Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 25 : Noël on the radio... |
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Villa Capwell.
Channing
Capwell fixait l'immense sapin que les employés de la villa venaient de finir
de décorer. Comme chaque année, le sapin trônait à la place d'honneur dans l'atrium
de la villa, et l'étoile à son sommet rivalisait de hauteur avec les lourdes
colonnes de pierres qui soutenaient le plafond de la pièce.
Cette
année, contrairement aux autres, aucun enfant ne viendrait s'émerveiller
devant les cadeaux qui s'empilaient déjà au pied de l'arbre. Eden était
partie depuis longtemps et depuis son départ, Cruz, même s'il était resté un
temps en ville, n'était plus vraiment le même; il passerait très certainement
les fêtes de Noël au Mexique, en solitaire avec Chip et Adriana. Kelly avait téléphoné,
elle partait à Paris avec une amie. Elle fuyait Santa Barbara pour de
nombreuses raisons. Ted viendrait sûrement faire un tour. Et Mason se trouvait
quelque part entre là et n'importe où. Il resterait seul à la villa, en
compagnie de Gina...
-
Existe-t-il un Noël plus déprimant...
Channing
se lamentait sur l'explosion de sa famille. Aujourd'hui, plus rien n'était
comme avant. Tout en regrettant les années passées, C.C. ne pouvait s'empêcher
de jouer avec le sceau Capwell retrouvé.
-
Comme seul cadeau, je voudrais qu'on puisse me débarrasser de Gina... Qu'elle
quitte une bonne fois pour toutes cette maison...
-
On parle de moi...
Sur
ces paroles, Gina débarqua, les bras chargés de cadeaux.
Channing
ferma les yeux : jour après jour, le même cauchemar recommençait.
-
Tu ne veux pas voir les cadeaux que tu viens de m'offrir ? C'est un tel délice
de faire les magasins à Noël avec la carte de crédit de Madame Channing
Capwell...
Tout
en parlant, elle sortit d'un sac un ensemble de lingerie fine rouge, des plus osés.
-
En provenance directe de France...
-
Fais bien attention à toi, Gina, il me semble que tu ne portais même pas cette
tenue lorsqu'une fois tu as quitté cette villa... Ce petit ensemble pourrait
bien être la seule chose que tu garderas le jour où je te mettrai à la porte...
-
Attention, Channing, tu oublies que je connais l'histoire de ta si noble famille,
et que d'un simple coup de fil à un journal, je pourrais anéantir toutes les
fondations de la dynastie Capwell !
Channing
se leva et gagna la salle à manger. Il ne supportait pas cette femme qui n'avait
aucune valeur morale, qui ne s'attachait pas à sa famille. D'ailleurs, depuis
son remariage, C.C. n'avait eu aucune nouvelle de Brandon. Il se promit de le
joindre dans la journée et d'envoyer un jet le chercher : il n'était pas
bon pour cet enfant qu'il passe les fêtes de fin d'année loin de sa famille.
En
songeant à ses enfants et petits-enfants, Channing songea à Samantha et à
Julia. Les derniers membres de la famille Capwell encore présents en ville. Il
prit le téléphone et appela Julia.
-
Je voudrais que vous veniez passer Noël en famille, à la villa avec
Samantha. Nous sommes seuls vous et moi et il est normal que nous nous
retrouvions autour de l'arbre. Vous pouvez venir avec Gracie, il ne faut pas qu'elle
reste seule, et puis cela fera du monde...
-
D'accord, C.C.. Mais comme c'est Noël, je voudrais, si vous le permettez,
aussi inviter...
-
Qui vous voulez ! Même votre soeur serait une meilleure compagnie que ce
qui me sert de femme.
-
Je ne pensais pas à Augusta. Elle est partie, il me semble. Je voudrais que
vous invitiez votre fils et...
-
Mason... Mais je ne sais pas où il est !
-
Non pas Mason. Je parlais de Greg et de Daniel.
-
...
-
Channing, quoique vous pensez, Greg est votre fils. Et Daniel est aussi mon ami.
-
...
-
Channing ?
-
D'accord. Mais dites-leur que je ne veux pas de... chez moi. Je veux bien faire
un effort, mais qu'ils en fassent de même. Je ne veux pas être gêné sous mon
propre toit..
En raccrochant, Channing sourit. Une partie de la famille, de sa famille, serait réunie autour de l'arbre. C'est tout ce qu'il voulait.
Rue de Cancun, Mexique.
Mason
se redressa avec difficulté, chacun des muscles de son corps le faisait
souffrir. Il venait de passer les jours les plus longs de toute sa vie à
attendre, comme à son habitude, après une femme ! Du plus qu'il s'en
souvienne, Mason avait toujours attendu de retrouver une des femmes de sa vie.
Tout avait commencé par sa mère Pamela : Mason, durant son enfance,
avait tellement attendu de la revoir, de la toucher... Puis, il eut Santana,
comme en ces heures. Il avait espéré être l'homme de sa vie, mais la
fougueuse hispanique lui avait préféré Channing Junior. Après, Mason pouvait
se souvenir de Mary... Ce n'est qu'auprès d'elle qu'il avait non seulement découvert
l'amour, mais aussi les pièges de l'attente. Il avait attendu qu'elle rompe ses
voeux, qu'elle divorce de Mark, et puis...
Mason
redressa son siège et chercha parmi les gobelets vides qui jonchaient la
voiture, s'il ne pouvait pas trouver un peu de café.
Il
entrouvrit un peu la vitre, laissant l'air marin de la ville mexicaine chasser
les odeurs de la nuit, bien que le quartier où habitait Danny Andrade ne soit
certainement pas le meilleur endroit de la ville.
Mason
songea encore à ses longues attentes auprès de Victoria et de Julia. Et aussi
Cassandra. Et encore Pamela. En songeant à sa mère, il se languissait d'avoir
de ses nouvelles.
Mason
regarda sa montre : Brandon lui avait promis qu'il passerait le voir très
tôt dans la matinée. D'ailleurs, il remarqua aussitôt la frêle silhouette
qui escaladait une des fenêtres de l'appartement. Mason sortit de la voiture en
espérant qu'il ne se rompe pas le cou. En fixant le jeune garçon, il réalisa
le lien qui les unissait l'un et l'autre. Il n'était certes pas son père, mais
l'affection qui les reliait ressemblait à celle qui existait entre un père et
son fils, mais aussi entre deux frères de coeur.
