement un verre de vin à Augusta.
-
Tenez, gouttez-moi ce vin.
-
Je ne pense pas que vous m'ayez fait venir jusqu'ici pour une séance de
dégustation privée.
-
Buvez, vous comprendrez alors...
Augusta
porta le verre de rouge à ses lèvres et, juste après y avoir trempé les
lèvres, le reposa, manquant de recracher le peu de liquide qu'elle venait de
boire.
-
Mais il est dégoûtant !
-
Je ne vous le fais pas dire. Il s'agit du premier pressage obtenu à partir des
raisins Agretti, sur les terres de Santa Barbara.
Une
lueur s'éclaira alors dans les yeux d'Augusta; elle commençait à comprendre
les raisons de sa convocation sur les terres de Falcon Crest.
Une
vive discussion s'engagea entre les deux femmes, l'une et l'autre comprenant
parfaitement les enjeux de leur alliance. Angela aspirait, en plus de la
sauvegarde de ses terres, à punir les responsables de ce désastre qui allait
coûter une fortune à Falcon Crest. Augusta, quant à elle, désirait maintenir
à flot le projet de Pacific Sud. Et lentement, au fil de leur discussion, des
possibilités se dessinèrent.
-
Vous savez, Augusta, pour moi, il n'y a rien de plus important que la terre. C'est
mon grand-père qui m'a donné l'amour de la terre et du vignoble, et qui m'a
fait comprendre que je ne pourrai jamais m'en passer. La terre. Encore et
toujours la terre, il n'y a que cela qui reste. Et quand je vous vois vous
battre pour Pacific Sud, je me dis que vous devez aimer et respecter la terre
autant que moi...
Augusta
lui souriait : la terre, elle n'en n'avait jamais eu à elle. De sa
famille, il ne lui restait rien. Aujourd'hui, le seul morceau de terre qu'elle possédait
lui venait de sa belle-mère. Et quant à Pacific Sud, elle l'avait en partie
volé à Channing Capwell...
Angela
remit un lourd dossier à Augusta.
-
Pour que vous puissiez sauver votre terre... Et faites-moi plaisir, faites en
sorte que le responsable de ce désastre paye...
Augusta
acquiesça. A présent, elle savait qu'elle avait la meilleure carte entre les
mains. Elle allait sauver les Entreprises Capwell et dirigerait Pacific Sud...
Augusta
écoutait d'une oreille plus qu'attentive les instructions d'Angela Gioberti
Channing, consciente de l'expérience de cette femme en terme d'intrigues. De
temps à autre, elle lui posait des questions afin d'éclaircir quelques
détails. Angela termina son plan d'action, en lui rappelant le pouvoir de la
presse, et en lui montrant la une de demain du San
Francisco
Globe
(quotidien qui appartenait à Angela) : Le combat d'une femme pour sauver un bout de terre !
L'article, basé principalement sur Augusta Lockridge, s'accompagnait d'une
photo récente d'Augusta. A la vue de la une, Augusta ne put s'empêcher de
songer à la tête de C.C..
Angela quitta Falcon Crest, des rêves plein la tête, et surtout une formidable envie de construire avec Pacific Sud bien plus qu'un centre écologique, mais un véritable lieu de pouvoir où elle serait reine !
Tribunal de Santa Barbara.
Kirk
referma avec violence la porte du bureau du juge David Raymond. Son
mécontentement se lisait sur son visage. Cette dernière journée de procès,
contrairement au début, ne se passait plus sous un ciel clément pour les deux
hommes. Julia Capwell et Daniel McBride, lentement, commençaient à inverser la
donne.
-
Vous croyez réellement que je ne fais pas tout mon possible pour contrer leurs
attaques... Mais, il y a certaines choses que je ne peux pas faire, surtout en
plein tribunal. Cela serait aller contre la loi...
-
David, vous imaginez quoi ? Que nous n'avons pas encore franchi la
barrière de la loi. Ah Ah Ah... David, ça y est, vous n'êtes plus un juge
honnête, il faut vous faire une raison.
-
Kirk, ce n'est pas aussi simple.
Kirk
s'appuya des deux mains sur le bureau de David; leurs visages ne se trouvaient
qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. La violence des yeux de Kirk
terrassait les dernières convictions de David.
-
David, j'ai des comptes à rendre. Pour moi aussi, cela n'est pas simple !
Et j'ai autant à perdre que vous. J'ai même dû refuser l'offre d'Augusta pour
honorer le contrat de sang avec celle qui tire toutes les ficelles. J'ai tué,
volé, mis le feu pour qu'elle puisse assouvir sa vengeance... Vous et moi, nous
sommes impliqués. Toutes les preuves ne remontent que jusqu'à nous. Et si vous
voulez vous en sortir et retrouver un semblant de vie, nous devons gagner ce
procès et détruire les Entreprises Capwell, quelqu'en soit le prix !
-
Mais, je dois respecter la loi et tenir compte des objections de Julia...
-
Gagner le procès c'est tout ce qui compte... Ne vous laissez pas embobiner par
Julia Capwell... Si vous voulez, David, je peux m'en occuper
personnellement !
- J'ai compris, Kirk. Faites ce que vous avez à faire. Je saurai gérer ce qui se passe dans mon tribunal.
Tribunal de Santa Barbara : Madeline, une douce revenante.
Kirk quitta rapidement le bureau de David : il était préférable tant pour lui que pour le juge qu'on les remarque le moins possible ensemble. Kirk mit une large casquette et ses lunettes noires pour protéger son visage et s'arrêta un moment dans le parc, autour du palais de justice. Là, il vérifia que personne ne s'intéressait à lui et téléphona à Pamela Capwell, pour lui rendre compte de la situation. Pamela semblait très contrariée : le procès n'allait pas aussi vite qu'elle le voulait.
Après
avoir raccroché, Kirk dû s'asseoir un moment sur un banc. Depuis la grande
soirée à l'Oasis et la mort du Général Bradford, son état de santé se
dégradait lentement. A présent, il avait pris conscience que les flashes qu'il
voyait régulièrement étaient des souvenirs de la vie de Madeline Capwell. Les
images de viol, la joie d'avoir vu Michael Bradford mort, sa haine envers les
Capwell, son trouble à chaque fois qu'il croisait Courtney, tous ses souvenirs
appartenaient à Madeline. De temps à autre, elle remontait, via son coeur, à
la surface pour reprendre le contrôle.
