Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 18 : Desperate Housewives... |
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Et
avec la participation exceptionnelle de Jane Wyman dans le rôle d'Angela Gioberti Channing Erikson Stavros Agretti |
Hôpital de Vancouver, Soins intensifs.
Jane
prit la main de Lionel dans la sienne et la serra très très fort. Depuis de
nombreux jours, elle veillait sans relâche le corps de son amant. Elle
craignait tant pour sa vie. Elle se refusait à quitter plus de cinq minutes la
chambre de Brick, de peur qu'on vienne le lui prendre. Les démons qui déjà
avaient lourdement hanté sa vie étaient revenus : l'enlèvement de Johnny
par C.C. Capwell avait eu raison des barrières qu'elle avait construites après
la mort de sa mère, Caroline. Jane sentait par moment que Roxanne, son double,
désirait reprendre du service.
Assise
sur le bord du lit, d'une main, elle retenait Brick dans son univers, et de l'autre,
elle s'accrochait à Lionel, pour qu'il les retienne tous les deux. Jane
marchait sur la corde raide, un souffle d'air, et elle pouvait tomber dans les abîmes
de la folie.
-
Ne t'en fais pas, Jane. Je suis là à présent.
Fort
heureusement pour elle, Lionel et Sophia avaient pour l'heure quitté Santa
Barbara, pour venir au chevet de leur fils. Et de nouvelles larmes d'impuissance
roulaient sur les joues de Jane. Elle éprouvait tant et tant de culpabilité.
-
Ce n'est pas ta faute, mon enfant.
Jane
plongea ses yeux dans ceux de Lionel, et elle y vit toute la compassion du
monde. Ni Lionel, ni Sophia ne lui reprochaient d'avoir laissé à Channing, la
garde du petit Johnny Perkins Wallace. D'ailleurs, comment aurait-elle pu faire
autrement ? Dès leur arrivée, ils lui avaient expliqué qu'ils récupéreraient
Johnny, lorsque Brick irait mieux; pour l'heure, ils ne devaient se soucier que
de Brick, et uniquement de Brick. Et puis, comme l'avait souligné Sophia,
Channing ne ferait aucun mal à Johnny.
-
Jane, tu devrais aller te reposer. Je suis là, maintenant. Et je veillerai sur
mon fils. Je veillerai sur lui pour toi, et aussi pour Sophia qui a dû partir
pour l'Alaska. Nous attendrons ensemble son retour parmi nous... parce qu'il va
nous revenir. Brick est fort, très fort...
Les
dernières paroles moururent dans la bouche de Lionel. Car tout comme Jane,
Lionel craignait le pire pour Brick. N'avait déjà t-il pas dû affronter de si
pénibles moments lors de l'année 1985 ? Lionel en tremblait encore.
Trop
fatiguée pour protester, Jane quitta la chambre, laissant Lionel veiller sur
son fils. Elle ne se sentait pas le courage de quitter l'hôpital; elle
craignait tant d'être absente si l'état de Brick s'améliorait et pire encore
s'il se dégradait. N'avait-elle pas déjà abandonné Johnny... Et puis il y
avait tous les autres... Caroline, Alice...
Jane,
telle un fantôme, longea le couloir dans l'unité des soins intensifs et gagna
la chapelle, au bout du service. Bien que non croyante, elle choisit de se
rendre dans ce lieu, avec pour seul objectif d'être seule. Il lui fallait
puiser en elle de nouvelles ressources, sinon, elle le savait, Roxanne allait
revenir. Une petite voix murmurait dans sa tête : «Jane, tu ne
seras pas assez forte pour supporter cette épreuve. Regarde-toi, tu as déjà
perdu Johnny. Et tu n'as rien fait pour le garder auprès de toi. Tu l'as laissé
partir sans même te battre. Ce n'est pas toi la plus forte, c'est l'autre. C'est
Roxanne.»
Agenouillée,
Jane fixait une statue du Christ. Elle luttait pour faire taire cette voix en
elle. «Jane, tu n'es pas assez forte. Laisse-moi revenir. Laisse revenir
Roxanne. Elle, elle sait se battre, elle aurait empêché le vieux Capwell de
prendre Johnny. Elle empêcherait Brick de s'en aller. Elle sait parler aux
hommes...»
-
Non !!!
Le
poids de la culpabilité aidant, Jane, lentement, glissait vers un état de
semi-conscience. Une autre voix prit alors le dessus : «Jane tu ne
dois pas baisser les bras. Tu dois te battre, ma petite fille.»
Jane
finit par rouvrir les yeux. Elle avait tout de suite reconnut la voix de
Caroline, sa mère.
-
Maman... Maman, c'est toi... J'ai tant besoin de toi...
Lentement, Jane finit par s'abandonner au sommeil, laissant Caroline et Roxanne s'affronter dans son esprit. Elle, elle n'avait pas la force de leur faire face.
Villa Capwell.
Channing jeta un dernier regard au petit Johnny qui venait de s'endormir. Doucement, il referma la porte de la chambre derrière lui. C.C. venait de passer un agréable moment en compagnie de celui qu'il considérait comme son héritier. Il espérait simplement qu'il aurait le temps nécessaire d'en faire un autre Channing Capwell Junior.
Tout
en descendant les escaliers, il su au fond de lui que sa décision était prise.
D'ailleurs, il n'avait pas vraiment d'autres choix. Il s'installa dans un des
fauteuils en osier de l'atrium et prit le téléphone portable posé sur la
table de verre. Il composa de mémoire le numéro de Daniel McBride.
-
Allô, Daniel ? C'est Channing Capwell.
-
Oui ?
-
J'ai longuement réfléchi et je viens de prendre une décision.
-
Très bien. Concernant le procès ?
-
Non, concernant les Entreprises Capwell. Daniel, le secret professionnel entre
avocats existe, il me semble ?
-
Oui.
-
Même si vous travaillez parfois sur les même dossiers... Comme avec Julia.
-
Oui. Je suis, de par le contrat lié avec les Entreprises Capwell... Mais je ne
vois pas...
-
Daniel. Je veux que vous vous occupiez de tout pour que Pacific Sud, au final, n'appartienne
qu'aux Entreprises Capwell. Ce sera mon cadeau particulier pour mon héritier...
-
Mais Augusta...
-
Daniel, vous me voyez associé à cette grue ? Non, je suis un Capwell, et
elle, elle n'est même pas une Lockridge.
-
Monsieur Capwell, je vous rappelle que les documents que vous avez établis fait
d'elle votre associée à part entière. Elle apporte les capitaux, vous les idées
et le terrain. Pacific Sud est autant à elle qu'à vous...
-
Je sais, mais il me semble que les lois sont faites pour être contournées. Je
vous laisse réfléchir au moyen de me débarrasser d'Augusta. Je veux Pacific
Sud pour moi tout seul. Me suis-je bien fait comprendre ?
-
Très bien.
-
Et pas un mot à Julia. Elle a beau être l'épouse de Mason, elle n'en reste
pas moins la soeur d'Augusta.
-
Bien.
-
Bien sûr, je veux que dès la fin du procès, Pacific Sud n'appartienne qu'aux
Entreprises Capwell.
Channing raccrocha, fier de lui. Dans peu de temps, il retrouverait pleinement le contrôle de ses terres. Lui aussi, tout comme son père avant lui, saurait transmettre l'héritage à sa descendance.
Plage de Santa Barbara.
Réunie
avec ses amis, Gracie profitait pleinement de cette journée de repos :
aujourd'hui elle ne travaillait pas au bureau de Julia, et cette dernière lui
avait proposé de s'occuper de Sam et de Chester. Elle pouvait donc s'amuser
avec ses amies, jouir des rayons du soleil, et admirer les sauveteurs et les
touristes présents sur la plage. Gracie écoutait de loin les discussions de
ses amies, son regard venait de se perdre sur un homme assis sur une serviette
à quelques mètres d'elle.
Tout
en le regardant, Gracie songeait à sa vie. Avec la naissance de Chester, sa vie
avait basculé du tout au tout. Depuis combien de temps n'avait-elle pas pu
profiter pour elle d'une seule demi journée ? Entre Chester, Samantha et
son travail, Gracie n'avait plus de temps pour s'occuper d'elle. Et aujourd'hui,
alors que ses amies lui parlaient de la fête d'Augusta Lockridge, Gracie
prenait conscience de la fracture entre son nouveau monde et son ancien...
-
Gracie, tu es avec nous...
-
Hein...
-
Je parlais de la grande fête d'Augusta. Tu es certaine que tu pourras te
joindre à nous ? Sinon, je ne vois pas l'intérêt que nous y allions. Après
tout, c'est toi notre sésame.
- Oui. Je vous promets que je serai là. Et je pourrai m'amuser. Julia me l'a promis...
Quartier des affaires de Santa Barbara.
En
trombe, Venise quitta l'immeuble dans lequel se trouvaient les bureaux de la
société Armonti's. Il fallait qu'elle parte, il fallait qu'elle prenne l'air.
Si elle restait encore dans ces murs, elle allait étouffer, elle sentait que la
crise allait arriver, comme au temps de son enfance.
Gianni,
dans les couloirs, la suivait. Connaissant sa patronne, Gianni s'attendait au
pire. Malheureusement, il la perdit devant l'ascenseur; il n'essaya pas de la
suivre, sachant très bien qu'elle arriverait en bas bien avant lui. Gianni décrocha
alors son téléphone portable et prévint Marcello de l'état de crise de sa nièce.
En
bas du building, Venise manqua de tomber à terre : et rejeta la faute sur
ses talons. Venise se débarrassa de ses chaussures Gucci. Elle s'appuya un
instant contre la fontaine juste devant l'entrée et regarda les rayons du
soleil qui jouaient avec l'eau. Déjà l'air se faisait plus respirable. Venise
en tremblait encore : avec le bruit de l'eau lui revenait sa conversation
avec sa mère, Francesca Armonti.
«Et
tu veux certainement que je te félicite, Venise, d'avoir repris le contrôle d'Armonti's ?
Tu veux que je te dise ce que j'en pense : tu ne possèdes que du vent...
Tu cherches à plaire à ton oncle... Tu veux soit disant qu'il te pardonne,
mais ce n'est pas cela. Et nous le savons toutes deux. Tu veux qu'il te considère
comme sa fille. Tout ceci, ce combat contre Sophia, n'est qu'un prétexte... Tu
te justifies, tu t'excuses ne pas être la fille de mon frère... Mais il faudra
bien que tu l'acceptes, tu es la fille de cette pauvre Francesca... Continue de
tout reprendre, la compagnie, le nom, mais jamais tu n'auras le titre... En cela
ton oncle y a veillé... Le titre disparaîtra avec Sophia... Et ni toi ni moi n'y
pouvons quelque chose. Il est mort... Lui et son maudit titre...»
-
Maman, pourquoi n'es-tu pas fière de moi ? Pourquoi ?
C'est
alors que Venise remarqua les regards des hommes et des femmes autour d'elle posés
sur elle. Elle se sentait comme poignardée par des milliers d'yeux.
Lentement,
Venise se redressa et arrangea sa tenue. La force de la femme italienne
reprenait le dessus.
-
Mon Dieu, j'ai l'air de ces femmes toujours à pleurer, désespérées, qu'ont
voit à la télévision... J'ai l'air de quoi... de cette pauvre Susan Mayer que
tout le monde plaint...
Venise
repoussa ses cheveux et repartit à l'assaut de sa vie.
-
Depuis quand est-ce que je me laisse abattre ? Je me suis promise de tout
lui reprendre... Tout, y compris le titre Armonti. J'ai déjà la villa en
Toscane, la compagnie... Bientôt le titre. Et je sais le moyen de lui prendre.
Certaine
de prendre le bon chemin, Venise s'engouffra dans l'immeuble et accéda via l'ascenseur
au garage. Là, elle monta dans sa voiture et tout en roulant, elle prévint
T.J. Daniels de sa venue. Il devait l'attendre dans son hôtel.
Il
ne fallut qu'une petite heure pour atteindre le motel minable dans lequel elle
louait une chambre à la nouvelle égérie de la collection masculine d'Armonti's.
D'abord surpris de la voir, T.J. finit par accepter sa présence.
Un
vent de fraîcheur pénétra dans la chambre avec Venise. T.J., bien qu'il ne
fut pas dupe, se laissa charmer par les avances de Venise. Elle avait besoin d'une
présence, et il se sentait capable de lui procurer cette sensation de chaleur,
d'amour. Après tout, l'un et l'autre y retrouvaient leur avantage. Ils
paraissaient si solitaires liés ainsi l'un à l'autre. Venise, alors que T.J.,
en amant expérimenté la conduisait sur le chemin du plaisir, ressentit alors
cruellement toute l'étendue de sa solitude. Elle était obligée de se vendre
pour ne pas être seule.
Venise
ferma les yeux. Elle finit par ne plus attacher d'importance à ses sentiments.
Lorsqu'elle aurait repris son bien, elle pourrait alors se concentrer à sa vie,
et devenir pleinement celle qu'elle devait être, si Sophia ne lui avait pas volé
sa vie.
-
Alors que me vaut cette visite ?
-
Voyons, T.J. tu crois que...
-
Pas à moi, Venise. Je t'en prie. Tu viens me voir, tu m'ordonnes d'être là...
Alors que des jours plus tôt, tu me fais comprendre que je dois sortir de ta
vie...
-
T.J....
