Santa Barbara, Acte 2

Chapitre 14 : La force est féminine...

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Maison de Mason et Julia.

- Je vous demande juste une minute, Daniel, et je reviens.

Julia sortit de la voiture de Daniel McBride et pénétra dans la maison qu'elle partageait jadis avec Mason.

- Gracie... Personne. Elle ne doit pas encore être rentrée de sa ballade, à moins qu'elle ne soit en train de m'attendre chez Lionel.

Julia monta les escaliers pour atteindre son ancienne chambre à coucher. Depuis l'accident qui avait coûté la vie à l'enfant qu'elle portait, c'est à peine si elle était revenue dans cette pièce. Après l'accident, Mason avait fuit; elle ne se sentait plus alors capable de vivre ici, à l'attendre.

Julia gagna le dressing et se choisit une tenue décontractée. Elle avait passé tout l'après-midi en compagnie de Channing et de son équipe pour assurer la défense des Entreprises Capwell. Elle se sentait lasse et elle avait demandé à Daniel de la conduire ici, prendre des dossiers, avant de la déposer chez Lionel Lockridge. Comme à son habitude, elle se frotta énergiquement le cuir chevelu, ébouriffant ses cheveux.

- Ma petite Julia, tu es bonne pour une bonne cure de repos, quand toute cette histoire sera terminée.

Julia gagna ensuite la pièce voisine à leur chambre : le bureau des avocats Capwell, comme ils l'aimaient l'appeler. A ce propos, Mason ne cessait de la taquiner, disant qu'elle avait gagné en plaidoirie le jour où elle avait mis le nom Capwell sur sa carte professionnelle.

Julia ne put s'empêcher de sourire, et le fantôme de Mason la frôla.

- Ce n'est pas tout cela, mais on m'attend.

Et dans son esprit, Daniel chassa les brumes de Mason Capwell.

- Comme ma vie serait simple si j'étais comme ma soeur... Connaissant Augusta, elle aurait déjà tourné la page Mason et elle aurait déjà croqué Daniel. D'ailleurs, après tout ce qu'elle m'a dit, ça m'étonne qu'elle ne l'ait pas déjà fait !!!

Tout en songeant à haute voix, Julia récupéra un dossier et transféra sur son PC les documents relatifs au futur procès des Entreprises Capwell. C'est alors que son regard bloqua sur une enveloppe posée contre la photo de son mariage avec Mason. Son coeur se mit à battre la chamade. Elle reconnut tout de suite l'écriture de Mason. Une fraction de seconde fut suffisante pour que l'espoir emplisse son coeur.

- Mason ! ! Mason, tu es là...

Son coeur battait à mille à l'heure, puis s'arrêtait avant de reprendre de plus belle. Mason était revenu. Elle en avait la preuve. Déjà, son esprit inventait des raisons à son retour : tout ce cauchemar prendrait bientôt fin.

Les doigts tremblants, elle attrapa l'enveloppe. Il s'était servi de leur propre papier à lettres. Peut être même qu'il s'était assis sur cette chaise. Et telle une adolescente, Julia ouvrit la lettre de Mason.

Ma chérie, Ma femme adorée...

Je voudrais être capable de te dire combien je t'aime. De te le dire. Te l'écrire. Te le prouver. Mais depuis l'accident, je ne suis plus le même homme. Les anciens fantômes qui hantaient jadis ma vie, sont revenus. J'ai si peur de vous perdre, toi et Samantha. Vous êtes toute ma vie. Vous êtes ce qu'il y a de meilleur en moi... Et avec l'accident, je sais qu'il n'est plus possible pour moi de rester auprès de vous... Je ne peux que vous blesser et vous faire souffrir encore et encore... C'est mon père qui a raison : je suis un solitaire, un destructeur... Je détruis tout ce que je touche et mon amour, ni toi ni ma petite Samantha, je souhaite que vous souffriez à cause de moi...

Julia, je voudrais tant que tu me comprennes. Je voudrais tant que tu me pardonnes, que tu  continues à m'aimer comme au premier jour. Comme moi je t'aime. N'en doute jamais. Ne doute jamais de mon amour. Sam et toi, vous avez transformé ma vie. Vous avez su mettre de l'or là où il n'y avait que des cendres. Grâce à vous, je ne suis plus le même homme. Et c'est parce que je ne suis plus le même homme, que je dois partir chercher la vérité et affronter mes vieux démons. Il est temps pour moi d'affronter, face à face, mes peurs et les doutes qui me rongent depuis ma plus tendre enfance... Oh, Julia, j'ai si mal et si peur de vous quitter...

J'espère qu'à défaut de me pardonner, tu trouveras en toi la force de me comprendre. Je te jure sur ce que j'ai de plus cher que je t'aime. Ne m'oublie pas, Julia... Si tu m'effaces de tes souvenirs, si tu ne me fais pas vivre dans le coeur de Sam, alors je disparaîtrais pour de bon. Et ma vie aura été vaine...

Je t'aime, n'en doute jamais. Et pardonne-moi de tout ce mal...

Mason.

Julia s'effondra sur sa chaise... Des larmes roulèrent sur ses joues. Mason la quittait pour partir chasser de vieux démons. Et elle, elle était quoi ? Et leur fille ? Julia aurait aimé crier sa rage, mais au lieu de cela, elle explosa en larmes, serrant dans ses poings la lettre.

Elle n'entendit pas Daniel qui était venu la chercher, après de longues minutes. Il n'eut pas besoin de poser de questions, et il obéit lorsqu'elle lui ordonna de la conduire dans un endroit à la mode où elle pourrait boire, danser et oublier.

Durant tout le trajet, Julia ne prononça pas le moindre mot, elle calmait sa rage, sa colère et sa souffrance. Lentement, Julia se transformait; elle laissait renaître en elle la femme indépendante qu'elle avait toujours été : celle qui avait exigé par contrat à Mason Capwell de lui faire un enfant. C'est ainsi que lorsque Daniel se gara devant La Tanière, Julia ne pleurait plus, elle souriait presque, prête à profiter de cette soirée, à l'image de la croqueuse de vie Augusta Lockridge.

Le repas entre Julia et Daniel fut des plus agréables; ils échangèrent peu sur le travail, revenant brièvement sur Kirk et ses méfaits. Puis, Julia, aidée par l'alcool, se laissa complètement aller et très vite, ils retrouvèrent une réelle complicité : Julia avait rangé dans un tiroir de son esprit la lettre de Mason. A leur table, souvenirs de droits, fous rires se succédaient. Tous leurs gestes trahissaient l'existence d'un lien étroit entre eux : on aurait dit soit un frère et une soeur, soit un couple.

Julia prit son verre et choisit de porter un toast.

- Je bois aux femmes, à toutes celles qui ont dû se battre pour leur liberté. Et je bois aussi à la santé des hommes, car un jour ils devront cesser de se défiler...

- Aux combats pour la liberté, Julia.

- Vous savez, Daniel, je suis une femme indépendante. D'ordinaire, je sais ce que je veux. J'ai voulu un enfant, et je ne voulais pas de père... Et bien, je peux affirmer aujourd'hui que j'ai réussi. Et pour l'heure, je voudrais aller danser...

- Et bien, allons-y.

Daniel accompagna Julia sur la piste de danse, où tous les regards se portèrent sur eux.

- Et dire que j'aurais pu être mariée au maire de la ville. Je crois que cela m'aurait plus...

Julia ne prêta aucune attention aux autres couples autour d'elle. Et même si elle se sentait le centre d'intérêt, elle n'en montra aucune gène. A nouveau, elle se sentait bien dans sa vie. Le stress du travail, les quelques verres de vin l'aidaient, tout autant que la présence de Daniel, à oublier le fiasco de son mariage. Elle avait bien réfléchi dans la voiture. Et elle commençait à s'habituer à l'absence de Mason. Elle arrivait même à vivre sans lui. Samantha ne manquait de rien, elle avait une famille autour d'elle. Elle, elle avait un travail des plus prenants. Et elle était entourée d'une famille et d'amis qui lui embellissait la vie. Bref, elle avait réussi à obtenir tout ce qu'elle rêvait étant plus jeune : un enfant, un travail, et l'indépendance vis-à-vis des hommes. Elle ne s'était pas sentie aussi sereine depuis le jour où elle avait annoncé sa nouvelle grossesse à Mason.