A
peine le pied posé au sol, Brandon se jeta dans les bras de Mason.
-
Aie, tu piques ! !
Mason
avait retrouvé la barbe de Sonny en ces jours de poursuite.
-
Tout va bien, je t'assure.
Malgré
les paroles rassurantes de Brandon, Mason savait parfaitement que rien n'allait.
Il savait que la raison de Santana était des plus fragiles actuellement. Elle
errait dans une autre réalité : un monde où les Capwell voulaient lui
voler son fils, un monde où pour garder Brandon, elle devait le voler à sa mère.
Brandon lui avait parlé des médicaments que prenait sans cesse Santana. Ces
derniers accentuaient encore sa détresse.
-
Je ne peux pas rester longtemps, sinon ils vont s'apercevoir de mon absence.
-
Tu es certain que tout va bien ?
-
Oui. Danny va partir travailler dans l'après-midi. J'ai réussi à les
convaincre qu'il ne pouvait pas rester éternellement avec nous. Je sais qu'il a
peur pour sa soeur. Mais tout ira bien.
-
Et Santana ?
-
Elle va bien. Elle parait un peu plus fragile que les autres jours, mais elle va
bien. Tant qu'elle croit que je vais rester avec elle, tout ira bien. Et tant qu'elle
ne te reverra pas...
Un
instant, Brandon voulut lui parler de sa dernière crise : celle où elle
avait hurlé qu'elle rejoindrait bientôt son amour : Channing Junior. Mais
Brandon préféra se taire. Il espérait que cette folle aventure se termine
bien pour tout le monde, y compris pour Santana.
Brandon
sortit un petit paquet et le donna à Mason :
-
Joyeux Noël...
-
Joyeux Noël, Brandon. Merci.
Mason
regarda son cadeau : il s'agissait d'un globe de verre avec à l'intérieur
un sombrero mexicain et, quand on le retournait, il criait : «Caramba...
Nul n'est plus près des passions qu'au Mexique ou auprès d'une mexicaine.» Ce
qui est des plus vrai.
-
Merci, Brandon. Moi aussi j'ai un cadeau pour toi. J'ai eu ta maman au téléphone
et, sans rien lui dire de notre périple, elle te fait de gros bisous et elle se
languit de te voir.
-
A moi aussi, elle me manque... Dis-lui que je l'aime et que je rentrerai bientôt.
-
Promis.
A
nouveau, Mason et Brandon s'étreignirent.
-
Joyeux Noël, petit homme...
Mason
déposa un affectueux baiser sur le front du seul être qu'il n'avait jamais déçu.
Il le regarda regagner sa chambre par le même chemin, puis se rendit dans un
bar de la rue pour prendre un café et souhaiter un joyeux Noël à sa petite
fille adorée, qui lui manquait beaucoup.
- Joyeux Noël, Samantha, puisses-tu comprendre que je ne te veux aucun mal...
Villa Castillo, Mexique.
Cruz
buvait son café en regardant le soleil se lever sur les hauteurs de la ville.
On était le matin de Noël. Un nouveau Noël seul avec ses enfants, loin de
celle qui occupait son esprit, de celle qui hantait son coeur. Ce dernier était
vide de toute présence à l'exception de celle de ses enfants : Chip,
Adriana et B.J.. Sa vie ne résistait que grâce à eux. Son corps ne tremblait
que pour eux. Son âme ne vibrait que pour eux. Le reste de son être avait
disparu à la lecture des papiers en provenance de Saint Domingue. Depuis, sa
vie n'avait plus aucun sens. Il était un tout à qui on avait volé le
principal. Il était comme un grand fleuve qui s'était soudain asséché. Il
survivait, il faisait semblant d'être, alors qu'il n'existait plus vraiment.
Son monde avait disparu en même temps que celle dont il n'osait même plus
prononcer le prénom. De son amour, il ne restait que de vagues ruines, que le
vent, il en était certain, finirait un jour par recouvrir de sable. Il disparaîtrait
alors, mort de ne plus être capable de l'aimer en dépit des années,
en dépit de l'absence.
Son
corps frissonna. Comme toujours à son réveil, il se souvenait encore de leurs
étreintes, de cette chaleur qui irradiait alors dans tout son être, de cet
amour qu'il croyait éternel.
Soudain,
il ressentit presque sa présence : il en laissa tomber sa tasse qui se
brisa sur le sol de la terrasse. Non, elle n'était pas là. Elle n'était plus
là. Et ne serait certainement plus jamais.
Des
pleurs d'Adriana le ramenèrent à la réalité. Il devait fêter Noël avec
leurs enfants. Avec ses enfants à lui...
- Joyeux Noël, mon...
Soins intensifs, Hôpital de Vancouver.
Lionel
accueillit avec une infinie tendresse Sophia dans le hall de l'hôpital.
Naturellement, elle se glissa dans ses bras, heureuse de trouver une présence
dans un monde qui s'effritait chaque jour un peu plus : Channing remarié,
Eden toujours absente, Kelly partie, Brick dans le coma, Channing qui la
trompait...
-
Je suis content que tu aies accepté mon invitation.
-
C'est moi qui suis vraiment heureuse d'être là. C'est ma place maintenant.
Lionel
guida Sophia jusque dans la chambre de Brick. Comme tous les jours, Jane était
là, tenant la main de Brick, le veillant chaque jour, priant pour son réveil.
Après les retrouvailles, discrètement, Lionel prit Jane par le bras et lui
proposa un café; il voulait laisser seule un moment Sophia avec leur fils.
Sophia
posa son manteau et prit place sur le lit à côté de Brick. D'une main
tremblante, elle caressa son visage : retrouvant les gestes que seule une mère
peut offrir en réconfort à son enfant.
-
La vie ne nous a pas laissé le temps de nous connaître. De nous connaître
vraiment. Je voudrais tant que les choses soient différentes. Je voudrais
pouvoir remonter le temps et changer l'histoire. Je voudrais être ta mère, te
tenir dans mes bras, te protéger... Toutes ces choses qu'une mère doit faire
et que je n'ai pas pu t'offrir. Oh, je m'en veux... Mon chéri...
Sophia
s'effondra. Les larmes qui roulaient sur ses joues venaient du plus profond de
son coeur, elles étaient vieilles de presque quarante ans.
