Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 20 : Les dernières questions...

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Il vient toujours un moment où il est bon de cesser de se poser des questions, de trop nombreuses questions qui nous empêchent d'avancer et de voir l'essentiel. C'est, comme on peut le dire, à la croisée des chemins qu'il est important de prendre le temps de s'arrêter, de faire le vide autour de soi, pour se poser vraiment la question. La bonne question... Celle qui nous aidera à choisir peut-être pas la bonne route, mais la route tracée pour nous, la route qui permettra de révéler celle ou celui qui sommeille au plus profond de nous...

Institut psychiatrique d'Anchorage.

Revenir dans cette chambre d'hôpital, qui fut comme une cellule de prison pour elle, n'effrayait plus Sophia. Elle avait enfin trouvé le courage d'affronter ses dernières peurs. Toutes les barrières qui maintenaient en place le mur entre elle et sa mémoire s'étaient effondrées. Il n'y avait plus de blanc entre Sophia Wayne, Sophia Capwell, Jane Doe, Dominic et la Comtesse Armonti : les dernières pièces du puzzle venaient de trouver leur place.

La main de Sophia courait sur le mur défraîchi par le temps. Lui aussi montrait de sérieux signe de faiblesse, tout comme les barreaux de l'ignorance, prison de verre dans laquelle on avait voulu l'enfermer.

- Je suis bien plus forte que celle que tu as imaginée... Je suis si loin de l'actrice que tu as connue...

Sophia retourna prendre place sur le vieux matelas et jeta un rapide coup d'oeil à tous les documents étalés autour d'elle. Son regard se promena sur le dossier médical, sur les coupures de journaux, sur diverses photos. Au milieu de toutes, elle en attrapa une seule, un portrait de son fils aîné, de celui qu'elle avait aimé comme son fils : Channing Junior. Elle la prit et la plaça devant elle.

- Durant toutes ces années, j'ai porté ton deuil comme une croix... Tu étais le châtiment à expier... Il me fallait souffrir encore et encore, ne jamais cesser de partager ta souffrance. J'étais ta mère. Je t'ai donné la vie. Et je suis ta meurtrière, celle qui te l'a reprise. Et il me fallait vivre avec ce fardeau sur la conscience. Vivre avec ta mort !!! Durant toutes ces années, j'ai cru à ma faute... à ma culpabilité... alors qu'il n'en était rien. Que Dieu me garde de commettre un tel pêché...

Sophia ne tremblait plus. Toute crainte l'avait définitivement quittée. Elle avait retrouvé la sérénité et la paix de celle qui a trouvé sa voie.

Elle se leva et quitta la chambre. Dans le couloir, elle retrouva Rebecca qui l'attendait.

- Alors Madame Capwell, vous avez trouvé les réponses à vos questions ?

- Oui. Oui, j'ai enfin franchi le mur qui m'empêchait de regarder vers mon passé.

- Mais vous avez laissé les papiers...

- Ce n'est pas grave, Rebecca. Vous pouvez en faire ce que vous voudrez... En fait, je n'avais pas vraiment besoin d'eux. La vérité était au fond de moi... Il suffisait simplement que je retrouve la route pour aller jusqu'à elle.

Les deux femmes, tout en parlant, quittaient l'hôpital. Sophia se recroquevilla dans son manteau de fourrure.

- Je suis vraiment heureuse d'avoir pu vous aider, Madame Capwell.

- Merci infiniment, Rebecca. Sans vous, je crois que j'aurais continué à vivre dans le brouillard. Maintenant, et grâce à vous, j'ai pu combler les nombreux blancs de mon passé.

Sophia embrassa Rebecca tout en la rassurant. Elle userait de ses relations pour qu'elle décroche un rôle au moins dans un soap-opera.

- Au revoir et merci.

Rebecca regardait admirativement Sophia monter dans sa voiture.

- Comme j'aimerais être à sa place... Vivre la vie qu'elle a vécue...

Sophia démarra et quitta l'institut.

- Maintenant, je sais que je peux rentrer à Santa Barbara et les affronter. Je n'ai plus peur de ce que je pourrais découvrir.

Sophia roulait lentement sur les routes enneigées. De temps à autre, elle jetait un regard dans le rétroviseur et le visage de la femme qu'elle y voyait la rassurait : elle se sentait revivre, être redevenue la Sophia qu'elle avait toujours été : celle qui était capable d'aimer passionnément, profondément; celle qui était capable de tout quitter (même son métier d'actrice) pour suivre la route qu'elle voulait.

- Dire qu'il aura fallu tout ce mal pour que je me découvre vraiment... Que je découvre, au fond, en qui je peux avoir confiance...

Tout en roulant, Sophia ne put s'empêcher de penser aux destins détruits par la tragédie. Bien sûr, il y avait Channing Junior, c'était une évidence. Mais il y avait aussi Santana, la pauvre... Brandon, le fils caché... Gina, l'autre mère... Joe Perkins qui avait perdu cinq longues années de sa vie pour un crime dont il était innocent. Kelly, sa douce et fragile Kelly qui, ce soir du drame, avait perdu son frère et son fiancé. Et Channing... Channing, qui avait perdu son héritier...

- Ce que je n'arrive toujours pas à comprendre après toutes ces années, c'est pourquoi ? Pourquoi ce crime ? Pourquoi Channing Junior ? La question est là ? Pourquoi a-t-il fallu que ce soit Channing Junior et comment... Comment as-tu fait pour tout planifier ? Je n'arrive toujours pas à voir les fils que tu tirais dans l'ombre. En ce qui me concerne, j'ai compris... C'est avec moi que cela fut le plus facile... Mais comment as-tu fait pour tromper Channing Junior, le tromper à ce point là ?...

Alors qu'elle s'apprêtait à garer la voiture sur le parking de l'hôtel, Sophia découvrit un poison bien plus redoutable que la culpabilité : le doute. Ce pourquoi ne cessait de s'aventurer, de s'ancrer au plus profond d'elle. A présent que la culpabilité avait quitté son corps et son âme, il pouvait à loisir coloniser ces terres fragiles...

Sophia tapa rageusement le poing contre le volant : Pourquoi ? Pourquoi ?

 

Chez Daniel McBride.

Greg étira le bras sur la place d'ordinaire occupée par le corps de Daniel. Sa main ne toucha que le drap. Greg se redressa aussitôt dans le lit. Il entendit alors du bruit en provenance de la cuisine. Greg se leva et enfila un caleçon avant de descendre. Là, il se retrouva face à face avec Daniel, et celui-ci affichait clairement la tête des mauvais jours.

- Bonjour Daniel.

Comme seule réponse, Greg eut droit à un grognement.

- Tu comptes encore tirer la gueule pendant longtemps...

- Je suis désolé, mais je suis pressé..

- Je sais. Tu dois partir en avion pour une destination inconnue en compagnie de ton patron, qui est aussi mon père, à qui je viens de faire mon coming- out, suivi du tien. Et j'oubliais, ce dernier ne supporte pas les gays... Tu crains à la fois pour ton job et pour ta carrière. Ce qui me rassure dans tout cela, c'est que tu ne crains rien pour nous. Ce qui me laisse imaginer la place que j'occupe derrière ta carrière et ton travail. Me voilà rassuré, si j'avais des doutes.

Daniel posa sa tasse à café, sans même lancer un regard à son amant.

- J'imagine que c'est facile pour toi, maintenant, de jouer la victime. Oui, je pense à mon travail, parce qu'il me plait. Oui, je pense à ma carrière, parce que j'ai envie de réussir professionnellement ma vie. Est-ce un crime ?

- Daniel, c'est...

- Laisse-moi finir, puisque tu as commencé. Et que tu veux me faire dire des mots que je ne dis pas. Pour toi, la vie paraît si facile, si simple. Je t'ai connu lorsque tu as quitté Santa Barbara. On s'est croisé sur le campus de la fac, toi tu étais en instance de divorce avec Emily, et moi j'étais une proie facile. Tu sais que d'être ce que je suis m'est terriblement douloureux. Je n'arrive pas à surpasser ce blocage. Alors que pour toi, c'est une telle évidence. J'ai toujours respecté ta façon de vivre... Et je voudrais qu'il en soit autant de la mienne.

- Daniel, je respecte ta façon d'être et de vivre. Je te le promets. Je suis désolé... Sincèrement désolé.

Greg essaya de s'approcher de Daniel, mais il s'arrêta net. Visiblement son ami ne voulait pas encore faire physiquement la paix.

- Tu veux savoir pourquoi je t'ignore depuis le départ de Julia ? Parce que j'ai peur. J'ai peur de ce que je pourrais me dire si je continue à me poser des questions. J'ai peur de m'apercevoir que nous ne sommes pas faits pour être ensemble. J'ai peur de me rendre compte que nos vies sont trop éloignées pour...

- Daniel, ne me dis pas cela...

- Mais regarde-toi. Tu viens de voir ton père, le puissant C.C. Capwell, et froidement tu lui annonces que tu es gay, sans avoir rien prémédité... Le mien ignore tout de ma vie.

- Daniel, ce n'est pas...