La voix langoureuse de Mariah Carey emplit la salle. Les couples se rapprochèrent sur la musique de Without You. Daniel enlaça Julia qui sembla s'abandonner complètement dans ses bras. Lentement, Julia osa du bout des doigts caresser le dos de Daniel. Elle ressentait ces décharges d'électricité en elle, qui éveillaient ses sens. Au fond d'elle, Daniel avait su réveiller des sensations qu'elle avait cru perdues avec le départ de son mari. Et les paroles de sa soeur lui frappaient sans cesse à la tête. «Si tu as envie de Daniel, saute-lui dessus, qu'est-ce qui t'en empêche ? Si c'est Mason, laisse-moi te dire que tu es stupide ma petite soeur. Si ce sont les conventions, tu es arriérée et stupide. Pourquoi une femme ne ferait-elle pas le premier pas ? Si tu savais pour Lionel et moi... »

Les jambes tremblantes, Julia approcha son visage de celui de Daniel. Elle se sentait aussi stupide qu'une adolescente. Faisant mine de vouloir lui parler, Daniel s'approcha et osant braver toutes les conventions, Julia attira les lèvres de Daniel contre les siennes. Et...

Et, Julia resta sur sa faim; Daniel ne répondit pas à son baiser. Le rouge lui monta aux joues. Elle se sentait stupide et ridicule. Comprenant le trouble de son ami, Daniel s'obligea à la maintenir avec force entre ses bras.

- Laissez-moi Daniel, je suis une idiote...

- Non. Je vous jure que non. Je vais tout vous expliquer...

La musique s'arrêta, et Daniel caressa d'une main les cheveux de Julia et lui déposa un baiser des plus chastes sur le front.

- Venez, sortons cinq minutes...

Daniel et Julia quittèrent la piste de danse pour se rendre sur la terrasse du club.

- Je suis vraiment désolée, Daniel...

Et effectivement, Julia paraissait sincèrement être gênée. Elle était agitée de ces nombreux tics qu'elle parvenait à cacher la plupart du temps.

- Je... Je ne sais pas ce qui m'a pris... Je vous promets que cela ne se reproduira pas... Ce que tu peux être stupide, ma pauvre Julia... Oh, Daniel, j'ai tout gâché, n'est-ce pas ? Ne dites rien, je le vois parfaitement à votre regard. Je suis si nulle, non, ne dites rien... Raccompagnez-moi et oublions cela. Disons que je ne suis pas arrivée à gérer l'alcool, le départ de Mason et le stress du travail... Comme j'ai honte. J'ai si honte, Daniel... Et cessez de me regarder ainsi.

- Ca y est, Julia vous avez fini votre séance d'auto flagellation... On va pouvoir s'expliquer.

- Non, pitié non, ne dites rien. Il n'y a rien à dire.

Daniel empoigna Julia et il l'obligea à s'appuyer contre la balustrade. Ils se faisaient face.

- Cela fait un moment que je voulais vous en parler...

- Pitié, Daniel... On ne peut pas remettre cela à demain.

Julia restait rouge de honte et de colère.

- Non, je crois qu'il est temps pour moi d'être sincère avec vous, comme vous l'avez été avec moi.

Daniel respira profondément.

- Julia, je vous assure vous n'avez pas à vous sentir mal à l'aise. Il n'y a rien de grave ou rien de changé entre nous, en ce qui me concerne. C'est juste que...

Daniel regarda autour de lui. La musique couvrait ses mots, et les autres couples à distance n'entendraient rien de ses propos.

- Julia, je... je suis gay.

- Comment cela gay ?

- Ne me dites pas qu'il faut que je vous fasse un dessin...

- Mon Dieu...

Julia commença à réaliser.

- Vous voulez dire gay... gay...

- Oui. C'est pour cela que je suis flatté que vous m'ayez embrassé... Mais...

- Et je n'ai rien vu...

Julia se détendit. Daniel savait si bien rendre l'atmosphère idéale pour chaque situation.

- C'est tout moi çà... Mais je suis complètement folle...

- Si je peux faire un peu d'humour facile, Julia, dans ce cas-là, nous sommes deux...

Et ils explosèrent tous les deux de rire. Leur bulle de complicité se reformait autour d'eux.

- Alors, Julia, on peut finir le repas et continuer cette agréable soirée.

- Bien sûr...

Julia attrapa le bras de Daniel et ils repartirent à leur table.

 

Villa Capwell.

- Ce n'est pas possible, à croire qu'il le fait exprès...

Channing lança au loin l'exemplaire du Santa Barbara Chronicles qu'il tenait dans les mains.

- Je suis certain qu'il le fait juste pour me nuire ... Il va me le payer...

C.C. n'en revenait toujours pas et pourtant c'était écrit noir sur blanc, dans l'article de Deanna Kincaid : Mason, au travers d'une lettre ouverte envoyée au journal, choisissait de se retirer de la course à la municipalité et il recommandait à ses partisans de voter contre Harold, le candidat que lui, Channing Creighton Capwell, supportait.

- Et après, on viendra me dire que c'est moi qui cherche la bagarre...

Fou de rage, Channing se leva de l'imposant fauteuil en osier où s'était assis, comme à son habitude, pour se servir un verre de whisky qu'il avala d'une traite. Il n'en revenait pas que, même par-delà son absence, son fils choisissait de le trahir, pire que cela de lui planter un sérieux coup de poignard dans le dos, au moment où il avait besoin que la famille se reconstitue autour de lui, ne serait-ce que pour faire front commun et assurer la défense des Entreprises Capwell.

- Plutôt que t'occuper de politique, tu ferais mieux, Mason, de te soucier de ta famille. Julia se sent abandonnée, quant à ta fille... Je crois que ton cas est désespéré et que jamais tu ne pourras vivre pleinement en famille... Tu es trop égoïste pour cela... Tu es comme ta mère, tiens...

Sur le champ, Channing prit son portable et joignit son poulain.

- C'est Capwell, viens sur le champ, il faut que nous parlions de la stratégie de la campagne... S'il s'imagine que je vais en rester là...

 

Marina de Santa Barbara.

Toute la journée, Channing avait essayé de joindre Lionel au téléphone. Il s'était même rendu au siège d'Armonti's pour le voir, après avoir appris de la bouche de George, le bras droit de Sophia, qu'elle l'avait nommé comme remplaçant. Channing avait alors ressenti une violente vague de colère et de frustration. Colère à l'encontre de Lionel Lockridge. Frustration parce que Sophia, sa douce et tendre Sophia, préférait confier les rênes de sa société à Lionel, plutôt qu'à lui. La douleur l'avait frappé en plein coeur, et son orgueil ne s'en était pas encore, même à présent, complètement remis.

Channing errait sur les quais de la marina, à la recherche du Kallysta. C'est Augusta qui lui avait suggéré de chercher Lionel sur son bateau. Augusta savait par expérience que c'était sur l'océan que venait se réfugier Lionel en cas de crise.

Et depuis son arrivée sur le ponton principal, Channing effectuait les cent pas, ne sachant pas comment il devait aborder son rival. Même lui, le puissant Channing Capwell, en était réduit à cela : demander de l'aide. Pire que cela d'ailleurs, Channing ne devait pas que demander de l'aide, il devait faire appel à l'homme dont était éprise la femme de sa vie. Depuis le tout début de leur relation, Channing avait appris qu'il lui faudrait faire avec Lionel Lockridge, dans la vie amoureuse de Sophia. Il le savait et, jusqu'à présent, il avait réussi à vivre avec. Mais maintenant, il ne se sentait non pas plus faible, mais totalement lassé par cette situation...

Channing n'osa pas s'aventurer trop près du bateau de la famille Lockridge, de peur qu'il soit pris au dépourvu. Il ne cessait de marcher, le regard rivé sur le sol, cherchant mentalement les mots qu'il dirait à Lionel.

- Tiens, Channing Capwell au bord de l'océan... Comme quoi il ne faut jurer de rien. Tout est possible ! !

Channing sursauta. La voix grave de Lionel Lockridge le figea une fraction de seconde sur place. Pris au dépourvu, Channing se glaça et afficha cet air fier et hautain qu'il arborait toujours en société. Après tout, n'était-il pas le chef du clan Capwell ?

- Puisque tu t'aventures sur mon territoire, Lionel, il est normal que je m'avance sur le tien.