- Oh, mon chéri... Ne m'abandonne pas. Accorde-moi cette chance de me faire pardonner et de devenir une mère pour toi. Je t'en prie... Seigneur, en cette veille de Noël, je ne veux qu'un seul cadeau : avoir tous mes enfants réunis autour de moi. Seigneur, accorde-moi ma prière...
Au
dessus du lit de Brick, une ombre se dessina : Brick et Channing Junior se
regardaient l'un l'autre; puis leurs regards se posèrent sur Sophia.
-
Toi, tu ne l'as pas connue comme mère, tu as eu de la chance, crois-moi. Tes
parents, ceux du cirque, valaient mille fois mieux que cette traîtresse. Elle ne
sait faire que cela : pleurer et prier pour qu'on lui pardonne chacune de
ses erreurs. Je me souviens d'elle, pleurant sur son sort à cause de sa liaison
avec Lionel, pleurant sur le yacht des Lockridge pour mettre un terme à cette
liaison, pleurant pour qu'on lui pardonne d'avoir eu un fils avec Lionel,
pleurant parce qu'elle se sentait responsable de la stérilité d'Eden, pleurant
pour qu'on ne la juge pas coupable de ma mort... Et j'en passe et des meilleurs.
Voilà toute la vie de notre mère : un torrent de larmes. Ah Ah Ah Ah ! ! ! !
Mais avec moi, cela ne prend pas.
Channing Junior s'écarta
de Sophia.
-
Elle nous a suffisamment fait de mal à toi et à moi ! Viens avec moi. Je te
montrerai le moyen de nous venger !
Les ombres se dissipèrent : Brick, dans son état, ne pouvait que suivre Channing Junior. Il était encore bien trop faible pour lui résister. Toutefois, il s'arrêta un long moment à regarder Sophia. Et son coeur se remplit de compassion pour cette femme.
Chambre d'hôpital de Venise.
Eden
/ Lisa sursauta et se réveilla. Dans son rêve, une tasse venait de se briser
sur le sol, et la tâche formée par le café rappelait un dessin en forme de
soleil. Une douleur, telle une pointe acérée, explosa en son coeur. Elle se
recroquevilla sur le fauteuil en osier de sa chambre.
-
Je voudrais tant me souvenir de mon passé.
Elle
se leva de sa chaise, gagna la fenêtre et regarda par la fenêtre : les
scintillements des décorations de Noël de Venise la captivèrent un long
moment.
-
Noël approche. Je devrais avoir une famille avec qui passer ces fêtes.
Pourquoi ne puis-je pas me souvenir de ma vie d'avant Paris ? Pourquoi ?
C'est
alors qu'elle remarqua un cadeau qu'on avait déposé sur la commode de sa
chambre. Eden / Lisa s'en approcha et l'ouvrit avec une infinie précaution. Il
s'agissait d'un coffre de bois, finement travaillé. Elle prit dans ses mains la
carte de visite et la lu à haute voix :
-
Pour connaître toutes les réponses, contactez-moi.
Lentement,
Eden / Lisa ouvrit le coffre de bois. Ses doigts tremblaient légèrement, un
peu comme s'ils savaient ce qu'ils allaient mettre à jour. Le battant du haut s'ouvrit,
laissant tomber les quatre autres côtés et...
Et
un diadème d'une rare beauté apparut sur le velours noir du coffre. Les pierres
scintillaient de mille feux. Eden / Lisa s'écarta brusquement. Elle sentait au
fond d'elle qu'elle connaissait ce bijou, qu'elle connaissait son histoire. Elle
ne pouvait en détacher son regard, et pourtant elle cherchait aussi à le fuir.
-
Le diadème... Le diadème Armonti...
Ses
yeux se mirent à briller d'une étrange lueur. Des images semblaient prendre
corps au-dessus du diadème. Il était enfermé dans un coffre et une silhouette
noire le dérobait. Elle le voyait sur la tête d'une femme jeune qui lui
ressemblait, mais qui n'était pas elle.
Soudain,
elle s'approcha du joyau, le prit dans ses bras, et lentement le déposa sur sa
tête. Et aussitôt, elle s'évanouit en criant :
- Maman...
Club 71.
-
Merci d'avoir accepté mon invitation, Julia.
Le
juge David Raymond se leva pour accueillir son avocate préférée.
Julia
posa son sac et prit place à la table du juge, ne prêtant nul attention ni aux
décorations du club, ni à la transformation de David.
-
Vous désirez prendre quelque chose ?
C'est
à peine si Julia réfléchit.
-
David, laissons tomber ces semblants de bienséance... Vous et moi, nous savons
pourquoi je suis là. C'est uniquement professionnel.
Tout
en lui parlant, des fragments de situations lui revinrent en mémoire. Elle se
souvenait du comportement de David, alors qu'il était en plein divorce d'avec
Angela. Elle n'avait pas apprécié déjà sa façon insistante de lui faire la
cour. Et aujourd'hui, elle n'aimait pas cette façon des plus lourdes qu'il
avait à chercher à la rencontrer, en se justifiant derrière le procès des
Entreprises Capwell.
-
David, si pouvez faire vite, je suis attendue à la Villa Capwell pour les fêtes,
et je me languis de retrouver Mason.
-
Bien sûr, je comprends. Je me disais simplement qu'en cette période si
particulière, nous aurions pu prendre un moment pour se détendre un peu et
parler du passé...
David
perdit son sourire. Il était tombé sous le charme de Julia peu de temps après
son arrivée à Santa Barbara, à l'époque où son couple avec Angela battait sérieusement
de l'aile. Et depuis, il n'avait jamais pu oublier le lumineux sourire de Julia.
C'est d'ailleurs en partie à cause d'elle qu'il avait accepté de superviser le
procès des Entreprises Capwell, et qu'il s'était laissé piéger par Kirk
Cranston.
-
D'accord, Julia.
En
même temps, David sortit un épais dossier de sa mallette.
-
Julia, j'ai reçu, tout comme le maire, de nombreuses lettres de personnes, de
futurs employés de Pacific Sud, qui ne réclament pas l'abandon des charges
contre les Entreprises Capwell, mais demandent à la justice de ne pas empêcher
la finalisation du projet Pacific Sud. Je vous laisse lire des exemples des
lettres reçues. Sans vous mentir, nous devons être à plus de 500 lettres. Et
au rythme où vont les choses, je peux parier que nous passerons les 1000
lettres à l'ouverture du procès.
Julia
laissa échapper sa surprise.
-
Je ne comprends pas, c'est...