- Je sais. Mais c'est comme cela. Pour toi, tout est si simple. Oh, Greg, pourquoi viens-tu toujours bouleverser ma vie ? Je me rappelle parfaitement de notre premier baiser. La Terre s'est effondrée sous mes pieds. C'était si bon et si terrible à la fois...  Pourquoi a-t-il fallu que je croise ta route et que je m'attache autant à toi ? Pourquoi a-t-il fallu que tu m'apprennes, un jour de juin, que tu es le fils de Channing Capwell ? Pourquoi ? Pourquoi en fait ma vie est si compliquée ?

- Je ne sais pas, Daniel. Je sais juste que je t'aime, et c'est pour cela que tout me paraît si simple. Je t'aime.

- Cela aussi, je le sais. Et depuis hier soir, je me demande pourquoi tu m'aimes autant ?

Soudain, Daniel prit sa serviette et quitta l'appartement, laissant Greg encore plus perplexe et désemparé.

 

Soins intensifs, hôpital de Vancouver.

Endormie sur un fauteuil au chevet de son amant, Jane veillait pour qu'il sorte enfin du coma. Elle avait peur, peur de voir disparaître le seul homme de sa vie capable de repousser Roxanne au fond de son subconscient.

Et tandis qu'elle dormait d'un sommeil sans rêve, la main de Brick dans la sienne, elle ne remarqua pas le changement de rythme cardiaque de Brick Wallace.

Plongé dans un profond coma depuis qu'il avait reçu une balle et fait une terrible chute lors d'une intervention, Brick errait dans un autre monde. Dans ce monde-là, il revoyait de temps à autre Amy, sa douce Amy, qui venait pour le soutenir et le réconforter. Amy était venue, quelques jours plus tôt, se blottir contre lui, après que Johnny, son petit Johnny, ait été enlevé par le puissant Channing Capwell.

Il avait aussi croisé la route de Minx; la vieille dame était venu lui parler de son destin, de son héritage. Mais de tout cela, Brick n'en n'avait jamais vraiment eu besoin. Il se souciait toujours aussi peu d'être à moitié Lockridge et presque à moitié Capwell. Tout cela ne l'intéressait pas. Il ne voulait pas de cet héritage, et il n'en voulait pas plus pour Johnny. Il avait eu aussi la chance de voir Glenn et Katie, les parents qu'il avait toujours connus et aimés. A ce moment précis, il s'était senti en paix, en parfaite harmonie... Et peut-être pour la première fois, il s'était senti capable de franchir le tunnel et d'aller rejoindre la lumière blanche qu'il voyait briller par moments. Même s'il savait que Jane, Lionel et Sophia veillaient sur lui et priaient pour son retour, il s'était senti prêt à couper le lien qui les unissait tous les uns aux autres. Puis, il y eut à nouveau Amy : elle lui avait parlé de Johnny... Brick ne pouvait se résigner à abandonner son fils.

Dans son rêve, il s'agitait. Il essayait de trouver la porte qui le rendrait au monde des vivants. Il se figea car, dans son dos, il entendit un rire moqueur. Brick le reconnut aussitôt. Ce n'était pas la première fois non plus qu'il recevait l'étrange visite de son double, de Channing Capwell Junior.

- Pourquoi faut-il que tu continues à te battre ? Tout serait si simple si tu baissais les bras.

- Channing, ...

A chaque fois, c'était pareil, Brick n'en revenait pas de se voir lui en Brick et en Channing Junior en même temps. Cette dualité le dérangeait. Il n'aimait pas cette part sombre de lui, qui refaisait surface de temps en temps. Car, comme Channing lui l'avait déjà fait remarquer, ils n'étaient qu'une seule et même personne : le fils de Sophia et de Lionel, héritier de Capwell. Et contrairement à Channing Junior, Brick n'arrivait pas à surpasser le secret de sa naissance. Il ne se sentait pas si important, il ne voulait nullement du poids de l'héritage. Et de ce savoir, Channing Junior en usait...

- Tu devrais abandonner, Brick. Je te l'ai déjà dit. Tu n'es pas assez fort pour lutter contre moi... ou contre toi, ce qui en définitive revient au même...

- Non, pas tant que Johnny...

- Ne t'en fais pas pour ce bâtard, frérot, jamais je n'accepterai qu'il devienne l'héritier !

Sous la violence du ton, Brick frémit.

- Pourquoi tant de haine à notre égard ? Je ne t'ai rien fait...

- Tu n'as rien fait... Aha aha ah ah !!!

Le rire de Channing glaça le sang de Brick.

- Tu es là, tu es encore vivant et c'est déjà beaucoup... Tu ne t'es jamais dit que tu aurais peut-être dû mourir à ma place ! Que cette nuit-là, Sophia aurait dû tirer sur toi, sur son fils...

- Ne cesseras-tu jamais d'en vouloir à la Terre entière pour cet accident ? Tu ne vois donc pas quel est son fardeau...

- Son fardeau ?

- Channing, tout le monde a droit à la paix, Sophia aussi...

- Et moi, quand aurais-je la paix ?

Channing s'avança, il portait un smoking noir qui reflétait étrangement la lumière.

- Moi aussi, petit frère, j'aspire à la paix. Après toutes ces années. Mais, je sais malheureusement que je ne trouverai le repos que lorsque mes frères et soeurs seront tous sous mon contrôle. Eden, la première, a déjà franchi la barrière. Mason, je n'ai plus besoin de le maudire, l'alcool se charge pour moi de le détruire. Bientôt viendra le tour de Kelly, puis de Ted... Quant à toi, Brick, je ne sais pas encore ce que je ferai de toi. Le problème, c'est que tu es moi. Te faire souffrir et souffrir encore...

- Channing, pourquoi continuer à nous haïr ainsi... Pourquoi ?

- Pourquoi ? Tu oses me demander pourquoi ?

Du sang s'écoulait lentement à l'endroit même où la balle l'avait atteint ce soir de juillet 1979.

- Pourquoi... Mais simplement pour ce qu'elle a fait de moi : un bâtard...

- Elle ? Qui elle ?

- Sophia, notre mère. C'est à cause d'elle si je suis mort. A cause d'elle. Elle a menti sur ma naissance et sur la tienne. Elle m'a volé le père que j'aurais dû avoir. Elle m'a volé mon héritage. Et pire que tout, en m'offrant le prénom de mon père, elle a fait de moi le pire des imposteurs. Tu ne vois donc pas que je ne suis plus rien. A cause d'elle. Même le prénom que je porte, je ne le mérite plus. Channing... Elle a intrigué pour que je me nomme Channing Capwell : un nom et un prénom qui appartiennent à un autre. La vie d'un autre. Je ne suis rien, ni le fils de personne. Elle a fait de moi un bâtard...

- Non... Ce n'est pas vrai...

Dans son coma, Brick sentit le froid le mordre. Il l'attaquait de l'intérieur, rongea petit à petit toutes les fibres de son corps. La vérité était si cruelle. Il la portait à présent en lui. Channing Junior revenait se venger...

 

Cabinet d'avocats de Julia Wainwright Capwell.

Gracie finit de manger son hamburger en troisième vitesse. Elle ne voulait pas perdre de temps aujourd'hui car, en fin d'après-midi, elle devait rejoindre ses copines au centre commercial afin de choisir une tenue pour la fête de la Saint Nicolas. Julia était venu déposer des documents, et elle avait demandé à Gracie d'en finir avec leur classement et de mettre au propre, au plus tôt, les dernières notes concernant l'incendie des terres Capwell. Gracie se moquait éperdument de ces dossiers. Pour elle, la seule et unique chose qui comptait actuellement, c'étaient ces préparatifs en vue de la soirée. Il lui tardait tant de profiter de la fête; c'était comme si elle allait enfin pouvoir retrouver sa vie d'avant, sa vie d'avant l'arrivée de Chester.

- Encore quelques jours, et le temps d'une soirée, je redeviendrai la Gracie que j'ai toujours été...

Tout en rêvant à la soirée organisée par Augusta Lockridge, Gracie s'affairait. Elle en avait terminé de taper le courrier et de rédiger au propre le dernier rapport sur la pollution écrit par Pilar et Julia. D'ailleurs, juste avant de prendre sa pause repas, Gracie leur l'avait envoyé par internet.

- Il ne me reste plus qu'à archiver une partie des documents et préparer le dossier que Julia m'a demandé de sortir, et je serai libre pour le reste de la journée. Sam et Chester sont au parc avec les filles.

Gracie se sentait un peu comme Cendrillon qui se préparait à aller au bal.

Toutefois, Gracie perdit spontanément sa joie de vivre et sa bonne humeur lorsqu'elle remarqua l'homme et la femme qui venaient de pousser la porte du bureau de Julia. Son visage se figea.

Face à elle, le vieux couple paraissait tout aussi gêné par la situation, seule la femme conservait une réelle assurance. D'ailleurs, c'est elle qui, en s'avançant vers Gracie, rompit le silence.

- Bonjour, Gracie...

- Bonjour. Que désirez-vous ?

Au contact de Julia, Gracie avait pris une certaine assurance; elle n'était plus cette jeune étudiante timide qui se laissait facilement impressionner. Instinctivement, elle reprit sa place derrière son bureau de verre, laissant ainsi un obstacle entre elle et les parents de son ancien petit ami : Monsieur et Madame Beacham.