-
Arrête, tu es venu pour que je te fasse l'amour. Ai-je bien fait mon travail ?
Venise
remonta les draps sur elle.
-
Je ne vais pas me laisser insulter par...
-
Par... un gigolo comme moi ? Mais Venise, je suis le seul que tu puisses t'offrir.
-
C'est vrai.
Venise
commença à se rhabiller. Puis elle lança à T.J. une enveloppe.
-
Tu peux vérifier, il y a 1000 dollars. C'est pour aujourd'hui. Et je peux t'en
donner encore 5000 de plus, si tu me parles de Channing Capwell.
-
Tu veux que je séduise pour toi Channing Capwell... Tu sais, depuis mon
aventure avec sa femme et sa fille, je ne suis pas certain que je sois le
bienvenu dans sa vie.
-
Non. Pour 5000 dollars, je veux que tu me parles de lui, de ce qu'il aime, de ce
qu'il déteste, de ce qui lui plait chez les femmes...
-
Tu veux, toi, le séduire... Aha ahahah !!!
Venise
rougit, mais ne riposta pas à la moquerie.
-
Tu sais, Channing est fou de Sophia, il n'aime qu'elle. Ca, je te le promets, et
tu vas te casser les dents...
-
Donne-moi les clés et laisse-moi juger du reste. Quant je te vois, je ne suis
pas certaine que tu puisses vraiment critiquer la façon dont je veux mener ma
vie. C'est vrai, si je fais le compte, il y a eu la mère et la fille Capwell,
Lockridge et toutes les autres... Et aucune qui ne soient restées... à moins
que tu ne la caches dans la salle de bains.
-
Très bien. Mais cela te coûtera 10000 dollars et un appartement en ville, pour
toute la durée de la campagne, sinon...
-
Sinon quoi, T.J. ? Tu te casses ? Il n'y a pas de soucis pour moi. Je
survivrai à ton départ et ma collection aussi. Va pour 10000. Mais 3000
maintenant et le reste si tes conseils sont bons. A prendre ou laisser.
-
Tu sais bien que je n'ai pas d'autres choix...
Venise
s'approcha de T.J., défit la ceinture de son peignoir, et le détailla des
pieds à la tête.
-
Mon pauvre T.J., si tu te servais aussi bien de ta tête... Mais contrairement
au reste, ton cerveau reste mou à longueur de temps... Je veux te voir demain
à mon bureau, à la première heure. Pour ta peine, je t'offrirai le petit-déjeuner.
Et je veux tout savoir de Channing Capwell... Il faudra que tu me livres tous
ses secrets.
T.J.
regarda s'éloigner Venise.
- Tu auras beau tout lui prendre, jamais tu n'auras sa classe... Et jamais tu n'auras la reconnaissance de ta famille, Venise. Tu ferais mieux d'essayer de vivre sans...
Vignoble de Ben Agretti.
Augusta
gara son cabriolet juste devant la villa de Ben Agretti. Bien qu'elle était
attendue, elle fut surprise de voir que personne ne vint l'accueillir. Elle
klaxonna à plusieurs reprises; seul le silence résonna. Elle s'avança sous la
véranda et prit place sur un des fauteuils en teck.
Après
plusieurs minutes de solitude, elle remarqua une présence au milieu des vignes.
Une femme âgée venait vers elle. Augusta laissa échapper un soupir de déception;
elle aurait nettement préféré se retrouver en tête à tête, comme les dernières
fois, avec Ben Agretti. Elle était certaine qu'il ne restait pas insensible à
son charme.
-
Augusta Lockridge, je présume ?
Les
deux femmes se jugèrent du regard.
-
Je suis Angela Channing, la propriétaire de Falcon Crest.
-
Et ? Vous m'excuserez, mais je suis venue voir Ben.
-
Je sais.
Angela
Channing prit place face à Augusta : son regard se portait sur les vignes.
-
Vous m'avez l'air d'être intelligente, Augusta, alors je vais être des plus
directes. Vous attendez quelque chose de moi... ou de Ben, ce qui équivaut au même.
En échange, je souhaiterais obtenir quelque chose de vous.
-
Veuillez m'excusez, mais je n'attends rien de vous. Je suis venue parce que Ben
m'a promis le rapport complet des analyses des terres avoisinantes au projet de
Pacific Sud, celles qui ont été en partie détruites par l'incendie... Je n'attends
absolument rien de vous.
Angela
était restée de glace, et avant qu'Augusta ne se lève, elle fit glisser sur
la table un épais porte-documents.
-
Voici le rapport complet, Augusta. A l'intérieur, il me semble même que les
analyses faites sur mes terres, sur les terres de Falcon Crest, prouvent l'innocence
des Entreprises Capwell. Il y a aussi des photos des hommes responsables de la
pollution. Et, ils n'ont rien à voir avec Channing Capwell...
Augusta
s'installa confortablement et tendit une main vers le rapport.
-
Vous pourrez l'avoir et vous en servir à votre guise lorsque...
-
Lorsque ?
Angela
s'enfonça dans son fauteuil. Elle savourait sa victoire : elle lisait dans
les yeux d'Augusta une belle étincelle. Augusta était comme elle, elle saurait
trouver son intérêt.
-
Augusta, je vous donne ce rapport afin que vous détruisiez les coupables.
Je déteste qu'on détruise la terre... Si vous savez comme mon père aimait la
terre... Les vignes... Je ne cesse de me battre pour elles... D'ailleurs, le
marché que je vous propose est simple. Ben vient témoigner au procès en
faveur des Entreprises Capwell, avec ces preuves à l'appui, si en échange...
Vous pouvez faire en sorte que Channing Capwell me vende le domaine de
RoseRidge.
-
Comme vous le dites, RoseRidge appartient à Channing Capwell... Je suis navrée,
mais je ne peux pas vous le vendre, même si j'en avais envie.
-
Ne vous sous-estimez pas, Augusta. Je sais combien vous avez besoin de ce
document... De mon côté, je dois obtenir davantage de terres si je veux
reprendre le plein contrôle de Falcon Crest. Vous avez besoin de moi et moi de
vous... Il me parait évident que notre association ne peut être que
fructueuse.
-
Je suis désolée, mais je ne peux pas obliger Channing à vous vendre
RoseRidge.
-
Alors vous n'aurez jamais le plein contrôle de Pacific Sud.
Angela
se leva et glissa sous le bras le porte-documents.
-
Je regrette sincèrement, Augusta, de ne pouvoir vous aider. Il est regrettable
que Pacific Sud disparaisse avant même d'avoir existé et que les Entreprises
Capwell soient reconnues responsables de l'incendie.
Très
vite, le cerveau d'Augusta examina la situation. Elle n'avait pas d'autres
solutions si elle voulait prendre le contrôle de Pacific Sud.
-
Angela, vous me plaisez. Considérez que RoseRidge est à vous.
-
Voilà qui est mieux. Je savais bien que nous marchions sur la même route.
-
Channing me donnera RoseRidge. Et en échange du vignoble, vous
innocenterez les Entreprises Capwell.
Les
deux femmes conclurent leur accord par un verre de vin, de Falcon Crest évidemment.
- Je reprendrai bientôt le plein contrôle de Falcon Crest. Augusta, je vous remettrai moi-même le dossier avec la signature de l'acte. Je vous promets même un excellent bonus, si je peux reprendre les terres que j'ai perdues.
Terrasse de l'Orient Express.
Installée
à une table à l'écart, Courtney Capwell finissait de boire sa coupe de
champagne. La musique lui parvenait affaiblie de la salle de restaurant :
les premières notes de Summertime emplirent la terrasse. Depuis
quelques jours, l'Orient Express accueillait une chanteuse française qui
reprenait entre autres les grands standards de la chanson française et américaine.
La voix chaude et rauque de Patricia Kaas, puisque tel était le nom de l'artiste,
vint sortir Courtney de ses sombres pensées. Des souvenirs de sa mère, Rose
Capwell, s'éveillaient en elle.
Du
temps heureux de son enfance, elle gardait le souvenir de leur mère qui venait
tous les soirs, leur chantait cette chanson de Gershwin. Summertime and the Linvin'Is Easy....
Rose avait une si jolie voix... Courtney leva les yeux et elle se perdit
dans la voix de l'artiste.
Avec son retour en ville, Courtney avait ravivé de très vieilles blessures qu'elle pensait cicatrisées avec le temps. Hélas, pour certains, le temps ne parvient pas toujours à tout effacer de nos mémoires. Et avec la chanson, il se raviva aussi la maladie de Rose, et la descente aux enfers pour toutes la famille. Courtney avait toujours cru que la perte de la raison de sa mère était principalement due au traitement des Capwell de la côte ouest à l'égard de son père. Emmett, son grand-père, avait toujours considéré différemment ses deux fils : Channing, l'héritier de l'empire, avait droit à toute l'estime et à la considération du puissant chef de clan; Grant devait se contenter des miettes. Et Channing, au sortir de la guerre, avait su accentuer cette différence, puisqu'il avait fait en sorte de chasser Grant de la villa. Rose ne s'était jamais remise de cet affront; pour cette fille d'une puissante famille de Boston, être ainsi répudiée par les membres de sa propre famille était le pire des déshonneurs. Courtney et Madeline avaient alors assisté impuissantes à la plongée dans les abîmes de la folie de leur mère : avec le temps, elle cessa complètement de sortir, ne s'alimentant qu'un jour sur deux. Et puis, un jour, ou plutôt une nuit, Rose se suicida.
Courtney
essuya d'un revers de la main les premières larmes sur ses joues.
-
Ma pauvre maman... Je sais maintenant ce que tu as dû endurer...
Ses
mains tremblaient légèrement. Alors que les premières notes de Comme d'Habitude
succédèrent à la chanson d'Ella Fitzgerald.
En
revenant à Santa Barbara, Courtney avait déterré bien involontairement des réponses
à de vieilles questions; et des réponses qui à leur tour posaient de
nouvelles questions. Courtney regagna sa table, se resservit à boire et se
replongea dans l'écriture de ses notes. Après sa violente altercation avec le
Général Michael Baldwin Bradford II, Courtney avait fini par choisir d'affronter
la réalité en face : elle devait venger sa mère et sa soeur du mal qui
leur avaient été fait. Elle ne pourrait retrouver la paix qu'à ce prix, et même
si pour cela, elle devait entraîner son nom dans la chute.
Courtney arrangea les photos qui dépassaient de son carnet de cuir noir. A chaque fois qu'elle les touchaient, elle ne pouvait s'empêcher de songer à Madeline, à sa grande soeur...
-
Madeline, que t'ont-ils fait ?
Durant
une fraction de seconde, elle revit le visage de son père et d'un Général,
elle les imagina en militaire...
La nausée la reprit, mais elle s'obligea à ne pas bouger, à laisser le calme revenir en elle. Elle se devait d'être forte; Rose et Madeline n'avaient plus qu'elle comme espoir de salut. A présent, Courtney n'écoutait plus la musique, elle se concentrait uniquement sur les notes qu'elle avait prises et sur les preuves qu'elle possédait. Elle avait entre les mains le carnet de son père : il reprenait les noms des victimes, ainsi que les noms des soldats allemands à qui ils avaient vendu les jeunes filles. Pour chacune de ces transactions, il précisait le montant, il indiquait la date exacte ainsi que le lieu précis du drame. Courtney n'avait pas le moindre doute : son père, aidé du Général Bradford, avait vendu aux officiers allemands des jeunes filles et des jeunes garçons juifs, lors de leur séjour aux Pays-Bas. Pire que tout, ils avaient aussi fini par prendre part à ces orgies, aux côtés des soldats du Reich. En échange de ces services, les deux hommes recevaient une part des biens volés aux juifs. A leur retour, son père et Winnie (le surnom du Général) avaient essayé de continuer leur commerce en Californie. Mais Channing, lui aussi soldat américain présent aux côtés de son frère, avait découvert les horreurs pratiquées par les deux hommes. Dès leur retour à Santa Barbara, Channing avait exigé que Emmett bannisse définitivement ce frère qui lui faisait honte. Emmett n'avait pu se résigner à une telle extrémité. C'est pourquoi il envoya Grant sur la côte ouest.
Pendant
des années, Emmett cru qu'il avait fait le bon choix : la vie de Grant le
confortait dans ces certitudes. Marié à une jeune héritière d'une puissante
famille de Boston, Grant était devenu père de deux adorables petites filles.
Et un jour, le monde s'écroula...
Courtney
s'en souvint parfaitement. Déjà, la santé mentale de Rose montrait des signes
de faiblesse. Elle exigeait que ses filles partent étudier dans un pensionnat
en Angleterre. Elle perdait le sommeil et l'appétit à chaque fois qu'elles
rentraient à Boston. Rose tremblait pour ses filles, et en particulier pour
Madeline qui développait tous les aspects du comportement Capwell. Rose voyait
en elle la froide réplique de Grant ou d'Emmett. Adolescente, Madeline
cherchait de tout son être à capter l'attention de son père. Elle s'intéressait
tout comme lui à l'art, au monde des affaires, à la finance. Bref, tout ce qui
intéressait Grant passionnait Madeline. Alors un jour, Grant, en compagnie du Général
Bradford, commis l'irréparable. Pris à la gorge par des mafieux avec qui ils
avaient essayé de revendre quelques toiles volées aux juifs, Grant n'eut d'autres
possibilités que de vendre pour une nuit, la virginité de sa fille.
