Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 16 : Face à face...

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Villa Lockridge.

Après avoir quitté Sophia et la villa Capwell, Lionel Lockridge avait aussitôt regagné la propriété de ses ancêtres. Il lui tardait de retrouver sa chère moitié, la piquante Augusta. A son arrivée à la villa, il ne fut pas surpris de trouver son peignoir sur le canapé, des bijoux négligemment déposés dans le salon, sa robe posée sur les buis devant la fenêtre... Tout en suivant le jeu de piste, Lionel gagna la piscine de la propriété. Au bord du large bassin, il constata que flottait un maillot de bain deux pièces à la surface de l'eau. Soudain, il entendit une voix derrière les buissons.

- Lionel, si tu veux être mon Adam, je serais ta Eve.

- Hum... Et cette fois-ci, ce ne sera peut-être pas Eve qui va croquer la pomme...

- Surtout qu'il n'y aura pas de serpents pour nous déranger...

Augusta allait continuer : maintenant que les deux vipères avaient quitté la villa et le bateau. Mais elle préféra se taire, ne voulant pas gâcher cette belle soirée qui s'annonçait à eux.

- Tu ne crois pas qu'il serait temps de t'occuper un peu de moi ?

Devant la piscine, Lionel fit tomber sa chemise et son pantalon.

- Eve, Eve... Il me semble bien avoir déjà connu une jeune femme qui portait ce nom... Dans le passé...

- Tais-toi et viens !

Lionel s'apprêtait à rejoindre sa femme qui l'attendait, entièrement nue, cachée derrière un bosquet de fleurs, lorsque le téléphone sonna. Lionel se précipita vers la maison.

- J'y vais.

Lionel, en caleçon, traversa la terrasse et rentra dans le grand salon de la villa. Il trouva le combiné, comme à son habitude posé sur la table basse, devant le canapé en cuir blanc.

Il reconnut tout de suite la voix de Jane Wilson. Au fil de la conversation, les traits du visage de Lionel se métamorphosèrent : il passa de la joie à l'incompréhension, puis de l'incompréhension à la colère, pour finir dans une rage folle. Le sang lui monta au visage, et il en oublia vite Augusta qui l'attendait en tenue légère pour célébrer dignement leurs retrouvailles.

- Ce n'est pas possible, je vais le tuer...

Lionel sentait la colère qui prenait pleinement possession de son être.

- Comment peut-on être aussi cruel !!!

Et dans un excès de colère et de rage, Lionel s'empara d'un vieux sabre égyptien qu'il avait ramené d'une expédition, en même temps qu'il avait offert un sarcophage à sa mère. Il sortit l'arme du fourreau et s'apprêta à quitter la villa, quand la voix d'Augusta le surprit.

- Lionel, qu'est-ce que tu fais ?

Lionel n'émit qu'un grognement.

- Pardon. Je sors...

- Tu ne peux pas sortir maintenant, et moi ? Surtout dans cette tenue ?

Augusta ne comprenait rien et, pour le coup, paraissait dépassée par la situation.

Lionel, en voyant sa tenue, ramassa le peignoir panthère de sa femme et l'enfila, ne s'attardant pas sur le ridicule de sa tenue.

- Et puis-je savoir où tu vas, comme cela ?

Pour toute réponse, Lionel grogna à nouveau, et Augusta ne put comprendre que le mot Capwell. Aussitôt, l'épouse délaissée monta s'habiller et au lieu de suivre Lionel par la route, elle s'engagea dans le tunnel qui reliait leurs deux propriétés.

Lionel marchait avec force pour gagner au plus vite la propriété voisine. Il tenait fermement son sabre à la main, tout en marmonnant toujours les même mots.

- Vengeance... Sophia... Payer... Brick... Cruel...

Arrivé devant le portail de la propriété, il l'escalada afin de rentrer dans le parc. Lionel ne réfléchissait plus. Il se conduisait comme un animal qui défendait sa progéniture. Il arriva rapidement devant la porte en bois sculptée et, pour la première fois depuis des années (depuis qu'il l'avait franchi pour chercher Laken), il pénétra dans la villa sans s'annoncer. Il traversa l'atrium, et gagna le couloir tout en arcades pour se rendre vers le parc, là où Sophia et Channing devaient certainement célébrer comme il se doit leurs retrouvailles.

Il remarqua tout de suite la douce lueur qui enveloppait le belvédère; d'ailleurs c'était là où, quelques heures plus tôt, aidé de Sophia, il décorait l'endroit pour que tout soit parfait. Il entendait parfaitement la douce musique; elle couvrait légèrement les voix de Channing et de Sophia. Lionel, après s'être arrêté, une seconde pour resserrer les pans de son peignoir, reprit sa marche.

- Montre-toi, Channing.

La voix de Lionel brisa la magie qui reliait Sophia à Channing. Sophia fut la première à réagir.

- Lionel... Que fais-tu ici, et habillé comme cela ?

- Ecarte-toi, Sophia. J'ai un compte à régler avec ce monstre.

Channing se leva d'un bond, renversant au passage sa flûte de champagne posée sur la table.

- Lionel, je ne crois pas que cela soit le moment.

- Oh si, c'est le moment, Channing. Il est temps pour moi de te faire payer tout le mal que tu as fait à ma famille.

Comme à son habitude, Sophia chercha à s'interposer entre les deux hommes. Elle ne cessait de s'approcher de l'un ou de l'autre en murmurant Channing ou Lionel. Lorsqu'elle posa sa main sur le bras de Lionel, elle sentit toute la colère qui émanait de lui.

- Lionel, assis-toi. Viens, on va parler ensemble.

- Il n'y a rien à dire, Sophia. Cet homme est un monstre de la pire espèce, sans coeur... J'espère pour toi que tu ne lui as pas pardonné tout le mal qu'il t'a fait pendant toutes ces longues années...

- Lionel, je ne vais pas me laisser insulter de la sorte, surtout chez moi. Sophia m'a avoué la part que tu as pris dans nos retrouvailles, mais même si je te suis reconnaissant, je ne vais pas te laisser me traiter de la sorte. Surtout par un homme qui vient m'insulter en peignoir panthère. Lionel tu es ridicule !

Le sang monta aux joues de Lionel.

- Ridicule...

Lionel s'avança vers Channing, écartant rageusement la table qui les séparait. Sophia chercha à s'intercaler entre les deux hommes, mais Channing et Lionel, au même instant, la repoussèrent.

- Laisse, Sophia, cette comédie n'a que trop duré. Pour toi, j'avais accepté de faire la paix avec ce maudit Lockridge... Mais, jamais Capwell et Lockridge ne pourront vivre en paix. Entre nous, c'est ainsi... Et là, il y en a un de trop.

- Non, Channing. Lionel est aussi mon ami.

Sophia se tourna vers Lionel.

- Lionel, je t'en prie, arrête. Tout ceci ne va nous conduire nulle part...

Sophia paniquait. Tout en regardant Lionel et Channing se mesurer du regard, les souvenirs affluaient dans sa mémoire. Elle revivait la première rencontre avec Channing, alors qu'elle aimait follement Lionel. Et lorsqu'elle croisa le chemin de Lionel à une réception, elle vit dans le regard de son amant jalousie et déception, tandis que dans le regard de l'homme dont elle tenait le bras, elle nota un éclair de satisfaction, de victoire. Puis, elle se remémora son mariage avec Channing, les coups de fils de Lionel pour lui faire changer de décision... Tout lui revenait en mémoire. Sa folle nuit d'amour avec Lionel lorsqu'ils donnèrent vie à Channing Junior. Elle se souvenait de tout à présent, de la colère, de la haine, de la rivalité, de son amour pour Lionel, de son amour pour Channing.