Les doigts de Gracie tremblaient légèrement. La dernière fois qu'elle les avait vus, c'était pour apprendre de leur bouche que Billy était parti en faculté, et que jamais elle n'aurait le moindre sou de leur part. Elle avait voulu piéger leur fils, en lui faisant un enfant. Il avait de grandes chances de réussir, d'obtenir une autre vie que celle de gérant de station essence, dans un endroit sordide. Billy avait réussi à obtenir une bourse, un avenir se dessinait pour lui... Il était donc hors de question pour Monsieur et Madame Beacham de subvenir au besoin d'un enfant que Billy n'avait même pas désiré.

- Si vous voulez parler à Maître Capwell, elle n'est pas là aujourd'hui. Je peux lui laisser un message si...

- Arrête, Gracie, c'est avec toi que nous voulons parler.

- Non.

- S'il te plait !

- Non. Je suis désolée, mais je ne veux pas parler avec vous. Je ne veux même plus vous voir.

Alors, l'homme s'approcha de sa femme. Depuis sa dernière rencontre avec Gracie, il semblait avoir beaucoup vieilli. Il prit sa femme par le bras et lui dit :

- Tu vois je t'avais bien dit que ce n'était pas la peine de venir. Elle ne voudra pas.

- Arrête. Lâche-moi, veux-tu. Je n'en ai pas encore fini...

Son épouse contourna le bureau pour se retrouver à quelques centimètres de Gracie. Le regard de cette dernière passait de la femme au mari : elle semblait lire une réelle tristesse dans les yeux du vieil homme. Gracie sentait l'électricité dans l'air...

- Gracie, il est important que vous m'écoutiez...

- Non. Je refuse. Je n'ai rien à voir avec vous. C'est d'ailleurs ce que vous avez voulu... Vous ne vouliez plus me voir...

- Gracie, mon enfant...

La mère de Billy devenait suppliante, si loin de l'image qu'en conservait Gracie. Soudain, son mari intervint à nouveau, comme s'il avait conscience que la situation leur échappait.

- Billy est mort.

- Pardon ?...

Le temps se figea.

Gracie sentit un poids s'abattre sur elle. Elle regarda le père de Billy. De fines larmes coulaient sur ses joues. Son regard se porta ensuite sur le visage de la mère de Billy. Elle y vit certes de la souffrance, mais aussi beaucoup de colère.

- Billy est mort. C'est arrivé la semaine dernière. C'est un accident. Il est parti à randonnée avec ses camarades de la faculté, et il s'est noyé dans un torrent. Gracie, je vous en prie... Je suis une mère et vous aussi, vous êtes une mère...

Gracie ne comprenait pas. Elle s'assit lourdement sur sa chaise.

- Laisse-lui une seconde, chérie. Il faut qu'elle comprenne que Billy, que notre Billy est mort.

Gracie n'arrivait pas à pleurer. Elle voulait qu'ils partent. Elle avait enfin réussi à tourner la page et voilà, qu'à nouveau, Chester venait indirectement compliquer sa vie.

- Gracie, nous n'avons plus que vous... Plus que vous est Chester...

La mère de Billy s'était lentement approchée de Gracie et elle avait à présent posé ses mains sur ses épaules. Doucement, elle lui murmurait des paroles réconfortantes où elle parlait de Billy, de famille, d'enfants, d'erreurs qu'il fallait pardonner.

La sonnerie du téléphone du bureau fit sortir Gracie de sa torpeur. Elle se redressa soudain avec force, repoussant le contact de la mère de Billy.

- Allez vous-en. Je ne veux pas vous voir.

- Pardon. Mais...

Le père de Billy essayait de se faire le plus petit possible. Son épouse, au contraire, se referma et redevint la femme qui avait chassé la jeune fille en 1992.

- Gracie, tu ne vois donc pas que nous sommes venus nous excuser...

- Je n'ai que faire des vos excuses et mon fils aussi...

- Qui est aussi notre petit-fils !

- Non. Il n'a que moi comme famille et il n'aura que moi.

La femme s'approcha à nouveau et se figea net, tant la colère dans les yeux de Gracie la surprit. Mais elle n'avait pas encore abattu sa dernière carte.

- Tu sais, Gracie, nous étions venus en amis... Mais nous avons des droits. Nous sommes les grands-parents du petit, et à présent que notre Billy n'est plus là...

- Des droits... Vous voulez rire. Si vous pensez que vous allez me faire peur. Vous vous trompez. J'ai bien changé, croyez-moi. Je travaille dans un cabinet d'avocats, et je sais quels sont mes droits, et je sais aussi que vous n'en avez aucun...

L'homme se tassa, espérant devenir invisible au yeux des femmes.

- Si tu crois que je ne vais rien faire, tu te trompes, Gracie... Cet enfant est mon petit-fils, et je ne vais pas le laisser entre les mains...

- Dehors ! Quand je suis venue vous voir pour vous parler de l'enfant, vous m'avez mise à la porte. Vous disiez que j'avais voulu piéger Billy et que je n'aurais rien de vous, pas le moindre dollar. Et bien, à présent, c'est la même chose. Je n'attends rien de vous, et mon fils non plus. Jamais, vous m'entendez, jamais vous le verrez...

- Gracie, nous sommes tous adultes...

- Dehors, ou j'appelle la sécurité. Vous savez, je travaille pour les Capwell et ici, les Capwell sont puissants, bien plus puissants que vous...

- Gracie...

- Allez viens, chérie, allons nous-en.

L'homme sortit de sa réserve et prit sa femme par le bras. Bien qu'elle essaya de se débattre, il réussit à lui faire quitter le bureau. Avant qu'il ne referma la porte derrière eux, il dit à Gracie :

- Il faut la comprendre. Avec la mort de Billy, elle n'est plus la même...

Gracie les regarda s'éloigner, puis elle s'effondra sur son fauteuil.

- Pourquoi maintenant... Alors que tout allait si bien, que j'avais retrouvé un semblant de vie. Pourquoi faut-il que ma vie redevienne aussi compliquée qu'une vie d'adulte...

Des larmes coulaient sur les joues de Gracie. Elle ne pleurait pas Billy (il y a longtemps qu'elle avait fait le deuil de cet amour), mais elle pleurait sur sa vie qui n'en cessait pas de lui échapper...

- Pourquoi, mon Dieu, faut-il qu'ils veulent me prendre Chester... Oh, Chester... C'est encore à cause de toi.

 

Jet privé des Entreprises Capwell.

A bord du jet privé des Entreprises Capwell, Daniel McBride compilait les dernières données écologies relatives aux terres ravagées par l'incendie. Les dégâts étaient considérables; de même que les frais pour rendre à l'identique les terres ravagées par les flammes. Et face au réquisitoires des associations écologistes, il n'était pas certain que le projet Pacific Sud suffirait à faire pencher la justice du côté Capwell.

Depuis le décollage qui avait eu lieu plus de deux heures plus tôt, il n'avait toujours pas vu Channing Capwell, replié dans son bureau privé, aux dires du steward. Daniel appréhendait ce face à face avec C.C. Capwell, à présent qu'il était au courant de sa sexualité et de l'identité de son amant.

Au bout d'un moment, il se détacha de son travail et son regard se perdit sur l'océan qu'ils survolaient depuis le décollage. Cette fois-ci, C.C. ne l'amenait ni à Los Angeles, ni à San Francisco. Et Daniel songeait à son travail qu'il appréciait, à sa vie qu'il avait réussi à bâtir, ici à Santa Barbara, après les drames de San Francisco, et à Greg avec qui il avait enfin trouvé l'amour.

- Je n'aurais jamais dû le quitter comme cela. Il va m'en vouloir.

Inquiet, Daniel regarda l'écran de son portable : il n'avait toujours pas reçu le moindre appel.

Soudain, la porte du bureau privé de Capwell s'ouvrit et Channing, les traits tendus, en sortit. A la main, il tenait quelques documents.

- Bonjour Daniel.

- Monsieur Capwell.

Intimidé, Daniel se leva de son siège.

- Voici les documents relatifs à l'adoption de Johnny Wallace Perkins. Je veux qu'il devienne légalement un Capwell. Et ce n'est pas la belle tirade de Greg qui changera les choses. J'ai besoin d'un héritier. Et puisque aucun de mes enfants ne veut me succéder, Johnny fera l'affaire.

- Bien, Monsieur Capwell...

Channing prit place face à Daniel.

- J'ai appris aussi que cette... qu'Augusta Lockridge a vendu RoseRidge à Falcon Crest. Bien qu'elle cela me déchire le coeur, pour le moment, je dois accepter la perte de ces terres. Je veux que vous rédigiez un contrat dans lequel je deviendrai le seul directeur de Pacific Sud. Il faut que vous me trouviez un moyen légal ou non de mettre définitivement hors jeu Augusta du projet.

- Bien. Et...

Channing tendit à Daniel un autre document.

- Nous nous rendons en Australie. Nous avons rendez-vous au siège de la Harper Minning avec la fille d'un ancien associé de mon père. Voici le document de reconnaissance de dette. Pensez vous qu'avec la somme, je puisse en finir avec Pacific Sud et couvrir les frais du procès ?