Comme à son habitude, Channing toisa Lionel du regard avec toute la prestance Capwell. Quant à ce dernier, c'était à peine s'il réagissait face à lui. Lionel n'avait que faire de paraître et surtout, il ne se souciait que très peu de l'apparence de Channing : car il savait pertinemment que sous la carapace, Channing Capwell n'en restait pas moins un homme.

Lionel posa le sac qu'il portait et arrangea le pull posé sur ses épaules. Channing, lui, portait un costume sombre d'un grand couturier italien.

Durant une seconde, Lionel songea à l'étrangeté de cette rencontre, ce qui le ramena des années en arrière, lorsqu'ils s'étaient retrouvés face à face, événement rare, pour se reprocher mutuellement l'attirance de leur enfant. Lionel ne pu s'empêcher de sourire. Chacune de leur rencontre était rythmée par l'amour; celui entre Laken et Ted, celui entre Sophia et lui, celui entre Julia et Mason...

- Allons, Channing, tu n'es pas venu jusqu'ici pour me prouver que tu peux être plus fort que moi et que tu es capable de t'approcher de l'océan. Pas après toutes ces années. Nous savons tous les deux que tu es bien plus imposant que moi...

- Tu as raison, cela n'a rien à voir avec l'océan.

- Veux-tu que nous en parlions ici, ou te sens-tu capable de monter sur mon bateau ?

Bien que cela lui coûtait énormément, Channing ne se permit pas de refuser l'invitation de Lionel. Une fois sur le pont du Kallysta, Lionel se servit une bière et en proposa une à Channing, qui refusa.

Un silence s'installa, l'un et l'autre attendant que l'autre fasse le premier le pas. Finalement ce fut Lionel qui ouvrit la discussion.

- J'ai appris par Augusta que maintenant vous étiez associés...

- Oui.

Channing déglutit avec peine.

- Oui. Elle s'est proposée de me venir en aide pour le projet de Pacific Sud. Et je dois reconnaître qu'elle mène à la perfection la part dont elle a la charge.

- Connaissant mon Augusta, je suis certain qu'elle doit frôler l'extase. Etre l'associée de Channing Capwell, pour une Lockridge, ce n'est pas rien... Il faudra bien penser à noter cela dans les annales...

- Lionel, je ne suis pas venu ici pour que tu te moques de moi...

- Mais je ne...

Lionel, je ne suis pas venu jusqu'à toi pour entendre les éternelles réflexions d'un Lockridge...

- Aurais-je touché un point sensible, Channing ? Je t'assure que je n'avais nulle intention de paraître blessant ou vexant... C'est juste que je réalise combien nos destins sont entremêlés l'un avec l'autre. Non, plutôt que les femmes que nous aimons nous relient indubitablement l'un avec l'autre.

Channing ferma les yeux, il n'avait aucune envie d'écouter les propos de Lionel, parce qu'ils renfermaient effectivement une part de vérité. Et alors que Lionel lui parlait, l'image vivace de Sophia se réfugiant dans les bras de Lionel, à l'hôpital, lui déchira à nouveau le coeur.

- C'est une évidence non, Channing ? Il y a d'abord Sophia, cette femme sublime au grand coeur, pour laquelle notre coeur bat...

Channing trembla lorsque Lionel prononça ces paroles. Il détestait, au sens viscéral du terme, qu'un autre homme puisse poser ses mains sur sa femme : Sophia lui appartenait. Bien plus que la trahison sentimentale, c'était cela qui terrassait Channing à chaque fois : savoir qu'un autre lui volait son bien. Car Sophia lui appartenait depuis le tout premier jour où il avait posé ses yeux sur elle. Et tandis que Lionel marquait une pause, Channing songea à T.J. Daniels et à Ken Mathis, les autres hommes qui avaient traversé la vie de Sophia.

- Et aujourd'hui, tu vois, je suis marié à ton ex-épouse, et toi tu fais des affaires avec mon ex-femme...

Lionel sourit à nouveau.

- Je trinque, Channing, à toutes les femmes qui ont traversé ta vie et qui ont aussi traversé la mienne. Et peut-être à celles qui vont les traverser dans le futur.

- Arrête, Lionel. Cela ne m'amuse pas.

- Mais moi non plus.

Lionel termina sa bière et Channing se leva, s'appuya sur le bastingage et observa l'océan.

- Je n'ai jamais compris l'amour de Sophia pour l'océan... Je ne le comprends toujours pas d'ailleurs. Qu'elle puisse autant l'aimer même après ce qui s'est passé ici, le 3 mai 1969.

- C'était un accident, Channing. Un accident ! Un accident qui appartient au passé.

- De la même façon, je n'arrive pas à comprendre la relation qui existe entre vous. Je ne vois pas ce qu'elle vient chercher auprès de toi, et pire encore ce qu'elle y trouve... Et cela me terrifie. Savoir que tu lui apportes quelque chose que je ne comprends pas, que je ne possède pas...

A son tour, Lionel se leva et vint s'installer aux côtés de C.C..

- Je crois que je reste un souvenir pour Sophia. Je suis un peu comme un... comme un endroit où on adorait être, enfant, parce qu'on s'y sentait en sécurité. C'est cela. A ses yeux, je suis la sécurité. Avec moi, elle sait qu'elle ne risque rien, comme une vieille paire de pantoufles. Elle ne risque rien, rien dans le sens où tout est fini entre nous. Nous sommes juste de très bons amis...

- Des amis ? J'ai peine à le croire, Lionel... Et Augusta aussi est de mon avis.

- Pourtant c'est la stricte vérité. Je suis un peu comme un frère pour Sophia. Et c'est ce qu'elle est devenue à mes yeux, au fil du temps...

- Et tu penses que je vais te croire. Et accepter cette simple explication...

Channing lâcha l'océan du regard et observa la côte Californienne qui commençait à s'illuminer.

- Tu crois sincèrement que cela peut me suffire ? Alors qu'au moment même où nous parlions de reprendre la vie commune, après la mort de Mathis, elle décide de rester indépendante !!! Et aussitôt, elle court s'installer ici, sur le bateau de son ancien amant... Amant qu'elle nomme aussi comme son remplaçant au sein de la société qu'elle dirige... Non, Lionel, je t'assure que cette explication ne peut pas me suffire. Elle ne me convient pas.

Le ton de Channing avait monté, et il avait repris l'assurance qui collait avec le nom Capwell.

- Je ne peux pas accepter cela. C'est au-delà de mes forces. Je ne suis pas stupide, non plus...

La jalousie rendait Channing encore bien plus amer.

- Je suis un Capwell, un homme d'affaire respecté et respectable... Je ne peux pas accepter d'être traité de la sorte par une femme et par...

- Un minable tel que moi... C'est ce que tu allais dire, non ?

Channing défia Lionel du regard. Les deux hommes se connaissaient si bien qu'il était difficile pour eux de se leurrer.

- Channing, avant que je te mette dehors de mon bateau, dis-moi pourquoi tu es venu ? Je n'ai pas besoin d'être insulté. Si Sophia ne veut pas être à tes côtés, c'est simplement parce que, trop souvent, tu agis de la sorte. Tu es toujours là, en train de parler de toi, des Capwell, sans jamais prendre le temps de te soucier des autres qui vivent autour de toi. C'est pour cette seule raison que Sophia ne veut plus vivre sous le même toit que toi. Tu l'étouffes. Tu ne veux pas qu'elle soit telle qu'elle est vraiment au fond d'elle, mais tu aspires à ce qu'elle soit comme toi, tu veux qu'elle soit... Tu agis de la même façon avec tout le monde. Avec Sophia, avec tes enfants, avec moi... Et je te souhaite bien du courage avec Augusta !!!

Lionel s'écarta de Channing. Ils étaient réellement différents. Profondément. Jamais ils ne pourraient trouver un terrain d'entente. Dans son coeur, Lionel se félicita quelque part de la rupture entre Ted et Laken. Jamais ils n'auraient pu vivre pleinement leur amour avec des parents qui passent leur temps à se détester. De son côté, Channing pensa exactement à la même chose; jamais Capwell et Lockridge ne pourraient s'entendre. Et pourtant...

Et pourtant, en Irak, dans les sous sols désaffectés d'un immeuble, un Capwell et un Lockridge étaient en passe de devenir les meilleurs amis du monde.