Courtney
tremblait à la lecture de ces notes. Pourtant, il lui fallait faire impérativement
ce chemin jusqu'au terme de l'horreur. Elle devait tout retranscrire dans les
moindres détails, si elle voulait sauver les âmes de sa mère et de sa soeur.
Depuis
ce jour-là, le comportement de Madeline changea du tout au tout. Elle jouait
avec son père à être son égal. Elle ne craignait plus rien, ni personne.
Elle était devenue en une nuit cette jeune femme froide, arrogante,
manipulatrice envers les hommes et les femmes. Seule la recherche du plaisir et
du pouvoir semblait la captiver. Courtney se souvenait parfaitement des disputes
entre Madeline et Rose, des insultes lancées avec violence à l'encontre de
Rose. Et plus Madeline devenait la réplique de Grant, plus Rose sombrait dans
la folie. Elle ne pouvait dire le secret qui la rongeait de l'intérieur. Car
nul doute à présent pour Courtney que sa mère avait su lire le jeu de
Madeline et de Grant, nul doute aussi que Rose avait dû supporter le terrible
comportement de Grant.
-
Madeline, ce sont eux qui ont fait de toi le monstre que tu étais... Ce sont
eux, les coupables... Moi, je n'ai fait que, comme tu me l'as supplié, mettre
un terme à tes souffrances... Je ne voulais pas te tuer... C'est toi qui l'as
voulu... Toi qui l'as exigé de moi...
Courtney
but sa coupe de champagne et elle s'en resservit aussitôt une nouvelle. Seules
les bulles de champagne pouvaient diminuer l'extrême tension qui figeait tous
ses membres. La musique en fond sonore accentuait encore sur Courtney cette
ambiance de plongeon dans le passé.
- Au procès, Madeline, je parlerai. Il le faut. Je te promets que je te vengerai... Je ferais en sorte que papa et l'autre payent pour le crime... Peu m'importe à moi, le nom des Capwell... Ils vont payer. Je te le jure.
Route isolée de France.
-
On n'a pas idée de faire des routes si petites et avec si peu de panneaux !
Cette fois-ci, je crois que je suis vraiment perdue.
Gina
Lockridge arrêta sa voiture de location et inspecta le paysage tout autour d'elle.
Il n'y avait que des champs, des champs à perte de vue.
Quelques
jours plus tôt, Gina avait quitté le soleil californien pour trouver une fin d'automne
particulièrement fraîche sur le continent européen. Déjà là, elle avait eu
fort à faire pour s'habituer à cette soudaine variation de température. Gina
avait fini par atteindre la Bretagne, pour rejoindre le détective privé qu'elle
avait mis sur les traces d'Amanda Lockridge et de son passé. Et aujourd'hui,
elle devait se rendre dans un petit village du nom de Saint quelque chose (ils
portaient tous comme nom Saint quelque chose) pour retrouver Tom Patterson et
ainsi voir la tombe d'Ella Lockridge.
Gina
ne se sentait pas de le joindre par téléphone une énième fois. Folle de rage
et de colère contre elle-même et surtout contre ces maudits français qui ne
faisaient rien comme tout le monde, Gina sortit de sa voiture et choisit d'attendre
que quelqu'un passe.
-
Ne faut-il pas être stupide pour faire des routes qui se ressemblent toutes !
Et dire qu'il n'y a même pas une ville avec un centre commercial digne de ce
nom dans le coin. Mais comment font-ils pour vivre ici ?
A
nouveau, elle détailla le plan que lui avait donné Tom, dans la matinée. Elle
n'y comprenait rien. Il lui parlait de cailloux, de croix... Tout au long de son
périple, Gina avait vu des centaines de cailloux qui auraient pu être celui
cité par Tom. Non, définitivement, elle n'était pas faite pour vivre ici.
Seul Paris trouvait grâce à ses yeux. Mettant à profit ses minutes de
solitude, Gina envoya un message, via son téléphone portable, à sa mère à
qui elle avait confié la garde du petit Creighton. Creighton à Miami, Brandon
à Harvard, Gina se retrouvait bien seule, maintenant qu'elle avait été
contrainte et forcée de quitter la villa Lockridge. Le souvenir cuisant de son
affrontement avec Augusta lui redonna du courage.
-
Il faut vraiment que je perce le secret d'Amanda. Cela lui fera fermer son
claquet à l'autre pétasse.
Gina
regarda attentivement le lointain, il n'y avait personne. Lentement, la peur s'aventura
en elle : et si j'étais réellement perdue. Oubliant son
amour propre, elle essaya de joindre Tom, pour qu'il lui donne de nouvelles
instructions ou pour qu'il vienne la chercher. Malheureusement, le réseau ne
passait plus, et tous ses appels restèrent sans réponse.
Gina enrageait. Comme à son habitude, elle en voulait à la Terre entière : à Augusta qui l'avait tout bonnement chassée de Santa Barbara, à Channing qui ne voulait plus d'elle, à Minx qui, de là-haut, faisait de son mieux pour l'empêcher de percer le secret d'Amanda Lockridge.
-
Ne vous en faites pas, Minx, je tiendrai ma promesse. Quels que soient les
obstacles que vous mettrez sur mon chemin. Je finirai bien par avoir ma
vengeance. Ca, je vous le garantis...
Plusieurs
fois, elle essaya de joindre le portable de son détective privé; le réseau ne
passait toujours pas. Après avoir complètement déchargé sa batterie, Gina se
mit à maudire la France.
Des
heures s'écoulèrent et la nuit commençait à poindre à l'horizon. C'est
alors qu'un cycliste approchait. Gina se précipita sur lui et manqua de le
faire tomber. Elle n'en pouvait plus. Elle avait soif, elle avait faim, elle
avait envie d'aller au toilettes... Toutes ces choses sans importance, mais qui
aujourd'hui comptaient tant dans la vie de Gina DeMott.
Après
de nombreuses tentatives au cours desquelles, bien sûr, Gina ne fit aucun
effort pour passer outre la barrière de la langue, l'homme compris que Gina
voulait se rendre au village et il finit par lui faire comprendre qu'elle devait
le suivre.
Tout
au long du trajet, Gina ne cessa de râler contre l'homme qui n'allait pas assez
vite. Plusieurs fois d'ailleurs, Gina cala : elle n'était pas habituée à
conduire à cette vitesse ou à rouler sur des routes de campagne.
Et
c'est fatiguée, le chignon défait, que Gina finit par tomber sur Tom
Patterson, en plein milieu de la place du village.
-
Ne me parlez pas de vacances ou du séjour, Tom... Je suis dans un état. Vite,
conduisez-moi sur la tombe, pour que je puisse le plus vite possible aller à l'hôtel
et prendre un bon bain.
Gina
raconta tant bien que mal sa mésaventure à Tom Patterson. Ce dernier se retint
de rire tout au long du monologue : il était certain qu'elle ne
comprendrait pas. Il la conduisit au cimetière du village : la tombe d'Ella
Lockridge se tenait à l'écart, isolée des autres, entourée de grands pins.
-
Voici ce que vous êtes venue voir de vos propres yeux : la tombe de la
fille d'Amanda Lockridge.
-
Et c'est tout ?
Tom
la regarda, perplexe.
-
Vous vous attendiez à quoi ?
-
Je ne sais pas, mais je m'attendais à comprendre ce que Minx chercher tant à
cacher.
-
Ce n'est qu'une tombe.
-
Je le vois bien. Et vous avez bien cherché, il n'y a pas de cachette... Pas de
message laissé...
-
Non.
Les
bras de Gina tombèrent, laissant éclater ainsi sa déception.
-
Et vous n'avez rien découvert d'autre ?
-
Vous savez, les événements datent d'avant 1885, année du naufrage de l'Amanda
Lockridge...
-
Je sais, mais j'avais fini par croire qu'en trouvant la tombe, je
comprendrais... Et qu'avez-vous découvert sur Ella ?
-
Pas grand-chose. Dès son arrivée en France, Amanda l'a faite placer dans une
institution religieuse, à quelques kilomètres d'ici. Elle n'a quitté le
couvent qu'à trois reprises et durant des périodes très brèves. Trop brèves
pour qu'on puisse lui imaginer un autre destin que celui d'une simple
religieuse.
-
Rien de bien croustillant...
-
Je le crains...
-
Mais alors, pourquoi Minx voulait-elle à tout prix cacher la naissance de cette
fille ? Qu'a-t-elle de particulier ? Je ne comprends toujours pas.
La
sonnerie du portable de Tom déchira le silence. Il s'éloigna, laissant Gina de
plus en plus perplexe devant la tombe.
Très
vite, sans avoir raccroché, il retrouva Gina.
-
C'est pour vous.
-
Allô ? Maman... Il est arrivé quelque chose à Creighton ? Comment
ça ? Parle plus lentement, je ne comprends pas ce que tu me dis. Très
bien. Merci.
Gina
raccrocha. Suite au coup de fil, son visage se métamorphosa.
-
C'était ma mère, une autre équipe que j'ai engagée a retrouvé l'épave de l'Amanda
Lockridge. Elle est dans un hangar, toujours sous l'eau, à Monterrey. Je
retourne là bas. Il faut que je comprenne...
Gina
retourna à la voiture, sortit son sac et tendit un chèque de 5 000
dollars à Tom.
- Conduisez-moi à l'hôtel. Ceci est pour vous, continuez vos recherches, je veux en savoir plus sur Ella... Savoir pourquoi elle a quitté trois fois le couvent. Quant à moi, je retourne à la civilisation...
Pacific Sud.
- Voici donc ce qui sera mon bureau. Je tiens, juste pour le plaisir, à te
faire remarquer que je suis juste au centre de la structure, et qu'il est plus
grand que celui de Capwell !!!
Augusta
ne put s'empêcher de sourire à cette remarque qui, pour elle, démontrait
clairement qui tenait les rênes de Pacific Sud.
Julia,
la petite soeur, terminait de visiter le bâtiment administratif du projet de
Pacific Sud, qui venait de sortir de terre dans la semaine. Afin de couper l'herbe
sous le pied à tous ses détracteurs, Channing avait exigé que les premières
constructions soient achevées avant le début de son procès qui débutait
prochainement. Des équipes se succédaient nuits et jours pour satisfaire aux
exigences du maître du projet, car bien que les capitaux soient Lockridge, c'était
bel et bien Channing Capwell qui tenait les commandes.
-
Et tu crois que tu supporteras de travailler tous les jours avec lui ? Tu
sais, Capwell et Lockridge ne font pas bon ménage. Tu peux me croire.
Augusta
remarqua la lueur d'infinie tristesse qui traversa les yeux de Julia.
-
Ne dis pas des bêtises pareilles, Julia. Parce qu'avec toi, cela ne marche pas,
tu n'es pas une Lockridge... Et
puis, on s'en fiche des hommes, qu'ils soient Capwell, Lockridge, ou n'importe
quoi d'autre... Tu veux que je te dise, l'important c'est ce qu'on fait et ce qu'on
laisse.
-
Parfois, Augusta, j'aimerais bien avoir ta force. Comment fais-tu pour ne pas être
abattue avec le départ de Lionel ?
-
Les départs de Lionel, tu sais, j'en ai l'habitude. Il a passé moins de temps
chez lui que dans un aéroport, celui-là... Ce qui m'aide vraiment, c'est que
je suis certaine, au fond de moi, qu'il me reviendra. Je le sais, c'est écrit là,
dans mon coeur. Et Mason aussi te reviendra. Il ne peut en être autrement.
-
Ce que j'aimerais avoir le même optimisme que toi. Et puis, je ne suis pas
certaine que je veuille qu'il revienne dans ma vie.
-
C'est vrai, j'oubliais que tu avais trouvé l'homme idéal : drôle,
tendre, attentionné, prévenant, mais gay...
-
Augusta, je t'interdis de le répéter...
-
Promis. Allez, viens, je t'invite à boire un verre et je te confierai mes
malheurs, cela te changera les idées.
Augusta
prit Julia par le bras et, tout en quittant le bâtiment, en en achevant la
visite, elles prirent la direction de la voiture d'Augusta.
-
Je vais t'amener au club 71, sur la terrasse. Depuis que Channing et moi sommes
associés, j'ai mes entrées dans les plus beaux endroits de la ville.
Les
deux femmes montèrent dans la voiture et partirent en direction de la ville.
Durant tout le trajet, ni l'une ni l'autre n'osèrent aborder à nouveau le
problème des hommes, ou plutôt l'absence des hommes dans leur vie. Julia se
refusa encore à répondre aux questions d'Augusta concernant le procès. Elle
ne voulait pas se disputer avec sa soeur et puis, même si à présent Augusta
et Channing étaient associés, Julia, elle, ne travaillait que pour C.C..
Arrivées
devant l'entrée du Club 71, Augusta laissa sa voiture au groom et, sans rien
demander, telle la maîtresse des lieux, conduisit Julia à la terrasse du club.
De là, on surplombait toute la State Street et ses palmiers, et au loin on
plongeait dans l'océan. Augusta prit place à une table de fer forgée noire,
à l'abri sous un large parasol beige, juste à côté d'une fontaine remplie d'arômes
blancs.
-
C'est Channing qui m'a fait découvrir ce havre de paix. Jamais je n'aurais cru
que cet homme pouvait avoir bon goût.
-
Augusta...
Julia
s'arrêta parce qu'un serveur leur apporta leur consommation : un cocktail
Capridge.