A
cette seconde, il savait que Madeline était là, prête à faire brusquement
son retour. De la sueur coulait sur son front, son souffle s'emballait et une
vive douleur pulsait dans sa poitrine. Pourtant, il ne comprenait pas pourquoi.
Ses actions allaient dans le même sens que les rêves de Madeline. Michael
Bradford II était mort. Channing, le cousin qui avait protégé son bourreau,
risquait de perdre ce qui lui tenait le plus à coeur : les Entreprises
Capwell. Courtney allait trouver un semblant de paix dans un hôpital où, petit
à petit, elle pourrait reprendre goût à la vie.
Kirk
ne comprenait pas.
Lentement, il se leva et quitta les lieux pour gagner au plus vite son repaire sur les hauteurs, car il savait qu'il devait préparer la suite du plan de Pamela.
Bar de la plage : Gracie, la femme enfant. Gracie
recommanda un second cocktail. Elle avait pris place au bar de la plage,
en milieu d'après-midi, toute seule loin de ses copines qui l'ennuyaient
à présent, pour profiter de la belle journée qui s'offrait à elle.
Elle avait réussi à effacer toutes traces du drame personnel qu'elle
traversait pour redevenir Gracie Lively, la jeune fille qu'elle était
avant la naissance de Chester, avant sa rencontre avec Billy. Gracie jouait avec la paille de son verre, savourant chaque seconde de cette vie retrouvée. Soudain, une chanson qu'elle adorait retentit. Elle ôta ses tongs et rejoignit la piste de danse sur le sable. Son corps se libérait du stress, des angoisses, de sa peine, de la douleur accumulée depuis plusieurs mois. Et Gracie, lentement, redevenait celle qu'elle avait toujours été au fond d'elle, celle qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être...
|
Souterrain de la Villa Capwell : Gina la femme arriviste.
-
Depuis le temps, ils auraient pu penser à mettre la lumière !
Gina,
ex-Capwell, avançait prudemment à la faible lumière de son téléphone
portable dans le tunnel qui reliait la villa Lockridge à la villa Capwell. Elle
se félicitait d'avoir conservé un double des clés de la propriété de son
avant dernier ex-mari, à savoir Lionel Lockridge. Gina savait qu'elle
approchait du bureau de la villa Capwell, à la vue des nombreux vestiges de l'explosion
de 1985. Elle manqua plusieurs fois de se tordre la cheville en enjambant des
rochers; à chaque fois, elle lâchait un juron.
Arrivée
au bout du tunnel, elle marqua un long temps d'arrêt pour s'assurer que
personne n'était présent dans le bureau. Si elle avait pu s'assurer qu'Augusta
avait déserté la villa Lockridge, elle n'avait pas pu s'assurer de l'absence
de C.C.. Et, Gina restait intimement persuadée que C.C. ne l'accueillerait pas
les bras ouverts !
Lentement,
Gina poussa le battant mobile de la bibliothèque. La pièce était vide. Au
loin, elle entendait parfaitement la voix du maître des lieux, en compagnie de
Julia et de Daniel McBride. Au ton de sa voix, elle sentait que Channing devait
être en colère, à la limite de la crise cardiaque.
Gina,
qui à présent été divorcée, se retrouvait sans le sou, sans logement, sans
moyen de faire pression sur les Capwell ou les Lockridge. Elle s'activait à la
recherche d'une information à vendre au plus offrant, dans le procès qui
passionnait tout Santa Barbara.
-
Suivant ce que je trouve, je suis certaine que Kirk serait intéressé... Après
tout, ne rêve-t-il pas lui aussi de faire plier le grand Channing Capwell...
Divers
documents, bien classés dans des pochettes de couleur, étaient posés sur le
lourd bureau. Sur le premier, Gina lut Orient-Express : le restaurant
ouvert et géré par Eden connaissait actuellement des travaux de rénovation.
Bien que Gina se voyait parfaitement en maîtresse de restaurant, elle écarta
le dossier, certaine qu'elle n'y trouverait rien de fameux.
Soudain,
elle entendit des pas qui se rapprochaient. Elle se cacha, accroupie, derrière
le meuble, alors que C.C. lui-même entrait dans la pièce.
-
Daniel, je voulais vous dire aussi que je n'ai toujours pas reçu du tribunal,
la preuve de mon divorce d'avec cette garce de Gina.
De
dessous le bureau, Gina lui tira la langue : «Si tu savais Channing,...»
pensa-t-elle.
Elle
entendit Channing déposer un dossier sur le bureau. Et dès qu'il fut parti,
Gina se précipita hors de sa cachette et s'empara du dossier. Il s'agissait de
futur contrat pour des acquisitions de terrains autour du projet Pacific Sud. Le
dossier contenait la liste de tous les propriétaires autour du complexe, ainsi
que le montant maximal pour l'achat. Gina ne comprenait pas bien la logique de
Channing : ne possédait-il pas suffisamment de terres pour réaliser avec
Augusta son projet écologique ?
Elle
passa ensuite à un autre dossier qui ne portait pas encore d'étiquette. Et
là, rapidement, elle sut qu'elle tenait ce qu'elle espérait. Il s'agissait d'un
projet de gazoduc. L'esprit pervers de Gina se mit à marcher à plein régime.
Elle sortit son téléphone et s'empressa de prendre en photo tous les documents
du projet. Elle pouvait même voir sur une carte le tracé du gazoduc. Il
arrivait au coeur-même de Pacific Sud.
-
Ah, Channing, je te retrouve bien là... L'écologie... Crois-tu qu'Augusta
serait contente d'apprendre que tu es en train de la doubler ? Et le public...
Gina
souriait : elle tenait sa revanche sur Channing et sur Augusta...
Avant
de quitter les lieux, elle remit tous les documents en place. Serrant son
téléphone contre elle, Gina rayonnait. Elle se voyait déjà affrontant C.C.
et marquant les points de la victoire finale.
-
Et si je l'obligeais à se remarier avec moi ? On pourrait peut-être
battre les records de mariage et de divorce !!
Telle une petite souris, Gina repoussa la bibliothèque et repartit par le même chemin.
Ruines Maya de Tulum, Mexique : Santana la mère meurtrie.