- Je suis venu, Lionel, parce que Sophia souffre. Et bien que cela me soit inconcevable, elle a besoin d'aide, d'une aide que je ne peux pas lui apporter. Depuis peu, elle est revenue vivre à la villa. Elle s'imagine être remontée dans le temps : elle m'a avoué votre liaison, la filiation de Channing Junior, mon fils... Elle a besoin d'aide, et je crois que tu es la seule personne qui puisse le faire.

Lionel déglutit avec peine et, lorsqu'il posa les yeux sur Channing, il le regarda avec pitié. Il réalisa aussi combien cet homme aimait Sophia. Pour elle, il s'abaissait à réclamer de l'aide, à faire part de sa détresse et, en plus, il venait voir l'homme qu'il estimait être en partie responsable de sa rupture avec Sophia. Lionel esquissa un geste vers son ennemi. Au dernier moment, il retint son geste :

- J'irai la voir et je lui parlerai.

- Elle est ce qui m'est arrivé de mieux dans ma vie. Aujourd'hui que mes enfants sont partis, j'ai besoin de la savoir à mes côtés...

- Je parlerai à Sophia, je te le promets...

- Elle a besoin de réapprendre le passé pour se reconstruire. Et je ne peux pas tout lui dire, lui parler de Brick, lui parler d'Eden... Elle sait déjà pour la mort de Channing Junior...

La voix de Channing se brisa.

- Je te promets, Channing, que je lui parlerai. Et je ne lui révélerai que ce qu'elle doit savoir.

- Merci.

Sans plus d'autres mots, Channing quitta le Kallysta, blessé dans son orgueil d'homme et de Capwell : avoir entrouvert son coeur à un autre, à un Lockridge...

Du haut du pont de son bateau, Lionel observait la fuite de C.C.. Il réalisa soudain l'immense solitude qui devait habiter son coeur : Channing était désespérément seul; seul dans une si grande maison avec tant et tant de souvenirs... Et Lionel sentit son coeur s'emplir de fierté. Il n'était peut-être pas aussi riche que Channing, mais il comprit qu'il avait réussi sa vie. Sa maison regorgeait de rires, de personnes de sa famille ou non, de vie. Il partageait la vie de Gina qui, par procuration, lui permettait de vivre le rôle de père, lui qui avait toujours été absent pour Warren et Laken. Augusta lui était revenue. Julia et Samantha s'étaient réfugiées dans la maison. Et d'autres allaient revenir, il en était certain...

 

Motel à l'extérieur de la ville.

Une Mercedes noire se gara sur le parking du Bay View Motel. Une jeune femme aussi brune que la couleur de sa voiture en descendit. Tout en prenant son sac, elle regarda autour d'elle, comme si elle vérifiait que personne ne la remarquait. Et pourtant, on ne voyait qu'elle, tant elle paraissait ne pas être à sa place. Le motel Bay View, sordide motel à l'extérieur de Santa Barbara, n'accueillait que de jeunes surfeurs pour quelques dollars. Venise Armonti, au premier abord, n'avait rien à faire ici.

D'un pas décidé, elle s'avança vers la chambre numéro 15. Sans frapper, elle entra. La pièce était vide. Le lit n'était pas encore fait, et la télé restait allumée sur une chaîne du câble. Ca et là, des vêtements d'homme jonchaient le sol. Venise ne prit pas la peine de signaler sa présence : elle entendait dans la salle de bains le bruit de l'eau de la douche. Elle tenait à la main une épaisse enveloppe. Très vite, elle vérifia qu'elle comportait bien de l'argent, s'installa sur un angle du lit, et attendit.

Au bout d'un moment, un homme finit par sortir de la douche. Une simple serviette autour de la taille, le séducteur T.J. Daniels entra dans la pièce principale. C'est à peine si T.J. montra une pointe de surprise à la vue de Venise Armonti.

- Tiens, Venise ! Je ne t'attendais pas si vite...

- Lorsqu'il s'agit d'affaires, je n'aime pas prendre mon temps.

- Affaire ou plaisir... Surtout quand tu sais que tu peux avoir les deux.

T.J. avait pris place à côté de Venise et se mit à lui caresser lentement la nuque.

- Tu crois vraiment que toi et moi, c'est pour le plaisir ? Mon pauvre T.J., tes charmes n'ont aucun effet sur moi. Je ne suis pas comme Sophia, une de ces vieilles en manque d'hommes...

Venise se leva, méprisant du regard l'homme assis face à elle.

- J'aspire à une autre classe.

Vexé dans sa virilité, T.J. tenta de se défendre.

- Tu ne disais pas cela les autres fois, quand je te tenais entre mes bras...

- Je te l'accorde, comme amant, tu n'es pas mauvais... A toi maintenant de me montrer réellement ce que tu vaux. Et n'oublie pas que c'est moi, à présent, qui détiens les dettes que tu avais auprès d'Olivia Welles.

- Comment pourrais-je l'oublier, tu ne cesses de le crier à chaque visite ?

- Tiens.

Venise lança l'enveloppe à T.J.

- C'est pour toi. Voilà 1000 dollars pour tes frais généraux. Et ne vient pas en réclamer davantage. A toi de faire avec.

T.J. ramassa l'enveloppe.

- Le reste, tu ne l'auras que lorsque j'aurais la preuve que Sophia est retombée sous ton charme...

- Tu sais très bien que cela ne sera pas possible. Après l'histoire avec Kelly et Jeffrey, Sophia ne veut plus me voir.

- A toi de savoir te faire pardonner. Il n'y a pas cinq minutes, tu ne doutais pas de tes charmes...

- Venise, je sais ce que je te dois, mais là, je suis certain que cela ne fonctionnera pas.

- Ecoute-moi, si tu veux que je sois conciliante, à toi de faire en sorte que Sophia retombe entre tes griffes. Je t'ai promis d'effacer tes dettes et de faire de toi un mannequin d'Armonti's, mais tu sais ce que j'attends de toi en retour. Je veux que tu mettes définitivement Sophia hors jeu pendant quelques temps. Qu'elle oublie la société... Plus elle se rapprochera de toi, moins elle doit s'occuper d'Armonti's. Me suis-je montrée assez claire ? Et n'oublie pas que pour l'heure, toutes tes dettes de Palm Springs et d'ailleurs sont entre mes mains.

- Je ferai ce que je pourrai, Venise.

- Ciao, Apollon. Et couvre-toi, tu risques de prendre froid.

Venise quitta T.J., remonta dans sa voiture et partit à vive allure en direction du centre ville. Tout en roulant, Venise sortit son téléphone portable et joignit Gianni.

- Gianni, c'est Venise.

- Je viens de voir mon joker, et j'espère sincèrement qu'il arrivera à occuper Sophia. Et de ton côté, qu'en est-il ?... Très bien... Tout cela avance. Alors, je crois que nous allons être prêts pour la prise de pouvoir. Gianni, convoque pour le plus tôt possible un conseil d'administration. Je suis certaine que nous allons réussir. Ah, je me charge de donner personnellement la convocation à Sophia. Il ne faudrait pas oublier notre ancienne présidente. Ah Ah ah ah... A tout de suite, Gianni.

Venise raccrocha, le sourire aux lèvres. Encore un peu de temps et elle deviendrait la nouvelle présidente directrice générale d'Armonti's.

 

Bureau de la villa Capwell.

Sophia ferma les yeux. La vision se dissipa, mais les larmes continuaient de couler sur ses joues. Elle ne pouvait les retenir. Son monde n'existait plus. Tout ce en quoi elle croyait n'avait plus aucune raison d'exister. En une journée, elle avait tout perdu, tout ce qui avait de l'importance à ses yeux : sa famille.

Sophia, depuis plusieurs heures, était assise sur le lourd fauteuil de cuir noir qui trônait majestueusement dans le bureau de C.C.. Après avoir pris suffisamment de temps pour assimiler les révélations que Channing lui avait faites, elle avait voulu se rendre dans la pièce où sa vie de mère avait basculé.

- Mon enfant chéri... Mon amour...

Sophia ouvrit lentement les yeux. Les souvenirs peu à peu lui revenaient, ceux d'avant le drame. Son esprit parvenait avec une très grande facilité à faire revivre le visage de Channing Junior, d'Eden, de Kelly ou de Ted. Dans sa tête et dans son coeur, ils étaient restés les enfants d'autrefois. Pour elle, elle les avait quittés quelques jours plus tôt.