Julia
commença à survoler les lettres. Il s'agissait de courriers de salariés du
site ou de futurs salariés qui expliquaient leur situation : Pacific Sud
représentait pour eux la meilleure des chances de conserver un emploi dans leur
ville, en période où le taux de chômage ne cessait de croître. Les emplois
cités étaient des plus variés : cela allait du maçon qui participait à
la construction du site, des cuisiniers pour les restaurants d'entreprises, des
chercheurs, des femmes de ménages, des réceptionnistes, des secrétaires...
-
Julia, je crains que cela passe mal aux yeux de la justice. On pourrait interpréter
ces nombreuses lettres comme une tentative de votre part de faire pression sur
la justice.
-
David, j'ignore complètement l'origine de ces lettres.
-
Pas à moi. Je connais très bien Channing Capwell, et je ne serais pas étonné
que toutes ces lettres émanent de son bureau, et qu'il cherche à faire
basculer l'opinion publique de son côté. Je parierais même que la plupart des
personnes qui ont écrit ces lettres n'existent pas.
Julia
réfléchissait à la situation. Ni Channing, ni Daniel ne lui avait parlé de
ce projet. Et si les doutes de David s'avéraient être exacts, et que la presse
découvrait la tactique, l'opinion publique pouvait bien se retourner contre
eux.
-
Pour le moment, Julia, ces lettres ne sont pas jointes au dossier. Le maire et
moi avons pensé qu'il est encore trop tôt pour juger de la véracité des
lettres. Et puis, Julia, c'est Noël...
Tout
en disant ces mots, il posa une main sur celle de Julia. Le sang de l'avocate ne
fit qu'un tour.
-
Je suis certaine aussi que la presse, David, serait ravie d'apprendre les
tactiques d'intimidations du juge envers l'avocate de la partie adverse.
Julia
criait presque, et un serveur du Club 71 s'était retourné vers leur table.
-
Merci pour ces informations, David, mais Noël ou pas Noël, nous en resterons là.
Le
rouge était monté aux joues de Julia.
-
Je suis une femme mariée, David. Et je ne me sens pas l'âme d'être le cadeau
du jour de qui que ce soit.
-
Julia, attendez, je crois que vous vous méprenez sur mes propos...
Julia ramassa son sac et quitta rapidement le Club 71, tenant encore à la main des lettres des salariés.
State Street.
Julia
se retourna afin de s'assurer que David ne l'avait pas suivie hors du Club 71.
La rage et la colère ne la quittaient pas : mais pour qui il se prenait ?
Julia s'accorda un moment pour réfléchir à ce qu'elle pouvait faire pour
remettre David Raymond à sa place, une bonne fois pour toutes. Car, depuis son
retour, il n'avait eu de cesse d'essayer, comme par le passé, de la faire céder
à ses avances qui devenaient de plus en plus insistantes. Julia songea à en référer
au bureau du gouverneur... Et tandis qu'elle réfléchissait à sa démarche,
les souvenirs de son procès pour viol contre Dash Nichols lui revinrent en mémoire.
Non, elle n'avait pas encore suffisamment de preuves pour attaquer David. Pour le
moment, elle était certaine que personne n'irait dans son sens, et qu'elle se
retrouverait seule à se justifier contre tous.
Julia
se frotta énergiquement les mains, car dans ces moments-là, l'absence de Mason
se faisait encore plus cruellement sentir. Il lui manquait terriblement, en ces
heures. Non pas parce qu'on approchait des fêtes de Noël, mais simplement
parce qu'une épaule sur laquelle s'appuyer, parce qu'un corps contre lequel se
réchauffer, parce que des mains... lui faisaient défaut.
-
Mason, je t'en prie, reviens-moi vite. Fais-moi le cadeau d'être de retour pour
Noël !
Après
un long moment au cours duquel elle se laissa aller à songer à Mason, Julia
retrouva force et courage et se mit à songer aux lettres reçues par le maire
et David Raymond. Si Channing et Daniel ne se cachaient pas derrière ces
envois, qui pouvait être l'investigateur de cette idée qui, en fin de compte,
pouvait se révéler être payante ? Très vite, elle songea à sa soeur
Augusta. Et afin d'en avoir le coeur net, elle l'appela.
- Augusta, c'est
Julia.
Après
quelques banalités, elle obtint confirmation.
-
J'ai simplement touché quelques mots à des employés des Entreprises Capwell
et à quelques futurs employés de Pacific Sud. Je n'ai rien fait d'illégal. Je
leur ai juste expliqué la situation. En fonction du procès, Pacific Sud
pourrait ne pas voir le jour. Le reste, c'est eux qui l'ont décidé. D'ailleurs,
il me semble qu'ils ont parlé d'autres choses, peut-être même une
manifestation. Que sais-je, moi ? Ils m'ont l'air prêts à tout pour
conserver leur emploi.
Julia ferma les yeux. Pourquoi sa soeur avait toujours le don de compliquer les choses les plus simples ? Depuis leur enfance, il en avait toujours été ainsi.
Appartement de Danny Andrade.
Brandon
et Santana achevèrent de décorer le sapin. Ni l'un ni l'autre ne prenait un véritable
plaisir dans cette tradition familiale : Brandon, parce que simplement sa mère
commençait à lui manquer et qu'il aimerait se retrouver contre elle; Santana,
parce qu'elle se sentait plus lasse aujourd'hui, et quelle parvenait
difficilement à sauver les apparences.
-
Danny, que penses-tu de notre sapin ?
Assis
à l'écart, Danny regardait tristement la scène qu'il avait sous les yeux :
Santana s'efforçait de jouer à la mère modèle, alors qu'il était évident
qu'elle n'allait pas bien (Santana avait continuellement les yeux rouges et
gonflés, ses doigts tremblaient et souvent elle présentait des signes d'absence),
tandis que Brandon faisait de son mieux pour donner l'illusion que la situation
était des plus normales.
-
Très joli, Santana.
-
Tu pourrais y mettre un peu plus de conviction. Après tout c'est notre premier
Noël ensemble... C'est certain que, l'année prochaine, nous ferons mieux, n'est-ce
pas Brandon ?
Brandon
regarda Danny, puis Santana, et encore Danny.
-
Arrête ça, Santana... Tu ne vois pas que cette scène est fausse. A part toi,
il n'y a pas personne qui veut être là pour Noël... Et surtout pas Brandon...