Sophia recula en titubant : le sort en était jeté; elle savait que Lionel et Channing devaient un jour s'affronter. Et qu'elle aurait un jour à choisir son camp... Sophia tremblait de la tête aux pieds. Elle s'accrocha désespérément à un fauteuil. Son monde s'écroulait une nouvelle fois.

- Alors, Lionel, j'attends...

Lionel retrouva ses esprits. Perdu dans la contemplation de Sophia, il en avait brièvement perdu les motifs de sa colère.

- Regarde-toi, tu n'es même pas un homme !

- Pas un homme ! !

Lionel sentit son bras se lever et le sabre égyptien qu'il serrait très fort se leva; la lame se figea sur la gorge de Channing.

- Pas un homme... Tu veux que je te dises ce qu'est un homme...

- Lionel !!!

Sophia cria. Channing ne bougea pas. C'est à peine s'il avait conscience du danger : sa rage et sa colère le stimulaient.

- Channing, tu es un montre. Et cette fois-ci, c'est la fin pour toi.

- Il faudra changer de refrain, Lionel. C'est au moins la centième fois que tu me tiens ce discours. Et je ne prends pas en compte toutes celles de ta mère...

La lame se pose sur la peau de Channing.

- Mais cette fois-ci, c'est vrai. Sophia, pendant qu'il te demandait pardon pour chacune de ces erreurs, a-t-il mentionné le nom de Brick ?

- Non, pourquoi ?

Channing pâlit une fraction de seconde.

- Allons, Channing, avoue à cette femme que tu aimes tant, ce que tu as fait.

Channing ne broncha pas.

- Alors, on a peur ?

Lionel enfonça la lame d'une légère poussée. Du sang perla.

- Je ne te savais pas si lâche... Toi qui me traitais de n'être pas un homme ! !

Dans un sursaut de colère, Channing empoigna la lame à pleine main. Les deux hommes luttèrent pour savoir qui allait en prendre le contrôle. Soudain Sophia se rua sur eux.

- Channing ! Lionel ! Tuez-vous une bonne fois pour toutes. Je m'en moque.

Sophia s'agrippa au bras de Channing; elle savait que son mari avait bien plus de force que son ami.

- Channing, pour l'amour de Dieu, arrête ! Lionel, je t'en supplie, pose cette épée !

- Parle-lui, Channing. Avoue-lui ton crime, où tu préfères que je lui racontes ?

Channing augmenta la pression sur la lame. Il sentait faiblir le bras de Lionel.

- Sophia, cet homme est le pire menteur de la terre !

- Lionel, arrête, je t'en supplie.

Dans un sursaut de colère, Channing savait que Lionel était en train de briser ses chances de reconquérir Sophia. Le chef du clan Capwell repoussa Lionel. La lame tomba entre eux, tandis que Lionel s'effondra dans les jardinières de fleurs.

Le souffle coupé, Channing continua de menacer Lionel. Sophia s'était précipité au chevet de son fidèle ami.

- Lionel, est-ce que cela va ?

- Oui... Mais...

- Lève-toi.

Lentement, Lionel se releva. Son regard restait rivé sur Channing.

- Sophia, il faut que tu m'écoutes, il faut que tu partes, que tu quittes cet homme.

- Pourquoi ?

Lionel fixait toujours Channing. Ce dernier ne bougeait pas. Il attendait impassible.

- Demande-lui, pour Brick. Questionne-le, au sujet de notre fils. Demande-lui ce qu'il est capable de faire...

Le regard de Sophia errait entre Channing et Sophia. Elle ne comprenait pas. Une fois que Lionel eut retrouvé son calme, Sophia se détourna face à Channing.

- Channing, qu'est-ce qui se passe avec Brick ? Parle-moi.

Channing tendit une main presque hésitante vers Sophia. Il la posa sur la joue de sa femme, puis elle glissa sur son épaule, son bras et il la prit par la main, pour la conduire à l'écart.

- Viens, je vais tout t'expliquer. Tu vas comprendre. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour toi.

Sophia se perdit dans les bras de Channing.

Lionel n'entendait pas les mots que Channing susurrait à l'oreille de Sophia, mais il était certain que Channing essayait d'amadouer Sophia.

- Sophia, notre fils est blessé. Il est dans le coma entre la vie et la mort à l'heure actuelle.

Lionel se lança dans une longue tirade où il relata l'accident de Brick. Sophia s'éloigna de Channing pour retourner auprès de Lionel. A l'écart, Channing restait isolé, seul.

- Et parce qu'il se retrouve tout seul, dans sa grande villa, et parce qu'il est jaloux de nous, Channing est allé en secret voir Jane et il l'a obligée à signer des papiers qui le déclarent tuteur du petit Johnny.

- Non !!

Sophia regarda Channing et elle sut dans ses yeux que Lionel disait vrai.

- Tu n'a pas pu faire cela. Ce n'est pas possible...

- Si, il l'a fait.

- Channing, jure-moi que ce n'est pas vrai.

Le silence de Channing sonnait comme un aveu.

- Mon Dieu... Dis-moi que ce n'est pas vrai, Channing. Je t'en prie.

- Il ne peut pas, Sophia, c'est la stricte vérité. Channing est un monstre. Il cherche à faire avec Johnny, ce qu'il a fait avec Brandon. Il se moque éperdument de sa mère ou de son père. La seule chose que veut Channing, c'est un héritier.

- Et alors, est-ce mal ?

- Mais Channing, Johnny a un père, une mère, tu ne peux pas enlever un enfant comme cela...

- Et pourtant, ce n'est pas ce que Minx a fait, lorsqu'elle m'a pris mon fils. Lorsqu'elle a pris Channing Junior... Pourquoi en aurait-elle le droit et pas moi ?

- Channing, tu divagues...

- Non Sophia, c'est la réalité. Regardez-vous, tous les deux. Vous m'avez volé à plusieurs reprises ce que j'avais de plus cher au monde, un fils. Mon fils, mon héritier... Si Minx n'avait pas échangé les bébés, mon Channing Junior serait encore là. Si Lionel ne t'avait pas fait autant de mal, tu ne serais pas revenue te venger, et mon Channing Junior serait encore de ce monde...

- Arrête, Channing... C'est le passé.

Lionel s'effaça, il lui semblait important que Sophia et Channing en terminent une bonne fois pour toutes avec l'ombre de Channing Capwell Junior.

- Le passé ! C'est peut-être le passé pour toi, mais pas pour moi. J'avais un fils... Un fils qui me ressemblait, un fils digne d'être l'héritier Capwell et puis vous me l'avez volé. Vous avez détruit tous mes rêves...

- Channing, mon Dieu...

- Sophia, tu ne peux pas imaginer le mal que j'ai eu. La souffrance qui a été la mienne. D'abord, on t'a enlevé à moi. Puis, le destin est venu me prendre mon fils chéri. Que veux-tu que je fasse ? Je me suis protége, et j'ai protégé ma famille. Mais, il me fallait un héritier, alors tous mes espoirs se sont portés sur mon petit-fils, sur Brandon. Est-ce mal que de vouloir un héritier qui vous survive... Est-ce mal ? Et puis, j'ai appris que Channing n'était pas le fils que je croyais. Il n'était pas mon fils... Minx avait échangé les bébés... Ce fils que j'espérais, que j'aimais tant, était le fils de Lionel... As-tu conscience de la douleur, Sophia... De ma douleur... Ce fut comme perdre une nouvelle fois Channing... Et c'est vrai, aujourd'hui, je suis devenu le tuteur de Johnny... Il n'a plus de père, plus de mère... Je pense que je peux lui offrir un avenir, contrairement à cette Jane...