- Oh, mon Channing, qu'ai-je fait ? Aurais-je passé ma vie à te tromper, sur ton père, sur ton nom...

De nouvelles larmes amères roulèrent sur ses joues.

- De combien de maux suis-je coupable ? Moi, ta mère...

Du bout des doigts, Sophia caressa le bois du bureau. Son regard errait d'un mur à un autre. Elle observa la bibliothèque, les livres, les photos, les meubles, les souvenirs, s'imprégnant de chacun des souvenirs de cette pièce pour en ranimer d'autres.

- Channing, si tu es encore ici, parle-moi...

Elle se leva, arpentant la pièce à la recherche de vieilles sensations. Elle posa longuement les yeux sur une photo. Elle reconnut aisément Eden, tant la ressemblance avec elle était grande : Eden était toute de blanc vêtue, au bras d'un homme dont elle ignorait le nom. Sur une autre, Kelly rayonnait sur la plage. A côté, c'était Ted et Mason qui posaient l'un en sportif et l'autre au bras d'une femme qu'elle ne connaissait pas.

- Est-ce possible que toute une partie de ma vie se soit effacée de ma mémoire ?

Sophia se concentrait sur les photos de ses enfants, mais c'était le noir complet. Les visages de ses proches restaient identiques à ceux de son départ.

- Je me souviens d'être partie pour rejoindre Lionel. Je me souviens d'être montée sur son bateau... C'était... Pour Channing, il y a des années. Entre temps, je suis partie me faire soigner. J'ai épousé un Comte italien. Je suis revenue me venger, et j'aurais... tué... tué mon fils. Mon propre fils... Et mon Dieu, est-ce possible que je n'en garde aucun souvenir ?

Sophia s'appuya contre un fauteuil, la pièce tournait tout autour d'elle. Il lui semblait apercevoir des images derrière un épais voile de nuage. Des ombres dansaient dans l'épaisse couche de brume.

- Lionel... Lionel, devrais-je te maudire encore pour nos erreurs... Selon Channing, je suis revenue en 1979 pour me venger de toi... Et aujourd'hui, nous serions redevenu amis... Est-ce vraiment la réalité ? Je dois trouver les réponses par moi-même...

Alors qu'elle s'égarait dans la brume, la porte du bureau s'ouvrit et Mason entra. Sophia l'observa longuement, ne sachant pas si elle devait aller vers lui ou non. Ce fut Mason qui brisa le silence et la glace en premier. Et aussitôt, sans trop savoir pourquoi, elle le mit au courant de la disparition de ses souvenirs.

- Alors, c'est fini...

- Qu'est-ce qui est fini ?

- J'étais venu justement pour faire parler des souvenirs... J'ai besoin d'en apprendre plus sur la journée du 30 juillet 1979.

- Pourquoi ?

- Parce que j'ai l'intime conviction que Channing se joue de nous...

- Channing ? Tu veux dire qu'il est...

- Non, Sophia.

Un instant, la joie illumina le visage de Sophia.

- Non, mais depuis quelques temps, il ne cesse de hanter ma vie.

Mason et Sophia s'assirent sur des fauteuils qui se faisaient face. Sophia raconta à Mason ce que Channing lui avait dévoilé de sa vie.

- Mason, je t'en prie, parle-moi de cette journée. Channing ne veut rien me dire. Il ne cesse de me parler de Lionel, comme si la vérité ne pouvait venir que de lui. Est-il vraiment devenu mon ami ?

- Sophia, je ne sais pas quoi te dire... Je voudrais que tes souvenirs te reviennent, mais que tu ne te les crées pas par rapport à tout ce qu'on pourra te raconter... C'est très compliqué. Peut-être qu'effectivement Lionel pourra t'aider à combler une partie des pages blanches de ta vie...

- Mason, ne me laisse pas dans l'ignorance. Parle-moi du drame, je t'en prie. Je n'en peux plus de ne pas savoir. C'est comme de le perdre à nouveau, à chaque instant.

Afin d'implorer ces paroles qu'elle espérait tant, Sophia avait pris les mains de Mason dans les siennes.

- Très bien, Sophia. Je vais juste te raconter les grandes lignes. Mais attention, il faudra que les détails te reviennent par toi-même...

- Je l'espère, Mason, je l'espère...

Mason prit une profonde respiration.

- Papa, pour fêter la réussite de Channing, avait organisé une très grande fête à la villa. Il n'avait pas lésiné sur le nombre d'invités. Rien n'était trop beau pour son fils préféré. Tout était parfait jusqu'à ce que Channing reçoive un billet, lui donnant l'ordre de venir dans le bureau. Un moment plus tard, tout le monde entendit un coup de feu, et lorsqu'on put entrer dans la pièce, on trouva Channing mort. A ses côtés, se tenait Joe Perkins, le petit-ami de Kelly. Et c'est tout. Joe fut reconnu coupable de meurtre, puis, à sa libération, on découvrit que ce n'est pas lui qui tira, mais toi, Sophia.

- Ce n'est pas possible... Pourquoi est-ce que je n'en garde aucun souvenir ? Je n'arrive même pas à me rappeler de ce moment... Comment une mère peut-elle oublier cela ?

- Tu as juste besoin de temps, Sophia... Doucement, par petits bouts, les souvenirs te reviendront...

- Oh, Seigneur, je voudrais tant que tout me revienne... Est-ce qu'il a souffert ?

- Non, il est mort sur le coup. Tu ne lui as pas tiré dessus délibérément; tu cherchais à te venger de Lockridge...

Mason passa de longues minutes à rassurer Sophia.

- Est si je ne me souviens de rien... Comment continuer à vivre... Et toi, pourquoi veux-tu te souvenir de cette journée ?

Mason hésita longuement : devait-il tout dire ? Après réflexion, il choisit de garder le silence. Il ne lui parla pas d'Eden et de la vengeance de Channing Junior.

- Sophia, je crois que des réponses à mes peurs se trouvent en partie dans cette journée. Si j'arrive à me détacher de Channing, je crois que j'arriverai à découvrir qui je suis vraiment, et peut-être vivre en paix avec...

- Julia. Elle s'appelle Julia...

- Qui ?

- La femme qui est avec toi sur la photo. Son nom est Julia.

- C'est exact. C'est ma femme... Ou...

Sophia, soudain, se mit à trembler.

- J'ai si peur, Mason... Si peur, en réalité, de découvrir la vérité...

- Il ne faut pas. Rien n'est pire que de ne pas savoir.

Soudain, la voix de Channing retentit dans l'escalier.

- Sophia ?

Aussitôt, Mason se leva et se cacha.

- Il ne doit pas savoir que je suis ici. C'est notre secret.

Sophia se leva et partit rejoindre Channing qui la cherchait.

 

Orient Express.

Installée à une table de l'Orient Express, Gina terminait ses fraises à la chantilly. Elle avait passé une matinée des plus fatigantes. Dans un premier temps, elle s'était usée à joindre l'université de Brandon, pour avoir des nouvelles. Ensuite, elle avait perdu le reste de sa matinée à se battre verbalement contre Bridget Dobson : elle ne voulait pas lui laisser encore consulter les archives des Capwell et des Lockridge. A croire que cette mégère ne savait pas qui elle était.

Tout en prenant son café, Gina DeMott Capwell Lockridge jouait avec son téléphone portable. Elle se languissait de savoir si Jay Spence avait pu sortir des profondeurs de l'océan l'épave de l'Amanda Lockridge.

- Tiens, une vieille connaissance !

Surprise par le son de la voix, Gina renversa son café sur la table, manquant de peu de salir son nouvel ensemble. Très vite, elle leva les yeux sur l'homme qui se dressait devant sa table. En le voyant, son sang ne fit qu'un tour.

- Ce n'est pas... Pas possible. Dites-moi que je rêve...

- Et non, Gina, c'est bien moi.

Sans demander l'autorisation, l'homme s'installa face à Gina.

Après quelques secondes, Gina retrouva tous ses esprits.

- Kirk... Quel mauvais vent t'amène à nouveau, ici ?

- Le vent de la vengeance...

Kirk offrit son plus beau sourire à son amie ou ennemie, tout dépendait en fait des avantages...