-
Tu dis n'importe quoi. Je t'interdis de me parler de la sorte... Tu te prends
pour qui ?
Brandon
regardait tristement Santana et Danny. La situation allait encore exploser.
Danny se leva de son fauteuil...
-
Tu es ridicule. Voilà ce que j'en pense.
Santana
se dressa vivement sur ses pieds et, au passage, elle renversa le sapin.
-
Comment cela... Ne l'écoute pas, Brandon. Ce n'est pas grave, je pensais que
mon frère serait heureux de nous avoir avec lui à Noël, mais puisque ce n'est
pas le cas, nous repartirons bientôt.
-
C'est ça... Et tu devrais peut-être songer à le rendre à sa mère !
-
C'est moi sa mère !
Santana
bondit sur Danny. Elle ne cessait de répéter ces mots. La rage et la colère déformaient
ses traits.
-
Je suis sa mère... C'est à moi qu'on l'a pris... Pas à elle...
Santana
tremblait de tout son être. Elle se dirigea vers son sac, y prit plusieurs
comprimés qu'elle avala sans eau.
-
Maintenant laisse-nous, mon fils et moi voulons profiter de cette journée de fête !
-
Tu as raison, je pars. J'ai du travail.
Danny
prit sa veste et s'approcha de Brandon.
-
Courage, petit homme. Je suis vraiment désolé pour tout cela. Tu sais, je la
connais, elle n'est pas méchante. A mon retour, je t'apporterai un super
dessert et un cadeau. Joyeux Noël et soit fort...
-
Merci.
-
Arrête de le monter contre moi.
Alors
que Danny quittait son appartement, Santana se précipita sur Brandon et le
serra fort contre son coeur.
- Sans toi, je suis perdue, mon petit chéri. Sans toi, je suis perdue...
Rue de Cancun, Mexique.
Mason
quitta le petit café situé à l'angle de la rue de Danny, pour rejoindre son
poste d'observation : sa voiture. Il remercia et donna deux dollars au
jeune garçon qui avait assuré la surveillance durant son absence. Il lui
certifia que personne n'avait quitté l'appartement.
Mason
remonta dans sa voiture, serra dans ses mains le verre de café chaud qu'il
tenait. Dans le bar, il avait longuement hésité entre le café et la tequila,
mais il avait finit par choisir le café, car il ne pouvait pas décevoir
Brandon, pas en ce moment.
Mason
s'installa derrière son volant, et repoussa les restes de ses longues veilles
à épier l'appartement de Danny. Très vite, il se mit à songer à Brandon, à
ce qu'il endurait en ce moment : être ainsi déchiré entre ses deux mères
devait le faire cruellement souffrir. Et Mason songea à sa propre enfance. Bien
qu'il n'ait pas eu à choisir entre deux mères, il avait connu la morsure de l'absence
de la sienne, la blessure de ne pas être Channing Junior, ou du moins un enfant
de Sophia. A lui aussi, on lui avait imposé une mère, une mère qui n'était
pas la sienne. De tout son être, Mason compatissait et comprenait, certainement
mieux que personne, la souffrance de Brandon. Ils étaient de la même
souffrance.
-
Faites-en sorte qu'il garde la force de toujours faire face... Que ce soit mon
cadeau pour lui... La force de résister à l'amour des autres...
Mason
prit entre ses mains le cadeau de Brandon et le serra très fort, comme une bouée
à laquelle s'accrocher.
Au bout d'un moment, Mason remarqua que la
radio grésillait. Il essaya de changer de station, mais sur toute l'amplitude
des ondes, elle ne captait aucune radio. C'est alors qu'au milieu des grésillements,
il crut reconnaître la voix de Julia. Au début, il ne prêta pas attention aux
paroles, puis, comme la voix et la musique se firent plus insistantes, il n'eu d'autres
choix que de se laisser guider : Si les mots sont des traces / Je marquerai
ma peau de ce qui ne se dit pas / Pour que rien ne t'efface / Je garderai le mal
/ S'il ne reste plus que ça / On aura beau me dire / Que rien ne valait rien /
Tout ce rien est à moi / A quoi peut me servir de trouver le destin / S'il ne mène
pas à toi...
Mason ferma les yeux et se surprit à pleurer. Julia lui manquait. Samantha lui manquait. Il eut à cette seconde un besoin vital de les serrer dans ses bras. La morsure était là, présente, vivace au creux du coeur...
Braddock, Texas.
Augusta ressentait tout le poids de la fatigue
de son vol; elle avait quitté l'aéroport de Santa Barbara à bord du jet
Capwell pour atterrir à Dallas. Et à présent, elle roulait en taxi sur une
petite route de campagne, où elle ne voyait à perte de vue que du bétail.
Au
cours de la route, étrangement, le poste du taxi se mit à grésiller et la
voix de Lionel emplit l'habitacle. Augusta n'en croyait pas ses oreilles. Elle
tenta de poser une question, mais quelque chose l'en empêcha et elle tendit l'oreille
pour entendre les paroles que fredonnait la voix de Lionel : Mais je t'appartiens
/ Comme l'orque et la mer ne font qu'un / Elles n'aiment qu'une seule fois /
Puis échouent comme on se noie / Elles n'aiment qu'une seule fois...
Augusta trembla : il s'agissait des
vieilles paroles d'une légende que lui avait contée Lionel peu de temps après
leur mariage. Elle remonta le col de sa veste sur elle et ferma les yeux,
cherchant à se souvenir de sa première rencontre avec Lionel.
Enfin
son taxi semblait arriver devant une propriété, enfin, un ranch, comme cela se
disait ici.
-
C'est ici qu'habite Elias ?
-
Non M'dame. Ici c'est Southfork, le ranch des Ewing. Ne me dites pas que vous ne
les connaissez pas ?
Augusta
ne répondit pas, car effectivement elle ne connaissait personne de ce nom-là.
-
Vous trouverez Elias un peu plus loin, dans les bâtiments réservés aux employés
du ranch.
Et
effectivement, le taxi se gara au bord d'un long bâtiment.
-
Vous le trouverez par-là, moi je vous attends là.
Augusta
sortit du taxi et fit de son mieux pour éviter les bouses de vaches. Un vieil homme noir, édenté, s'approcha d'elle.
- M'me Lockridge, j'imagine.
-
Vous êtes...
-
Elias, pour vous servir. J'yeux Noël, M'me...
Augusta ferma les yeux : rien ne se passait comme elle l'avait imaginé...