-
C'est moi qui l'ait inventé... Et je peux t'assurer que cela n'a rien à voir
avec l'eau de belle-maman. Paix à son âme... Tu sais que je n'arrive toujours
pas à savoir si je dois continuer à la détester ou la remercier pour ce qu'elle
m'a fait. Enfin, grâce à elle, j'ai pu me débarrasser de l'autre pétasse de
Gina. Alors, santé Minx !
-
Santé...
Augusta
regarda un moment fixement sa soeur. Elle avait retrouvé cet air qu'elle
affichait à son arrivée en ville : la working girl indépendante, symbole
des années passées. Un instant, elle songea à Mason et à ce qu'il lui
faisait traverser. Bizarrement, Augusta parvenait toujours à trouver des
excuses à Mason, comme si au fond d'elle elle comprenait chacune de ses
actions. Mais très vite, Augusta finit par revenir à ce qu'elle avait toujours
été : une femme excentrique et égocentrique.
-
Je te parlais donc, Julia, de la grande fête que je voulais organiser. Et bien,
tu sais que Pierre, le traiteur, a refusé ma proposition. Depuis le meurtre
de... Andrea, il me semble, il ne fait plus de réception pour la fête d'Halloween.
Il a refusé... Il n'a pas voulu...
-
C'est vrai, je me souviens de ce drame. Pauvre Andrea... Finir ainsi, violée
sur la plage...
-
Tu sais que j'ai réfléchi, et je me suis rendue compte que chacune des grandes
fêtes se soldait par un drame... C'est presque à celle qui aura le plus
terrible. Il y a eu le meurtre de Channing Junior pour la grande fête Capwell,
la libération de Joe pour les fiançailles de Kelly, l'évasion de Cruz pour le
mariage de Kelly et Jeffrey, la mort d'Andrea, le meurtre d'Amado... J'espère
que ma fête aura droit aussi à son petit drame...
-
Augusta, comment peux-tu parler comme cela ? Tu ne souhaites quand même
pas la mort de quelqu'un ?
-
Non... Mais si ma fête pour la Saint Nicolas pouvait elle aussi avoir son
drame, je suis certaine qu'on continuerait à parler de moi pendant des années...
Julia
préféra se taire; elle ne comprenait pas le raisonnement de sa soeur. Et puis,
pour elle, cela n'avait que peu d'importance.
-
Tu sais, Julia, je veux que tu viennes, tu me l'as promis.. Tu peux venir au
bras de qui tu veux. Qu'il soit ton mari, ton amant... Qu'il soit gay ou pas...
-
Augusta. Tu ne dois pas le répéter. Surtout pas à Channing, il ignore tout de
Daniel. Tu me dois de te taire...
-
Et toi, tu me dois de venir à ma petite fête. Tu verras, je suis certaine qu'on
va bien s'amuser...
- C'est bon, je viendrai...
Hôtel de la presse, Bagdad, Irak.
De retour à Bagdad, B.J. Lockridge avait aussitôt gagné l'hôtel de la ville, qui était entièrement réservé à la presse. Depuis plusieurs semaines, ni elle ni le journal n'avaient eu de nouvelles de Warren. B.J. était folle d'inquiétude. Et depuis son arrivée à l'hôtel Excelsior, ses pires craintes paraissaient devenir réalité : un des contacts de Warren venait de lui raconter l'enlèvement de deux journalistes américains par une faction de rebelles. B.J. était certaine qu'il s'agissait de Warren, sinon comment expliquer son silence ?
Elle
fit de son mieux pour réunir le maximum d'informations : tant sur l'emploi
du temps de son mari, que sur les ravisseurs. Elle alla même jusqu'à essayer
de prendre contact avec l'association humanitaire qui supervisait la répartition
du matériel médical dans les différents hôpitaux de la région. Elle avait
appris quelques temps plus tôt, avant que Warren ne disparaisse, qu'un certain
Ted Capwell de Santa Barbara était présent. Tous les appels de B.J. à Ted
restèrent sans réponse.
Pour
l'heure, B.J. pianotait sur son ordinateur portable toutes les informations qu'elle
avait centralisées. Elle n'en pouvait plus de ce silence : lors de leur
mariage, ils s'étaient promis, en dépit de leur travail, de se téléphoner au
moins trois fois par semaine. B.J. ne s'attendait pas à ce que Warren trahisse
ses voeux si tôt. Elle se passa énergiquement les mains dans ses cheveux,
comme pour chasser toutes les sombres pensées qui la torturaient. Elle devait
rester objective : tant qu'elle n'avait pas de preuves, elle devait cesser
de s'attendre au pire et continuer d'espérer...
B.J.
n'entendit pas un homme qui venait vers elle : il portait une chemise
blanche en soie, largement ouverte, qui laissait voir son torse viril et musclé.
Il tenait dans ses mains deux verres d'un cocktail local.
-
Bonjour, B.J.
B.J.
releva la tête. Elle ne connaissait pas l'inconnu qui l'accostait : «Encore
un de ces mauvais dragueur...». Un masque fermé se dessina sur le
visage de la jeune femme : «Il ne me fallait plus que ça.».
-
Je ne suis pas intéressée... Quoique vous ayez à me dire ou à me proposer,
cela ne m'intéresse pas.
-
Ah, le verre... De toutes façons, il n'était pas pour vous. Mais je reviens.
Effectivement
l'homme apporta le second verre à un homme d'un certain âge, installé à une
table au fond de la salle. Lui aussi tapait à grande vitesse ses notes sur un
PC portable.
L'inconnu,
sûr de son charme, prit place, sans être invité, à la table de B.J..
-
Alors, on n'est pas intéressée ? Et si je n'avais rien à proposer...
-
A votre tête cela m'étonnerait... J'imagine bien ce que vous avez derrière la
tête...
-
Ah oui... Je serais curieux de le savoir !
-
Vous vous êtes dit, en me voyant... car cela fait un moment que je vous ai vu m'observer...
-
J'en suis flatté... Vous m'avez remarqué... Tiens donc... Et vous vous êtes
dit ?
-
Celui-là, il est pour moi. Il va venir me jouer la grande scène de la pauvre
journaliste loin de son pays... Il va me proposer un verre afin de parler
patriotisme... A la fin, il va me demander, sans arrière pensée, de le suivre
dans sa chambre... En imaginant qu'elle dise oui...
-
Vous vous êtes dit tout cela, rien qu'en me regardant...
-
Oui. Et je ne suis pas encore assez seule ou déprimée pour vous écouter...
B.J.
se redressa sur son siège, défiant du regard l'inconnu qui la fixait avec
insistance.
-
Et après, on dit que nous les hommes, on se fait des films... Mais moi non
plus, B.J., je ne suis pas assez seul ou déprimé pour vous proposer à boire.
Encore que si vous insistez, je veux bien vous conduire dans ma suite et vous
parler du pays.
B.J.
rougit sous l'effet de l'insulte déguisée. Elle s'en voulait de laisser ainsi
paraître ses émotions. L'homme savait y faire pour retourner ainsi la
situation à son avantage. Très vite, elle se ressaisit.
-
Et vous êtes, je n'ai pas retenu votre nom...
-
C'est normal, je ne me suis pas présenté...
B.J.
baissa soudain l'écran de son PC, car elle venait de remarquer le regard de l'homme
qui avait glissé de son visage, à son décolleté, puis à l'écran.
-
Oh, ne craigniez rien, je ne viens pas voler de scoop...
L'homme
s'installa plus à son aise.
-
Nous avons une amie commune, c'est pour cela que je sais qui vous êtes et ce
que vous venez faire à Bagdad. Et je manque à tous mes devoirs... Il faut dire
que je suis troublé, c'est la première fois qu'une si jolie femme me fait des
avances...
B.J.
rougit encore. Elle détestait cet homme, il transpirait la suffisance.
-
C'est votre belle-mère, Augusta, qui m'a dit que vous seriez ici.
«Pas
étonnant qu'il connaisse Augusta. Ils sont faits pour s'entendre...»
-
Et ?
-
Et, je suis Craig Hunt... Et (il baissa le ton), votre belle-mère m'a envoyé
dans ce trou perdu pour retrouver votre mari.
-
Co... Comment...
-
Je croyais que vous n'étiez pas intéressée !
Craig
approcha son visage de B.J.; ils n'étaient qu'à quelques millimètres l'un de
l'autre.
-
Mais, je vais vous dire ce que je sais...
Folle
de rage, B.J. l'empoigna par le col de sa chemise, et l'attira vers elle.
-
Si vous ne voulez pas que je vous écorche lentement, vous allez me dire ce que
vous savez au sujet de mon MARI.
-
Je rêverais de finir sous vos coups, ma chère, mais je travaille pour
Augusta... Et ses ongles à elle me semblent plus dangereux ! Venez, allons
nous mettre à l'écart, car lorsque je vous aurai tout raconté, vous aurez
peut-être moins confiance en vos amis, et davantage en moi ! !
Craig
prit B.J. par le bras et la guida à l'extérieur de l'hôtel. Là, ils s'assirent
sur le rebord de la fontaine qui ne fonctionnait plus; les restes d'une statue
de Saddam Hussein remplaçaient les nombreux jets d'eau. Là, Craig narra à
B.J. tout ce qu'il savait sur l'enlèvement de Warren et de Ted. Il lui avoua
que, selon ses sources, c'étaient des troupes américaines qui les retenaient
prisonniers. Il lui parla aussi de l'acte de bravoure de Warren : celui-ci
s'était interposé alors que des militaires avaient surgi pour kidnapper Ted
Capwell. Warren n'avait été enlevé que parce qu'il avait essayé de sauver
Ted.
-
Cela n'a pas de sens... Pourquoi des américains... Et pourquoi a-t-il essayé
de sauver Ted ? Ils n'étaient même pas des amis...
Anéantie
par ces révélations pour le moins incompréhensibles, B.J. finit par se rendre
aux conseils de Craig.
-
D'accord, demain, je repars pour Santa Barbara...
-
Vous y serez plus en sécurité... Je vous promets de faire tout ce qui est en
mon pouvoir pour libérer votre époux. Je dois une dette à Augusta, qui ne me
laisse pas d'autres choix.
-
Promettez-moi de me prévenir dès que vous aurez du nouveau. De me prévenir
avant Augusta...
-
C'est promis.
Sur
ces mots, Craig attira B.J. contre lui et lui déposa un baiser sur les lèvres.
- En gage de ma promesse...
Bureau de la villa Capwell.
Le
silence le plus complet régnait dans la villa Capwell. Le maître des lieux
inspectait, en compagnie de architectes, l'avancement des travaux sur le site de
Pacific Sud. Au retour, comme à son habitude, il s'était arrêté au Club 71,
pour prendre un verre. Depuis de longs mois, il n'aimait pas se retrouver seul
à manger dans sa villa. Il y avait trop de fantômes qui y vivaient.
D'ailleurs,
en ce moment-même, un autre fantôme de la vie de Channing Capwell avait refait
surface et, actuellement, il buvait un verre de vin dans le bureau.
Attentivement, il détaillait chacune des photos qui décoraient la pièce.
Elles étaient en fin de compte peu nombreuses. Il y avait une grande photo de
Sophia, du temps où elle était actrice : elle avait été prise dans le
parc, lors de la soirée où Channing et elle s'étaient rencontrés pour la
première fois. Mais cela, il ne le savait pas. Une photo de Kelly, lors de son
mariage avec Jeffrey. Elle resplendissait, ses longs cheveux blonds retombant
sur le satin immaculée de sa robe. Une photo d'Eden, prise ici-même derrière
le bureau de bois de son père. Une photo de Ted et de Mason, ensemble, prise
lors de leur tour du monde. Bien sûr,
il y avait une photo pour chacun des petits-enfants : Brandon, Samantha,
Adriana, Chip. Et à la place d'honneur sur le bureau-même trônait une vieille
photo de Channing Capwell Junior, prise ici, quelques heures avant sa mort.
Lentement,
il prit la photo de Channing Junior et il passa de longues minutes à scruter
chacun des traits du jeune homme, trop tôt disparu. Peut-être cherchait-il à
voir dans ce regard d'acier, la nature profonde de ce demi-frère que personne n'avait
pu percer : voir son caractère, la preuve de son homosexualité, la vérité
sur sa mort.
Greg
reposa le cadre.
-
Ainsi, c'est donc toi, ce frère disparu, ce fils tant aimé, avec lequel nous
sommes tous en compétition. De tous les fils de Channing, parce que je n'arrive
toujours pas à l'appeler papa, je suis sans nul doute celui qui ne se sent pas
en compétition avec toi et, curieusement, je suis peut-être celui qui te
ressemble le plus.
Greg
prit place dans un des fauteuils, face au fauteuil de cuir sombre du maître des
Entreprises Capwell.
-
Tu sais que tout cela, ça n'a aucun intérêt pour moi. Je me moque du nom
Capwell, nom que je ne porte pas. Je me fous de l'argent. Je n'ai rien demandé
sur ma part... Je ne me soucie que très peu des autres, Ted, Mason, Eden et
Kelly... Et cependant, je dois dire que toi, toi, tu m'obsèdes.
Greg,
lentement, se leva. Il venait d'entendre du bruit. Soudain, la porte du bureau s'ouvrit
et il se trouva face à face avec C.C.. Les deux hommes ne s'étaient pas revus
depuis 1990, lorsque Greg avait quitté la ville.
-
Bonjour.
-
Bonjour, mon fils.
Passé
le moment de surprise, C.C. s'avança vers ce fils dont il ignorait le retour.