- Alors, comme cela, on t'a laissé sortir...

Kirk posa sa main sur le bras de Gina.

- Oui, Gina, je suis bien là. Et tu peux le raconter à qui tu veux, ce n'est même pas un secret !!!

- Oh, Kirk, tout cela est du passé pour moi. Avec le temps, j'ai changé, radicalement...

- Changée, changée... Oui, de mari... Ah Ah Ah !!!

- Si c'est pour m'insulter, tu peux prendre une autre table. Kirk, je n'ai pas plus peur de toi maintenant qu'il y a des années...

- Voyons, Gina, je te taquinais... Alors, que projette Gina pour l'heure...

- Comment ça ?

- Je te connais trop bien, Gina. Je vois parfaitement à ton regard que tu es en train de préparer un coup fumant, comme à ton habitude.

Bien plus bouleversée qu'elle ne le laissait paraître, Gina recherchait un moyen d'échapper à Kirk Cranston. Elle ne voulait pas avoir à parler soit à Jay Spence, soit à Patterson devant lui. Tout sourire, elle ramassa ses affaires.

- Oh, ce temps-là est révolu. Je suis une femme rangée maintenant. D'ailleurs, il faut que je parte. Pour fêter nos retrouvailles, je te laisse payer l'addition.

Et Gina s'éloigna sous le regard interrogateur de Kirk.

Celle-là, il faut la surveiller comme du lait sur le feu. Je suis certain qu'elle est en train de préparer quelque chose. J'y mettrais ma main au feu; il n'y a qu'à voir les étoiles dans son regard. Bah, après tout, qu'importe. Elle doit certainement être en train de comploter pour passer une nouvelle fois la corde au cou au vieux Capwell. Mais cette fois-ci, elle ferait mieux de s'abstenir, car quand j'en aurais fini avec lui, il ne lui restera rien. Rien...

Gina quitta l'Orient Express avec précipitation. A plusieurs reprises, elle se retourna pour s'assurer que Kirk Cranston ne la suivait pas. Son cerveau travaillait à vive allure.

Il faut que je m'éloigne le plus vite possible de là, et que j'aille au milieu du monde.

Gina s'engouffra dans State Street et se mélangea aux nombreux touristes.

Ici, je serais en sécurité. A moins que je ne me rende sur la jetée. C'est ça, je vais aller sur le port. Là, il ne me retrouvera pas.

Avec une démarche mal assurée, Gina traversa toute la rue commerçante de Santa Barbara et finit par accéder à la promenade, en bord d'océan.

Comment se fait-il qu'il ose revenir ici ? Si Channing le sait, il est fini. Il ne pourra pas accepter qu'il revienne librement en ville, après tout ce qu'il a fait. Si j'allais voir Channing, peut-être qu'il accepterait de payer pour avoir une telle information. C'est dommage, je ne lui ai même pas demandé où il habite... Combien je peux demander à Channing pour un tel renseignement : 1000 dollars, non 5000, cela me parait correct. En plus, rien qu'en apprenant la nouvelle, il pourrait me faire un arrêt cardiaque.

- Oh, mon Dieu, lâchez-moi...

Gina se mit à hurler. Elle s'arrêta net lorsqu'elle reconnut la voix de l'homme qui l'avait agrippée par le bras.

- Madame Lockridge, c'est moi, Jay Spence.

Tout de suite, elle s'éloigna de lui.

- Ah oui, Jay Spence...

- Excusez-moi si je vous ai fait peur.

- Non, non cela ira.

- Je voulais vous dire que j'ai fait comme vous m'avez dit, le bateau a été transféré là où vous l'avez ordonné...

- Le bateau...

- Oui, votre associée nous a remis les documents, ainsi que l'argent.

- Mon associée ?

Réalisant que Madame Lockridge ne comprenait pas ses propos, Jay Spence lui expliqua tout depuis le début : la visite de l'autre femme, les ordres de déplacer l'épave, de ne rien dire...

- Vous pouvez me décrire la femme que vous avez vue ?

Jay décrit avec facilité le visage d'Augusta Lockridge.

- La garce, elle va me le payer.

- Tout va bien ?

- Très bien. Je vous remercie. Je vous recontacte.

Le sang battait aux tempes de Gina. Ainsi, Augusta voulait se mesurer à elle. Et bien, elle allait être servie. D'accord, au combat physique, elle pouvait perdre, mais là, elle la mettrait KO. Folle de rage, Gina héla un taxi et partit pour la villa Lockridge, certaine de régler son compte à cette intrigante d'Augusta.

- Je vais lui faire la peau... Je vais vraiment lui faire la peau à celle-là...

 

Villa Lockridge.

Le taxi déposa Gina juste devant le portail blanc qui veillait sur la propriété. Instinctivement, une fois descendue du véhicule, Gina chercha à l'intérieur de la propriété voisine, celle des Capwell. Puis, elle rassembla sa détermination et sa hargne, et partit en direction de la villa Lockridge.

- Quand j'en aurai fini avec elle, elle n'aura qu'une seule envie : quitter la ville.

Gina poussa la porte de la villa et tomba sur un joli tableau de famille. Lionel était en train de donner à manger au petit Creighton, tandis que, installées sur des coussins autour de la table basse, Julia et Augusta travaillaient sur le projet de Pacific Sud. Gina ne prêta aucune attention à Lionel, toute sa haine se concentrait sur Augusta.

- Et bien, après tout ce que tu viens de manger, je crois que tu vas faire un gros dodo, maintenant...

- Lionel, à te voir, tu seras parfait pour le rôle du grand-père de l'année...

- Ne parle pas de malheur, Julia. Parce que si Lionel est grand-père, cela veut dire que je serais grand-mère... Et je me sens encore trop jeune pour cela.

Tout le monde se mit à rire.

- Trop jeune, simplement parce que la science fait des miracles !!

- Gina...

- Excuse-moi, chéri.

Gina s'empressa de rejoindre Lionel et de lui déposer un long baiser sur les lèvres.

Discrètement Julia murmura à sa soeur.

- Attention, la sangsue est de retour... Comme quoi tout conte de fée doit avoir sa sorcière...

Gina ne pu répondre, elle accompagna Lionel à l'étage, pour aller coucher son fils. En passant à côtés de ses rivales, elle siffla.

- Si c'est pas triste, deux soeurs, deux femmes délaissées... Obligées de se lancer dans les affaires pour compense le manque affectif !!!

Julia la fusilla du regard.

- Je déteste cette femme.

- Ne t'en fais pas... Tout le monde tombe un jour de son piédestal. Gina n'échappera pas à la règle.

- Si tu pouvais dire vrai !!!

Et pour oublier Gina au plus vite, elles se replongèrent dans l'étude des plans de Pacific Sud. Poussé par une réelle dynamique, le projet avançait à grands pas. Tant Channing qu'Augusta s'y investissaient à fond; l'un comme l'autre pour des raisons différentes.

Passé quelques minutes, des pas vifs se firent entendre dans l'escalier, et Gina apparut sur le pas de la porte.

- Alors les filles, si on passait aux choses sérieuses !

Augusta et Julia levèrent la tête.

- On s'ennuie, on n'a plus d'hommes à se mettre sous la dent... Tu as raison, Augusta, je ne suis pas comme Julia, moi les hommes je les garde, ils ne sont pas obligés de fuir.

Julia s'empourpra, arma une main, mais Augusta la retint.

- Laisse-là. Elle accumule les noms de famille, tel le bottin. Elle ne s'arrêtera que lorsqu'elle aura dépassé les dix. Et après, elle va nous faire des leçons de morale. Nous, nos enfants, on les a fait naturellement, on n'a pas été besoin de jouer avec des glaçons.

- Espèce de garce...

Augusta s'était levée, elle jubilait.

- Tu crois que tu me fais peur, vieille sorcière ? Tu oublies qui partage mon lit...

- Oui, et pour l'heure, il me semble qu'il passe plus de temps avec son ancienne maîtresse, son ancienne femme, que l'épouse en titre. Peut-être qu'elle ne lui apporte pas ce qu'il cherche.

- Oh...

- Gina, va jouer ailleurs, tu n'es pas assez forte.

- C'est ce qu'on va voir. D'ailleurs, je vais retrouver le bateau. Peu importe de savoir où tu l'a caché, je le retrouverai.