Route menant à la Villa Capwell.
Julia
roulait lentement sur la route qui menait aux propriétés Capwell et Lockridge.
De temps à autre, elle lançait des regards dans le rétroviseur en direction
de Samantha, qui avait finit par s'endormir. Tout en conduisant, elle ne pouvait
se défaire de l'étrange sensation qu'elle avait eu, un moment plus tôt,
lorsque Gracie parlait des fêtes de Noël au téléphone avec ses copines. Au
cours de leur conversation, Julia, dans sa chair de mère, avait ressenti un
mal-être chez Gracie, qui l'avait intimement déstabilisée. C'était comme ci
Gracie avait laissé entendre qu'elle allait profiter des fêtes, à présent
que Chester n'était plus. Mais, comme elle lisait des documents importants,
Julia n'était pas complètement certaine ni des propos de Gracie, ni du sujet
précis de la conversation.
Julia
repoussa ses cheveux en arrière : en dépit de ses efforts pour chercher
une explication, elle ne parvenait pas à se défaire de cette sensation. Et,
elle était en partie rassurée que Gracie ait refusé son invitation à la
Villa Capwell.
Julia finit par éteindre la radio qui
diffusait en continu des chants de Noël. Elle approchait du lieu de l'accident,
du lieu où elle avait perdu l'enfant qu'elle attendait. Julia ralentit et garda
sa voiture sur le bord de la route. Après s'être assurée que Sam dormait
profondément, elle sortit de sa voiture et déposa un bouquet de fleurs
blanches. Elle resta cinq minutes sur les lieux, avant de remonter en voiture.
Lorsqu'elle remit le contact, le poste se mit à grésiller. Puis, au milieu des
grésillements, une mélodie se fit entendre. Au début, Julia était trop préoccupée
pour remarquer les variations du poste. Ce n'est que lorsque la voix de Mason
emplit la voiture que Julia commença à s'interroger. Elle essaya d'éteindre
le poste, mais elle n'y parvint pas, car il était toujours éteint. La voix
chantait : Tu me manques y'a rien à
faire / Tu me manques pas de mystère / Pourquoi ce coeur fracturé / Ne peut se
détacher / Ton image est gravée / Mon rêve s'est envolé / Dans un écrin de
soleil / Ma vie ou la pluie c'est pareil / Tu me manques j'y crois encore / Tu
me manques l'amour est fort / Comment pourrais-je accepter / Que le ciel vienne
à tomber / Tu me manques ça va passer / Tu me manques je suis déchirée / Je
n'trouve que ces mots là / Pour te dire je t'aime cent fois...
Arrivée
devant la villa, Julia resta figée. Les paroles, ces paroles chantées par la
voix de Mason, la déstabilisèrent. C'était comme si ces résolutions s'effondraient.
Comme à chaque fois avec Mason... Son esprit s'échappa alors vers de vieux
souvenirs, du temps où elle avait succombé à cet homme qu'elle croyait détester,
au contrat qu'ils avaient établi pour faire un enfant, à son refus de
poursuivre leur histoire alors qu'il était marié avec Victoria...
Julia fut heureuse lorsque Ted sortit de la villa et l'accueillit chaleureusement.
Villa Capwell, un moment plus tard.
Réunis
autour du haut sapin décoré, Channing regardait sa petite famille recomposée
qui se tenait autour de lui, un verre à la main pour fêter Noël. Julia était
là avec Samantha, son seul petit-enfant. Ted était présent, déguisé en père
Noël, le seul peut-être à transmettre l'esprit de Noël. Son autre fils Greg
était aussi présent; il était debout, appuyé contre la cheminée, aux côtés
de son amant, Daniel. Un court instant, Channing songea à tous les absents :
ses filles, Mason, les petits-enfants, et bien sûr Sophia. Il leva un moment
les yeux vers l'immense tableau de famille qui ornait la cheminée, et une larme
brouilla un instant son regard. Seul Greg vit son trouble, mais, ne sachant pas
trop comment faire avec ce père qu'il connaissait si mal, ne fit rien.
Tout
le monde regardait Ted qui s'amusait avec Samantha; son rire emplissait la pièce.
Channing
s'écarta un moment pour répondre au téléphone. Il n'entendait que des grésillements.
-
Allô ? Allô...
Il
s'apprêtait à raccrocher, lorsqu'il cru entendre la voix de Sophia.
-
Allô, Sophia ?
Puis
ce fut le silence, et ensuite une musique retentit. Channing, bien qu'il ne
comprenait rien, gardait le téléphone contre son oreille pour écouter
attentivement les notes de musique et enfin les paroles d'une chanson : Je
t'aime / Je t'aime / Je t'aime / Comme un fou / Comme un soldat / Comme une star
de cinéma / Je t'aime / Je t'aime / Comme un loup / Comme un roi / Comme un
homme que je ne suis pas / Tu vois je t'aime comme ça...
La musique finit par s'éteindre et Channing ne comprenait toujours pas ce qui se passait. Il finit par raccrocher et rejoindre ses invités.
Hôpital de Vancouver.
Sophia
Capwell s'était retirée un moment dans les toilettes de l'hôpital. Elle avait
quitté la chambre de son fils pour se rendre dans la chapelle et priait. En ce
soir de Noël, elle voulait offrir un instant de son temps pour chacun de ses
enfants. Elle pria pour Channing Junior, qui se tenait dans son ombre; elle pria
pour ce fils tant aimé, afin qu'il connaisse enfin le repos de l'âme. Elle espérait
tant que son âme s'apaise après de si longues années de tourments. Sophia
pouvait encore sentir, dans son coeur de mère, l'empreinte des souffrances de
ce fils qu'elle avait aimé bien au-delà de l'imaginable, de ce fils qu'elle
avait conçu dans l'amour...
Elle
pria aussi pour Eden, pour que sa forte Eden retrouve le chemin de l'amour. Plus
que tout, Sophia espérait que quelque soit la route qu'elle suivait en ce
moment, elle retourne, un jour, auprès de Cruz et de leurs enfants. Sophia
croyait aux miracles, et elle savait que là-haut, dans les cieux, rayonnait une
mère, et parce qu'elle était mère, Sophia savait qu'elle écouterait sa prière.
Car, en ce jour de paix et d'amour, existait-il un cadeau plus cher que de
retrouver les bras de l'être aimé ?...