- Mais, Channing, Jane, c'est sa mère.

- Non. Il est le fils d'Amy et de celui qui aurait dû être Channing Junior. A présent il vit avec moi. Sophia, je ne suis pas fou, comme tu le penses. Je voulais te dire, te montrer, qu'avec ton retour, j'avais changé... Je voulais t'offrir Johnny comme cadeau, te montrer que j'étais capable d'accueillir l'enfant de ta liaison avec Lionel... J'étais prêt à l'accepter dans ma maison...

- Channing, ce n'est pas un cadeau... Un enfant ce n'est pas un jouet qu'on donne ou qu'on retire... Channing, dis-moi que tu n'a pas refait cette terrible erreur, comme avec Brandon. Dis-moi que ce n'est pas vrai.

Sophia recula et se blottit contre Lionel. Elle attendait un miracle. Son coeur de femme espérait que les mots prononcés par Lionel n'étaient que mensonge.

- Tu ne comprends donc pas, Sophia, que je l'ai fait pour toi... Que je l'ai fait pour nous.

- Non...

Lionel entoura Sophia de ses bras, car il la sentait sur le point de défaillir.

- Ce n'est pas vrai... Channing, te rends-tu compte du mal que tu es en train de faire ? Te rends-tu compte que tu viens de détruire les dernières chances pour nous de nous retrouver ?

- Non, Sophia. Ne dis pas cela. Je t'aime et j'ai besoin de toi à mes côtés.

- Non, Channing, c'est faux, tu n'as besoin de personne.

- Reste en dehors de cela, Lionel.

- Sophia, reste, je vais tout t'expliquer.

Channing voyait le sol qui s'effondrait sous ses pieds. Un fossé se creusait entre Sophia et lui. Et il ne pouvait pas combler ce fossé sans manquer aux traditions Capwell : il lui fallait un héritier, désespérément. Et seul Johnny pouvait être, à présent, cet héritier. Il n'avait plus que lui pour offrir une chance de salut à sa dynastie.

- Channing, il est trop tard pour nous.

- Sophia, je t'aime. Reste.

Channing tendit une main vers elle.

- Nous aimer, cela ne suffit plus. Moi aussi, je t'aime. Sincèrement.

- Alors, reste...

- Non, ce n'est pas possible. Comment pourrai-je rester auprès de toi, alors que tu as volé l'enfant de Brick... L'enfant de mon fils... Je ne peux pas. C'est au-delà de mes forces... Je ne peux pas renier Brick...

- Et renier tes autres enfants, cela tu peux ! Ils ne comptent pas... A moins que tu préfères à eux, ce... le fils de l'autre...

- Channing !!!

Blessée, Sophia serra la main de Lionel. Elle s'agrippa à lui.

- Il est trop tard pour nous.

Sophia ferma son coeur de femme. Comptait-il vraiment face à son coeur de mère ? Avait-elle d'autres choix ? Même si elle regrettait son choix, même si sa décision lui déchirait l'âme et le coeur, elle se força à suivre Lionel. D'une certain façon, elle était contente d'avoir appris cette nouvelle, aujourd'hui, car elle savait que si elle avait renoué avec Channing, la séparation aurait été encore plus douloureuse.

Doucement, avec une infinie tendresse, Lionel prit Sophia dans ses bras et il la raccompagna vers sa maison.

Channing les regarda s'éloigner avant de s'effondrer dans un fauteuil. Il n'était pas homme à se laisser aller, et pourtant, ce soir, il sentait son coeur se déchirer. Des larmes perlaient dans les rides de ces yeux.

- Mais ce n'est pas possible, je ne peux vraiment pas compter sur vous !

Channing leva les yeux et se retrouva face à face avec Augusta Lockridge. Augusta avait pris le souterrain pour rejoindre la villa Capwell.

- Laissez-moi, je ne suis pas d'humeur à entendre un sermon.

- Pourtant, vous allez y avoir droit, Channing.

Augusta prit une flûte de champagne et la but en une seule gorgée.

- Excellent choix, on ne se refuse rien, Channing.

- Augusta, pas ce soir. Prenez vos affaire et allez rejoindre votre mari...

- Mon mari... Qui vient de récupérer son ancienne maîtresse par votre faute ! Merci Channing.

Augusta s'installa confortablement et acheva Channing Capwell d'un sermon, lui faisant part de tous les reproches possibles et imaginables.

- Channing, vous n'êtes vraiment pas doué... Pourtant, Sophia vous était servie sur un plateau... Il va falloir à présent que je me débarrasse d'elle comme pour Gina... Je ne vous remercie pas pour votre aide...

 

Ruines Maya de Palenque.

- Brandon, il faut que je fasse une petite pause.

- Tu es fatiguée ?

- Un peu. Viens, asseyons-nous là un moment.

Santana s'assit sur les marches des ruines du palais du roi Pacal, au milieu du site touristique de Palenque. Elle sortit sa gourde de son sac à dos, et prit en même temps deux comprimés. Les traits de Santana étaient tendus; toute la tension qu'elle éprouvait lors des préparatifs du séjour de Brandon au Mexique semblait s'être relâché soudainement.

- Tu reprends encore des cachets. Tu ne crois pas qu'on ferait mieux de rentrer pour que tu puisses te reposer ?

- Je te remercie, mais cela ira, Brandon. C'est juste, je pense, la chaleur qui me fatigue. Et puis, je t'ai promis des vacances, alors profitons-en.

Brandon regarda attentivement les traits de celle qu'il savait être sa mère biologique. Il avait bien remarqué que depuis que sa tante l'avait conduit de façon illégale au Mexique, Santana avait l'air bizarre. Elle prenait plusieurs fois par jour des comprimés, et elle affichait, bien qu'elle cherchait à le cacher, un air fatigué. Elle paraissait inquiète. Brandon, malgré son jeune âge, l'avait parfaitement remarqué.

Tendrement, il posa la main sur le bras de la mexicaine.

- Tu ne crois pas que tu devrais me dire ce qui t'inquiète ?

Troublée par la maturité de son fils, Santana déglutit avec peine. Devait-elle vraiment lui raconter la vérité ?

- Si c'est à cause de mon école, ne te fais pas de soucis, je leur parlerai... Ou si c'est pour ma mère, enfin Gina, je lui expliquerai. Je suis certain que si c'est moi qui lui parle, elle comprendra.

- Non. Personne ne doit savoir où tu es. Ni avec qui. Personne, tu m'entends, Brandon ? Et surtout pas Gina...

- Mais pourquoi...

Santana se leva et reprit le sac sur ses épaules.

- Allez, viens, nous allons à présent visiter le groupe de temples sur la colline.

Brandon, à son tour, se leva.

L'émotion gagnait Santana. Elle ne savait pas vraiment quoi dire à Brandon.

Tout en montant les nombreuses marches qui menaient à d'autres ruines, Santana jouait au guide touristique, expliquant à Brandon les anciennes croyances de ses ancêtres. Elle lui parla des anciens rites, des anciennes croyances du peuple qui avait vécu dans ces lieux, encore habité par la magie.

- D'ici, on a une vue splendide sur toute la vallée.