Du haut de l'escalier, la voix de Lionel gronda.

- Vous ne pouvez pas faire moins de bruit, j'essaye d'endormir un enfant, moi.

- Ca m'étonnerait.

- Je suis déjà sur la piste, et je le retrouverai.

- Quelle bateau, Augusta ?

Augusta pâlit.

- Très bien, il est temps pour toi qu'on passe à la vitesse supérieure. Julia, téléphone à Clayburn pour qu'il vienne sur le champ, avec le codicille.

- Le codicille ?

- Il comprendra, va.

Julia s'exécuta.

- Je vais te faire payer, Augusta, de me doubler. Tu me crois née de la dernière pluie ? Je percerai le secret, que tu le veuilles ou non...

- Fais très attention, Gina. Tu risques d'être déçue quand tu verras qu'il n'y a rien. Et ce bateau va te faire plonger, toi. Et ta chute va être magnifique.

Les deux femmes continuèrent encore de se battre verbalement. L'arrivée des plus rapides de l'avocat Mike Clayburn Junior mit fin à leur dispute. Ils se dirigèrent vers l'extérieur. Seuls Julia et Lionel restèrent dans la villa.

- Allez-y Mike, lisez le premier codicille de ma belle-mère.

- Vous êtes sûre, Madame Lockridge ?

- Arrêtez de l'appeler ainsi, il n'y a qu'une madame Lockridge ici, et c'est moi.

- Allez-y Mike, je sais que Minx avait demandé de ne l'ouvrir qu'un an après sa mort, et uniquement si Lionel était encore marié avec... avec cette mante religieuse...

Gina fusilla du regard Augusta.

- Très bien, mesdames...

Mike Clayburn dégrafa le scellé qui retenait l'enveloppe.

- Ceci est un des codicilles rédigés par Minx Lockridge. Ce dernier a été rédigé au cours de l'été de l'année 1992. Il s'agit en fait d'une lettre adressée à Augusta. La lettre est accompagnée de plusieurs documents. A l'heure actuelle, seuls Augusta Lockridge et moi-même sont au courant de son contenu.

Gina regardait Mike Clayburn et semblait ne pas comprendre.

- Et en quoi cela me concerne ?

- Voulez-vous vous asseoir ?

- Non, Mike, allez-y. Au plus vite c'est fait, mieux ce sera.

- Très bien.

Mike ouvrit la lettre, il prit une voix plus grave.

- Ma chère Augusta. Avec le recul, je me rends compte combien je vous ai mal jugée. De toutes les femmes qui ont traversé la vie de mon fils chéri, vous n'étiez pas la plus mauvaise. Loin s'en faut. La dernière madame Lionel Lockridge est une garce de la pire espèce. Parfaitement incapable du moindre goût, du moindre savoir-vivre, elle passe son temps à gaspiller l'argent, à comploter pour redevenir une énième fois madame Channing Capwell. Si tel pouvait être le cas, elle sortirait de ma famille, et voir cela serait pour moi une très grande joie.

- Je ne suis pas venue pour me faire insulter, surtout par une morte.

- Ne bougez pas.

Les yeux d'Augusta lançaient des éclairs. Et Gina obéit... Une partie d'elle s'attendait au pire. Mike reprit :

- C'est pour cela que je vous ai laissé ce codicille. Je vous offre le moyen de vous débarrasser d'elle définitivement, si toutes vos autres tentatives pour récupérer Lionel sont restées infructueuses. Je vous joins tous les documents certifiés conformes et valides par différentes cours de justice pour la foutre hors de ma propriété. Je vous lègue l'acte de mariage entre Stockman DeMott et Gina Blake, célébré le 1er avril 1977. Vous verrez que le juge qui a validé ce mariage, célébré sur un lit d'hôpital pour Stockman, n'est pas en fonction à cette date. Il a été déchu pour corruption.

Gina palissait à vue d'oeil. Son passé, les heures sombres de son passé, explosaient littéralement.

- Co... Comment ?

- Taisez-vous, ce n'est pas fini.

- A la mort de Stockman, Gina devait hériter de sa fortune. En réalité, elle a tout donné à des neveux et nièces de Stockman. Afin d'acheter leur silence et ne pas aller à un procès, elle s'est déchargée de l'héritage. Je joins à cette lettre les doubles des courriers échangés entre elle et la famille de Stockman, ainsi que les documents signés par un avocat.

Gina s'appuya contre un arbre. Son coeur battait la chamade.

- Comment a-t-elle su ?

- Continuez, Mike, le meilleur reste à venir...

- Augusta, enfin, vous trouverez l'arme absolue : le double du certificat originel de l'acte d'adoption du petit Brandon DeMott Capwell. L'acte précise bien que l'adoption ne peut être valide que si, et uniquement si, Gina et Stockman sont unis par les liens du mariage. Tout manquement à cette clause rend l'adoption caduque. Cette volonté à été imposée par C.C..

- Je pense que c'est suffisant, Gina.

Augusta se tourna vers sa rivale. Gina était défaite. Au sens littéral du terme.

- Ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible...

- Merci, Mike.

Augusta souriait, tel un fauve qui va achever sa proie.

- Alors, on ne dit plus rien ?

- Ce n'est pas possible...

- Gina, réveillez-vous !

- Non, ce n'est pas vrai. Ce sont des mensonges...

- La ferme !

Augusta leva une main, comme pour la gifler.

- Je me moque de l'adoption de Brandon. Sincèrement, je n'ai que faire de lui.

Gina recommença à respirer

- Gina, je vous laisse trois jours pour quitter définitivement cette villa et mettre un terme à votre mariage avec Lionel. Trouvez vite une bonne raison... Et je vous ordonne en plus de ne plus chercher à trouver l'épave de l'Amanda Lockridge. Je vous jure que si j'apprends que vous tournez autour du bateau, j'irai voir Channing et je lui remettrai en main propre ces documents. Je suis certaine qu'il voudra alors reprendre Brandon. Contre lui, c'est certain, vous perdrez la garde.

- Mais... Que vais-je dire à Lionel ?

- Je m'en fiche. Je veux que vous partiez et que vous laissiez le passé reposer en paix. Me suis-je montrée assez claire ?

Folle de rage, mais vaincue, Gina baissa la tête.

 

Campeche.

Santana profitait de la fin de matinée pour se promener dans les rues colorées de la ville. Du Mexique, c'est ce qu'elle préférait : cette prolifération de couleurs sur les murs des maisons, cette abondance de parfums, de senteurs nées de l'océan, de la végétation, et en particulier des bougainvilliers qui ornaient quasiment chacune des maisons. Depuis qu'elle avait quitté la Californie, elle avait puisé dans les anciennes racines de sa famille, une nouvelle force qui lui apportait bien avant tout une réelle sérénité. Avec la mort de son père, elle avait choisi de s'installer ici, afin d'honorer la mémoire de Ruben.

- Papa, j'espère qu'où que tu sois, tu continues à être fier de moi.

Mais, pour l'heure, Santana Andrade avait bien mieux à faire. Dans quelques minutes, elle devait partir pour visiter une fabrique d'azulejos, afin de vérifier si les clauses du contrat de collaboration qu'elle avait rédigées étaient parfaitement respectées. Elle se plaisait dans ce nouveau rôle de chef d'entreprise.

Après avoir vérifié une nouvelle fois l'heure à sa montre, peut-être la vingtième fois en moins de dix minutes, Santana prit place à la terrasse d'un café et elle commanda un jus de mangue. Tout en sirotant son jus de fruits rafraîchissant, Santana sortit son téléphone portable et, de mémoire, composa un numéro.

- Allô ?

- Oui ?

- C'est moi. C'est Santana, je ne te dérange pas ?

- Non, j'ai le temps de te parler.

Santana reposa vers l'arrière ses longs cheveux d'ébène. Puis, nerveusement, elle battait sur la table, le rythme de ses battements cardiaques.

- Je t'appelais pour savoir si tu as bien reçu les passeports.

- Oui, il sont arrivés avant-hier, il me semble. J'ai pu les mettre de côté. Personne ne se doute de rien.

- Tant mieux.

- Santana, tu es certaine que c'est la meilleure solution ? Tu ne préfères pas revenir, toi, à Santa Barbara ?

- Non. Je t'ai déjà dit que cela m'était impossible.