- 25 millions de dollars... Oui, je suis quasiment certain que la somme sera suffisante. Mais pensez-vous que la Harper Minning puisse sortir si vite autant de liquidités...

- Sincèrement, je m'en moque. Stephanie Harper me doit cet argent. Je n'ai pas d'autres possibilités. J'ai énormément besoin de liquidités et c'est pour moi le seul moyen...

 

Bar d'Anchorage.

Assis derrière le comptoir d'un sordide bar à la sortie d'Anchorage, Mason jouait avec les reflets du whisky dans son verre. Pour le moment, il n'avait pas bu une seule goutte d'alcool de la bouteille posée à ses côtés.

- Capwell ou non, on peut dire que j'ai bien raté ma vie... Comme tu dois bien rire de moi, là-haut, petit frère... A croire que c'est toi qui avais raison, je ne suis qu'un minable... Un petit minable, même pas digne de porter le nom que je porte... C'est d'ailleurs peut-être pour cela que moi, on n'a pas voulu m'appeler Channing... Channing Mason Lamont Capwell... Cela aurait pu faire un charmant prénom... Channing Mason Capwell Pepperidge... Non, Channing Pepperidge Capwell...

Il se tourna vers la bouteille.

- Toi aussi tu es d'accord avec moi, je ne suis personne... Ni un Capwell, ni rien d'autre... Je n'existe pas. Je suis un raté...

Une nouvelle fois, le barman s'approcha de lui.

- Monsieur, si vous ne consommez pas, il faut partir. Vous ne pouvez pas rester là...

- Vous aussi, vous êtes d'accord, je ne suis rien, un raté qui n'existe pas.

Le barman haussa les épaules et s'en retourna servir d'autres clients.

- Je suis le fruit d'un couple qui ne voulait même pas de moi. Ma mère voulait un enfant, juste pour garder son mari, et mon père voulait un héritier... Juste un héritier à qui confier son nom et l'héritage de la famille. Depuis tout petit, on m'a élevé dans ce sens, jusqu'au jour où un autre est venu prendre ma place. Un sale petit bâtard qui n'est même pas le fils de l'homme dont il porte le prénom et le nom. Et c'est lui qui est devenu l'héritier. Un bâtard ! !

Mason prit la bouteille et se servit dans son verre. Le whisky, à présent, débordait du verre...

- C'est à cause de lui que la famille a explosé... A cause de toi, Channing. Personne ne voulait de toi vivant, et personne ne veut de toi mort... Tu m'entends, tu peux retourner brûler pour l'éternité en enfer, personne ne veut plus de toi. Il y aurait tant de questions à se poser sur toi : qui es-tu vraiment ? Que veux-tu ?...

Mason, tout en parlant, renversa son verre sur lui, et se resservit.

- Tant de questions... Et pourtant, une seule réponse à une question nous donnerait toutes le clés. Il ne reste plus qu'à se poser la bonne question. A ta santé Channing, qui que tu sois, reste en enfer...

Mason regarda tout autour de lui. Une partie de lui ignorait tout de l'endroit où il se trouvait. Dans son esprit ravagé par les regrets, parfois, le temps se mélangeait. Il se revoyait juste après la mort de Mary DuVall, à boire, à boire pour oublier... Il se sentait comme après avoir été chassé et déshérité par C.C., en train de boire pour oublier... Comme après sa rupture avec Julia, buvant pour oublier... Comme lorsque Channing Junior se moquait de lui, vidant les bars de la villa pour oublier l'abandon de sa mère, pour effacer les insultes de son frère qui sonnaient si justes à ses oreilles. Buvant pour oublier que Channing avait préféré laisser les rênes de la compagnie à Eden plutôt qu'à lui... Buvant, buvant...

Soudain, dans un moment de rage, il prit son verre et le lança de l'autre côté du comptoir.

- Mais, ça ne va pas ? Sortez ! Sortez de mon bar !...

Fou de colère, le barman le mit à la porte et Mason se retrouva seul, sur le trottoir, la bouteille de whisky à la main. Il marcha sur quelques mètres, puis il finit par s'asseoir à même le trottoir, à l'angle d'une rue.

- Hein, j'espère que tu brûles bien en enfer... Tu as tant de crimes à payer... Tout le mal que tu as fait au cours de ta vie, tes chantages sordides, tes magouilles, toutes tes fautes... Ha Haha haha...

Mason apporta la bouteille à ses lèvres, mais il ne but pas la moindre goutte.

- Toutes tes fautes, Channing... Tout le mal que tu as fait à Santana, à Brandon ton fils, à la famille... A ta mère... Tout ce mal, tu vas mettre longtemps à l'expier... Tout comme j'aurais moi aussi beaucoup de mal à expier... Pour Samantha, pour Julia...

Mason commençait à pleurer.

- Je ne vais pas m'apitoyer sur ton sort... Tu as commis tant de crimes...

Soudain, la scène du meurtre de son frère se matérialisa devant ses yeux. Il revit toute la scène. Il arrivait avec Kelly, poussait la porte du bureau et voyait Joe à genoux aux côtés de Channing Junior, le sang imbibant lentement la chemise blanche de son smoking. Joe tenait toujours dans ses mains l'arme du crime. Puis, comme si Mason avait la faculté de rembobiner la cassette du temps, de scènes en scènes, il remonta le temps. Il revit Channing Junior accueillant les invités, il revit Philip s'approcher de lui et lui remettre un mot. Il revit Channing s'éclipsant.

- Qui te détestait autant au point de tuer ? Voilà la question... Sophia. Lionel. Pamela. Warren. Peter. Lindsay... La liste serait trop longue à faire... A qui profite vraiment le crime ? Non, ce n'est pas la bonne question. Qui a vraiment gagné avec ta mort ? Aucun Lockridge. Aucun Capwell. Et surtout pas Sophia. Ce n'est pas Peter, non plus... La question n'est pas de savoir qui a eu avantage de te tuer... Mais qui voulait-on atteindre...

Mason repoussa la bouteille et se redressa.

- C'est cela... A qui ta mort a fait le plus de mal ? Voilà la question. En trouvant la réponse, j'aurai le meurtrier.

Mason n'avait soudain plus besoin d'alcool. Dans son esprit tout devenait clair.

- Channing perdait son héritier. La famille perdait son héritier. Il ne restait alors pas d'autre remplaçant que... que... moi-même... Mon Dieu, maman qu'as-tu fait ?

 

Route extérieure à Santa Barbara.

Au volant de sa voiture, Gina chantait à tue-tête sur des vieux tubes de Barbra Streisand. Elle était d'humeur des plus joyeuses. Elle avait enfin des nouvelles de Brandon par l'intermédiaire de ses amis à la faculté, et surtout, elle avait eu un coup de fil de l'associé de Tom Patterson qui lui avait parlé d'une grande découverte. Répondant à l'invitation, Gina roulait en direction de Santa Monica, où ses hommes de main, comme elle se l'imaginait, avaient pu cacher les restes de l'épave de l'Amanda Lockridge.

- Je crois que cette fois-ci, Minx et Augusta, vous êtes cuites !!! Et qui est la grande gagnante... Et l'Emmy award est attribué à Gina Capwell...

Gina ne put s'empêcher de rire à gorge déployée. Elle pouvait presque entendre les applaudissements. Elle tenait là, enfin, sa revanche.

Arrivée à Santa Monica, elle prit une petite route qui menait à l'océan. Au bout du chemin, elle gara sa voiture, puis selon les instructions, elle marcha en direction d'un hangar de tôles qui paraissait abandonné. Gina se souciait bien peu pour l'heure de salir ses chaussures et son ensemble, dont le montant se chiffrait en milliers de dollars.

Un homme, torse nu, vêtu jusqu'à la taille d'une combinaison de plongée, s'avança vers elle.

- Vous devez être madame... Capwell et Lockridge...

- C'est cela.

- Tom m'a annoncé votre venue.

Gina détailla du regard la carrure de l'homme; et elle remarqua alors les traces et l'odeur d'huile. Gina détestait cette odeur : souvenir d'une ancienne vie qu'elle cherchait à oublier par tous les moyens.

- Suivez-moi, je vais vous montrer.

L'homme contourna le hangar et descendit un petit sentier qui menait à l'océan. Gina le suivit. Au bout du chemin, ils débouchèrent sur une toute petite crique et là, Gina remarqua tout de suite la présence d'un bateau, sous de vieilles bâches, à l'abri du temps sous un toit de tôle.

- C'est ici, d'ordinaire, que nous nous préparons pour nos plongées. Mais par sécurité, Tom m'a conseillé de ne pas remonter le bateau dans l'autre hangar...

L'homme lui expliqua certains détails, en particulier les problèmes rencontrés pour récupérer le bateau et ensuite pour le sortir de l'eau. Mais Gina n'écoutait pas : elle était toute à sa vengeance. Ce n'est qu'après un long moment de silence, qu'elle remarqua que l'homme s'était tu et qu'il en avait profité pour retirer la bâche du bateau.

- Voici donc ce que vous vouliez : l'épave de l'Amanda Lockridge.