Greg hésita à le prendre dans ses bras, jamais il ne s'était habitué à le
considérer comme son père. Pour lui, son père restait une ombre. Il n'avait
pas connu Joe et il ne savait pas s'il devait chercher à connaître celui-ci.
-
Tu es revenu ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Tu t'installes ici ?
Tu veux un verre ? Ah, je vois que tu en as déjà un, c'est bien.
Channing
se servit aussi un grand verre de vin. Il prit place par habitude sur son
fauteuil, derrière le bureau.
-
Alors, tu es revenu... Et Emily ? C'est... C'est étrange, car moi aussi,
il n'y a pas bien longtemps, j'ai pensé à toi.
Channing
se leva et prit place à côté de son fils.
-
J'ai pensé à toi... Avec le départ de mes enfants... Je me suis dit que c'était
peut-être le temps pour moi de me tourner vers toi et de te connaître... C'est
vrai, lors de ton premier séjour, je sais que je ne me suis pas comporté à la
hauteur, avec toi et avec ta mère... Je ne t'ai pas accueilli comme j'aurais dû...
Mais maintenant, tout est différent.
Pendant
qu'il lui parlait, Greg essayait de percer les pensées de C.C.. Il voulait
savoir ce qu'il pensait vraiment. Pourquoi il était si heureux de le voir,
alors qu'il n'existait pas entre eux de vrai lien père-fils. Greg se souvenait
parfaitement de son premier séjour ici, de l'accueil de ses demi-frères et soeurs.
Personne ne voulait de lui. C.C. non plus, d'ailleurs. En quoi aujourd'hui tout
serait-il différent ? Pourquoi avait-il besoin de lui ?
Au
fond de lui, Greg craignait que l'image de leur père, peinte par Mason, ne soit
la vraie. D'ailleurs, en cet instant, tout obligeait Greg à le croire.
-
Je suis venu pour te parler.
-
C'est bien. Je suis content que tu sois là. Moi aussi j'ai à te parler, de
toi, de la famille, des entreprises... Ta place est avec moi, tu es mon fils...
Après tout, tu es un de mes héritiers.
«Ca
y est le mot est lâché», pensa Greg.
-
Oh, je ne sais pas...
-
Greg, tu es un Capwell... Il est temps pour toi que tu l'assumes. Un jour ou l'autre,
tu seras obligé d'affronter ton héritage. Autant que cela soit maintenant,
avec moi...
Channing
se leva et prit son fils par les épaules.
-
Tu sais, je n'ai que trop perdu d'enfants... Je ne vais pas aller par quatre
chemins. J'ai besoin d'avoir mes enfants autour de moi, et je n'ai que toi...
-
Ce n'est pas vrai. Il y a les autres.
-
Non, pour l'heure, ils préfèrent s'occuper d'eux plutôt que de la famille.
Mais avec ta venue, je me rends compte que toi, tu es différent. Ce n'est pas
par hasard que tu es revenu à Santa Barbara, au moment où j'ai besoin d'avoir
les miens autour de moi. C'est un signe.
-
Je ne suis pas sûr que cela soit un signe.
Greg
cherchait à fuir les yeux de C.C..
-
Alors, que fais-tu ici ?
-
Je suis venu pour te parler de Johnny et de Channing Junior
-
Johnny ? Channing Junior ?
-
Je sais ce que tu cherches à faire et ce n'est pas bien.
-
Peut-être. Mais maintenant que tu es là, tout est différent. Je n'aurais pas
besoin de Johnny.
-
Ce que tu attends de nous, personne ne peut te le donner, tu sais ?
-
Et qu'est ce que j'attends de vous ?
-
Ni moi, ni mes frères et soeurs ne peuvent être un nouveau Channing.
-
Continue.
C.C.
s'éloigna et, instinctivement, il se repositionna derrière le bureau.
-
On ne peut pas être Channing Junior. Ni moi, ni Ted, ni Mason, ni Eden, ni
Kelly.
-
Je ne vous demande pas cela.
-
Tu crois ? Tu as pris Johnny à son père, parce qu'à tes yeux, il est
potentiellement le fils de Channing Junior. Il te semble que tu pourras le façonner
pour en faire un autre fils, un autre héritier.
-
Et quel mal y a-t-il à cela ?
-
Quel mal !!! D'après ce que j'en sais, Channing Junior n'était pas si bon
que cela.
-
Arrête, tu ne l'as pas connu.
-
Non, mais je sais ce qu'en pense Mason ou...
-
Mason, cela ne m'étonne pas ! Il a toujours détesté son frère, parce qu'il
était meilleur que lui. Mason n'est qu'un lâche qui n'arrive pas à surpasser
son frère. Il préfère vivre dans l'échec et faire retomber la faute sur son
frère.
-
Il n'y a pas que cela... Il y a...
-
Si tu es venu pour insulter ton frère, tu peux faire comme les autres :
partir. Channing était mon fils, il était mon héritier. Il était ce qu'un père
peut attendre de mieux de la part d'un fils. Il était bon, généreux... Il
aimait sa famille, les siens, il respectait le nom qu'il portait.
-
Peut-être qu'à tes yeux, il était tout cela... Mais pour les autres, il était
aussi...
-
Je n'ai que faire de ce que peuvent bien penser les autres. Il était mon
fils... Il était comme j'étais avec mon père, j'apprenais à respecter le nom
Capwell, cette maison et toutes les personnes qui y vivaient. Greg, peut-être
as-tu trop côtoyé Mason; je retrouve en toi certains de ses défauts.
-
Je n'ai côtoyé ni Mason, ni aucun de mes autres frères et soeurs... Je
cherche juste à comprendre.
-
A comprendre. Greg, il n'y a rien à comprendre. Channing Junior était ce que
le destin m'avait donné de mieux. Je n'ai pas su le protéger et il est mort.
-
Oui, il est mort. Et vouloir le faire revivre à travers nous ne le ramènera
pas à la vie. Ce que j'essaye de dire, c'est que plutôt que de chercher à
transformer tes enfants en Channing Junior, accepte les comme ils sont. Channing
était gay et tu l'as accepté, alors pourquoi pas les autres...
-
Arrête avec ça. C'est un mensonge inventé par Mason pour noircir l'image de
ton frère. Un mensonge. Comment un de mes fils peut être gay ?
-
Je suis gay.
Le
sang de C.C. se figea. La colère explosa en lui.
-
Dehors ! Je ne veux plus rien savoir. Dehors !
-
Channing, je suis ton fils et je suis gay. Tout comme l'était Channing Junior.
-
Dehors !
Channing
s'accrocha au bois de son bureau.
-
Dehors ! Je ne veux pas de cela chez moi.
-
Ce n'est pas une maladie...
-
C'est pire que cela, dehors !
-
Il y a plein de monde gay, même autour de toi. Daniel, ton avocat, est gay
aussi..
-
Arrête, je ne veux rien savoir. C'est tout ce que je déteste... Ah, tu es
comme Mason... Prêt à tout pour me faire du mal. Daniel... Va t'en...
Channing
prit la bouteille de vin et la lança sur son fils.
-
Sors de ma maison...
Greg
regarda son père, puis quitta le bureau. Son coeur battait à tout rompre. Il
avait fait son coming out devant son père et, pire que tout, il venait de lâcher
le morceau pour Daniel. Daniel allait le détester. Il fallait qu'il lui parle
avant que Channing ne lui en parle.
Dans
le bureau, Channing s'effondra sur son fauteuil.
-
Comment cela est possible ? Qu'est-ce que j'ai fait pour que ma famille
explose ainsi ? Sophia qui part. Channing qui est assassiné. Ted kidnappé.
Eden disparue. Kelly... Mon Dieu, ai-je échoué à transmettre l'héritage de
mon père ? Je ne peux pas croire ce que je viens d'entendre.
Channing resta longtemps immobile sur son fauteuil, les yeux dans le vide, le coeur figé sur l'image de Channing Junior...
Chez Daniel McBride.
-
Il est certain que la décision de l'Etat du Colorado dans l'affaire de la
Denver Carrington peut nous aider, mais je ne suis pas certain que cela pourra
contrer les associations écologistes. Julia, il n'y a qu'à voir le poids qu'elle
n'ont cessé de prendre, regarde dans l'affaire de Point Lotus. Ils sont mêmes
arrivés à faire fléchir J.R. Ewing.
-
Je suis d'accord, mais nous avons une chance. Et puis je suis allée visiter le
projet Pacific Sud, avec ma soeur... Il est en train de sortir de terre. Et je
suis certaine que si Channing en fait ce qu'il a promis, les associations se
calmeront. Je sais qu'Augusta veut les inclure dans le conseil d'administration.
Enfin, je le lui ai fermement conseillé. Sans cela, ils n'arriveront à rien.
-
Je suis d'accord avec toi. Un peu plus de vin ?
-
Non, après je ne pourrai pas conduire.
-
Ce n'est pas grave, tu sais. Tu peux dormir ici, il ne t'arrivera rien.
Julia
et Daniel échangèrent un regard complice : Julia ne s'était pas sentie
aussi proche d'un homme depuis Lionel, l'ami à qui elle avait demandé en
premier de lui faire un enfant.
-
Je suis navrée, Daniel, mais j'ai une réputation à tenir...
-
Humm...
-
Allez, alors un dernier verre.
Daniel
se resservit aussi.
-
Tu sais, Julia, tu peux rester cette nuit, je te rassure, tu ne risques rien...
Tout
en se moquant de Julia, Daniel la joua très sexy, comme s'il cherchait à séduire
Julia. Julia riait presque aux éclats...
-
Encore que, Daniel, ne soit pas certain que je n'aille pas te rejoindre dans ta
chambre...
Daniel
allait répondre, lorsque la porte d'entrée de l'appartement s'ouvrit, laissant
entrer Greg Hugues.
-
Greg...
Daniel
restait sans voix.
Greg
s'avança et salua Julia avant d'embrasser Daniel.
Julia
les regardait l'un l'autre. Bien sûr elle avait reconnu Greg, le fils illégitime
de Channing. Très vite, elle fut rattrapée par la situation : le fils de
C.C. était homosexuel, et avait pour amant le nouvel avocat des Entreprises
Capwell. Avant de réellement réagir, Julia eu besoin de quelques minutes, au
cours desquelles Daniel et Greg tentèrent de s'expliquer.
-
Quoi... Avec Julia, vous vous connaissez...
-
Voyons, Daniel, le monde est petit. Et en plus, si je ne m'abuse, elle est ma
belle-soeur. N'est-ce pas Julia ?
-
C'est exact, Greg. Par contre, je ...
-
Vous ne saviez pas pour Daniel et moi ?
Greg
s'assit à même la table et se servit un verre de vin. Il expliqua brièvement
à Julia que son mariage avec Emily n'avait pas résisté aux premiers mois de
la vie de couple. Très vite, ils se séparèrent et sa route croisa celle de
Daniel, un brillant jeune avocat. Après une longue période d'hésitation, ils
choisirent de vivre ensemble. Mais Daniel ne rendait pas les choses faciles, car
il refusait d'avouer haut et fort son homosexualité.
-
Tu vois, Greg, Julia cela n'a pas l'air de la gêner...
-
C'est exact, cela ne me gêne pas... C'est simplement que je ne m'attendais pas
à cela.
-
Je sais, Julia, Daniel m'a tout raconté.
Julia
rougit de honte.
-
Vous n'avez pas à rougir, je sais qu'il est bel homme... en plus d'être
brillant.
-
Cela vous dérangerait de cesser de parler de moi comme si je n'étais pas là ?
Greg
regarda Daniel profondément dans les yeux.
-
De toutes façons, tout va bientôt changer, car je viens d'annoncer à mon père
que j'étais gay.
-
Quoi ? Tu as vu Monsieur Capwell ?
-
Arrête de l'appeler comme cela !
-
Oui, j'ai vu Channing, et je lui ai dit pour moi et pour toi.
-
Quoi !!! Mais tu n'as pas le droit...
Julia,
doucement, prit ses notes et partit s'installer dans la cuisine, laissant le
temps aux deux amants de s'expliquer.
Daniel était très en colère. Il en voulait à Greg d'avoir trahi son secret sans lui en parler auparavant.
- Comment as-tu pu me faire, cela ? C'est tellement égoïste !
- Egoïste ? Arrête, Daniel... Je te libère de ton fardeau. Après tout, cet homme, qui est mon père, entre nous soit dit, n'a pas à te juger par rapport à ton homosexualité...
- Mais c'est ce qu'il va faire. Si tu le voyais comme moi je le vois... Il est capable de détruire toute personne qui ne suit pas la route qu'il a tracée...
- Et bien, s'il te renvoie, c'est qu'il est stupide. On ne laisse pas partir un avocat aussi doué et aussi beau que toi.
- Je ne plaisante pas, Greg.
Greg s'était approché de Daniel et il tentait de l'attirer contre lui. Daniel se refermait sur lui-même.
- Demain, il va m'appeler et il va me virer. Avec lui comme ennemi, je ne pourrai jamais trouver du travail en ville. Ma carrière est fichue.
- Je suis désolé, Daniel. J'étais énervé et cela m'est venu comme cela. Il n'y avait rien de prémédité.
- C'est toujours comme cela, tu parles ou tu agis, et tu réfléchis ensuite.
- Tu ne disais pas cela quand je t'ai littéralement sauté dessus, comme cela.