Ensuite,
Sophia s'accorda un long moment pour la douce et fragile Kelly. Sophia n'avait
plus eu de nouvelles depuis plusieurs mois, mais elle était certaine que tout
allait bien pour elle. Sophia pria pour que sa seconde fille retrouve à nouveau
l'amour.
Et
puis, Sophia pria pour Ted, pour ce second fils que la vie venait de lui rendre.
Il lui tardait que Ted la prenne dans ses bras et lui fasse presque toucher le
ciel. Parce que Ted était ainsi : naturel, simple et spontané.
Ainsi,
après avoir prié pour ses enfants, Sophia s'éclipsa de la chapelle, car ses
pensées la ramenèrent vers son unique amour : C.C.. Et ce soir, elle ne
voulait pas penser à lui, à cet homme qui venait de la trahir une nouvelle
fois en se mariant avec Gina. C'est pourquoi elle s'était rendue dans les
toilettes pour se passer un peu d'eau fraîche sur le visage.
En
quittant les toilettes et en se rendant aux soins intensifs, Sophia croisa le
chemin d'un homme déguisé en père Noël : Sophia ne pu s'empêcher de le
dévisager, car il ressemblait énormément à Channing jeune. Sophia s'arrêta
net. Et lorsqu'il lui souhaita un joyeux Noël, Sophia resta muette : les
voix étaient identiques. Immobile, elle le regarda s'éloigner. Elle ferma les
yeux et les re-ouvrit aussitôt. L'homme se retourna et baissa sa fausse barbe
et Sophia pâlit : c'était Channing, son Channing, celui de leur
rencontre. Ses jambes tremblèrent et elle l'entendit fredonner une chanson :
Je sais que je n'me trompe pas / Que quelque part au loin là-bas / Tu penses
encore à moi / Tu m'as gardé dans tes bras / Une place, un débat / Dis-le moi
tout bas que tu m'aimes, que tu m'aimes...
Sophia, soudain, se mit à le suivre et, passé l'angle d'un couloir, elle le perdit de vue, comme s'il avait subitement disparu. Elle le chercha du regard, alors que les dernières paroles de la chanson restaient gravées dans sa mémoire.
Villa Capwell.
Ted
quitta la salle à manger pour répondre à la sonnette.
-
Ah, vous voilà...
Warren
et B.J. se laissèrent guider dans la villa.
-
Cela fait une éternité que je n'étais pas revenu ici. Je ne me souviens,
curieusement, que des moments passés suite au meurtre de Channing...
Ted
les guida jusqu'aux autres. Tout le monde les accueillit les bras grands
ouverts.
-
Je ne voulais pas les laisser seuls, papa.
-
Tu as bien fait, Ted. Aujourd'hui, qu'on soit Capwell ou Lockridge, c'est sans
importance. Et puis B.J. reste la fille de Cruz.
Tout
le monde semblait bien profiter de la fête : Channing discutait avec Greg,
Julia s'amusait avec Daniel et Warren, et B.J. montrait des pas de danse à Ted.
Toutes tensions semblaient avoir disparu.
Kris
Kringle se faufila doucement hors de la pièce. Il partait avec l'air heureux de
celui qui a accomplit du bon travail.
La
Villa Capwell résonnait de rires et de chants de Noël, quand, soudain, Gina
descendit les escaliers et se présenta devant eux.
-
On fait la fête ici, et moi ?
Channing
fut le seul à pâlir. Un silence s'abattit sur l'assemblée.
-
Gina, c'est Noël, je sais que ce n'est pas important pour toi, mais ne viens
pas nous gâcher cette fête.
-
Chéri, tu oublies que c'est une fête de famille, et je fais partie de la
famille.
Personne
n'osait faire un geste vers Gina.
-
Et puis, je suis toute seule... Brandon n'est pas là. On m'a dit qu'il était
parti avec des amis.
Julia
pâlit : elle comprit que Gina ignorait tout de la situation de Brandon. Et
malgré le mépris et la colère qu'elle pouvait ressentir envers Gina, elle s'approcha
d'elle et la prit par le bras.
-
Vous avez raison, Gina, personne ne doit être seul, ce soir...
Channing baissa les yeux. Rien ne se passait vraiment comme il l'avait imaginé.
Alors
qu'elle allait se chercher à boire, Gina passa à côté d'un poste de télévision.
L'écran était traversé par des éclairs blancs, bien qu'il ne soit pas branché.
Elle le regarda un moment, avant de voir, au milieu de la neige, le visage de
Keith. Elle n'aurait su dire si c'était réel ou pas, mais Keith habillé en
toréador semblait être dans l'écran. D'ailleurs, elle pouvait même entendre
son rire.
Gina en laissa tomber son verre, non sans intérieurement lui souhaiter un joyeux Noël.
Chapelle de l'hôpital de Santa Barbara.
Les
yeux de Courtney fixaient le crucifix face à elle. Le monde n'avait plus la même
épaisseur pour elle et, dans son esprit, les voix de sa mère et de Madeline s'étaient
tues. Courtney cherchait à comprendre, elle les appelait sans cesse, afin de
savoir si elles étaient à présent apaisées.
Courtney
finit par fermer les yeux.
-
Madeline, je t'en prie, parle-moi...
Seul
le silence lui répondit. Courtney, qui venait de tuer le bourreau de sa soeur,
celui lui avait pris son essence d'enfant, restait seule, enfermée dans un
nouveau silence qui la terrifiait.
-
Je t'en prie, ne me laisse pas seule.
Courtney
puisait dans sa mémoire le moyen de renouer le dialogue avec sa soeur disparue.
Elle se forçait à se concentrer non pas sur la douleur, mais sur le sentiment
de vengeance qui ne l'avait pas quitté depuis qu'elle avait découvert les
carnets secrets de son père.
-
Madeline, viens à moi. Parle-moi. J'ai tué ton bourreau...
Mais
Madeline restait muette. Tout comme les centaines de petites filles que le Général
Bradford et son père avaient abusées avant de les vendre aux nazis. Le monde
autour de Courtney restait muet. Lentement, elle commençait à égrainer les
noms de ces jeunes filles. Depuis la lecture des carnets secrets, elle s'obligeait
à les lire plusieurs fois par jours : elle ne voulait pas les oublier. Les
oublier, c'était pour elle être complice des crimes de son père.
Lorsqu'elle eut fini de répéter ces noms, Courtney s'évanouit.
Soins intensifs, Hôpital de Vancouver.
-
Douce nuit...