Fière de sa victoire, Gina laissa courir ses doigts sur le bois, vieux de plus d'une centaine d'années. Durant un instant, Gina songea à Minx et à la tête qu'elle aurait faite lorsqu'elle aurait appris que Gina l'avait battue à son propre jeu.

- Si vous voulez monter à bord, vous pouvez...

Gina le regarda, interloquée.

- Non, merci... Montrez-moi juste cette grande découverte dont Tom m'a parlé au téléphone...

- Bien.

L'homme s'écarta du bateau et se dirigea vers un tas de toiles et de filets. Il dégagea les bouteilles de plongées qui retenaient les toiles. Il finit par dégager un coffre finement sculpté et qui portait encore çà et là des traces de peintures.

- Le trésor de l'Amanda Lockridge, s'exclama Gina, folle de joie.

Un coffre, des bijoux... Voilà ce qui intéressait plus Gina, bien plus que l'épave d'un splendide voilier de plus de cent ans.

- Avant de vous l'ouvrir, je dois vous avertir que je ne sais pas à quoi vous vous attendez, mais ce n'est pas cela. C'est tout autre chose... Nous savons que le coffre n'a pas été ouvert depuis le jour où il a été fermé. Voici d'ailleurs le cadenas qui le maintenait fermé.

Gina regarda attentivement l'objet que l'homme venait de lui remettre. Il s'agissait d'un vieux cadenas rouillé, en fer sculpté, frappé aux armoiries des Lockridge. Car comme cela se faisait des années plus tôt, les malles et coffres étaient très souvent porteurs des blasons et armoiries familiales... Il semblerait qu'Amanda ait rapporté cette tradition de France.

- Vous êtes certain qu'il n'a pas été ouvert ? Même en 1985 lorsque mon... Lionel Lockridge a retrouvé l'épave.

- Absolument certain. Le cadenas était intact et il ne portait aucune trace de coups...

- Très bien.

- A nouveau, je vous préviens, je ne sais pas ce que vous désirez trouver, mais ce n'est pas un trésor au sens propre du terme...

- Ouvrez.

L'homme défit les chaînes et ouvrit le coffre. Gina s'avança, jeta un coup d'oeil, et recula.

- Oh, mon Dieu... Mon Dieu...

Gina recula encore : la surprise était terrible.

- Ce n'est pas un trésor... C'est...

- Oui, madame, c'est un squelette...

Gina retrouva très vite son assurance. Elle n'était pas femme à se laisser surprendre par un cadavre, surtout pas quand elle touchait du doigt l'objectif de sa vengeance. Un moment, elle songea à Minx qui, dans son cercueil, devait tirer presque la même tête que le squelette, et cela la fit sourire.

- Alors ?

L'homme lui expliqua qu'il s'agissait du cadavre d'un homme. En raison de son état, la mort devait dater de nombreuses années. Et que l'homme avait été tué par une balle.

- Un cadavre, une balle, un meurtre peut-être ?

Gina était aux anges. La réalité, même si elle n'était pas toujours conforme à vos désirs, vous offrait toujours de nouvelles possibilités, de nouvelles questions.

- Et bien sûr, vous ne savez pas de qui il s'agit ?

Gina n'en crut pas ses yeux lorsque l'homme lui apporta certaines explications; explications qui commençaient dans son esprit à donner un sens au secret Capwell et Lockridge.

- Mon Dieu, ce n'est pas possible...

Et lorsque l'homme lui remit le trésor de l'Amanda Lockridge, Gina se retint de sauter au plafond, ou de pousser un véritable cri de plaisir.

- Pour un peu, je vous embrasserais... Vite, donnez-le moi, il faut que j'aille voir Capwell.

Elle remonta dans sa voiture de sport et partit en direction de la villa Capwell...

- Je crois que cette fois-ci, Augusta, je vais te faire mordre la poussière...

 

Un canal de Venise.

- Voici le palazzio dont vous m'avez parlé...

Lisa leva les yeux; elle ne reconnaissait pas le palais qu'elle avait connu avec André. C'était comme si, pour elle, le temps s'était suspendu et que, pour les lieux, les personnes qu'elle avait connues avec André avaient disparu ou vieilli prématurément.

Lisa le regarda longuement, tandis que le gondolier faisait de son mieux pour maintenir droite la gondole. Lisa ferma les yeux, essayant par la seule force de son esprit de redonner vie au palais, de redonner vie à ses souvenirs, de redonner vie à André. Elle se souvenait pourtant parfaitement. C'était ici que, sous ses conseils, ils avaient réussi à dérober le joyau de la collection des princes Marnacchi...

- Madame...

Lisa ouvrit enfin les yeux.

- Reconduisez-moi sur la place Saint Marc, s'il vous plait.

Lisa détourna les yeux du palais. Comme à Paris, le souvenir de Lisa et d'André semblait s'évanouir dans les nuages, et le souvenir d'une autre prenait doucement le dessus. Déjà une musique résonnait à ses oreilles... L'air lui revenait et elle commença à fredonner une chanson de Jeffrey Osborne.

La gondole acheva sa course au pied de la place Saint Marc. Lisa se précipita vers la terrasse d'un café. Elle voulait prendre un moment avant de décider quelle serait sa prochaine destination : après Paris, Venise, elle avait encore tant de lieux à voir, tant de lieux qui gardaient le souvenir d'André.

Un serveur lui apporta son café, et Lisa replongea dans ses pensées...

«Pourquoi ne puis-je pas retrouver André... Ou les souvenirs de ma vie avec lui... C'est comme si on s'acharnait à effacer toutes traces de notre histoire. Comme si, en fin de compte, elle n'avait aucune importance... Pourtant, je ne suis pas folle, je sais qu'André a existé... Tout comme notre amour. C'est comme si une autre existait en moi. Une autre que je ne connais pas. Une autre femme avec un autre passé, un autre amour, une toute autre vie... Qui est cette autre que je ne connais pas ? Ma mémoire à Paris m'a déjà joué les mêmes tours. Mes souvenirs me parlent des lieux que j'ai connus avec André, et mon coeur me parle d'un autre homme, d'un autre homme que j'aurais aimé vraiment...»

Tout en jouant avec la cuillère de son café, Lisa renversa plusieurs gouttes sur la table, et la tâche ressembla au soleil. Et dans l'esprit torturé de Lisa, cette tâche devint une autre...

«Je me souviens de ce signe... Comme une tâche de café, sur la peau d'un bébé...»

Lisa sentit le sol se dérober sous ses pieds. Elle savait qu'elle approchait de la vérité. Son coeur battait la chamade. Lisa obligea son esprit à se souvenir.

«Mon esprit a complètement occulté cette partie de ma vie. Comme si elle était trop effrayante, comme si... elle n'était que souffrance. Qu'ai-je fait ? Qui est cette autre qui me poursuit ? Je me souviens de mon réveil à Paris, mais avant...? Qu'ai-je donc fait avant Paris ?»

Certaine qu'elle approchait de la vérité, Lisa se leva et s'engouffra dans son hôtel. Elle réalisa que son passeport gardait peut-être des traces de ses déplacements... Il y avait un avant à Paris, il lui fallait à présent le découvrir...

Lisa monta quatre à quatre les étages en prenant soin de se faire remarquer des autres touristes. Soudain, elle s'arrêta figée devant la porte de sa chambre. Juste à côté, on avait déposé une affiche : ce soir, la grande diva Adriana donnait son ultime récital à l'Opéra de Venise. Le sang de Lisa s'était figé. Elle ne pouvait détacher ses yeux de l'affiche...

- Adriana... Adriana...

Lisa sentit son coeur se déchirer. Lentement. Il venait de se briser et une blessure venait de se réouvrir. Lisa tremblait sur ses pieds...

 

Pacific Sud.

- Je savais que je n'aurais pas dû venir.

Pilar, appuyée contre la portière de sa voiture, attendait depuis près d'une heure : elle attendait un homme sensé lui remettre les preuves irréfutables de l'innocence des Entreprises Capwell.

Seule, alors que la nuit était tombée sur le chantier de Pacific Sud, Pilar Alvarez commençait sérieusement à s'inquiéter. Elle sortit son téléphone portable et s'apprêtait à prévenir soit Julia, soit Daniel, lorsqu'une moto sans phare s'approcha du futur bâtiment principal. Pilar raccrocha. Un homme, entièrement vêtu de noir, en descendit.

- Pilar Alvarez ?

- Oui...

Pilar, pleinement confiante, s'approcha de lui.

- Vous avez pensé aux documents ?

- N'ayez crainte, ils sont là.

L'homme indiqua de la main, l'intérieur de son blouson.

- Voici donc le nouveau projet Capwell...

Pilar, qui se sentait redevable, expliqua brièvement à l'inconnu les bases et les objectifs du projet.

Et tandis que Pilar parlait, deux autres hommes, portant masque et combinaison noire, se glissèrent derrière sa voiture.

- C'est génial. Je suis certain qu'entre ce que j'ai à vous offrir et cela, Channing va s'en sortir...

Pour la première fois, Pilar sentit quelque chose d'étrange dans la voix de l'inconnu. Son corps se raidit. Et ce n'est que lorsqu'il enleva son casque, que son sang se glaça.