Et Greg attira Daniel contre lui et l'embrassa à pleine bouche. Leurs deux corps s'épousèrent.
- Greg, s'il te plait, n'essaye pas de détourner la conversation.
Greg mordillait l'oreille de Daniel tout en lui disant :
- Tu as encore du travail, tu ne veux pas qu'on monte...
- Non. Pour le moment, je pense à ma carrière.
- Arrête. Je t'ai dit que j'étais désolé. Je passerai le voir demain et je lui dirai que j'ai inventé toute cette histoire à ton sujet.
- Il va me virer. C'est certain.
Julia profita de cette seconde d'accalmie pour revenir prendre ses affaires et sa veste, et repartir chez elle.
- Daniel, je crois que Greg a raison. Channing ne va pas vous virer. Pas maintenant avec le procès qui approche. Et puis, je suis de votre côté.
Julia embrassa Daniel.
- Au revoir Greg, à bientôt, j'espère.
Julia quitta l'appartement.
- Daniel, arrête de faire cette tête. Tu pourrais être content, je suis rentré plus tôt que prévu.
- Oui. Et les ennuis aussi.
- Oh, c'est bon. Je monte prendre une douche. Si tu veux me rejoindre, tu sais où je suis...
Greg quitta la pièce, laissant Daniel seul, seul avec ses inquiétudes.
C'est alors que le portable de Daniel se mit à sonner. Daniel reconnut le numéro de la villa Capwell.
- Cette fois-ci, c'est la fin. Allô, Monsieur Capwell... Oui, que je me prépare pour un long voyage, après demain. Je dois apporter quels types de documents ? D'accord. Il n'y a pas de problème... Nous partons en avion pour plusieurs jours... Très bien. Au revoir, Monsieur Capwell.
Daniel raccrocha encore plus angoissé. Où Channing voulait-il le mener ? Quelle était la raison de ce voyage ? Avait-il un autre petit-fils à récupérer ?
Daniel prit place sur le canapé. Pour l'heure, il avait besoin de temps pour réfléchir.
A bord de l'Orient Express.
Lisa
avait quitté Paris subitement après une longue nuit de cauchemars. Depuis son
étrange malaise sur l'île de la
cité, elle ressentait un profond changement en elle; comme si une autre
cherchait à naître en elle. Lisa ne parvenait pas vraiment à se l'expliquer.
Elle s'était éveillée ce matin avec l'intime conviction de devoir quitter
Paris au plus vite. Subitement, elle ne se sentait plus à l'aise dans cette
ville : des images qui ne réveillaient aucun souvenir la surprenaient de
plus en plus souvent, au hasard de ses promenades ou de ses rencontres. Lisa était
certaine que ces souvenirs ne lui appartenaient pas. Elle l'aurait juré.
Certes, elle avait vécu ici, à Paris, en compagnie d'Andre, mais c'était il y
a des années. D'ailleurs, elle n'avait plus eu de nouvelles de lui depuis fort
longtemps.
Lisa
termina de boire son café, accompagné de petits biscuits. Ses bagages préparés,
elle avait réservé un billet à bord de l'Orient Express. Elle voulait fuir
Paris, et se rendre à Venise dans un premier temps lui paraissait être la
bonne solution. Lisa avait agi sur un simple coup de tête; elle n'en pouvait
plus de se réveiller à plusieurs reprises en sursaut, en nage, en train de
vivre par procuration la vie d'une autre. La veille au soir, elle se promenait
sur les quais de Seine, quand des images d'une autre vie défilèrent devant ses
yeux. Elle se voyait, elle, au bord d'un bateau, suppliant une femme de lui
rendre un bébé, son bébé. La femme, après avoir remis l'enfant dans les
bras d'un homme, se jeta dans l'eau froide. Ces images n'appartenaient pas à sa
vie, elle le savait. Elle n'était qu'une voleuse de bijoux; elle errait dans
les couloirs des grands hôtels de la capitale française, à la recherche de
nouvelles victimes. Jamais elle n'avait participé à l'enlèvement d'enfants...
Lisa
se leva et rejoignit sa cabine. Elle se sentait soudain très lasse. Le manque
de sommeil accumulé depuis ces derniers jours se faisait cruellement sentir.
Elle s'installa confortablement sur un banc et regarda défiler le paysage.
Très
vite, le sommeil la rattrapa. Lisa plongea dans d'autres rêves, vers d'autres
souvenirs. Elle était à bord de l'Orient Express. Au début, Lisa ne s'imaginait
pas vivre un rêve, tant le décor correspondait parfaitement à celui de la réalité.
Dans son rêve, elle avait quitté la cabine, où l'attendait Andre. Elle avait
besoin de prendre l'air, de sortir un peu des bras de son complice. Elle
marchait lentement en direction du wagon restaurant. Elle croisa le chemin de
quelques touristes, mais ce qu'il la frappa le plus, ce fut le regard insistant
d'un homme de type latino-américain. Il la dévisagea, il la pénétra
longuement du regard; et Lisa s'imagina qu'il scrutait jusqu'aux profondeurs de
son âme. Très vite, elle s'éloigna et gagna le restaurant. Troublée par
cette rencontre, Lisa ne prêta pas attention aux autres voyageurs. Elle resta
de longues minutes à boire son café, accoudée au bar du train. Et comme un
couple de voyageurs quittait le wagon, elle remarqua le visage de la femme
blonde qui accompagnait un jeune homme, blond lui aussi. Le sang de Lisa ne fit
qu'un tour.
-
Ce n'est pas possible ! ! ! Mon Dieu, je dois rêver...
Dans
son rêve, les heures se mélangeaient, l'obligeant à revivre d'anciennes
rencontres. Les deux femmes se faisaient alors face à face : elles blêmirent
en même temps. L'une et l'autre venaient de se reconnaître : mère et
fille... Voici ce qu'elles étaient l'une pour l'autre.
-
Maman ! ! ! Vivante, tu es vivante...
Lisa
tremblait. L'autre femme tremblait aussi. Et autant chez Lisa que chez sa mère,
des barrières dans leur subconscient s'effondrèrent. Le passé resurgissait en
elle avec la force, la violence et la rapidité d'un volcan en pleine explosion.
Tremblante,
Lisa tendit une main vers cette femme qui affichait les traits de sa mère. Mais
avant qu'elle ne puisse l'atteindre, l'homme, jusqu'alors immobile, s'imposa
entre elles. Il prit place devant Lisa et la figea du regard. L'autre femme
semblait pleinement sous son contrôle. Lisa
ne put entendre que quelques mots : «Marcello, non, je t'en prie...»
Sûr
de lui, Marcello, puisque tel était son nom, éloigna Lisa de sa mère et la
conduisit à l'écart des autres voyageurs. Là, rapidement, il l'hypnotisa,
chassa hors de sa mémoire le souvenir de cette rencontre.
Lisa
se réveille en sursaut. Elle n'avait pourtant pas le souvenir de cette
rencontre, et elle lui semblait si réelle. Elle força sa mémoire à se
souvenir.
-
Maman ! ! !
Non,
sa mémoire ne conservait aucune trace de ce moment. Lisa porta la main à sa
tempe, et c'est alors qu'elle remarqua qu'elle ne portait plus la bague d'Andre.
Cependant, elle était certaine de l'avoir prise à son départ de Paris.
Etait-il possible que sa mémoire lui joue de mauvais tours ?
Lisa
ferma à nouveau les yeux. Et le souvenir d'une autre, non de l'autre femme qui
parfois se réveillait en elle, revint à la charge. Elle semblait comprendre et
connaître l'histoire de cette rencontre. Lisa se concentra. Des bribes du passé
refirent alors surface : un passé qu'elle ne connaissait pas.
-
Sophia... Cette femme est ma mère et elle s'appelle Sophia...
Lisa
rouvrit les yeux, elle ne comprenait plus rien.
«Toute
cette histoire est impossible. Ma mère ne s'appelle pas Sophia. Ces souvenirs n'ont
aucun sens pour moi. Et Andre qui a disparu. S'il était avec moi, il pourrait m'expliquer
ce qui est en train de m'arriver. Il pourrait me dire qui est cette femme, cette
Eden qui veut prendre le contrôle de mon corps...»
Lisa, encore engourdie par ses rêves, se leva et ouvrit la fenêtre du train, laissant l'air frais pénétrer dans sa cabine. Elle espérait ainsi chasser tous ses mauvais souvenirs...
Campeche, Mexique.
Assise
à la terrasse d'un café de la ville, Santana ne pouvait s'empêcher de songer
à sa vie, à sa pauvre vie, comme elle ne cessait de se le dire. Elle avait
beau se creuser l'esprit, Santana ne parvenait pas à trouver le moment précis
où sa vie avait basculé. C'était comme si ce moment de vie lui échappait complètement.
Pourtant, Dieu savait tout le temps qu'elle avait consacré à se souvenir :
de sa pseudo liaison avec C.C. en 1984 pour découvrir l'identité de son fils,
de sa liaison avec Channing Junior, de sa rivalité avec Gina, de l'échec de
son mariage avec Cruz... Toute sa vie, soir après soir était passé au crible
afin qu'elle puisse mettre en évidence la faille.
Santana
se reversa un verre de tequila. Des hommes la regardaient de loin, n'osant pas
aborder cette belle et piquante mexicaine capable de s'asseoir seule à la
terrasse d'un bar, pour boire des verres de tequila. Santana continuait d'effrayer
un peu les hommes.
Nerveusement,
Santana pianotait sur la table. Ses efforts restaient vains. Pourtant, elle
se devait de réussir car, elle en était certaine, lorsqu'elle aurait trouvé
le détail qui clochait dans sa vie, elle pourrait le corriger et ainsi obtenir
à nouveau et définitivement la garde de Brandon. Durant un bref moment, elle
songea à son fils. Il devait être en train de dormir, dans sa villa. Santana
se réjouissait du tour qu'elle était en train de jouer à Gina. Elle avait
suivi les conseils d'une amie. Et grâce à l'aide de sa soeur, Olivia, elle
jouait à la malade. Et pour le moment, Santana devait reconnaître que ce plan
fonctionnait parfaitement : la croyant mourante, Brandon avait accepté de
venir au Mexique et d'y rester. Il ne lui restait plus qu'à continuer à lui
faire croire que son état persistait. Santana était certaine, Brandon
resterait et il en oublierait, à la fin, le souvenir de Gina.
Santana
ne se souciait pas du tout de la petite voix dans sa tête qui lui parlait de
mensonges et de trahison. Santana n'en n'avait rien à faire. Ce qui lui
importait, c'était qu'elle avait réussi à avoir Brandon auprès d'elle.
Santana venait juste de raccrocher avec sa soeur. Elle devait faire en sorte qu'elle
lui fasse parvenir de nouveaux flacons vides pour son traitement. Et bien qu'elle
commençait à se rendre compte des conséquences de la supercherie, Olivia, une
nouvelle fois, avait fini par céder aux exigences de sa soeur.
Alors
que les derniers touristes quittaient la place de Campeche, Santana songea une
dernière fois à Brandon, à son père, Channing Junior, qu'elle regrettait d'une
certaine façon.
-
Si on ne t'avait pas tué, les choses aujourd'hui seraient complètement différentes...
Je suis certaine que tu te serais battu pour conserver la garde de ton fils. Et
Channing aurait cédé devant toi... Il te passait tout. Oh, Channing...
Et
de fil en aiguille, Santana retomba dans son état de détresse qui ne la
quittait que lorsqu'elle se trouvait aux côtés de Brandon. Sa vie lui
paraissait un tel fiasco. Elle s'était mariée sans amour, avait connu des
liaisons avec Channing Capwell pour de mauvaises raisons, elle avait repoussé
Mason, peut-être le seul homme qui l'aimait vraiment...
-
J'ai tout raté... Je n'ai rien fait de bien de toute ma vie... Et tout cela, c'est
la faute de Gina et de Channing... C'est à cause d'eux que je ne peux être
heureuse... A cause d'eux, si je n'ai pas Brandon... Mais cette fois-ci, je l'ai
bien eu, Brandon est avec moi et il le restera...
Certaine
d'avoir réussi à déjouer la surveillance de sa rivale, Santana se leva et
regagna la villa qu'elle occupait à Campeche. Bien sûr, dès qu'elle arriva,
elle se précipita dans la chambre de Brandon pour s'assurer qu'elle ne rêvait
pas, qu'il était encore bien présent.
-
Dors, mon ange, dors, mon trésor, maman veille sur toi...
Puis, Santana alla elle aussi se coucher, sans savoir que Brandon avait passé la soirée sur internet à discuter avec ses camarades d'université, et qu'il avait aussi laissé des e-mails à l'attention de Gina...
Institut psychiatrique d'Anchorage.
Sophia
n'en revenait toujours pas : après toutes ces années, elle était revenue
ici, point de transition entre son ancienne vie et la nouvelle. A présent qu'elle
se tenait dans le hall de l'hôpital, son coeur lui criait que la clé de toutes
ses peurs se trouvait là, à une poignée de main d'elle. Déjà les progrès
étaient énormes. En quatre jours, Sophia avait progressé et l'enquête qu'elle
menait avec Mason aussi. Lentement, elle retrouvait des fragments de souvenirs
et, Sophia en était certaine, de nombreuses pièces du puzzle s'emboîtaient.