Santana
Andrade arrangea ses cheveux. A présent que le flot de touristes avait quitté
les lieux, elle pouvait redevenir elle-même. Elle guidait Brandon, son petit
garçon, alors qu'ils descendaient un très vieil escalier pour rejoindre la
plage. Là, ils prirent place au bord de l'océan. Depuis leur arrivée à
Tulum, ils avaient à peine échangé quelques phrases : une nouvelle
étape dans leurs rapports venait d'être franchie. Et pour la première fois,
depuis que sa route avait croisé celle de la jeune mexicaine, Brandon avait
peur d'elle.
Santana
sortit de son sac à dos les sandwichs qu'elle avait achetés un peu plus tôt.
Ses mains, depuis le milieu de la journée (au milieu des touristes, elle avait
cru reconnaître la silhouette de Mason), s'étaient remises à trembler et, par
moments, sans raison apparente, elle devenait absente de son propre corps, de
son propre esprit...
Brandon
prit à boire et à manger, et alla marcher les pieds dans l'océan; au fond de
lui, il ressentait la nécessité de la laisser seule un moment.
Santana
regarda s'éloigner ce fils, qu'elle aimait par-dessus tout. Elle se savait
capable de donner sa vie pour lui, et pourtant, à aucun moment, elle ne voyait
de contradiction entre ce qu'elle était en train de lui faire vivre et cet
amour. Son esprit malade lui ordonnait de reprendre son fils; que Gina n'était
pas une bonne mère pour lui, car elle ne l'aimait pas. Et puis, depuis
plusieurs jours, elle entendait la voix de son Channing. Channing Junior lui
murmurait les souvenirs d'un passé qui n'existait pas vraiment.
Sans
qu'elle s'en rende compte, Santana avait glissé vers la folie. Il lui fallait
éloigner Brandon de Gina, des Capwell, de tous ces êtres qui pouvaient lui
faire du mal. De Mason à Channing, elle savait la main mise qu'ils voulaient
avoir sur elle ou sur lui... Elle savait parfaitement de quoi ils étaient
capables au nom de l'héritage Capwell, au nom de la famille Capwell, au nom de
l'amour... Ils voulaient en faire un autre Channing Junior... Un autre héritier...
Quant à Gina, elle s'en servait comme d'une arme, un clé magique capable de
lui ouvrir les portes du coffre Capwell...
«Heureusement que je suis là et que je veille sur mon petit garçon.
Avec moi, auprès de moi, sa mère, je sais qu'il ne pourra rien lui arriver. Il est à moi... C'est mon fils...»
Le
corps tremblant, Santana se laissa submerger par la fatigue. C'est à peine si
elle gardait conscience du temps présent. Car que restait-il de sa vie ?
Des rêves de sa vie, il ne restait plus que Brandon... De ses amours, toujours
torturés avec les Capwell, il ne restait qu'un tas de cendres. De Channing
Junior à Mason, en passant par Channing, elle s'était détruite, pensant
toujours trouver un moyen de reprendre son fils. Et aujourd'hui qu'elle l'avait
retrouvé, elle ne laisserait personne se dresser entre elle et lui. D'ailleurs
la voix de Channing Junior qui lui avait dicté sa conduite avait raison :
elle devait garder Brandon et l'éloigner à tout jamais des Capwell.
Santana se replia sur elle-même. Le froid la gagnait.
Sur
la plage, Brandon, de temps en temps, lançait des regards vers elle. Il la
surveillait discrètement, soucieux d'éviter une nouvelle crise, comme celle qu'il
avait dû affronter un peu plus tôt dans la journée. De la femme qu'il avait
connue des années plus tôt, il ne restait pas grand-chose. Santana se
révélait être rongée de l'intérieur par la folie, une folie qui l'obligeait
à fuir toujours plus loin, à repousser toujours plus les limites de la raison.
Et aujourd'hui, ils se terraient là, sur les plages de Tulum, dans l'attente de
l'arrivée soit de Mason Capwell ou de Warren Lockridge.
Brandon s'assit sur un rocher qui mourait dans l'océan. Il craignait un peu pour sa vie. Il lui tardait aussi de retrouver Gina, sa mère, conscient de l'insécurité qu'il côtoyait auprès de Santana. Jour après jour, il était le témoin privilégié de sa descente aux enfers.
Terrasse du Club 71 : Deana Kincaid, la femme mensonge.
Terminant
sa seconde coupe de cocktail, Deana Kincaid admirait la vue sur la baie de Santa
Barbara. Sur la table, à ses côtés, le journal était ouvert sur la double
page de son article spécial. Elle était plutôt fière de son article sur les
Capwell et sur le procès qui divisait la ville. Bien sûr, elle avait dépeint
Channing Creighton Capwell comme un monstre qui, de jour en jour, étendait les
tentacules de son pouvoir sans se soucier de la vie des pauvres habitants de la
ville. D'ailleurs, l'incendie et la pollution qui ravageaient le site de Pacific
Sud allaient parfaitement dans ce sens.
Certes,
Deana ne s'attendait pas à recevoir le prix Pulitzer pour cet article. Mais,
elle espérait qu'un éditeur s'intéresse davantage à la famille Capwell et
lui propose un jour d'écrire une biographie de C.C. Capwell. Et afin de
parvenir à cette fin, elle avait envoyé la trame de son futur livre à
plusieurs éditeurs de la côte est.
Tout
en songeant à l'avenir rose qui s'offrait à elle, le regard de Deana se porta
sur la baie et finit par se perdre sur les hauteurs du quartier résidentiel.
Là, bientôt se dresserait le futur centre de recherches écologiques et
environnementales des Entreprises Capwell : Pacific Sud. Deana se moquait
réellement de l'intérêt économique ou écologique d'une telle structure.
Politique ou écologie n'avaient que bien peu d'attrait à ses yeux. Non, Deana
préférait à cela le parfum du scandale et avec la vie des Capwell, elle
était servie.
Bien
sûr son article faisait référence à l'incendie qui avait ravagé une partie
des terres à la limite de la ville et à son origine douteuse. Deana, sans la
moindre preuve, étayait la théorie du juge David Raymond : Channing, au
travers de ses entreprises, avait faillit détruire la ville. Elle revenait
alors sur les deux vagues de marées noires qui avaient grandement pollué la
baie : celle de 1984, due à l'explosion d'une plate forme Capwell au large
de l'océan, et celle de 1988, qui trouvait pour origine la guerre entre les
ex-femmes Capwell.