- Heureusement que je suis de retour pour l'empêcher d'atteindre son but.

L'homme retira son casque et, bien qu'elle ne l'avait jamais vu auparavant, Pilar reconnu tout de suite Kirk Cranston, l'ancien avocat de C.C..

- Non...

- Faut pas s'inquiéter, fillette...

Pilar recula pour rejoindre sa voiture, mais les deux autres hommes l'empoignèrent. Prise au piège, Pilar se mit à hurler pour trouver du secours.

- Pas la peine de crier, personne ne va venir...

- Vous n'êtes qu'une ordure... Jamais vous n'arriverez à faire tomber Channing...

La gifle la surprit, et la bague de Kirk lui entailla la joue.

- J'aime quand les femmes me résistent...

Pilar essaya de se libérer, mais les bras qui la maintenaient étaient trop puissants.

- Jed, occupe-toi de faire disparaître la voiture. Je ne veux pas qu'on puisse retrouver la moindre trace avant la fin du procès. Vous savez (Kirk posa sa main sur la joue de Pilar), cela m'ennuie de me débarrasser d'une si jolie femme. Je suis certain qu'on aurait pu faire des choses ensemble... Mais, je dois détruire Channing, vous me comprenez...

Alors qu'il conduisait Pilar de l'autre côté du chantier, Kirk ne cessait de lui parler.

- Grâce à vous, je vais enfin réussir... Prendre le contrôle des Entreprises Capwell. Je vais enfin pouvoir venger mon père que C.C. a laissé mourir comme un chien, après son kidnapping par Jerry Cooper. Je vais enfin mettre cet homme à terre.

- Jamais vous ne pourrez. Channing est bien trop fort pour cela.

- Channing... Je le tiens dans ma main. Ses entreprises ne pourront jamais se remettre de cet incendie. Vous savez, j'ai moi-même mis le feu à ses terres, j'ai vu mes hommes déverser des centaines de fûts d'arsenic pour polluer l'eau et la terre. Jamais, vous m'entendez, il ne pourra faire face à la catastrophe. Il me mangera bientôt dans la main, et j'aurai le pouvoir... Bientôt...

Pilar était blême : plus que la perspective de sa mort, la vision de la réalité la terrassait. Kirk avait raison : il était probable que les Entreprises Capwell perdent le procès et que Channing perde son empire...

- Vous n'êtes qu'un lâche... Un lâche et un traître...

- Peut-être... Mais je serai l'homme qui a anéantit le puissant Channing Capwell...

Kirk empoigna violemment Pilar par le cou. Prise au piège entre Kirk et ses sbires, elle ne pouvait plus bouger. Déjà, elle suffoquait : de toutes ses forces, elle tentait de desserrer les gants de cuir qui lui emprisonnaient la gorge. L'air lui manquait. La pression était si forte que lentement, elle se sentait glisser vers un autre monde. Ses jambes fléchirent longtemps avant sa conscience.

Cependant, Pilar finit par s'avouer vaincue et elle mourut sur les terres-mêmes qu'elle cherchait à défendre et protéger.

- Enterrez-là où vous voulez. L'important, c'est qu'à présent, je possède le dossier.

Kirk décrocha son téléphone et composa le numéro de David Raymond.

- David... Oui... J'ai les papiers...

 

Quartier des affaires de Santa Barbara.

Devant l'entrée de l'immeuble des bureaux d'Armonti's, Venise terminait sa conversation avec son oncle. Celui-ci venait de lui remettre une invitation personnelle à la grande soirée d'Augusta Lockridge, à l'occasion de la Saint Nicolas.

- Chérie, il faut absolument que tu m'accompagnes... Si tu veux battre définitivement Sophia, il faut que tu sois là. Je lui réserve d'ailleurs, une surprise...

- Tu crois certainement que c'est le meilleur moment...

- Certain. Les fêtes Capwell sont toujours très... sanglantes... Tu peux me faire confiance, à la fin de cette soirée, tu auras récupéré ton nom et ton héritage...

- Et toi ?

- Moi, j'en aurai fini avec ma vengeance...

 

Pacific Sud.

Gina gara sa voiture devant l'immeuble principal de Pacific Sud, celui de la direction. Elle fit glisser ses lunettes de soleil et regarda Augusta qui vérifiait l'avancée des travaux. Gina était contente de la voir.

- Augusta, le bleu de manoeuvre vous va comme un gant... A croire que vous êtes faite pour vivre dans la graisse et le ciment.

- Bonjour, Gina. Je vois que l'incendie a fait sortir toutes sortes de vipères.

Les deux femmes, qui se détestaient, se jugèrent du regard. L'une et l'autre avaient pourtant un point commun : une réelle absence de goût. Augusta portait un tailleur noir, rehaussé de bijoux africains, tandis que Gina affichait un ensemble gris métallique.

- Que venez-vous faire sur mes terres ?

- Vos terres, cela ne m'étonne pas... C'est brûlé comme en enfer. Un vrai paradis pour une sorcière comme vous.

Piquée au vif, Augusta s'avança vers Gina, prête à sortir les griffes et les crocs s'il le fallait.

- Ah, Gina... C'est regrettable qu'aucun soap n'ait besoin de mégère, je vous assure que dans le rôle de la mégère que tout le monde déteste, vous feriez des ravages. D'années en années, vous remporteriez l'Emmy Award... Les Linda Gibboney ou les Robin Mattson n'ont qu'à bien se tenir !

- Il est certain, Augusta, que nous ne jouerons pas dans la même catégorie. Je ne suis pas certaine qu'il existe une récompense pour le plus mauvais lifting.

Gina eut à peine le temps de finir sa phrase qu'Augusta, telle une panthère, lui bondit dessus. Gina chuta dans la terre. Augusta, aussitôt, s'accroupit à ses côtés et lui frotta énergiquement la tête sur le sol.

- Tenez, Gina, je vous offre un gommage gratuit !

Incapable de bouger, Gina dut subir la vengeance d'Augusta. A force de se débattre, elle réussit à se dégager, et remonta dans sa voiture.

- Augusta, je reconnais que venez de marquer un point. Mais demain, venez à la résidence Capwell, vers les 17h00. Venez, vous savourerez ma victoire, et je vous promets que j'obtiendrai le bureau voisin du vôtre à Pacific Sud.

- Gardez bien les restes de terre, c'est tout ce que vous aurez de Pacific Sud ! Gina, vous savez bien que je tiens entre mes mains le moyen de vous détruire : j'ai le codicille de Minx...

- Balivernes... Quand je vous montrerai mes nouvelles armes, Augusta, votre codicille ne vous servira plus à rien.

 

Poste de police.

Plus en colère que jamais, Julia quitta le bureau de David Raymond. Prise au piège de ses sentiments, elle n'avait pas eu d'autres solutions que de mettre un terme à son entretien avec le juge. D'abord, pour des raisons qu'elle ignorait, ni Pilar ni Daniel n'avaient pu se rendre à ce rendez-vous. Elle leur avait laissé de nombreux messages, mais pour l'heure, aucun de ses deux associés ne lui avaient répondu. Ce qu'ignorait Julia, c'est que deux jours plus tôt, Pilar avait été assassinée par Kirk Cranston et que Daniel avait décollé pour l'Australie.

Julia se reprochait d'être aussi fleur bleue, d'être aussi troublée par le regard de cet homme. Pourtant, Julia en était certaine, jamais son coeur ne s'était réellement épris de David. David n'avait été qu'un prétexte à son coeur pour rendre Mason encore plus essentiel à son être.

C'est pourquoi elle se mordait d'autant plus les doigts d'avoir fuit devant lui, devant ses avances, ses propositions complètement folles. Peu lui importait au fond, contrairement à ce que David Raymond pouvait penser, son avenir d'avocate, de juge... Sa carrière n'était pas si importante pour elle; Julia ressentait au plus profond d'elle que son amour des causes à défendre survivrait... survivrait aux menaces de David. Elle n'en revenait toujours pas des propos, non, des menaces, de ce juge d'opérette. Tout ce désir de vengeance parce que sa femme, sa chère et tendre Angela l'avait quitté pour C.C.. Toute cette rancoeur au fond de lui, durant de si longues années.

Tout en se dirigeant vers l'Orient Express pour y retrouver Greg Hugues, Julia se répétait les paroles de David : «J'ai les moyens, Julia, de vous faire rayer du barreau. Julia, vous devriez vous ranger du côté de la loi et abandonner une bonne fois pour toutes le navire Capwell...» Et ses mains qu'il avait posées sur elle, comme si elle lui avait appartenu.

Malgré le dégoût de ses souvenirs, Julia ne repartait pas bredouille de cet entretien, puisqu'elle avait vu en face toute la haine de David envers C.C.. Peu lui importait, en fin de compte, le respect de la loi : David voulait obtenir la peau de Capwell, parce qu'il lui avait volé sa femme. Il avait ouvertement avoué son association avec Kirk Cranston. Tous deux désiraient prendre le contrôle des Entreprises Capwell; Kirk pour venger son père qui avait toujours été le bon petit soldat de l'ombre, et David pour venger son honneur perdu.