Effectivement, Brandon détourna son regard et se perdit d'abord dans la jungle qui bordait la cité de Palenque, puis il suivit le cours du fleuve, et enfin gagna au loin, l'océan qu'on devinait à peine.

- Tu es déjà venue ici ?

- Oui, Ruben, mon père, nous a amenés ici avec mon frère et ma soeur. C'était il y a des années. J'en garde parfaitement le souvenir. Et j'aimerais que tu gardes toi aussi, au plus profond de toi, le souvenir de ce moment, de ces lieux. Je pourrais presque te citer ses paroles, lorsqu'il nous parlait de nos ancêtres.

Et Santana se mit à plonger dans le passé, revivant la magie du moment où elle était là, petite fille exilée en Californie, au bras de son père, entourée de Rosa, de Danny et d'Olivia. Elle rapporta les paroles de Ruben à Brandon, ne pouvant empêcher sa voix de trembler lorsqu'elle fit revivre ses souvenirs.

- Je crois qu'en fait, mon père n'a jamais été heureux en Californie. Il se sentait trop loin de ses racines pour être pleinement heureux. Et moi, je suis un peu comme lui. Depuis que je suis revenue au Mexique, il me semble être en paix et en avoir fini avec mes années noires... Et puisque toi aussi, tu as du sang mexicain qui coule dans tes veines, je ne veux pas que tu oublies ce pays, ce paysage, cette culture... Tout cela est en toi, mon petit Brandon. Et je ne veux pas que tu l'oublies, quoiqu'en disent les autres... Avec le temps, je n'ai vraiment appris qu'une seule chose. Il existe un endroit dans le monde où l'on se sent bien, en paix. Moi, je l'ai trouvé, et c'est ici. Ici, j'ai retrouvé mes racines et le souvenir de mon père. A Santa Barbara, je n'étais pas... pas vraiment moi, et je n'étais pas heureuse. Je voudrais tant que toi aussi tu trouves ce lieu...

Brandon sentit la main de Santana se serrer sur son épaule. Brandon se retourna face à elle.

- Tu es certaine que tout va bien ? Tu m'as l'air bizarre, ta voix, ta façon de parler...

Submergée par l'émotion, Santana s'accroupit devant son fils et le serra très fort contre son coeur.

- Oh, mon garçon, mon adorable petit garçon. Si tu savais comme je t'aime... Si tu savais... Comme je regrette d'avoir été loin de toi. Comme je regrette d'avoir été obligée de t'abandonner. J'aurais du me battre. Pour toi, j'aurais du me battre.

Santana fondit en larmes, répétant sans cesse son amour pour lui. Brandon ne bougeait plus. Il avait toujours su Santana au bord de la rupture, et il songeait que leurs retrouvailles la rendait plus émotive.

- Comme je m'en veux de t'avoir abandonné...

Au bout d'un long moment, Brandon se détacha de l'étreinte de Santana. Et il s'assit au devant d'elle.

Après avoir ravalé ses larmes, Santana s'assit à son tour et passa un bras sur les épaules de son fils.

- Brandon, j'ai une faveur à te demander. J'aimerais que tu restes quelques temps ici avec moi. J'ai besoin de toi...

Brandon la regarda sans comprendre, ou plutôt, si, il avait peur de comprendre.

- Je voudrais que tu restes ici. Pour un moment. Et que personne ne sache où tu es. J'ai besoin de t'avoir un moment à moi, rien qu'à moi. Je ne veux pas que tu en parles à ta... à Gina, ni aux Capwell. Je veux vivre des instants qui ne soient qu'à nous, et que personne ne puisse nous voler.

- Maman...

- Brandon, il va falloir que tu sois fort... Comme tu l'as sans doute compris, je suis malade. Assez gravement... Seule Olivia est au courant. Et je ne veux que personne d'autre ne soit au courant. Ce sera notre secret, tout comme ton séjour ici. Dans quelques temps, je vais être encore plus malade, et je ne pourrais plus m'occuper de toi. C'est pour cela que je veux profiter pleinement de toi. Que je veux t'avoir rien que pour moi. Après, je te laisserai partir et là où j'irai, je conserverai toujours en moi le souvenir de ces instants où tu étais mon petit garçon. Où il n'y avait personne entre nous... Tu comprends Brandon ? Si tu en parles à Gina ou aux Capwell, ils vont vouloir venir te chercher et ils te voleront à nouveau à moi. Et...

- Je ne dirais rien, promis.

Santana embrassa son petit garçon sur le front.

- Merci. Merci, tu ne sais pas le bien que tu me fais...

 

Bureau de Julia Wainwright Capwell.

Julia Capwell terminait d'avaler la pizza qu'elle venait de se faire livrer. Devant elle, s'étalaient tous les documents et les dossiers qu'elle souhaitait utiliser lors du procès. Il y avait des piles et des piles de papiers qu'elle séparait au gré de l'intérêt qu'elle y attachait. Depuis le jour de sa toute première affaire, elle avait agi de la sorte. Elever des tas de documents en fonction de leur pertinence.

Julia consulta sa montre. Elle affichait 22h43. Elle réalisa alors qu'elle avait passé toute sa journée de repos à s'occuper des Entreprises Capwell. C'est à peine si, depuis quelques temps, elle prenait un moment pour s'occuper de Samantha.

Julia releva ses longs cheveux, les attacha avec le crayon à papier qu'elle tenait à la main, puis se massa énergiquement le cou. Tout en se revigorant, elle ne pu s'empêcher de songer à Mason. D'ordinaire, c'était toujours lui qui venait par derrière, lui redresser les cheveux, la masser, puis l'embrasser longuement dans le cou. Son corps frissonna à la pensée des mains de Mason posées sur elle. Depuis combien de temps n'avait-elle pas ressenti ce contact ? Une éternité. Ses pensées ensuite se tournèrent vers Daniel. Elle songea à ses mains, à son corps qu'elle imaginait puissant et musclé... Puis elle se souvint de sa déclaration sur son homosexualité.

- D'ailleurs cela me fait penser qu'il n'est pas passé, aujourd'hui. Il a pourtant affirmé qu'il m'apporterait des archives...

Alors qu'elle pensait à haute voix, Julia réalisa qu'elle n'avait pas revu Daniel depuis le jour où il s'était mystérieusement absenté en compagnie de C.C..

Julia s'essuya les mains, jeta verre en plastique et carton de pizza et se concentra à nouveau sur le tri des papiers.

- Ah, il faut que je pense à joindre le rapport des experts sur la contamination à l'arsenic de la nappe phréatique.

Julia, tel un vaillant petit soldat, s'activait à la mise en place d'une solide ligne de défense, quand elle entendit des pas dans le hall d'entrée du cabinet.

- Daniel...

Julia quitta son bureau et gagna le hall qui servait aussi de bureau à Gracie. Là, Julia manqua de défaillir. Ce n'était pas Daniel qui se tenait devant elle, mais Mason... Son Mason. Mason Capwell. Les mots lui manquèrent.

De son côté, Mason resta figé devant sa femme; il ne s'attendait pas à la trouver encore au travail.

- Bonsoir Julia, visiblement je ne suis pas celui que tu attendais...

- Ma... Mas... Mason.

Julia hésita pour faire un pas vers lui, mais au dernier moment, elle se retint. Elle considérait que dans l'état actuel des choses, c'était à Mason de faire le premier pas. Pas à elle.

- Je... Je... Je...

Mason regarda fixement son épouse, incapable de dire le moindre mot, tant l'émotion lui prenait la gorge et la serrait tel un étau. Le regard de Julia le terrifiait et le ramenait à son enfance, au temps où il reprochait à son père de l'abandonner au détriment de ses affaires.