Avec
ce combat entre Sophia et Pamela, Deana tissait un curieux parallèle entre les
Entreprises Capwell et la vie tumultueuse des Capwell. Pour elle, et elle
essayait de le démontrer aux lecteurs, la gestion des entreprises s'effectuait
de la même façon que C.C. gérait sa vie sentimentale et familiale. Deana,
dans son article, évoquait à peine le meurtre de Channing Junior, préférant
s'attarder sur les moyens mis en place par les Capwell pour faire condamner un
innocent : Joe Perkins. Puis, elle glissait lentement sur les nombreuses
morts qui jalonnaient la vie des Capwell : Mary DuVall, Mark McCormick, Hal
Clark, Elena Nikolas, Dylan Hartley (qui avait osé édifier un casino, un monde
de débauche et de perversion à la limite des côtes). Puis, sans subtilité
aucune, elle parlait de tous les scandales qui «rendent moins ennuyeuse» la
vie des Capwell : le procès de Ted pour viol, les nombreux mariages et
divorces, l'alcoolisme de Mason, la double personnalité d'Eden, la tentative de
prise de contrôle de Tonell...
Deana avait tout consigné, laissant lentement le lecteur glisser vers ce qu'elle considérait comme la vérité. Channing risquait de détruire la ville. Incapable de gérer sa vie sentimentale, il l'était tout autant pour gérer sa vie professionnelle !!!
Villa Capwell.
Channing
referma derrière Augusta Lockridge la lourde porte de sa villa. De mémoire, il
n'avait jamais été aussi content de la voir. Augusta, en échange de parts sur
Pacific Sud, venait de lui rendre les pleins pouvoirs sur les comptes Capwell et
sur la gestion des Entreprises Capwell. Il venait de ressigner les documents qui
faisaient de lui le maître incontesté de l'empire Capwell.
Maintenant
qu'il était à nouveau débarrassé de Gina et qu'il venait de retrouver l'entière
gestion de ses biens, Channing se sentait redevenu un autre homme. Il se sentait
à nouveau Capwell jusque dans la plus infime fibre de son corps.
Channing
consulta sa montre. Dans un moment, Daniel McBride viendrait le tenir informé
du procès et il pourrait lui remettre l'accord signé entre Augusta et lui.
Channing gagna alors le belvédère pour y prendre son petit-déjeuner. Son
premier geste fut alors de consulter les journaux. Depuis que Warren Lockridge
dirigeait la rédaction du Santa
Barbara Conscience,
Channing ne lisait que le Santa
Barbara Chronicles.
Naturellement, son regard se porta sur les titres et ses yeux de félins s'accrochèrent sur l'annonce de l'article de Deana Kincaid. Il s'empressa d'ouvrir le journal. Puis...
-
Ce n'est pas possible...
En
même temps que son cri, sa tasse de café vola dans le parc de la propriété.
-
Ce n'est pas possible ! Il n'y a donc personne pour défendre correctement
mes intérêts. Faut-il que j'intervienne directement pour protéger ma
compagnie... ?
L'article
était double : dans une première partie, il dressait un portrait de lui
des plus insultants, ponctuant son récit d'événements sortis de leur
contexte : du meurtre de Channing Junior à ses nombreux mariages avec Gina
DeMott, des problèmes de ses enfants aux marées noires qui avaient pollué la
région, tout y passait, le meilleur comme le pire, surtout le pire. La seconde
partie de l'article détaillait les points d'attaque des associations
écologistes (résumés à l'appui) et les arguments de défense de ses avocats.
Deana citait uniquement l'absence du fameux protocole d'accord entre les
Entreprises Capwell et le Général Baldwin Bradford, aujourd'hui décédé.
Channing
enrageait. Il savait par expérience que l'opinion publique dans ce type de
procès était des plus importantes et il se voyait mal comment, actuellement,
il pourrait inverser la tendance.
-
Cela ne va pas se passer de cette façon ! Puisqu'elle veut la guerre, elle
va l'avoir.
Channing
était en train de téléphoner, lorsque Daniel, avec Greg, s'avança vers lui.
Il raccrocha avant que la personne au bout du fil puisse répondre. Channing
apostropha Daniel d'un ton glacial.
-
Daniel, j'imagine que vous avez lu la presse !
-
Monsieur Capwell, un procès ne se gagne pas en fonction de la presse, ni même
dans les premiers jours.
-
Non, mais il peut se perdre !
Le
visage de Daniel s'empourpra.
-
Ce n'est pas non plus de la faute de Daniel ou de Julia si les écologistes sont
remontés contre les Entreprises Capwell !
-
Non. Mais si Daniel passait plus de temps à assurer ma défense qu'à faire vos
sales affaires, le soir...
-
Channing ! Cela n'a rien à voir !
-
Tu crois, Greg !
Julia
arriva, mettant involontairement un terme à la dispute qui allait éclater.
Habituée aux violentes crises de C.C., elle présenta la suite de leur action
au tribunal. Elle mentionna la manifestation organisée par Augusta, qui
inversait un peu la tendance dans l'esprit de la population. Après tout,
Pacific Sud allait offrir de nombreux emplois aux habitants de la ville.
-
Je reste convaincue qu'en détaillant très précisément les avantages de
Pacific Sud sur la région, sur la recherche, sur l'écologie, nous pouvons
encore faire changer d'opinion la presse.
-
Peut-être, Julia, mais le juge...
-
Pour David Raymond, il est contre nous, c'est une évidence. Mais cela n'a pas d'importance.
Daniel et moi sommes en train de lancer une procédure pour le destituer de l'affaire.
-
Ne pourrait-on pas trouver un autre moyen de pression, avec Angela son ex-femme...
-
Légalement, Channing. Il n'y a que de cette façon que nous pourrons gagner.
Channing
marqua un long moment de silence.
-
Et ensuite ?
Daniel
reprit la parole.
-
Ensuite, nous comptons présenter le procès de la Denver Carrington, survenu en
1990. Et demander qu'il fasse jurisprudence. Les liens entre ces deux procès
sont des plus évidents. Blake Carrington avait confié une partie de son pôle
de recherche au gouvernement, sans trace écrite. Suite à une explosion, après
le procès, le gouvernement a été jugé responsable et la Denver Carrington n'a
rien eu à payer.
-
Hum...
Channing
paraissait sceptique...