Réunis
autour de Brick, Sophia, Lionel, Jane, Marisa et Johnny chantaient les chants
traditionnels de Noël, et espéraient qu'en cette nuit si particulière, il
finirait par se réveiller. Tous priaient avec la même ferveur pour que le ciel
leur rende l'être cher, allongé sur ce lit d'hôpital.
Sophia
serrait fermement la main de Lionel et de Marisa, qui tenait elle-même Johnny
dans les bras, lequel tenait la main de Jane dans la sienne, Jane qui serrait
avec tant de force et de souffrance la seconde main de Brick. Une véritable chaîne
d'amour s'était réunie autour de lui. Et une famille pas vraiment comme les
autres se mit à prier, à prier et à espérer.
A
quelques flottements de là, au-dessus du corps de Brick, Channing Junior les
toisait du regard. Une partie de lui se moquait d'eux : Brick ne leur
serait peut-être jamais rendu... Et une autre partie l'enviait : il aura
tant aimé, lui le soi-disant enfant de l'amour, connaître une telle communion...
Channing Junior ne pu s'empêcher de laisser couler des larmes amères lourdes
de regrets.
Au
milieu des prières et des chansons, le silence se fit, troublé par la voix de
Marisa.
-
Là, un ange passe, Johnny...
Johnny ferma les yeux, et durant une fraction de seconde qui dura presque une éternité pour lui, il sentit la douceur de la main de sa mère sur lui. Amy était présente, l'amour qui emplissait la chambre l'avait éveillée. Lentement, elle enveloppa son fils de cet amour, puis effleura du bout des doigts le corps de Brick, de cet homme qui, sans condition, l'avait acceptée, enceinte d'un autre...
Club 71. Le Club 71 scintillait de mille et une étoiles. Pour l'occasion des fêtes de Noël, il s'était paré d'or, d'argent, de rubis... Au milieu de la piste de danse, une jeune fille s'était parée elle aussi de ses plus beaux atouts. Elle dansait légère, comme hors du temps, indifférente aux regards des autres. Elle s'amusait et prenait du plaisir à faire la fête. Bien que seule au milieu de la piste, elle affichait un visage rayonnant. Lorsque la musique diminua, Gracie Lively quitta la piste de danse pour s'approcher du buffet froid. Elle s'accorda un moment de répit et regarda la salle tout autour d'elle, heureuse de profiter de cette soirée de fête... |
Villa Castillo / Chambre d'hôpital de Venise.
Assis devant le petit arbre de Noël, Cruz Castillo veillait tandis que Chip et Adriana dormaient à poings fermés, impatients de découvrir leurs cadeaux au pied de l'arbre.
Assise dans le hall de l'hôpital de Venise, Eden / Lisa fixait les guirlandes du petit sapin de Noël qui décorait l'endroit. La pièce était aussi froide et vide que ses souvenirs. Pourtant, au fond d'elle, une toute toute petite voix lui murmurait le souvenir d'autres Noëls.
Cruz replia les jambes autour de lui et s'enveloppa d'une couverture. Depuis la disparition d'Eden, son corps et son coeur avaient toujours froid. L'un comme l'autre se refusait à vivre pleinement, amputé de la partie essentielle de son essence.
En dépit du feu de cheminée qui crépitait à quelques mètres d'elle, Eden / Lisa tremblait. Elle éprouvait un manque terrible dont elle ne pouvait préciser la nature. Souvent son âme recherchait une présence; une présence dont elle portait en elle l'empreinte.
Soudain, les lumières du sapin se mirent à clignoter avec insistance...
...Et
une douce mélodie emplit les pièces. Les voix semblaient venir de partout et
de nulle part à la fois. Lentement, la mélodie se fit de plus en plus précise.
Un souffle, un murmure qui prenait vie.
Leurs regards se levèrent vers le ciel et une porte vers les souvenirs s'ouvrit, tandis que la musique se fit plus présente.
Ame
ou soeur
Jumeau ou frère
De rien mais qui es-tu
Tu es mon plus grand mystère
Mon seul lien contigu
Tu m'enrubannes et m'embryonnes
Et tu me gardes à vue
Tu es le seul animal de mon arche perdue
Tu ne parles qu'une langue aucun mot déçu
Celle qui fait de toi mon autre
L'être reconnu
Il n'y a rien à comprendre
Et que passe l'intrus
Qui n'en pourra rien attendre
Car je suis seule à les entendre
Les silences et quand j'en tremble
Toi, tu es mon autre
La force de ma foi
Ma faiblesse et ma loi
Mon insolence et mon droit
Moi, je suis ton autre
Si nous n'étions pas d'ici
Nous serions l'infini
Et si l'un de nous deux tombe
L'arbre de nos vies
Nous gardera loin de l'ombre
Entre ciel et fruit
Mais jamais trop loin de l'autre
Nous serions maudits
Tu seras ma dernière seconde
Car je suis seule à les entendre
Les silences et quand j'en tremble
Toi, tu es mon autre
La force de ma foi
Ma faiblesse et ma loi
Mon insolence et mon droit
Moi, je suis ton autre
Si nous n'étions pas d'ici
Nous serions l'infini
Et si l'un de nous deux tombe...
Et
puis ce fut le silence.
Et
puis ce fut la nuit.
Lisa / Eden laissa échapper des larmes. Son coeur déchiré en deux, en état de manque, s'éveillait à un autre.
Cruz s'abandonna pour la première fois depuis de longues années, et des larmes remplies de souvenirs heureux roulaient sur ses joues. Et du bout des lèvres, il confia à l'esprit de Noël la force de son amour pour celle qu'il n'avait jamais cessé d'aimer...
Nuage au-dessus de Santa Barbara. Assis
sur son traîneau, Kris Kringle regardait son petit monde. Au fond de lui, il n'était
pas si mécontent de lui. Volontairement, il avait réussi à faire passer un message d'amour et d'espoir entre des âmes qui s'égaraient. Il ne pouvait s'empêcher
de sourire, fier de continuer à faire vivre l'esprit de Noël. Tant qu'il
arriverait à troubler ainsi les adultes, Kris Kringle était certain que la
magie de Noël n'allait pas disparaître et que, de générations en générations,
on transmettrait cet héritage, peut-être le plus beau cadeau à offrir aux générations
futures... Accompagné d'un tintement de cloches et de hennissement de rênes, il reprit sa route pour déposer mille et cadeaux aux pieds de mille et un sapins... |
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