- Je... Je ne sais pas quoi de dire, Julia. Je suis certain que tu ne comprendrais pas.

- Ne soit pas insultant en plus, Mason, je t'en prie.

Julia se figea : son corps se préparait à attaquer ou tout au moins à se défendre.

- Ce n'est pas...

- Arrête.

La fermeté dans le ton de Julia stoppa Mason.

- Tu t'attendais à quoi... Que je t'ouvre grands les bras sans te poser la moindre question ? Non, sincèrement, tu imagines quoi ? Que je vais rester là avec Samantha à t'attendre ? Parce que si c'est le cas, tu te trompes, lourdement. Tu sais que je suis une femme indépendante... Je ne suis pas que Madame Mason Capwell.

- Je le sais, Julia, et c'est pour cela que je t'aime.

- Arrête, par pitié. Ne viens pas me la jouer le mari éploré, je détesterais cela. Il me semble que je mérite plus. Bien plus que Julia, je t'aime mais je dois partir... Et tu ne comprendrais pas les raisons de mon départ... Il me semble que tu me dois d'être honnête, ne serait-ce que pour ta fille...

- Tu as raison...

Mason se détourna de Julia et passa derrière son bureau, à la recherche de documents. Visiblement, il ne voulait pas ou ne pouvait pas répondre à sa femme. Ses doigts tremblaient légèrement.

- J'attends, Mason... Veux-tu peut-être que je commence ?

Mason leva les yeux. Il vit non pas de la colère, mais de la frustration dans le regard de Julia, et réalisa alors la profondeur de sa détresse. Il ne lui avait pas reparlé depuis qu'elle avait ouvert les yeux sur son lit d'hôpital, suite à l'accident de voiture, suite à la perte de leur enfant. Comme à son habitude et aussi, en partie, comme par l'éducation reçue, il refoula en lui ses sentiments et prit une autre voie. D'ailleurs, il ne savait pas vraiment s'il aurait pu agir autrement.

- Si tu  crois que c'est facile pour moi, et bien, tu te trompes, Julia. Mais je ne peux vraiment pas faire autrement. Je ne peux pas.

- J'imagine bien !

- Ne soit pas cynique, s'il te plait. Cela ne sert à rien de rendre plus compliquée notre situation.

- Je me demande si cela est possible.

- Veux-tu que je t'explique, ou pas ?

- Vas-y.

Julia prit appui sur un fauteuil.

- Dès ton réveil, à l'hôpital, il a fallu que je parte pour de nombreuses raisons.

- Si c'est parce que tu te crois coupable, je...

- Entre autres, mais ce n'est pas la raison principale... C'est...

Le regard de Mason fuyait les yeux de Julia.

- C'est simplement que les démons de mon enfance sont revenus me hanter. Et qu'il me semble que cette fois-ci, pour mon salut, et aussi pour le nôtre, je dois les affronter.

- C'est pour cela que tu mènes une enquête sur Channing Junior.

- Oui. Il faut que je me libère de son emprise. Il faut, pour nous trois, que je mène mon combat contre lui... Ne me demande pas ni pourquoi ni comment, mais je le sais. Je n'ai jamais senti sa présence aussi pesante sur ma vie. Je le vois parfois, à mes côtés, du moins je prends conscience de son emprise sur tous les Capwell. J'ai peur qu'il ne fasse comme à Eden... qu'il vienne nous détruire les uns après les autres. Il faut que je le perce à jour, avant qu'il n'anéantisse notre famille.

- Et...

- J'ai mené mon enquête auprès d'anciens amis proches de mon père. J'ai appris que le jour de sa mort, les choses ne se sont peut-être pas déroulées comme on le croit. Trop de personnes sont passées par la villa ce jour-là.

- Mason... Mason... Ne vois-tu pas que tu es en train d'imaginer des choses qui sont fausses, qu'à nouveau tu vas monter ton père contre toi...

- Peut-être, mais il faut que je l'affronte une fois pour toutes...

- Et nous, où cela va nous mener ? Tu avais raison quand tu disais que je ne comprendrais pas, parce qu'effectivement je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce besoin de me fuir, de chercher des réponses là où il n'y en a pas. Je ne comprends pas, Mason. Je ne te comprends pas.

Mason comprit l'ampleur du fossé qui les séparait. Mais il ne voyait pas comment faire. Il ne se sentait pas prêt à lui parler de ses rêves sur Channing Junior, de sa présence qu'il ressentait physiquement à ses côtés. Il ne pourrait jamais trouver les mots pour lui avouer l'ampleur du mal-être de son enfance. A cette époque, une partie de lui avait grandement souffert puis s'était éteinte, avant même qu'il prenne conscience des conséquences. Durant toute son enfance, il n'avait été que le vilain petit canard, il n'était que le fils de Pamela.

- Je voudrais te dire... sincèrement...

La souffrance, sa propre souffrance, le rattrapait, et elle se décuplait avec les années. Personne, hormis Mary, avait su lire cette peine qu'il renfermait au plus profond de lui. Et aujourd'hui, il se sentait sur le point d'être emporté par ce raz-de-marée parce qu'il se comportait simplement comme son père aux yeux de Samantha. Le fait de constater qu'il n'était pas si différent de son père le minait, le torturait.

- Je voudrais tant que tu comprennes, que tu me comprennes.

- Moi aussi, crois-moi...

Mason prit dans ses mains les dossiers qu'il était venu chercher.

- Je ne suis pas fou et je sais parfaitement que ce que je te raconte a l'air fou, mais pour moi, c'est la réalité. Et je ne suis pas seul à le croire. Philip, notre ancien majordome, me parle du passé... Et sans le savoir, il me donne les liens pour accéder à la vérité, celle qui nous libèrera tous. Je suis certain que la mort de Channing n'est pas aussi simple. Je ne crois pas Sophia capable de tirer sur son fils bien aimé.

- Mais elle voulait tuer Lionel. Elle croyait que c'était Lionel.

- Peut-être, mais cela me paraît si simple. Je te parle de cela, car j'ai confiance en toi, et je veux croire qu'un jour tu me comprendras et tu me pardonneras. Sachant ce que je sais, je ne peux pas rester le Mason que tu connais. Je ne peux pas. Si je reste sans rien faire et que je retourne auprès de toi et de Sam, alors ma vie ne sera que souffrance. Il faut que je me libère de Channing Junior et du poids de l'héritage Capwell. Sinon, je finirai comme Eden, et peut-être même que nous finirons tous comme elle. Moi, Ted et Kelly. Alors si je peux trouver la clé de notre liberté, je le ferai. Je le ferai même si cela doit me dresser contre mon père. Même si cela doit m'éloigner définitivement de toi et de Sam... Je ne veux pas que Channing Junior puisse avoir de l'emprise sur elle... Je ne veux pas.

- Mais Mason, il est mort... Il est mort... Mort depuis de longues années.

- Peut-être, mais je continue de croire qu'il vit en nous. Et que si je veux vivre ma vie sans le poids Capwell sur mes épaules, il faut que je découvre toute la vérité sur sa mort. C'est à mon avis, ma seule et unique chance de salut, la seule chance qui m'est offerte pour revenir auprès de toi et devenir le mari que tu mérites, un bon père pour Samantha... Et non plus être le reflet de mon père...

- Tu avais raison, Mason, je ne comprends pas.

Julia se redressa. Elle avait retrouvé cette force et cette détermination qui la caractérisaient tant.