-
Je suis certain que Mason aurait trouvé d'autres pistes pour défendre son
héritage. Lui au moins il n'aurait pas eu peur de se salir les mains.
-
Monsieur Capwell, nous ne savons pas ce qu'aurait fait Mason. Mais je puis vous
assurer que nous faisons de notre mieux...
-
Je sais. Vous me l'avez déjà dit !
Julia
s'interposa entre les deux hommes.
-
Channing, nous faisons tout ce qui est légalement possible pour gagner le
procès. Mais en l'absence de documents entre l'armée et vous, il reste
beaucoup trop de zones à éclaircir.
-
Des détails, Julia... Des détails... Et Mason...
-
Channing, peut-être que Mason ne vous aurait pas suivi. Peut-être qu'il aurait
aidé les associations écologistes pour vous détruire. Peut-être que son
héritage, il s'en moque... Tout comme ne s'en soucient pas Ted, Kelly et Eden...
Le
poing de Channing atterrit en plein visage de Greg.
-
Je ne te permets pas. Tu as beau être mon enfant, il y a des limites à ne pas
franchir..
-
Channing, ce ne sert à rien de nous déchirer. Nous devons nous concentrer sur
le procès...
- Julia, j'ai pleinement confiance en vous, mais quand j'entends de telles absurdités...
Jardin d'enfants : Julia la femme, épouse et mère.
-
Samantha, ne t'éloigne pas trop...
-
D'accord maman...
Julia
accompagna sa fille qui courrait en direction des jeux de bois. Puis, elle se
laissa totalement réchauffer par les rayons du soleil. Elle en avait besoin.
Bien qu'elle s'abandonnait lentement, elle gardait un oeil rivé sur la
silhouette de Samantha; elle ne pouvait s'en empêcher. D'autant qu'elle avait
déjà connu ses longues heures d'angoisse lorsqu'on lui avait kidnappé son
bébé.
L'esprit
de Julia remontait le temps, il se remémorait l'époque où Mason était alors
l'homme de sa vie, où ils passaient le plus clair de leur temps à se défier
professionnellement et personnellement. Julia ne put retenir le sourire qui se
dessinait sur ses lèvres. A l'époque, elle, la "working girl"
indépendante, était devenue accro à tout ce qu'elle détestait. Mason avait
brisé toutes résistances...
Julia
tourna la tête en direction d'un homme qui accompagnait ses enfants au parc.
Elle le détailla longuement : c'était tout le contraire de Mason... Et
malgré le soleil qui la baignait, Julia ressentit un froid dans tout son être.
Mason lui manquait. Elle le savait au Mexique, à courir après Santana et
Brandon. Mais depuis plusieurs jours, elle n'avait eu aucune nouvelle. Mason lui
manquait. Elle en avait mal dans toutes les parties de son corps. Elle croyait
revivre l'époque où tout le monde avait cru à sa mort, lors de l'explosion du
couvent de Goletta. Non, c'était bien pire. C'était au-delà de cette
souffrance, c'était comme quand il était revenu de Las Vegas sous le costume
de Sonny Sprockett. Il était là, elle pouvait le voir et le toucher, mais ce n'était
pas vraiment lui...
Depuis
l'accident qui avait coûté la vie à leur bébé, la vie de Julia et Mason se
résumait à cela : c'était un semblant de vie commune. Mason passait le
plus clair de son temps à fuir. Elle retrouvait dans cette fuite au Mexique les
mêmes racines que son attirance pour l'alcool.
-
Mon Dieu, faites qu'il me revienne et vite...
Julia
se frotta énergiquement les tempes. Mason lui manquait. Elle n'avait
jamais autant ressenti le vide de son absence qu'en ces heures difficiles qu'elle
traversait, seule. D'abord il y avait ce procès, ce combat plutôt, qu'elle
menait pour sauver les Entreprises Capwell. Il y avait aussi le retour de Kirk,
les avances de David Raymond, le meurtre de Chester... Julia ne se sentait pas
capable de faire face à toutes ces épreuves seule. Souvent d'ailleurs, elle s'imaginait
les réponses de Mason face à tel ou tel problème. Que ferait-il pour
défendre les Entreprises Capwell ? Suivrait-il la même route qu'elle ?
Elle en doutait. Et comment aiderait-il Gracie dans la terrible épreuve qu'elle
traversait ? Julia n'en savait rien. Ou plutôt si, elle avait son idée,
elle savait qu'il suivrait sa propre voie. Il oserait affronter C.C. pour lui
faire comprendre qu'il est en partie responsable du désastre écologique qui a
failli leur coûter la vie à tous. Il irait voir David et il l'accuserait de
tous les maux, le menaçant même de le faire rayer du barreau. Et il offrirait
à Gracie une épaule solide sur laquelle elle pourrait pleurer. Et puis, avec
ce sourire charmeur, il viendrait vers elle, la prendrait dans ses bras et lui
ferait l'amour comme pour la première fois. Et ensuite, il irait voir sa fille
et il lui conterait les histoires d'un autre temps...
Ou enfin, il irait dans un bar et se saoulerait au whisky...
Aéroport de Cancun, Mexique.
Le
jet privé des Capwell se posa sur la piste de l'aéroport de Cancun. Ted
Capwell et Warren Lockridge en sortirent avec précipitation pour joindre la
voiture de location qui les attendait. A peine installés, la voiture démarra
en trombe en direction des ruines de Tulum.
De
la voiture, Warren contacta son beau-frère Sawyer qui, à présent qu'il
travaillait au FBI, avait pris pour nom Martin Fitzgerald.
De
son bureau à New York, Martin lui donna les données des dernières
transactions financières de Santana Andrade et de Mason Capwell. Tous deux se
trouvaient actuellement à Tulum. Martin envoya par mail à Warren les plans des
ruines, car Santana, lors de leur dernier coup de fil, lui avait communiqué le
lieu de leur rencontre.
-
Alors, Warren ?
-
Elle est à Tulum. Elle nous attend demain à proximité d'une pyramide. J'espère
que tout ira bien pour elle et Brandon...
De son côté, Ted avait essayé de joindre son demi-frère. N'ayant pu le joindre, il lui laissa un message sur son répondeur.
Ruines Maya de Tulum, Mexique.
Brandon
déchira l'emballage de la dernière barre de céréales qu'ils avaient
emportée de chez Danny. Après, il ne savait pas de quoi demain serait fait.