Julia prit place sur la terrasse et, très vite, Greg vint la rejoindre. L'un et l'autre, dans un même élan d'amour naissant, se confièrent leurs blessures au coeur. Julia n'en pouvait plus de supporter l'absence de Mason. Elle avait beau réfléchir sur leurs choix, leurs erreurs, elle ne comprenait pas; elle ne cessait de se poser sans cesse la même question : Pourquoi ? Et tout en parlant avec Greg, elle entrevit un élément de réponse : la froideur de C.C.. Greg, d'ailleurs, pouvait parfaitement lui en parler, lui qui la portait telle une croix, lui qui n'était pas un enfant légitime, lui qui n'était pas l'héritier, lui qui portait la même tare que son fils adoré.

Julia prit la main de Greg et lui certifia qu'elle serait de son côté, qu'elle plaiderait pour lui, pour qu'il fasse partie de la famille.

- Mais tu sais, Greg, je ne sais pas si c'est une si bonne chose pour toi de faire partie de cette famille ! C'est vraiment une famille à part, avec plus de peines que de joies...

- Peut-être, Julia, mais c'est ma seule famille. Tu cherchais à savoir pourquoi... Je crois que c'est une évidence. J'ai besoin de savoir que, quelque part, il existe un endroit où je peux me sentir chez moi, me sentir en paix. Un endroit où je puisse être qui je suis, avec Daniel. Tu as raison quand tu me dis que Mason me ressemble et, contrairement à ce que je pouvais croire, je suis bien plus un Capwell dans l'âme. J'ai cette chose en moi, c'est indéniable, c'est pourquoi j'aspire à en faire pleinement partie. Même si au fond, je me moque d'être l'héritier du nom, ou de salir le nom que je porte...

Julia écoutait respectueusement les paroles de Greg et, derrière ces mots, elle entrevit les blessures de Mason.

 

Campeche, Mexique.

Santana s'installa derrière l'écran de l'ordinateur portable de Brandon. Elle profita qu'il prenait sa douche pour regarder ce qu'il avait fait durant toute la matinée. Les inquiétudes de Santana au sujet d'un éventuel départ de Brandon devenaient de plus en plus fréquentes. Elle n'en dormait plus la nuit. Et ce matin, elle avait bien remarqué, alors qu'ils prenaient leur petit-déjeuner ensemble, qu'il lui cachait certaines choses. Santana avait fini par remarquer que Brandon passait de plus en plus de temps sur internet. Et elle avait fini par se dire qu'il devait certainement être en contact soit avec ses amis de la faculté, soit avec Gina. Et depuis que le doute s'était immiscé dans son esprit, Santana avait bien plus qu'une grosse boule à l'estomac, c'état tout son esprit qui était infecté par ce terrible virus. La nuit ou le jour, elle n'en pouvait plus. Il fallait qu'elle sache si Gina allait revenir pour essayer de lui prendre son fils. Sa maladie qu'elle s'était inventée de toutes pièces ne suffisait plus à maintenir le fragile lien qui l'unissait à son fils biologique.

Plus désemparée que jamais, Santana se résolut à consulter les échanges d'e-mails entre Brandon et le monde extérieur. Bien qu'elle ne trouva rien, elle s'obligea à chercher, à chercher encore et encore. La Santana d'avant, celle qui au cours de sa vie avait plongé dans l'addiction à la drogue, remontait à la surface. Elle voulait garder ce fils auprès d'elle. Elle voulait garder la preuve de son amour pour Channing Junior, la preuve de l'amour de Channing Junior. Jamais elle ne s'était remise de la trahison de Channing avec Lindsay... Channing la trompait avec un homme...

- Mon Dieu, heureusement que j'ai Brandon...

Et tandis que Santana plongeait dans les méandres de la folie, Brandon l'observait du coin de l'oeil.

- Pourquoi fait-elle tout cela ? Pourquoi me ment-elle ?

Brandon, pour qui le monde avait toujours était simple, ne parvenait pas à entrapercevoir les failles de Santana. Il ne pouvait imaginer que sa mère biologique était capable de mentir, de tricher, de le faire souffrir, dans le seul but de le garder auprès de lui.

 

Villa Capwell.

Telle une tornade, Courtney pénétra dans la villa de son oncle. La rage et la colère déformaient ses traits. La même jeune femme qui, un après-midi de colère, portait le coup fatal à sa soeur, reprenait le contrôle de l'ultime héritière de la seconde branche Capwell. Grant était mort. Rose s'était suicidée. Madeline avait conduit sa jeune soeur à la tuer. Et Courtney...

Et Courtney venait de découvrir la face cachée de sa famille. La part d'ombre de son père, les raisons de la folie de sa mère, les choix de Madeline... Tout était devenu subitement si limpide. Son père était responsable de tout. Non, sa famille, ses ancêtres, étaient pleinement responsables de la destruction de la famille Capwell. Contrairement à ce qu'elle avait pu lire dans la presse çà et là, il n'y avait pas de malédiction. Juste des hommes et des femmes qui pliaient sous le poids de l'héritage. Grant n'avait pas supporté ce fardeau. Madeline n'y avait pas non plus fait face. Courtney savait aussi que d'autres enfants Capwell n'en pouvaient plus de cette pression. Car c'était le cas de Mason, de Kelly qui avait fuit à New York, d'Eden qui se cachait derrière de fausses personnalités. C'était aussi le cas de certains de ses ancêtres.

Armée de vieilles coupures de presse et du carnet intime de son père, Courtney se précipita à la cave, afin de trouver les peintures, les sculptures que son père et Michael Bradford avaient dérobé aux juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale.

Afin de racheter les siens, Courtney avait fini par prendre la décision de tout dire à la presse : elle voulait, par le biais de la confession, racheter les fautes des siens.

Channing, qui était rentré d'Australie la veille, se précipita dans les escaliers menant au sous-sol. Il réagit avec violence, tel un Capwell, lorsque Courtney lui dévoila ses projets. Malgré tous ses efforts, C.C. ne put faire entendre raison à sa nièce. Et c'est le coeur tremblant sur l'avenir de son nom, que Channing joignit Pearl. Bien qu'il détesta cela, il dut avouer au jeune homme qu'il avait besoin de toute son aide : lui seul pouvait faire entendre raison à Courtney.

 

Channing, la rage aux joues, remonta de la cave vers l'atrium. Il fut surpris d'entendre une douce musique : il reconnut tout de suite le morceau. Il s'agissait de la musique de Kelly, celle de son mariage avec Joe. Jeffrey Osborne interprétait The Greatest Love Affair. Durant une fraction de seconde, le coeur de Channing se surprit à espérer la présence de Kelly. Depuis quelques temps en réalité qu'il s'était remis à rêver de Channing Junior, d'un héritier, Channing attendait le retour de ses enfants auprès de lui. Kelly était à New York, Ted captif en Irak, Mason, toujours à se battre contre des fantômes, Eden... Nul ne savait où elle se trouvait depuis qu'elle avait quitté Saint Domingue. Et Greg...

Channing accéléra le pas pour gagner l'atrium. Il découvrit une silhouette connue, assise sur la pierre de la fontaine. Il stoppa net.

- Comment as-tu pu entrer ? Comment faut-il que je te le dise pour que tu sortes définitivement de ma vie ?

Gina se retourna tout sourire.

- Channing... Je suis si contente de te revoir...

Gina se leva et embrassa Channing. Channing tourna la tête de dégoût.

- Je t'ai déjà chassé une fois...

- Ne fais pas cette tête, mon chéri, je ne voudrais pas que tu me fasses un arrêt cardiaque. J'ai appris que la douce Sophia avait une nouvelle fois quitté le nid, en compagnie de Lionel...

- Dehors.

- Avant, Channing, il va falloir que tu m'écoutes.

Gina servit un verre à Channing, et prit place sur la table en osier.

- Channing, j'ai une proposition à te faire...

- Je ne suis pas intéressé...

- Teuteu... Il ne faut pas dire non... Je suis certaine que cette mégère d'Augusta me payerait cher pour savoir ce que je sais... Mais toi et moi, nous allons la surprendre...

 

Souterrain reliant la villa Capwell à la villa Lockridge.

A la lueur d'une lampe torche, Augusta marchait dans le souterrain. Elle détestait cet endroit; depuis qu'elle avait failli, entre ces murs, perdre la vue et la vie, Augusta ne s'y aventurait qu'en de très rares occasions.

Déjà, elle approchait des escaliers qui menaient au bureau Capwell. Cependant, elle les évita et tourna à gauche, préférant ainsi choisir la sortie du belvédère. Cachée derrière un massif d'arbustes, Augusta Lockridge sortit de sa cachette et, à pas de loup, se dirigea vers la galerie à arcades qui longeait toute la partie basse de la villa. Facilement, elle s'introduisit dans la salle à manger, par une fenêtre laissée entrouverte. Des bruits de voix lui parvenaient en provenance de l'atrium. Augusta reconnu la voix de Gina. Elle parlait à Channing, mais elle ne parvenait pas à entendre les réponses.

Augusta se maudit d'être peut-être arrivée à trop tard. Pourtant, il était à peine 16h00. Elle avait quasiment une heure d'avance.

- Je voudrais bien savoir ce qu'elle complote...