- Tu as parfaitement raison, je ne peux pas comprendre. Qui le pourrait d'ailleurs ? Tu me dit que pour te libérer de l'emprise de ton père, tu dois chasser le fantôme de ton frère mort, parce que celui-ci hante ta vie, ainsi que celle de tes frères et soeurs. Mais tu t'entends, Mason ? Tu t'entends délirer... Et Sam dans tout cela, elle ne compte pas ? Et moi ? Est-ce que je n'existe pas... Je suis ta femme, Mason... Pour le pire et le meilleur.

- Tu n'as pas compris ce que j'essaye de te dire.

- Si.

- Je ne crois pas.

- Oh, si, j'ai compris. Je te promets que j'ai bien compris. Je ne suis pas celle que tu crois. Je ne suis pas Mary et je ne le serai jamais. Ma force à pardonner n'est pas infinie.

Des larmes perlaient dans les yeux de Julia.

- Va, poursuit tes fantômes, si le coeur t'en dit. Je vivais avant de t'aimer. Et je continuerai aussi après.

Déjà Julia s'éloignait. En franchissant la porte, elle se retourna.

- J'espère qu'un jour, tu réaliseras le mal que tu fais. Que tu verras la vie que tu laisses de côté. Tu as détesté ton père pour ce qu'il t'a fait, j'espère pour toi que Samantha te pardonnera le mal que tu es en train de lui faire. Sais-tu qu'elle t'attend tous les soirs. Elle espère ton retour... As-tu songé à ce que je dois lui dire ? Non, comme à ton habitude, tu ne penses qu'à toi, qu'à ta petite vie, à ta petite souffrance... Pars, Mason, et ne te présente plus devant moi si tu n'es pas certain de rester à mes côtés. Trouve vite ton fantôme, parce que je ne te promets pas d'être encore là...

- Julia...

- Non, ne fais pas dans le mélo... Cela ne sert à rien.

Julia quitta le bureau. Une seconde plus tard, elle pointa à nouveau la tête.

- Mason, j'ai failli coucher avec un autre homme. J'avais envie de lui, je crois... Je veux juste que tu comprennes que la vie continue. Nous avons perdu un enfant, et j'imagine que nous surmontons chacun cette épreuve à notre façon. Tu as la tienne et je la respecte. Mais moi, je pense à Samantha... A notre petite fille qui est bien vivante, elle...

Mason regarda partir Julia. Lorsqu'il fut certain qu'elle avait quitté le bureau, il se mit à pleurer. En cet instant, il se détestait : Julia avait raison, il se comportait aux yeux de Samantha comme s'était comporté son père vis-à-vis de lui. Il était devenu l'homme qu'il détestait. L'emprise de son père, du fardeau Capwell, pesaient avec une telle violence sur ses épaules.

- Je me déteste tant... Oh, Mary, donne-moi de ta force.

Une voix déchira l'esprit de Mason.

- Tu es à ma merci. Après Eden, c'est à ton tour de connaître ma vengeance. Bientôt viendra le tour de Ted, puis de Kelly, et enfin de ma mère. Je vous ferai payer le prix pour vous être détournés de moi.

- Channing, où que tu sois, je te retrouverai et je mettrai un terme à ta malédiction... Même si pour cela, je dois perdre Julia et Samantha. Je te promets que je nous libérerai tous de ton emprise...

Mason se laissa complètement aller et pleura sur son enfance perdue, sur le manque d'amour de son père, de sa belle-mère, de ses frères et soeurs, sur toute cette souffrance qui l'avait rattrapé avec la mort du fils que Julia allait lui offrir.

 

Cimetière de Santa Barbara.

Le regard vide rempli de colère aussi, Mason Capwell fixait la pierre tombale de son frère. Ses yeux restaient accrochés aux lettres gravées dans la pierre : Channing Capwell Junior, 1961-1979 In loving you... Curieusement, Mason éprouvait de moins en moins de haine à l'égard de ce frère qu'il avait si longtemps méprisé. Certes, le temps avait passé depuis son assassinat. Mais ce n'était pas que cela : Mason avait changé. La vision de Mason avait changé, ainsi que ses rapports avec les autres. C'était peut-être à cause de sa rencontre avec Mary DuVall, mais aujourd'hui, la pitié avait remplacé la colère. Mason commençait à éprouver de la pitié pour Channing.

- Channing, voilà où nous sommes aujourd'hui. Toujours au même point. Papa ne peut toujours pas faire face à ta mort. Et moi, je reste prisonnier de ton ombre...

Mason se déplaça et s'assit à même le sol. A ses côtés se tenait une bouteille de whisky ouverte, mais encore pleine. Alors qu'il parlait librement de sa vie devant la tombe de son frère, Mason ne pouvait s'empêcher de songer à tous ces êtres qui auraient connu une vie différente sans Channing Capwell Junior. D'abord, Mason songea à lui : sans ce frère que leur père idéalisait tant, il était certain que sa vie aurait été toute autre. Son père l'aurait aimé, il en était certain, et cela aurait tout changé. Il aurait été alors l'héritier de sa famille, il aurait accepté ce poids sur les épaules. Et sans cette stupide compétition instaurée par Capwell, il n'aurait pas cherché à blesser son père. De plus, aujourd'hui, il aurait la force de parler à Julia, de vivre avec elle et surtout il n'aurait pas peur d'aimer sa fille.

Bien sûr, ensuite, Mason songea à Channing et Sophia. Si Channing n'avait pas été là, tout aurait été différent. Peut-être même que Channing, à l'époque, serait retourné vers Pamela. Peut-être... Toutefois, ce qui lui paraissait évident, c'est qu'entre Channing et Sophia, toute leur vie aurait été différente : il n'y aurait pas eu ce lourd secret à porter pour Sophia. Elle aurait ensuite donné un fils à Channing, un vrai fils de sang...

L'esprit de Mason dériva alors vers Lionel Lockridge et Brick Wallace. Le véritable Channing Capwell Junior... Le fils de Lionel et de Sophia. Puis son esprit glissa sur ses frères et soeurs, Kelly, Eden et Ted, dont l'enfance avait été marquée par la gloire de Channing Junior. D'ailleurs, sans ce frère si présent, la vie d'Eden aurait été bien différente. Elle se serait moins comparée à lui, elle aurait moins cherché à l'égaler pour briller aux yeux de leur père qui ne jurait que par Channing Junior.

Ensuite vint le tour de la pauvre Santana. Si Channing n'avait pas existé ou simplement été un autre, la fougueuse mexicaine aurait connu une vie moins torturée, moins rongée par l'absence de son fils. Et puis il y avait Brandon et Gina...

Tandis qu'il songeait au passé, sa main chercha la bouteille. Lorsqu'elle la trouva, elle s'y amarra solidement.

L'esprit de Mason n'avait pas fini ce curieux détour par le passé. La liste des personnes sous l'emprise de Channing Junior n'était pas terminée. Il restait encore à parler de Lindsay Smith, l'amant éconduit, de Joe Perkins, qui avait connu cinq années de prisons pour un meurtre qu'il n'avait pas commis. Mason songea alors à tous ceux qui, à l'époque, avaient été suspectés du meurtre, Warren Lockridge, Peter Flint...

- Channing, je ne sais pas si sans toi cela aurait été mieux... si le monde aurait été meilleur, si... Moi, je suis certain que nous aurions connu la paix.