Son regard, comme toutes les cinq minutes, se porta sur l'horizon. Il attendait
la venue de Mason. Il savait qu'il viendrait. Car depuis leur rencontre, Mason
était le seul adulte qui ne lui avait jamais menti. Gina, sa mère, lui avait
menti. Channing lui avait menti. Souvent. Santana lui mentait. Keith lui avait
juré qu'il ne l'abandonnerait pas...
Brandon
regarda ensuite Santana. Elle l'avait suivi avec peine en haut des marches du
temple principal de Tulum. Elle restait assise, prostrée, la sueur coulant sur
son visage. Par moments, elle parlait : elle disait qu'elle le sauverait
des griffes Capwell... Brandon connaissait parfaitement la chanson. De temps à
autre, elle murmurait que son ami allait venir à son secours. Brandon ignorait
tout de cet ami. D'ailleurs, personne ne savait qu'ils se trouvaient au Mexique.
Soudain,
Brandon vit une silhouette. Il la reconnu tout de suite, c'était Mason.
Soudain,
Santana vit une silhouette. Elle la reconnut aussitôt, c'était Warren. Elle se
leva et attrapa Brandon. Et c'est à cet instant qu'elle remarqua l'autre homme.
-
Viens, suis-moi.
-
C'est Mason, il vient nous chercher !
Le regard de Santana passait de Mason à Warren. Et n'ayant pas d'autre choix, elle tira Brandon vers l'intérieur du temple, en murmurant que jamais plus un Capwell ne les séparerait...
Villa Capwell : Julia la femme, emplie de justice.
Après
son moment de détente avec sa fille, Julia Capwell refranchit la lourde porte
de la villa Capwell et rejoignit dans le bureau le groupe de travail qu'elle
formait avec Daniel McBride.
-
Je sais qu'il peut faire mal. Mais le mieux c'est de ne pas y prêter attention,
Daniel.
-
Il me déteste. Non, c'est autre chose, je le dégoûte.
-
Non. C'est qu'il ne te comprend pas. Ou plutôt qu'il ne comprend ta façon de
vivre. Et tes choix lui rappellent trop ceux de son fils Channing Junior. Avec
toi, c'est comme s'il revoyait chaque jour la preuve des erreurs de son fils
chéri. Avec le temps, cela lui passera.
-
Je vais démissionner et quitter Greg.
-
Arrête, tu dis n'importe quoi, Daniel. Tu as un super travail, tu défends des
causes indéfendables, tu rédiges un énième acte de divorce là où on
pourrait faire des photocopies, tu as une jeune et charmante associée, et puis
tu as Greg. Je sais qu'il t'aime autant que ce que toi tu l'aimes. Regarde, il a
osé le défier pour toi...
-
C'est vrai...
-
Allez, replongeons-nous dans l'univers impitoyable des Entreprises Capwell...
Julia
et Daniel s'activèrent à étudier de nombreux documents, à préparer
interrogatoires et contre-interrogatoires. Par moment, l'un ou l'autre
présentait une proposition, et dans l'ensemble la journée s'avéra être des
plus productives.
-
Julia, je pense qu'il faut que cela soit toi qui fasse la présentation de
Pacific Sud. Tu es une femme, une mère, et tout le monde sait que tu t'intéresses
à l'écologie.
-
Oui, mais tu oublies que je suis une Capwell... Cela ne marchera pas. A mon
avis, cela fonctionnerait plus si la présentation venait de toi. Quelque part,
tu es le cliché vivant de l'homme californien... Tu es l'incarnation même de
cet état d'esprit...
-
Et puis, regarde, j'ai obtenu de Dash Nichols un document vidéo dans lequel il
précise que le taux de pollution ne peut pas être dû à l'explosion des
produits. D'une part parce que ce n'est pas cohérent, et ensuite parce que les
quantités sont trop importantes à des points précis et pas assez à d'autres...
Julia
lui remit le document papier.
- Tu verras, Daniel, la suite va changer. Tout comme l'humeur de Channing.
Plage de Santa Barbara : Venise, une femme trahie.
Venise
défit les lanières de ses chaussures et avança sur le sable. Ses pieds s'arrêtèrent
au contact de l'océan. Un instant, elle ferma les yeux et rêva qu'elle se
laissait emporter par les flots.
-
Tu m'as trahie, Marcello. Comme le comte. Tu m'as trahie. Moi qui avait
confiance en toi.
Venise
laissa le vent emporter sa colère et ses espoirs déçus.
Elle
sortait d'une réunion avec George, l'allié de Sophia. La situation pour elle
était terrible. Elle n'était plus l'actionnaire principale d'Armonti's. Sophia
et divers autres actionnaires avaient racheté les parts que Marcello avait
vendues pour financer Dieu sait quel projet. Si elle restait encore en poste, c'est
simplement parce que George n'avait pas voulu réunir un nouveau conseil d'administration
extraordinaire, parce que Sophia se trouvait encore à Vancouver.
-
Mes jours sont comptés à la tête de la société...
Venise
se mit à pleurer. Tout le monde l'avait trahi : le comte, T.J. et
Marcello. Jamais elle ne pourrait reprendre la société, le nom Armonti, le
titre... Elle était ruinée. Ruinée parce que Marcello avait dépensé tout
son argent...
Elle
avait laissé de nombreux messages sur son portable pour essayer de comprendre.
Elle savait juste qu'il était passé en Italie, dans la villa près de Venise.
Bref, elle ne savait rien. Rien de ses projets, rien de ses plans.
Venise
s'assit à même le sable.
-
Je ne sais plus quoi faire...
Alors qu'elle pleurait sur son sort, son portable se mit à sonner. De l'autre côté, Marcello essayait de la joindre. Avant qu'elle prononce la moindre parole, Marcello lui donnait rendez-vous, un soir, dans les bureaux de la société.
Jet Privé Armonti : Eden / Lisa, la femme d'un seul amour.
Alors
que le jet privé filait à vive allure à travers les nuages, Lisa, assise aux
côtés de Marcello Armonti, ne
pouvait empêcher son regard de se fixer sur les terres qu'ils survolaient. Ils
venaient de traverser les Alpes et ils survolaient actuellement la Riviera
française.
Perdu
dans la contemplation de cette côte, l'une des plus belles au monde, Eden /
Lisa ne pouvait s'empêcher de songer à sa vie, à cette femme qu'elle croyait
être...