Encore quelques jours et elle aurait accès aux restes de ses souvenirs. Sophia,
maintenant, se souvenait de l'accident sur le Kallysta en compagnie de Lionel;
et bien sûr, Lionel n'était nullement responsable de sa chute. Elle avait
aussi retrouvé tous les souvenirs concernant son arrivée en Italie, sa
rencontre avec le Comte Armonti, son mariage... Et en partie grâce au retour de
Venise en ville, sa vie en Italie dans la propriété Armonti lui paraissait
moins floue.
Sophia
traversa le hall et se dirigea vers le parc. Aujourd'hui, elle n'aurait pas à
retourner dans l'ancienne partie de l'hôpital, puisque la fille du Dr. Raymond
lui avait gentiment proposé de consulter les archives. Sophia reconnut tout de
suite la silhouette de Rebecca Raymond.
-
A nouveau, je dois vous dire un immense merci. Sans vous, je crois que je n'aurais
jamais pu accéder à cette partie de ma vie.
-
Voyons, Madame Wayne, c'est tout à fait normal...
Rebecca,
bien qu'infirmière, ne paraissait pas satisfaite de sa vie. Lorsqu'elle
reconnut l'ancienne actrice Sophia Wayne, elle sut que son étoile venait de lui
offrir le moyen de réaliser ses rêves : devenir actrice et partir à la
conquête d'Hollywood.
-
Si vous saviez combien je suis contente de pouvoir vous aider. J'espère que
vous aurez là toutes les réponses à vos questions.
Rebecca
tendit un épais dossier à Sophia
Sophia
l'effleura lentement. Ces feuilles de papier allaient combler le noir de sa mémoire :
tout était là, soigneusement consigné par les médecins et les infirmières...
Plusieurs années de sa vie se résumaient en quelques pages.
Tremblante,
Sophia ouvrit le dossier. Elle reconnut tout de suite la photo. C'était un
portrait qui avait été pris à une réception : la réception où elle
avait été présentée à Channing Creighton Capwell. Ses yeux se fermèrent et
Sophia plongea soudain dans le passé. Une douce mélodie emplit sa tête. Elle
portait une magnifique robe fourreau noire de chez Versace. Une rivière de
diamants ornait son cou et un très joli diadème parait sa chevelure blonde.
Elle était allée à ce gala de charité pour revoir Lionel Lockridge, son
amant. Elle voulait lui montrer qu'elle avait surmonté le choc de la nouvelle
de son mariage. Elle avait choisi une belle toilette, de beaux bijoux; elle
devait paraître plus lumineuse que jamais. La soirée était organisée par un
riche homme d'affaires de la ville. Il fallait récolter des fonds afin de
subvenir aux besoins de villages mexicains, dévastés par un tremblement de
terre. Tout la ville de Santa Barbara était présente. Sophia reconnut tout de
suite Lionel. A son bras, une femme brune, cheveux cours, sans classe... Lionel
la présentait comme sa femme : Madame Augusta Lockridge. Par le plus grand
des hasards, elles se retrouvèrent même seules, au bord de la piscine. Durant
une fraction de seconde, Sophia hésita à tout lui avouer. Puis Lionel s'était
approché, en compagnie d'une autre femme. Celle-ci commença à insulter
Augusta. La troisième femme paraissait ivre. Soudain, un homme grand, élégant,
parut. Il empoigna la femme (son épouse Pamela), et la conduisit à l'écart.
Après plusieurs minutes, il revint et présenta des excuses pour sa femme.
Et... Lionel les présenta. Sophia et Channing. Channing et Sophia.
Le
coeur de Sophia battait la chamade, même après toutes ces années. Son coeur
ne parvenait à trouver la force de battre que dans l'amour qu'elle portait à
Channing. Il était tout pour elle : son passé et son avenir, ses jours et
ses nuits, sa joie et ses larmes...
Lentement,
elle caressa la photo.
-
Comme vous étiez belle... Si vous saviez combien j'aimerais vivre ne serait-ce
qu'une seule journée de votre vie... Porter ces bijoux, cette robe...
-
Je vais vous dire un secret... Ce soir-là, j'étais si rayonnante, c'est
simplement parce que mon coeur venait de rencontrer son âme soeur... La robe et
les ors n'y sont pour rien. Cette nuit, j'ai trouvé l'amour. Le seul, l'unique,
le véritable amour... Celui qui vous lie à un être pour l'éternité...
Sophia
se ressaisit et continua la lecture du dossier.
Ses
yeux parcouraient avec vitesse les mots, les diagnostics, les compte-rendus de séances.
Le temps passa. Par moments, Sophia pleurait; à d'autres, elle cessait de lire
et regardait fixement le ciel. A plusieurs reprises, elle chercha un soutien
dans les mains de Rebecca. Mais jamais le coeur de Sophia ne perdit l'objectif
de ce plongeon dans les recoins les plus sombres de sa mémoire.
Après
près de trois heures de lecture, Sophia referma le dossier et poussa un long
soupir.
-
J'espère que vous avez trouvé là toutes les réponses à vos questions.
-
Pourrais-je revenir demain le relire avec un ami ?
Sophia
était certaine qu'il fallait qu'elle montre certains passages à Mason.
-
Bien sûr, on peut se retrouver demain, au même endroit, à la même heure.
-
Très bien. Merci Rebecca.
-
Et...
-
Ne vous en faites pas. Demain, je passe un coup de fil à un ami. Et je pense qu'il
voudra vous rencontrer. Comprenez-moi bien, Rebecca, je ne vous promets rien.
Cela fait si longtemps que j'ai quitté le monde du cinéma.
-
Je sais. Merci.
Après
de nombreux remerciements de la part de Rebecca Raymond, Sophia fut ravie de
retrouver un moment de solitude. Il lui fallait analyser son dossier médical.
-
J'ai peur de comprendre... J'aurais donc croisé son chemin si tôt. Et moi qui
pensais que notre rencontre était le fruit du hasard... Comment aurait-il fait
si je n'étais pas passée par-dessus bord...
Sophia
se leva et traversa le parc. La violence de la révélation la déstabilisait.
Elle se sentait trahie, trahie en plein coeur.
-
Comment a-t-il pu me faire cela ? Pourquoi éprouve-t-il tant de haine ?
Je ne comprends pas...
C'était
bien là le plus terrible à ses yeux, l'incompréhension. Sophia se torturait l'esprit
à la recherche d'une explication. Elle puisa dans ses souvenirs, les plus
anciens, les plus intimes, à la recherche d'un peu de lumière.
-
Je sais qu'il déteste Channing... Mais cela ne justifie pas sa haine à mon égard
ou à l'égard de Channing Junior. Non, cela est trop simple comme
raisonnement... Et pourtant, pourrait-il en être autrement ?
Sophia
finit par quitter avec précipitation le parc de l'hôpital pour rejoindre l'hôtel
qu'elle partageait avec Mason.
-
Mason pourra peut-être m'éclairer...
Sophia monta dans un taxi.
Hôtel d'Anchorage.
Assis sur un lit d'hôtel, Mason attendait que le temps s'écoule. Tout simplement. Il attendait. A présent qu'il avait mis de la distance entre Santa Barbara et lui, il ne comprenait plus très bien les raisons de son départ. Certes, Channing Junior et le passé continuaient de l'intriguer, mais loin de Julia, il sentait bien qu'il lui manquait quelque chose. Et même s'il n'osait se l'avouer, il avait peur, peur de perdre Julia.
Mason
versa un peu de bourbon dans un verre. Il regarda l'alcool qui scintillait avec
la lumière. Une partie de lui réclamait à corps et à cris ce verre d'alcool :
son corps en avait tant besoin. Une autre partie lui murmurait de le verser dans
les toilettes, avec les premiers verres. Mason se leva. Cette fois-ci, il ne se
sentait pas la force de se débarrasser de ses vieux démons. Et comme il allait
dans sa salle de bains, il remarqua les documents posés sur la table : il
y avait ses notes sur la soirée de 1979, une photo de Channing Junior, ainsi
que la liste des personnes invitées à la soirée.
Mason
but tout le verre d'une traite : la seule vue de la photo de son demi-frère
anéanti toute sa détermination.
-
A la tienne, petit frère, qu'un jour tu trouves le repos, loin de nous...
Mason
retourna chercher sa bouteille et prit place à la table. Habitué de par son métier
d'avocat à aller à l'essentiel, Mason s'obligea à refaire un point précis
des informations qu'il avait glanées. Il mit sur une première page tout ce qu'on
savait déjà depuis la fameuse reconstitution de Cruz. Sophia était à l'origine
du coup de feu fatal. Dans son esprit, elle pensait tirer sur Lionel Lockridge,
son ancien amant et prétendu coupable de son accident de bateau. Sophia avait
invité Lionel à venir la rejoindre dans le bureau Capwell par l'intermédiaire
d'un billet. Malencontreusement, ce billet, tenu par Philip, ne finit pas dans
les mains de Lionel, mais dans celles de Channing Junior.
Mason
entoura d'un cercle Philip et billet.
-
Comment Philip a-t-il pu se tromper à ce point-là ?
Lorsque
Channing pénétra dans le bureau, Sophia se retourna dans le fauteuil et tira
le coup de feu fatal. Puis, elle dû quitter la pièce, puisqu'elle y rentra de nouveau
en compagnie de Joe Perkins. Cependant, Peter Flint, qui se trouvait alors
dehors, remarqua un homme en compagnie de Channing Junior. Et la description qu'il
en fit ne correspondait pas à celle de Dominic / Sophia.
-
Qui se trouvait alors dans le bureau avec Channing Junior ? Qui ?
Mason
se resservit un verre de bourbon.
-
Qui pouvait être présent lors du coup de feu. Et qui avait raison de s'enfuir
par le souterrain ?
Mason
sortit alors une liasse de photos : il ne s'agissait que de portraits.
-
Soyons logique. Je peux déjà éliminer tous ceux qui n'avaient aucun intérêt
à tuer Channing. D'abord papa, puis Ted, Kelly et enfin Eden. Ils étaient soit
trop jeunes, soit trop aveugles avec lui pour lui faire le moindre mal.
Tout
en éliminant les noms, Mason rayait les photos d'un coup de marqueur rouge.
-
Je peux aussi m'éliminer; car même si j'en ai eu envie, je suis certain de ne
pas l'avoir tué. Ainsi, le coup de feu n'a pas été tiré par un Capwell.
Quoiqu'il reste Grant. Puisque Philip m'a avoué il y a peu que Grant était
passé à la villa Capwell ce soir-là, et qu'il avait eu une discussion
houleuse avec les deux Channing.
Grant
fut le premier portrait à être posé de l'autre côté de la pile.
-
Je peux aussi éliminer Warren et Lionel. Bien que Warren soit le voleur des pièces
d'or, à l'époque il n'avait pas assez de cran pour oser tuer qui que ce soit.
Il en va de même pour Lionel, c'est un gros peureux. Alors qui reste-t-il
maintenant ?
-
Peut-être Ruben... Il pouvait avoir découvert la liaison de Santana et
Channing... Non, je ne le vois pas tenir l'arme...
Mason
posa la photo de Ruben sur les membres de la famille Capwell.
-
Joe Perkins, j'ai toujours su qu'il était innocent. Sa version des faits
collait trop avec la réalité. Peter Flint... A l'époque, il manquait trop de
courage. Lindsay ou un autre amant éconduit de mon frère...
Non, cela ne tient pas... Depuis que je n'en dors plus, quelque chose me
dit que le meurtre n'a rien à voir avec un drame passionnel... C'est plus que
cela. Il s'agit de vengeance. On voulait se venger des Capwell... De ça, j'en
suis certain. Il n'y a qu'à voir la liste des personnes qui ont eu une
altercation avec Channing ce soir-là.
Mason
dressa une autre liste. Et bien sûr, il mis son nom en tête.
-
Je l'aurais bien tué ce soir- là, pour toutes ses insultes... Mais je ne l'ai
pas fait. Je sais que Lionel, Warren, Peter, ont eu affaire avec lui. Lindsay
Smith aussi, ce jeune blanc bec voulait officialiser leur liaison... Mais cela
ne colle pas... En tuant son amant, il détruisait toutes ses chances de faire
un jour partie de la famille. Il y a eu aussi Grant et Michael Bradford. Je l'avais
oublié celui-là... Qu'avait à cacher le père de Pearl ? Et lui,
pourquoi nous avoir si longtemps caché son identité ? Il y a eu aussi
Pamela... Ma mère... Pourquoi est-elle revenue en ville ? Et pourquoi ce
jour-là ? Pourquoi ? J'aurais tant de questions à lui poser sur ce
retour... Le pire, c'est qu'avec tous les secrets qu'elle enferme, je pense qu'elle
pourrait être derrière le coup de feu... Après tout, elle complotait pour que
je reste le principal héritier des Entreprises Capwell au détriment de
Channing Junior. En le tuant, elle me remettait en tête de liste... Mon Dieu...
Cela est possible...
Mason
se versa deux autres verres. Le visage de Pamela dansait devant ses yeux. Il
repensa ensuite aux aveux de Philip : il avait l'air de tant insister sur
la visite de Pamela. Mason tenta de chasser ces pensées de son esprit. Mais les
longues années de solitude refaisaient surface en lui. La solitude, le
sentiment d'abandon, reprenaient vie dans son coeur. Tout l'amour de Julia et de
Samantha ne parvenaient plus à le maintenir hors de portée de sa raison.