Mason ne vit, ni n'entendit Sophia, qui s'approchait de la tombe de son fils. Elle s'arrêta à quelques pas de Mason, surprise de le retrouver là. Et lorsqu'elle lui en fit la remarque, il ne put répondre qu'il ne savait pas où aller, alors pourquoi pas là.

Comme Sophia prit place à ses côtés, Mason remarqua la tristesse sur son visage.

- Et toi, pourquoi es-tu venue ici ?

- J'avais besoin de me retrouver au calme, loin des Capwell et des Lockridge... J'ai besoin d'être seule pour faire... un peu le point sur ma vie.

Et Sophia de continuer de parler : elle lui avoua qu'elle avait pris la décision de retourner vivre auprès de Channing. Elle lui confia ses espoirs, son amour pour cet homme et, pour finir, elle lui avoua le drame de la soirée.

- Channing est redevenu le même, autoritaire, borné, jouant avec la vie des gens, comme on le ferait avec des pions.

- Sophia, il a toujours été ainsi, et il n'y a aucune raison pour qu'il change un jour. Ce qu'il vient de faire, c'est ce qu'il a fait avec Brandon et Santana.

- Oui, mais là, on parle de mon petit-fils... Je croyais que par amour pour moi...

- Tu parles de lui comme s'il avait un coeur...

Sophia baissa les yeux et remarqua la bouteille de whisky. Elle la prit fermement et but à même le goulot.

- Tu en veux ?

- Merci, mais pour une fois, une je crois que tu en as plus besoin que moi.

Et effectivement, Sophia reprit la bouteille.

- Le Channing que j'ai connu a toujours été comme ça. Avec moi ou avec ma mère, il a toujours fallu qu'il dirige nos vies. Nous ne sommes que des pions entre ses mains. Regarde ce qu'il a fait à Santana... Tout ce qu'elle a du enduré à cause du choix de Channing. Même Gina...

- Non, il n'est pas responsable de tout, Mason...

- Ah bon, tu crois... Moi, je crois plutôt qu'il est indirectement à la source de tous les drames qui nous frappent. Derrière chacune de ses justifications, que ce soit pour la famille, pour le nom Capwell, pour les Entreprises Capwell... Derrières toutes ces fausses excuses se cachent un drame, un chantage, un mensonge... Tiens, je suis certain que s'il n'avait pas agi comme il l'a fait avec Channing Junior, le destin de notre famille aurait été différent. Il aurait eu son héritier, cet héritier qui lui manque tant... Peut-être que s'il s'était comporté en père avec lui, nous n'en serions pas là et il y aurait moins eu de destins brisés. D'abord, il n'y aurait pas de Brandon. Par conséquent, pas de Gina dans nos vies. Santana n'aurait pas traversé les drames qu'elle a connus. Eden, et même moi d'ailleurs, nous n'aurions pas eu à être en compétition avec un fantôme.

- Oh, Mason...

Sophia s'accrochait à la bouteille.

- Mon esprit me murmure que tu as peut-être raison. Alors que mon coeur hurle que ce n'est pas vrai...

- C'est parce que tu continues à ne pas vouloir regarder la vérité en face.

- Non, c'est parce que je l'aime, moi, Mason.

Parce que tu imagines que je ne l'aime pas. Alors, c'est que tu n'as rien compris... Moi aussi je l'aime, Sophia. Quoiqu'on en dise et quoiqu'on fasse, il est mon père et il le restera...

Tout en parlant, Mason tendit une main tremblante vers la bouteille. Sophia la recula.

- Si je le détestais, les choses seraient beaucoup plus simples... Beaucoup plus simples.

Après un long moment de silence, Sophia reprit :

- Comme tu as dû souffrir, Mason. J'ai vraiment passé ma vie à tes côtés, et jamais je me suis rendu compte de ta souffrance...

Mason ferma les yeux. Il sentait les larmes qui frappaient contre ses paupières. Son coeur se serra. Son esprit entendait la voix de Channing lui criant : Il est trop tard pour toi. Trop tard pour être sauvé.

Mason resta replié sur lui-même durant un long moment. Les ombres du passé, de son passé, flottaient autour de lui. Il songeait à sa mère qui avait été chassée enceinte de la villa, obligée d'abandonner son fils. Il songea à cette soeur Elena qu'on avait élevée dans la haine... un peu comme Channing Junior. Et alors qu'il songeait à Channing Junior et Elena, son esprit dressait un parallèle entre ces deux êtres, un simple et brutal état des lieux de leur vie et de leur mort. Et soudain l'évidence lui apparut telle une illumination.

- Ca ne peut pas s'être passé ainsi...

Non embrumé par l'alcool, l'esprit tortueux du brillant avocat Mason Lamont Capwell se mit à tourner à plein régime, élaborant mille et une théories : Elena s'était suicidée, mais elle avait été poussée par une autre main. C'était une autre personne, derrière, qui tirait les ficelles... Un autre...

Mason se détourna vers Sophia et la regarda longuement.

- Sophia... Je crois parfois que je deviens fou...

Mason se mit à lui parler doucement des fantômes qui lui était apparus depuis son tragique accident de voiture. Il lui confia, comme à une mère, ses visions de Mary et puis celles de Channing Junior. Il lui parla de cette étrange présence qui rodait à ses côtés.

- Mon Dieu...

Pendant un instant, Sophia crut que la terre s'était arrêtée de tourner.

Mon dieu, alors toi aussi...

Dans sa précipitation, elle renversa la bouteille d'alcool.

- Toi aussi... Depuis quelques temps, je suis certaine de ne jamais être seule... C'est comme si mon ombre ne m'appartenait plus. J'ai revu plusieurs fois dans mes cauchemars le visage de ton frère... A de nombreuses reprises, j'ai revécu la scène du drame... Et Channing, mon fils, me parle... Et moi qui me croyais folle...

Revigoré par cette déclaration, Mason retrouva toutes ses facultés.

- Sophia ?

- Oui ?

- Sophia, il faut que tu me parles de cette nuit-là.

- De cette nuit... Non ! Je ne peux pas, c'est au-delà de mes forces.

Sophia se leva et chercha à s'éloigner de Mason et de la tombe.

- Je ne peux pas, Mason... Je ne peux pas.

Le regard de Sophia se figea sur la tombe : In loving you...

- Sophia, je te promets que c'est important. Très important.

- Non...

- Sophia.

Mason l'empoigna par les bras et la secoua.

- Non. Mason, j'ai tué mon fils et je dois vivre avec...

Mason leva la main pour la gifler, car elle commençait à devenir hystérique. Soudain, Sophia cessa de bouger; dans le lointain, elle entendit la voix d'Eden. Eden lui murmurait de se libérer, d'affronter la vérité une nouvelle fois pour les libérer tous du joug du passé.

- Eden... Eden, ma petite fille...

Sophia s'abandonna contre Mason, se blottissant contre lui.

- Il faut me parler, Sophia... Il faut que tu me parles du passé.

- Je... Je n'en ai pas la force.

- Sophia, j'ai retrouvé Philip. Philip le majordome. Et il m'a parlé de cette journée... de l'après-midi avant le drame. Je sais que d'autres personnes étaient présentes.

- Cela ne sert à rien, Mason, c'est moi qui ait tiré sur... J'ai tué mon fils...

- Sophia, parle-moi de l'après-midi avant le drame. Etais-tu déjà à la villa ? Est-ce toi qui a écrit le mot ? N'as-tu vu personne dans le bureau avant que Joe ne pénètre ?