Les
explications données par Marcello en Italie ne la satisfaisaient pas. Bien au
contraire. Sa voix, les mots prononcés, le tableau, le diadème, avaient
entrouvert une porte au fond d'elle. Et par l'infime espace libéré, une autre
femme, lentement, essayait de s'échapper d'une prison de verre.
Un
frisson parcourut Lisa. Que de chemin parcouru depuis Paris, où elle avait
longuement erré à la recherche de son ami Andre. Elle avait pris l'Orient-Express,
parcouru Venise... Mais aucun de ces endroits ne l'avait rassurée, lui laissant
l'étrange sensation qu'elle n'était pas chez elle, qu'il lui manquait quelque
chose.
La
voix de Marcello, qui parlait en italien au téléphone, lui parvenait comme
feutrée. Elle semblait s'évaporer de son propre corps. L'autre femme en elle
revenait à la vie. Nice, qu'ils survolaient, l'éveillait, lui insufflait une
nouvelle force. Lisa fermait les yeux et des images d'une autre vie, d'un autre
temps se matérialisa.
D'abord,
ce fut une puissante sensation d'être complète qui prit possession de son
corps. Les deux parties d'un tout venaient de se réunir. Ensuite, elle
découvrit la chambre à l'intérieur d'un château. Une douce impression de
bien-être. Et de l'amour. Un amour puissant, profond, entier, la submergea.
Elle pouvait presque sentir la présence de cet autre tout près d'elle. Sa
peau, son odeur, se devinaient. Lisa tressaillit. Vivre, pour elle, devenait
possible. Elle se sentait si vivante que lorsque cet amour revenait en elle, la
force de cet amour anéantissait toutes les barrières qui les retenaient
prisonnières elle et sa mémoire.
Lisa
chercha à se souvenir davantage, à mettre un nom ou un visage sur cet amour.
Mais le voile restait trop épais.
Soudain, Marcello vint prendre place face à elle. Il brisa le monde qui s'offrait à Lisa. Il lui parla de la suite des événements. Ils allaient rencontrer la femme du tableau. Bientôt, ils atterriraient à Santa Barbara. Et il lui faudrait être forte. Forte et déterminée...
Hôpital de Vancouver : Sophia, ou la mère éplorée.
Les
mains tremblantes, Sophia Capwell s'éloigna du groupe qui veillait Brick
Wallace. Les médecins venaient de leur expliquer que Brick ne réagissait pas
comme attendu au traitement. Ils n'étaient pas rentrés dans les détails, mais
au ton, ils avaient tous compris que l'état de santé de Brick se dégradait.
Il ne donnait que très peu de signe d'activité cérébrale, signe clinique que
personne n'arrivait réellement à expliquer.
Lionel
se précipita auprès de Jane, pour la soutenir. Depuis qu'elle et Brick avaient
quitté Santa Barbara, ils formaient avec le petit Johnny un semblant de
famille. Marisa, quant à elle, prit son petit-fils dans les bras : après
la mort de son mari, de son fils, de sa fille, elle craignait de perdre son
gendre. Seule la présence de Johnny la maintenait en vie.
Sophia
se dirigea vers une large fenêtre par laquelle on devinait, au loin, les
derniers rayons du soleil couchant. Dans sa tête, elle en était certaine à
présent, raisonnait la voix de Channing Junior. Bien qu'elle en était
certaine, elle n'osait en parler. Qui d'ailleurs pourrait la croire ?
Channing Junior était mort en 1979. Cela ne pouvait pas être lui. Et pourtant...
Pourtant,
lorsqu'elle se trouvait seule dans la chambre de Brick et qu'elle lui tenait la
main, elle ressentait la présence de cet autre fils à leurs côtés. Elle
savait que Channing Junior était là, à les épier. Elle sentait son souffle
près d'elle. Elle entendait sa colère. Brick aussi partageait cette étrange
communication. C'est d'ailleurs pourquoi son activité cérébrale ne
réagissait pas. Elle était prise au piège par la rage et la haine de Channing
Junior, son double.
-
Oh, Mon Dieu, qu'ai-je fait ? Tout est de ma faute...
Le
contact froid de la vitre contre son front apaisait un peu Sophia. Mais très
vite, d'autres images lui revinrent en mémoire. Elle revoyait sans cesse,
depuis son séjour à Anchorage, le meurtre de son fils. Elle le voyait pousser
la porte du bureau de la Villa Capwell. Elle entendait le son de sa voix. Elle
se revoyait clairement, assise sur le fauteuil de cuir, se détournant
lentement, visant la poitrine de Channing Junior, et faire feu. BANG ! La
détonation explosait encore à ses oreilles. Elle revivait aussi, de plus en
plus souvent, son terrible face à face avec Eden, avant qu'elle ne quitte Santa
Barbara. La scène se passait toujours et encore dans le bureau de la villa
Capwell. Eden et elle se faisaient face. Eden, hantée par un double, partageait
la même colère et la même haine que Channing Junior. C'est d'ailleurs lui
qui, indirectement, tenait l'arme qui allait tirer sur Sophia. BANG ! La
détonation déchira le silence. Et Sophia se voyait, vêtue d'un smoking
couvert de sang, mourir à l'endroit même où Channing Junior rendit son
dernier souffle.
Sophia
porta les mains sur son front.
-
Ce n'est pas possible qu'il revienne me reprendre tous mes enfants pour une
erreur que j'ai commise et que j'ai chèrement payée. Mon Dieu, faites que je
me trompe...
Sophia
forçait son esprit à se souvenir. Elle cherchait dans le passé, dans son
passé, un détail aussi infime qu'il soit, qui puisse expliquer la malédiction
qui s'abattait sur chacun de ses enfants : Eden et Brick étaient les
premiers. A présent, Sophia craignait pour Kelly et Ted.
Et
alors que ses craintes allaient crescendo, un rire s'amplifia dans son esprit.
Sophia avait beau se concentrer, elle ne parvenait pas à l'identifier.
- Je savais qu'un jour, je tiendrai ma revanche...
Club 71 : Gina, une mère avant tout.
Sans
le savoir, Gina terminait sa salade mexicaine à quelques pas de Channing
Capwell, qui comme souvent depuis le départ de Sophia, mangeait seul. Gina
remarqua B.J. qui cherchait quelque chose ou quelqu'un du regard. Bien sûr,
elle la suivit des yeux et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle la vit
prendre place à la table de Channing.