-
Mon père me détestait, ma mère m'a abandonné... Channing me haïssait d'être
le premier né... Je n'ai jamais voulu être comme ils l'espéraient. Je ne veux
pas être le gentil Mason. Il est peut-être temps que quelqu'un leur fasse
payer chacune de leurs erreurs. Oh... Maman, pourquoi m'as-tu abandonné ?
Pourquoi ?
Lentement des larmes amères se mirent à couler sur le visage de Mason. Et à nouveau, comme à son habitude, il se retrouvait seul, seul avec sa peine...
Sophia
vint le sortir de son état comateux. Tout de suite, elle sentit l'odeur de l'alcool.
-
Mason, boire ne te donnera pas la solution.
-
Non. C'est sûr. Mais au moins, il me permet d'oublier qu'aux yeux de mon père,
je ne suis pas et ne serais son fils, son Channing Junior...
Sophia
s'approcha de lui et lui tendit une main pleine de tendresse, une main de mère,
que Mason repoussa.
-
Laisse, je ne suis pas ton fils non plus, Sophia. Et je n'ai pas besoin de ta
pitié.
-
Ce n'est pas de la pitié...
-
Ah, et c'est quoi alors... Tu cherches à te faire pardonner tes fautes, en te
rapprochant du vilain canard de la famille... Mais il est trop tard pour cela,
Sophia. Le mal est fait. Vous avez tous détruit mes chances de salut et, à présent,
il faut que je fasse avec. Heureusement que j'ai encore Ted... Lui, il reste de
mon côté. Et je vous empêcherai d'en faire un autre Channing Junior. Je me
battrai pour les sauver tous de ses griffes, qu'ils s'appellent Brandon, Ted,
Johnny, je me battrai pour les sortir de son emprise. Je ne veux pas qu'il fasse
d'eux le monstre qu'il a fait avec Channing Junior.
Tout
en parlant, Mason se mit à boire à même le goulot.
-
Tu m'entends, Sophia, je ne le laisserai pas faire. Regarde la vie qu'il offre
à ses héritiers... Il ne transmet que peine et souffrance. Il n'y a qu'à voir
le mal qu'il a fait avec Brandon... De quel droit l'a-t-il volé à Santana ?
Regarde le mal qu'il a fait à Gina. Je ne suis pas sûr qu'au fond d'elle, elle
soit si mauvaise. Regarde le mal qu'il a fait à Eden... Et à Kelly... Elle n'a
jamais pu aimer qui elle voulait. De Joe à Jeffrey, dis-moi lequel de ses maris
a bien été accueilli par le puissant Channing Creighton Capwell. Qui ?...
Et plus que tout, je ne le laisserai pas détruire leur vie, comme il a détruit
la mienne. Tout ce mal qu'il m'a laissé... Toutes les absences de ma mère qu'il
m'a obligé à endurer... Oh, Pamela... Si j'avais été plus fort, tu n'aurais
pas commis ce crime.
-
Quel crime ? Mason, je veux savoir de quel crime il s'agit.
Mason
acheva la bouteille et la lança contre le miroir qu'il lui rendait son visage.
-
Sophia... Channing a fait d'elle ce qu'elle est devenue. C'est lui qui est
responsable de ...
-
Responsable de quoi ? Mason, parle, je ne comprends pas.
Soudain,
Mason s'effondra sur un fauteuil. Les larmes ravageaient son visage. Au fond de
son coeur, il craignait d'avoir percé le plus terrible secret de sa mère. Et
pire que tout, son coeur de fils ne lui jurait pas qu'il se trompait.
-
Installe-toi, Sophia, je vais te parler de cette soirée de juillet 1979.
-
Mason, je crains le pire.
La
main de Mason chercha une autre bouteille, qu'elle trouva. Il puisa dans l'alcool,
le courage nécessaire pour commencer.
Ce
n'est pas la soirée en fait qui nous intéresse, mais l'après-midi. Ce jour-là,
mon cher et tendre DEMI-FRERE reçut énormément de visites. D'abord Warren, qu'il
voulait dénoncer à la police pour le vol des pièces d'or. Puis, Lionel, ton
ancien amant, à qui il voulait faire payer ta mort. Il reçut aussi la visite
de Grant, avec qui il se disputa. Les deux Channing firent front pour l'empêcher
de revenir s'installer à Santa Barbara. Avec lui, se trouvait aussi le Général
Michael Baldwin Bradford. Channing père et Channing fils tinrent bon, et obéirent
à la volonté d'Emmett. Seul Channing serait à la tête des Entreprises
Capwell. Warren, Lionel et Grant auraient pu le tuer... Mais aucun d'eux n'eut
assez de courage pour le faire. Il reçut aussi la visite de Peter Flint. Tu te
souviens. Channing le faisait chanter, car il savait tout de son passé de
gigolo. Tout de son sordide passé avec Ginger Jones. Si Kelly comprenait... Son
frère adoré la laissait coucher avec une pute... Car c'est bien ce qu'il était,
non ?
-
Arrête, Mason.
-
Non, je ne m'arrêterai pas. Ce fils adoré n'avait absolument rien à foutre de
sa soeur. Pourtant, il était bien ami avec Peter. C'est d'ailleurs au nom de
cette amitié que Peter confia à Channing, le projet d'évasion de Joe et
Kelly. Ensuite, il vint me voir. Je m'en souviens parfaitement. C'est lui qui
est venu à moi, et non le contraire. Il est venu me dire que mes jours dans la
villa étaient comptés, et que j'allais repartir d'où je venais. Il allait me
détruire. Oh, Seigneur, si j'avais eu un peu plus de cran ou un peu moins d'alcool
dans le sang, je l'aurais tué là, sous le belvédère. Je te le jure. Pour
finir, il reçut une autre visite, mais j'ignore de qui. Philip n'a pas su me
dire. Il était blond, c'est tout ce que je sais. Il parlait bien, avec un
accent. Certainement un autre amant de ce petit inverti. Car Lyndsay Smith aussi
est venu. Peut-être en cachette, par le souterrain... Comme lors de leurs
rencontres coquines...
-
Mason... Je t'en prie...
-
Tu m'en prie, Sophia... Je ne fais que te le dépeindre tel qu'il était
vraiment. Car de Lindsay, de Santana, il s'en foutait... Même de toi, il s'en
foutait. Il n'avait d'intérêt que sur l'argent et le pouvoir. Son jeu préféré,
c'était contrôler la vie des gens. Tout comme Channing. Tout comme Channing.
Après les hommes, passons aux femmes. Augusta est venue; ils ont brièvement
parlé, avant qu'il ne la mette à la porte de la villa. Bien sûr, il croisa
souvent la pauvre Santana. Et maintenant, accroche-toi, Sophia. Il reçut la
visite de ma mère, de Pamela... Pamela était présente à la soirée. C'est
lui qui aurait exigé sa présence. Papa et lui ont toujours su où elle était,
alors qu'il me jurait du contraire. Le salaud. Je ne sais pas si c'est elle qui
l'a fait, mais elle a eu raison.
-
Pamela... Qui aurait fait quoi, Mason ? Pamela aurait fait quoi ?
-
Dans le bureau, quand tu as tiré sur Channing, tu n'étais pas seule. Ou quelqu'un
est rentré dans la pièce par le souterrain et a achevé ton travail. Ce n'est
pas toi qui a tué Channing... C'est Pamela, je pense. Peter a vu un homme par
la fenêtre. Ce ne pouvait pas être toi, ni Joe, puisque vous étiez bloqués
à l'extérieur. C'est Joe qui a ouvert le premier la porte...
-
Mon Dieu...
-
Quand tu étais dans le souterrain, tu n'as croisé personne. Tu n'as pas vu
Pamela déguisée en homme qui s'enfuyait...
-
Oh, Seigneur...
Sophia
se mit à hurler. Tout devenait limpide dans son esprit. Oui, il ne pouvait qu'être
innocent.
-
Il est innocent...
-
Qui ?
-
Marcello... Je croyais que c'était lui le coupable...
Et Sophia lui parla de son dossier médical.
Maison de Julia et Mason.
Julia
s'était réveillée un moment plus tôt en sursaut : elle avait encore rêvé
de l'accident. Assez régulièrement, elle faisait le même cauchemar. Elle se
revoyait dans la voiture, elle entendait la voix de Mason, et puis son regard se
figeait sur l'arbre qui s'approchait dangereusement de la voiture. Julia se réveillait
toujours lorsqu'elle entendait les pleurs de son bébé, de l'enfant qu'elle
portait.
Julia
resserra sur elle les pans de son peignoir. Un vent glacé s'abattit sur elle.
Julia se sentait très fatiguée. Entre l'absence de Mason, l'éducation de
Samantha, le procès des Entreprises Capwell, Augusta et Pacific Sud, Julia
savait qu'elle marchait sur la corde raide. Et pire que tout, elle savait aussi
que le pire allait venir. D'ici deux semaines, elle devrait assister à la soirée
organisée par sa soeur, et surtout elle devrait défendre Channing Capwell
devant le juge David Raymond.
Elle
but une gorgée de sa tisane fumante. Julia en profita pour faire un point, non
pas sur le procès, mais sur sa vie. Depuis sa venue à Santa Barbara, pour
aider Augusta justement, elle avait fait un drôle de parcours, et aujourd'hui
elle se voyait avec force redevenir la femme indépendante qu'elle avait été
alors. Comme si c'était son naturel. Julia se relevait non sans mal du départ
de Mason. Et Samantha était comme elle. Si Julia plongeait dans le travail pour
oublier, Samantha s'obligeait à être tout le temps occupée. Mère et fille se
confondaient et ni l'une ni l'autre n'abordaient l'absence de Mason.
Julia
en avait pris son parti. Après tout, elle avait eu ce qu'elle voulait : un
enfant à elle. Bien sûr Mason lui manquait, mais ne pas le reconnaître
ouvertement, c'était déjà moins souffrir. Et Julia ne voulait pas souffrir.
Donc, pour se protéger, lentement, elle tentait un peu plus chaque jour de
convaincre son corps et son coeur qu'elle pouvait parfaitement vivre sans homme
à ses côtés, et par conséquent sans Mason.
Cependant,
Julia se leva et gagna la console dans le hall d'entrée. A tâtons, elle
chercha à côté de ses clés de voiture, la lettre que Mason lui avait envoyée
d'Anchorage. Julia l'avait lue et relue. Elle avait pleuré dessus.
Elle
retourna s'asseoir sur la canapé, et ses yeux instinctivement se portèrent sur
l'écriture fine de Mason.
Mes
amours, les amours de ma vie,
Je
sais que vous me manquez. C'est peut-être la seule certitude qu'il me reste
dans ce monde. Je sais que vous me manquez, parce que j'ai mal au coeur,
continuellement. C'est une douleur atroce qui ne me quitte pas. Le jour, la
nuit, toutes les heures, je pense à vous. Je pense à ma petite Sam que j'ai
laissée et qui doit se demander ce que cherche son papa, cette chose si
importante à ses yeux, qu'il en oublie sa fille. Et je sais que sa mère, ma
douce et obstinée Julia, se pose la même question...
Je
sais que vous me manquez, et c'est pour cette raison que j'ai dû partir. En dépit
de tout mon amour pour vous, je ne peux pas vivre à vos côtés si je ne me
connais pas, si je ne trouve pas en moi, la force de chasser toutes les craintes
de ma vie. Je ne pourrais jamais être un bon père ou un bon mari si je ne peux
pas trouver l'être qui doit vivre en moi. Je vois dans vos yeux que celui que
je suis ne vous satisfait pas parce que je ne suis pas en paix. Cette colère,
cette rage qui vit en moi, m'empêche d'être pleinement le père que Sam espère,
ce mari que tu as épousé, Julia. J'attends de moi de trouver la paix. Et la
paix à laquelle j'aspire ne peut exister que si je trouve la réponse à mes
tourments. Il est temps pour moi de tuer l'autre qui prend le dessus. Oh, je te
rassure, Julia, ce n'est pas Sonny qui est revenu, c'est l'ancien Mason Capwell
qui a repris le dessus : celui qui rêve d'être aimé, d'être reconnu par
les siens, qui rêve d'être celui qu'il ne pourra jamais être...
Julia,
prend bien soin de notre fille, elle est la meilleure chose qui m'ait jamais été
offerte. Je sais que tu l'aimes et que tu l'aimeras pour deux, s'il le faut. Je
t'en prie, parle-lui de l'autre Mason, celui que toi tu as connu et aimé... Ne
lui parle pas du mauvais fils, du mauvais frère que j'ai pu être. Tu as su
faire renaître le meilleur en moi, je sais que tu trouveras les mots pour qu'elle
puisse me connaître.
Embrasse
Sam pour moi. Veille sur le fruit de notre amour.
Julia,
j'aimerais pouvoir un jour t'offrir la preuve de mon amour en te montrant tout
ce que tu as fait de bon en moi. Je rêve qu'un jour je te revienne et que je
sois devenu tel que tu le souhaites, tel l'homme qui saurait te rendre heureuse.
Mason.
Julia
lisait la lettre en pleurant. Bien qu'elle doutait un peu des mots de son mari,
elle pleurait, car elle avait tant besoin de les entendre.
-
Mason, puisses-tu me revenir. J'ai tant besoin de toi. Je ne comprends pas ce
que tu cherches, j'ai juste besoin de t'avoir près de moi, et Sam aussi...
Et Julia, bien que forte et indépendante, éclata en sanglots...
Au petit matin, Julia prit son téléphone portable et joignit Daniel McBride. Très vite, ils se confièrent mutuellement leurs angoisses...