Lentement, Augusta parvint à quitter la salle à manger et à se glisser derrière une des immenses amphores qui ornaient l'atrium. De là, elle pouvait même avoir une vue sur Gina qui comptait des valises que transportaient les employés de la villa Capwell.

- Qu'est-ce que tout ce cirque ?

C'est alors que surgit C.C. au bras de son avocat. Channing était livide; il tenait dans ses mains un papier qu'il remit à Daniel.

- Qu'est-ce que c'est que ce papier, Channing ?

- Rien d'important, Gina. Il s'agit juste de mes derniers conseils pour le procès qui s'ouvre la semaine prochaine.

Gina s'avança vers eux.

- Puis-je le lire ?

Daniel l'ouvrit et, en y jetant un coup d'oeil, pâlit. De sa cachette, Augusta put deviner les gouttes de sueur qui perlaient sur le front de Channing.

Daniel commença à lire sans le moindre tremblement dans la voix.

- Réclamer à Ben Agretti le dossier de Falcon Crest sur l'état de pollution des sols. Prévoir à l'aide de la chaîne KSB8, une campagne de soutien des Entreprises Capwell sur l'aspect écologique de Pacific Sud. Intégrer, dès son retour, Mason dans l'équipe de défense. Augmenter le nombre d'emplois créé par Pacific Sud. Solliciter l'aide du gouverneur du Colorado...

- Est-ce que je continue...

- Non, je m'en fiche, tant que Channing m'accompagne !

- Ai-je d'autres choix, Gina ?

 

Aéroport d'Anchorage.

Sophia Capwell descendit la première du taxi. Le froid la figea littéralement sur place. Il lui tardait de monter dans l'avion et de regagner Santa Barbara, avec son soleil et ses températures agréables. Elle prit sa légère valise des mains du chauffeur, tandis que Mason lui tendait l'argent de la course.

Ils s'engouffrèrent très vite dans le bâtiment de l'aéroport, contents de retrouver des températures au-dessus de zéro degré. Depuis qu'ils avaient quitté leur hôtel, ni Sophia, ni Mason, n'avaient échangé le moindre mot.

Mason restait plongé dans sa souffrance : les nouvelles découvertes qu'il avait faites sur la mort de Channing Junior, venaient de raviver d'anciennes blessures. Plus que jamais, il se sentait le vilain petit canard, d'autant plus que sa mère (dont il gardait en mémoire la dernière apparition en ville), pouvait être responsable de ce meurtre.

Quant à Sophia, elle aussi préférait garder le silence. Un terrible doute s'était imprégné en elle, terrassant toutes ses certitudes... Elle avait enfin pris conscience des blancs qui meublaient toujours sa mémoire. Lentement, une partie du voile se levait et elle découvrait ce qui s'était réellement passé au lendemain du 3 mai 1969. Et à présent, il lui semblait évident que ce passé-là pouvait lui donner des réponses quant au meurtre de son fils chéri. Par ailleurs, sa dernière conversation téléphonique avec C.C. lui laissait entrevoir un sombre avenir pour leur couple. A nouveau, elle l'avait senti distant, pleinement accaparé par la famille, par l'héritage Capwell. C'est d'ailleurs les seuls mots qu'il avait prononcés au cours de leur conversation : les sacrifices à faire pour sauvegarder l'héritage Capwell. Sophia avait alors pensé qu'Augusta, en co-propriétaire de Pacific Sud, lui posait bon nombres de problèmes.

Enfin, comme ils s'engouffraient dans le terminal, Sophia rompit la glace.

- Il me tarde de passer voir Brick, savoir s'il y a du nouveau.

Mason ne répondit pas.

- Mason, tu m'a l'air très sombre. Tu n'as pas envie de revoir Julia et Sam ?

- J'aurais plutôt besoin d'un bon verre...

- Mason,...

- Quoi, Mason... Tout le monde est là, à faire en sorte que je me casse la gueule à chaque pas... Chose que je sais parfaitement faire.

- Pourquoi dis-tu cela ?

- On ne m'a jamais laissé ma chance... A cause de ma mère, à cause de toi, et surtout à cause de l'autre, l'héritier Capwell...

- Ta mère ?

- Je suis un peu comme Brandon. Ni lui ni moi ne sommes responsables du mal qu'on nous fait. Nous payons juste pour notre naissance. Tout comme moi, Brandon doit supporter le poids des erreurs de Gina, de Santana, de Channing Junior... Je ne suis pas plus responsable que lui.

Sophia ne comprenait rien à la tirade de Mason. Elle savait qu'il avait découvert le côté sombre de Pamela, que ce voyage en Alaska a été des plus pénibles pour lui.

- Pourquoi me parles-tu de Brandon ?

- Je l'ai eu au téléphone, il m'a parlé de Santana, qu'elle était malade... Je n'ai pas tout compris, mais je suis certain qu'il est malheureux, perdu entre ses deux mères.

- Tu as certainement raison, mais Gina...

- ...est sa mère. Tout comme Pamela est la mienne.

La montée dans l'avion mit un terme à leur discussion. A peine installé, Mason replongea dans ses pensées. Pourquoi Pamela aurait-elle tué Channing Junior ? Que ce dernier savait-il sur elle qu'il ignorait ? Quel secret voulait-elle protéger : la naissance d'Elena ?

De son côté, Sophia ferma les yeux et songea à Channing. Sophia n'était plus certaine qu'ils allaient se retrouver comme ils se l'étaient promis lors du mariage de Warren et B.J.. Malgré la distance, elle sentait la nouvelle transformation de Channing : il redevenait l'homme d'affaires occupé à plein temps, rongé de l'intérieur par sa compagnie et par l'héritage Capwell. Curieusement, une discussion qu'elle avait eu dans le passé avec Rose Capwell (la femme de Grant) lui revint en mémoire. Rose lui avait parlé de l'éducation de Grant et de Channing par leur père; éducation que Grant avait donné à Madeline. Channing était en train de faire la même chose. Ce qu'il avait fait avec Channing Junior, Eden, Brandon, il allait le faire avec Johnny... Johnny, son petit-fils... Elle devait le sortir des griffes Capwell et le rendre à son père... Johnny, elle en était certaine, l'éloignerait un peu plus de C.C. et la rapprocherait de Lionel...

En songeant à Lionel, Sophia replongea dans le passé. Elle revécut une énième fois l'accident de bateau. Elle éprouva de la haine envers Lionel. Elle se revit dans le bureau, le soir de la mort de Channing Junior. Elle se revit remettre le billet à Philip. Attendre Lionel... Soudain, le visage d'Eden apparut devant elle. Elle revit Eden, grimée en Channing Junior, pointant le canon d'un revolver sur elle. Elle vit la balle jaillir vers elle et, derrière le coup de feu, retentit le rire de Marcello. Elle était certaine qu'il s'agissait de Marcello...

- Mon Dieu, Channing, pourquoi viens-tu tous nous hanter ? Ne penses-tu pas que je porte toute la souffrance de mon acte ? Depuis ta mort, je n'ai plus jamais été la même... Je t'aimais follement. Je t'aime encore. Et je souhaite de tout mon coeur que tu trouves la paix...

Sophia s'enfonça dans son siège. Elle tremblait presque.

- Pourquoi est-ce que tu me hais tant, au point de détruire Eden... tes propres frères et soeurs !

 

Villa Capwell.

Greg Hugues gara sa voiture juste devant l'entrée de la villa de son père. Julia, qui se tenait à ses côtés, descendit la première de la voiture. Greg avait obéit, sans se poser de questions, au texto que Daniel lui avait envoyé.

Julia allait entrer, quand la porte s'ouvrit. Gina en sortit, tirant Channing par la cravate.

- Tiens, j'ai même droit au comité de soutien.

- Gina, qu'est-ce tout ceci ? Channing ?

- Oh, Julia ne faites pas cette tête, ce n'est pas votre mari que je vous vole !

Greg et Julia, perplexes, regardaient la scène. Le puissant Channing Capwell paraissait totalement soumis à Gina, c'était elle qui menait la danse : d'ailleurs, elle poussa Channing à monter dans la limousine.

- Ne faites pas cette tête, je vais vous le ramener...

 

Daniel ouvrit complètement la lourde porte en bois, lorsqu'il entendit la voix de Greg.

- Que se passe-t-il, Daniel ?

- C'est très grave, il faut que je vous explique.

Tous regardèrent s'éloigner la voiture Capwell, emportant pour une destination inconnue Channing et Gina. Heureux de se retrouver, les deux hommes se serrèrent discrètement la main. Lors de cet échange, ils surent l'un et l'autre que l'orage s'était éloigné. Certes, ils auraient à s'expliquer, mais pour l'heure, ils restaient unis.

 

Dans la villa, Augusta sortit de sa cachette et se dirigea tout de suite vers le centre de l'atrium. Ce n'est qu'en passant près de la table de verre et d'osier qu'elle remarqua le papier, qu'un moment plus tôt, Channing tenait entre les mains. Le titre la figea sur place. Et au lieu de sortir et de rejoindre Julia et les autres, elle prit le papier, gagna le bureau et regagna sa maison via le souterrain.

Gina, tu n'es pas encore prête de gagner, et ce quelles que soient tes armes...

Chapitre 21