Aussitôt,
Gina se leva et se cacha derrière une plante verte afin d'écouter la
conversation entre le seigneur Capwell et la femme de Warren Lockridge.
Les
paroles qu'elle entendit la figea sur place : Brandon, enlevé par Santana,
se trouvait actuellement au Mexique, prisonnier de ses griffes, et Mason et
Warren essayaient de le libérer.
Gina
s'accrocha au mur. Elle manquait de défaillir : son bébé, son petit
Brandon, était en danger... Il était prisonnier de cette Santana, à cause des
Capwell. Le sang de Gina ne fit qu'un tour. B.J. partie, elle alla se planter
devant Channing. Et dès qu'il leva les yeux sur elle, il sut que l'orage allait
éclater.
-
Et tu ne m'as rien dit...
-
Gina, pas de scandale ici.
-
Mais je me fous du monde, moi ! Je te parle de mon fils, de mon Brandon.
Lentement,
C.C. plia sa serviette.
-
Gina, je sais...
-
Non, Channing, tu ne sais rien. Tout cela, c'est de ta faute ! S'il arrive
la moindre petite égratignure à Brandon, je t'en tiendrai personnellement
responsable.
-
Gina, Santana ne lui fera rien, c'est sa mè..., elle tient à lui.
-
Elle est folle. Complètement folle.
Entre
les ex-époux, le ton monta encore d'un ton. Tout le monde dans le Club 71 les
regardait. Gina se défendait bec et ongles, prête à se battre pour retrouver
son fils.
-
C'est mon fils, Channing. J'en ai la garde. Et quoique tu en dises ou quoique tu
fasses, tu n'y pourras jamais rien.
-
Oui, Gina, tu es sa mère, et regarde où est ton fils...
-
Elle l'a enlevé, Channing. Et je suis certaine que tu n'es pas totalement
innocent dans cet enlèvement... Je te le ferai payer.
Gina
quitta la table de Channing, non sans lui lancer un dernier pic.
- Je vais aller trouver la presse. Je vais tout faire pour qu'on la traque et qu'on retrouve mon fils. Channing, peu importe l'appui que tu pourras avoir, je ferai en sorte que Santana Andrade ne puisse plus jamais nuire à Brandon ou à moi...
Villa Castillo : Adriana, une toute petite fille. Le
soleil déclinant inondait de couleurs la façade de la villa Castillo.
Adriana venait de terminer sa glace. Elle attendait le retour de son papa.
Chip jouait sur le sable, en bas des escaliers. Les yeux rivés vers le
ciel, Adriana attendait. Au fond de son coeur de petite fille, bien qu'elle
n'arrivait pas à le formuler, elle savait qu'il lui manquait quelque
chose pour être complète. Et elle avait aussi fini par comprendre que
son père partageait avec elle cet étrange sentiment. L'un comme l'autre
n'étaient pas parfaitement heureux... Adriana le sentait, cela vivait en
elle... Les yeux rivés vers le ciel, Adriana espérait un miracle. Et le soir en s'endormant, elle priait pour que cette chose arrive un jour...
|
Villa sur les hauteurs : Gina, une femme d'affaires improvisée.
Gina
descendit du taxi juste devant la lourde entrée de la villa louée par Kirk
Cranston. Elle avait mis une ancienne robe de cocktail que Kirk reconnaîtrait,
elle en était certaine. Il s'agissait de cette robe qu'elle avait acheté en
double (une pour elle et l'autre pour Eden) lorsqu'elle avait monté un plan
audacieux pour arrêter le respirateur artificiel de C.C.
Les
gardes à l'entrée la conduisirent directement à Kirk, sur la terrasse.
Habitués à se fréquenter et à monter des intrigues ensemble, ils allèrent
à l'essentiel. Gina fût surprise que Kirk ne reconnaisse pas la robe.
-
Kirk, je n'irai pas par quatre chemins. J'ai besoin d'argent pour acheter des
terres autour de Pacific Sud. Et j'ai aussi besoin d'un avocat pour rédiger le
contrat.
Kirk
la dévisagea : quelque part, il aimait l'aplomb de cette femme. Elle lui rappelait
un peu Pamela.
-
Et vous pensez que je vais vous aider ?
-
Kirk, je sais que nous n'avons pas toujours été amis. Mais nous nous sommes
toujours compris.
Kirk
la laissa lui détailler son plan.
-
En échange, je gagnerai quoi ?
-
Je suis certaine que vous serez ravi de savoir à l'avance ce que préparent
Julia et Daniel...
-
Hum...
-
Cela m'étonnerait que Channing ou Augusta vous laissent entrer chez eux... Et
je doute que vos charmes puissent agir sur Daniel, à ce qu'on en dit.
Gina,
sans rentrer dans les détails, lui parla de secrets qu'elle connaissait. Et
puis, elle lui laissa sous-entendre qu'elle détenait une véritable bombe entre
les mains, et que le jour où elle irait voir la pièce, Channing et Augusta
pourraient dire adieu à Pacific Sud.
Après
un moment d'hésitation, Kirk se leva.
-
C'est d'accord. J'irai voir les propriétaires avec un faux document d'achat qui
précisera que Channing Capwell achète leur terrain. Ce document fera de vous
la future propriétaire et ils devront aller chercher l'argent quatre jours
après la vente, directement auprès de C.C..
- Merci.
Plate-forme pétrolière : Pamela, l'assoiffée de vengeance.
-
Je vous attendais.
Installée
à l'avant de la plate-forme, Pamela Pepperidge Capwell Conrad regardait à l'aide
de jumelles la baie de Santa Barbara, face à elle.
Kirk
s'approcha lentement. Il n'avait pas vraiment peur d'elle, il la respectait car,
aujourd'hui, c'était elle qui était capable de blesser Channing Capwell.
-
Si c'est au sujet du procès...
-
Kirk, je me moque du procès. A notre dernière entrevue, je vous avais donné
des ordres. Je veux que cela ait lieu demain. Demain dans la nuit, à 22h43
précisément. Et que personne ne vous remarque...
-
Si vous pensez que cela va suffire à faire changer le cours du procès...
Personne ne croira qu'il est assez stupide pour tout détruire...
Pamela
ne s'était toujours pas retournée face à Kirk.
-
Ce qui compte, ce n'est pas ce qu'il compte cacher, mais ce que je veux faire
remonter à la surface...