Sophia s'écarta et elle cessa un moment de bouger. Son esprit commençait à réfléchir. Elle ne parvenait pas à isoler cette terrible journée. Sa mémoire restait figée, incapable de s'ouvrir sur ce mois de juillet 1979. Par contre, elle lui montra des images d'elle, entre le moment du drame et l'accident sur le bateau de Lionel.

- Mason, je revois des images du passé. Je me revois essayer le déguisement de Dominic. Une personne est à mes côtés. Je n'arrive pas à voir son visage... Il me parle sans cesse. Je n'entends pas sa voix, mais je suis certaine qu'il me parle... de vengeance.

- De vengeance ? Où étais-tu alors ?

- Je ne sais pas... Je vois de la lumière, du blanc... et j'entends cette voix. Elle résonne continuellement à mes oreilles... Je la connais même si je ne peux pas y mettre un visage pour le moment...

 

A bord du Kallysta.

Sans se présenter, Augusta Lockridge montait à bord du bateau de son mari, bateau pour l'heure lieu de résidence principale de Sophia Armonti. Augusta gagna le pont, certaine de trouver là sa rivale dans le coeur de Lionel.

En parfaite femme d'affaires, Augusta portait un ensemble en lin de couleur beige, qui faisait parfaitement ressortir son maquillage excessif.

- Bonjour Sophia.

Sophia parut surprise de se retrouver nez à nez avec Augusta.

- Augusta... Je ne vous attendais pas.

Sûre de son assurance, Augusta retira sa veste et se servit un verre d'orangeade glacée.

- Vous n'avez qu'à faire comme chez vous.

- Mais je suis chez moi, Sophia.

- Vous oubliez que ce bateau appartient à Lionel.

- Taratata... Peut-être, mais c'est moi qui gère l'héritage de Minx. Donc, ce bateau est sous mon contrôle, si je puis dire.

Sophia ramassa discrètement toutes ses affaires étalées sur la table : il s'agissait de vieux documents et photos du passé. Suite à sa discussion avec Mason, elle s'était rendue à son conseil et, à présent, elle travaillait à mettre un nom sur la voix qui la hantait.

Augusta prit place contre la barrière face à l'océan.

- Je n'ai jamais bien compris pourquoi Lionel se passionnait tant pour la mer. Certainement à cause de vieux souvenirs... Comme vous, Sophia.

- Excusez-moi, Augusta, mais je ne suis pas d'humeur à vous écouter. Vous voulez faire le tour du propriétaire, faîtes-le, mais par pitié, taisez-vous.

Augusta croisa les bras face à Sophia.

- Je ne vais pas vous faciliter la tâche, vous savez.

- Je ne comprends pas bien.

- Si faites un effort, je suis certaine que vous allez finir par comprendre. D'ordinaire, vous êtes plus vive, Sophia.

- Vous voulez que je parte d'ici... C'est Lionel qui m'a invitée et je ne suis pas sûre qu'il sera d'accord avec vous, vous savez.

- Et bien voilà, on y est.

Les deux femmes se mesurèrent du regard.

- Augusta, je comprends parfaitement...

- Alors si vous comprenez, Sophia, vous allez obéir. Vous allez prendre vos affaires et retourner où vous voulez... Mais ça, je m'en fiche.

- Je ne pense pas que Lionel apprécie.

- Justement, laissez Lionel en dehors de votre vie. Quand je vois ce que vous faites de votre dernière chance pour renouer avec Channing, je ne suis pas certaine que vous allez rendre mon Lionel heureux.

- Comment savez-vous ?

Augusta resplendissait.

- Vos retrouvailles... Je dois dire que je m'attendais à tout sauf à cela, Sophia...

- Taisez-vous. Je ne veux pas entendre ni vos critiques, ni...

- Et pourtant vous allez m'écouter. Asseyez-vous.

Elles s'assirent toutes les deux autour de la table et Augusta sortit des documents de la pochette qu'elle tenait à la main.

- Que les choses soient parfaitement claires. Je ne veux plus de vous dans la vie de Lionel. Définitivement.

- Augusta, je crois que vous vous trompez. C'est Gina qui occupe actuellement la vie de Lionel. Elle est sa femme. C'est elle madame Lionel Lockridge. Pas moi.

Augusta fit son plus beau sourire à Sophia.

- Sophia, Sophia... Avant de m'occuper de vous, je me suis déjà débarrassée de cette traînée. Peut-être même que je l'ai renvoyée entre les draps de Channing, maintenant que vous ne voulez plus de la place.

Sophia blêmit.

Augusta lui fit glisser un tas de papier.

- Voici l'acte de propriété de la société Gina Jean's. Je vous le donne à la seule et unique condition que vous quittiez le Kallysta et que vous sortiez de la vie de Lionel.

- Et si je ne veux pas ?

- Voyons, Sophia, vous n'êtes pas en position de m'attaquer. Armonti's est au plus mal. Et si j'en crois les derniers potins, vous n'en seriez même plus à la tête. Je sais de source sûre que Channing et vous, c'est de l'histoire ancienne, quoiqu'un énième je t'aime moi non plus est possible. Sophia, vous n'avez plus grand-chose à quoi vous raccrocher. Alors, acceptez mon offre, elle vous permettra d'avoir des capitaux frais et peut-être de reprendre le contrôle d'Armonti's.

- Augusta, sortez. Je n'ai nullement l'intention de vous obéir.

- Sophia, mon offre vaut pour cinq minutes. Après, elle n'aura plus cours. J'irais offrir Gina Jean's à votre nièce. Avec un peu de chance, elle se débarrassera de vous. Ensuite, j'irai voir Channing. Et je suis certaine qu'en échange de garanties pour la survie des Entreprises Capwell, il ne serait pas contre une fusion intime entre lui et moi... Je me verrais bien en Augusta Wainwright Capwell. Après tout, entre vous et Gina, nous nous prêtons nos maris, et il n'y a que moi qui n'ait pas profité de Channing...

- Vous êtes une garce.

- Possible... Mais une garce qui tient toutes les cartes maîtresses entre les mains.

- Je ne vais pas signer.

Augusta se leva.

- Ne vous en faites pas, je vous inviterai au mariage. Si vous pouvez rester encore à Santa Barbara. Le plus drôle dans l'histoire, c'est que vous avez élevé avec Channing, le fils de Lionel... Et cela sera moi qui élèverai votre petit-fils...

Sophia blêmit à nouveau. Elle venait de perdre la bataille.

- Donnez-moi les papiers.

Augusta lui glissa les feuilles et le stylo.

- Bien sûr, Lionel ne doit jamais rien savoir de notre arrangement.

- Sinon ?

- Sinon... J'ai encore dans mon sac de nombreuses armes. Et puis, n'oubliez pas que l'avenir des Entreprises Capwell est entre mes mains. Malgré vos retrouvailles gâchées, je suis prête à parier que vous ne voudriez pas être à l'origine de la chute de l'Empire Capwell. Dieu sait alors ce que pourrait faire Channing...

- Sortez. Vous êtes pire que Gina. Vous n'êtes qu'une garce... Une sale petite garce.

- Je vous laisse jusqu'à ce soir. Si demain vous n'avez pas quitté les lieux, je ferai couler ce bateau avec vous...

Augusta quitta la Kallysta, joyeuse comme une femme après l'amour. Elle venait de se débarrasser des deux objets encombrants dans la vie de Lionel. Pourtant, une partie d'elle s'en voulait du tour qu'elle venait de jouer à Sophia. Elle ne la détestait pas comme elle détestait Gina. Non, d'autant plus qu'en secret, elle partageait un même drame : leurs fils étaient retenus en otage en Irak...

Chapitre 17