- Depuis ton départ, les choses ont certainement dû changer.

- Peut-être, mais je ne veux pas y retourner. Je n'ai rien à y faire.

Un silence pesant s'établit. Puis Santana reprit la conversation.

- Et toi, tu es certaine que tu pourras le faire ?

- Je pense. Je te l'ai promis, Santana.

- D'accord. Alors, je te recontacterai pour te confirmer la date et l'heure et je te ferai suivre les billets d'avion.

- D'accord. J'attends ton coup de fil.

- A bientôt.

- A bientôt, Santana. Et prends soin de toi.

- Merci.

Santana raccrocha. Et elle poussa un long soupir de soulagement. Tout se déroulait comme prévu. Il ne lui restait plus qu'à se procurer les billets d'avion, ce qui lui serait aisé, la première période de vacances scolaires approchait et nombreux seraient les vols entre la Californie et le Mexique.

Santana quitta sa table et partit en direction de sa voiture.

 

Musée d'histoire naturelle de Santa Barbara.

- Je te remercie d'être venue, Sophia.

Devant l'entrée du musée d'histoire naturelle de la ville, Lionel accueillit avec un franc sourire sa douce amie, Sophia. Cette dernière, contrairement à leur dernière rencontre, ne se blottit pas dans ses bras. Elle restait sur ses gardes et son visage trahissait une réelle inquiétude.

- Je crois que je n'aurais pas dû venir...

- Si, si, au contraire, tu as bien fait...

Lionel empoigna Sophia par le bras et ils pénétrèrent dans le musée.

- Je ne comprends pas pourquoi Channing veut que je te vois... Je lui ai avoué pour nous, tu sais. Et je crois qu'il ne nous en veut pas.

- Tu crois cela ?

- Oui... Enfin, je ne sais pas. Tout est si étrange depuis mon retour.

Une fois dans l'enceinte du musée, Sophia sentit ses craintes s'apaiser : Lionel ne lui ferait aucun mal ici, il y avait bien trop de monde. Avant de parler, ils commencèrent la visite. Lionel la conduisit voir les reproduction des grands fauves, les mammifères marins, puis il choisit de lui montrer les différents hommes qui avaient peuplé la Californie.

- Lionel, pourquoi cette visite ? Pourquoi tout ce temps...

- Pour passer simplement du temps avec toi. Je crois que tu l'ignores, mais depuis quelques temps, tu habites sur le Kallysta et nous nous voyons tous les jours...

- Sommes-nous...

- Non. Juste des amis. De très très bons amis... qui se sont retrouvés au fil des années.

- Et Channing ?

- Channing... Channing... Je crois qu'il me déteste encore plus qu'avant. Et parce qu'il est très amoureux de toi, il cache au plus profond de lui ce sentiment... Et pire que tout, il ne nous comprend pas. Notre relation échappe complètement à son raisonnement.

Ils s'assirent sur un banc face à une fidèle retranscription de l'époque coloniale espagnole.

- Channing est passé me voir.

- Toi ?

- Il veut que je parle du passé... Du nôtre, du vôtre... Bref, que je comble un peu les silences qui résonnent en toi. Et là, j'avoue que je ne sais pas par où commencer.

- Des souvenirs me reviennent par moments... Je me souviens des pleurs de Kelly lorsque je l'ai laissée pour te rejoindre sur le bateau. Je me souviens de ma peur, lorsque je t'ai parlé de rupture...

Lentement alors, Lionel lui raconta l'accident. Il lui confia aussi sa peur de l'avoir tuée, du sentiment de culpabilité qui l'avait maintenu éloigné de Santa Barbara. Lionel lui conta ses années d'errances, du manque qui l'avait accompagné, de la peur et de la joie entremêlées lorsqu'il perça à jour le mystère Dominic. A l'annonce de Dominic, Sophia sursauta. Alors Lionel lui parla de cet homme, de Joe, de l'enquête sur le meurtre de Channing Capwell Junior. Il lui parla de tous les suspects, n'omettant aucun nom. Puis, de fil en aiguille, il lui parla de ses enfants : de l'histoire d'amour d'Eden et Cruz, de Kelly et Joe, en passant par Ted et Hayley. Il évoqua même en souriant l'histoire de Ted et Laken. Un Capwell et une Lockridge. Et il glissa lentement sur ce lien étrange qui unissait leurs deux familles. Il lui avoua le secret de Minx : le fruit de leurs amours, Brick Wallace...

- Notre fils est vivant !! Vivant !!!

Sophia n'en revenait pas. La nouvelle la submergea. Alors, elle prit la main de Lionel et la serra très fort. Inconsciemment, leur amitié se renouait.

- Oh oui, il est vivant.

Lionel lui confia tout de leurs retrouvailles, puis du départ de Brick pour le Canada.

Sophia pleurait : sa vie se reformait un peu dans son coeur, ne restait que son esprit à convaincre de cette réalité.

- J'ai été si content, Sophia, de cet enfant... Si fier que notre amour se soit concrétisé au travers de Brick. Et puis, ce qu'il y a de merveilleux, c'est que certes cela nous a rapprochés, mais en plus cela unit enfin nos deux familles, et ni Augusta, ni Channing, lui en veulent. Crois-moi. Ils ont fait la paix avec lui.

Lentement, la conversation glissa sur Channing. Lionel se transforma en conteur et lui narra l'histoire de Channing et Sophia. Il lui parla longuement d'amour, d'amour et de fierté, d'amour et de liberté, d'amour et de renoncement, d'amour et d'orgueil, d'amour et de joie... Il lui parla de T.J., de Gina, de Ken, de Pamela... De l'incompréhension de Channing à se livrer et accepter l'autre, de sa fierté à elle, d'être indépendante...

Et ainsi, au bout de près de trois heures, il lui conta l'histoire de Santa Barbara.

- Merci, Lionel.

- Merci, mais de quoi ?

- D'être là. De ton honnêteté.

- C'est normal.

- Tu sais, j'ai revu Mason, et lui aussi s'est montré honnête avec moi. Il m'a posé des questions sur le jour du meurtre. Je crois qu'il pense à une nouvelle piste. Il cherchait à savoir les invités...

Tout en quittant le musée pour un restaurant, Lionel et Sophia plongèrent dans le passé de cette journée de juillet 1979, où le destin bascula...

 

Salle de réunion d'Armonti's.

- Bien, puisque tout le monde est présent, je propose qu'on commence cette assemblée extraordinaire.

Assise sur le fauteuil directorial, Venise Armonti dirigeait en main de maître la nouvelle assemblée extraordinaire d'Armonti's. Elle redressa le fauteuil de cuir noir, tout en observant un à un les membres de son conseil d'administration. Elle planta ses yeux de braise dans chacun des regards, pour bien leur montrer qu'à présent, c'était elle la maîtresse de cérémonie. Elle commença par Mort, qu'elle avait à sa botte, puis par Aaron et Arthur, les représentants des petits porteurs, George, le fidèle bras droit de Sophia. Elle s'attarda un instant sur lui, comme pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas peur de lui. Puis son regard passa rapidement sur sa tante par alliance et son nouvel ami, Lionel Lockridge. Aux côtés de Venise se tenait debout, droit comme un i, Gianni, son homme de confiance. Transfigurée en femme d'affaires, Augusta toute de vert vêtue, s'activait à offrir aux lecteurs une interprétation de ses rêves. La maquette était à l'image de sa créatrice : sexy, féminine et surtout, elle faisait la part belle au renouveau des Lockridge.

- Avant de commencer la séance, je tiens à signaler que le vote de Cosmetic's Art m'est acquis. J'ai ici un document signé de la main de son directeur général, qui me laisse les pleins pouvoirs. Sophia, je peux donc dire, bien que nous partageons la présidence, que je représente pour l'heure 40% de la société.

- Effectivement, Mademoiselle Armonti, nous avons convenu à notre dernière assemblée que vous partagez la présidence avec Sophia Armonti, et ce sans regard au nombre de parts détenues par l'une ou l'autre des parties.

Sophia restait immobile sur son siège. Elle ne comprenait pas ce qui se passait, d'ailleurs elle ne reconnaissait personne. Elle s'était rendue à cette réunion suite à l'insistance de Lionel. La jeune femme brune, assise en face d'elle, lui semblait vaguement familière, bien qu'elle se sentait parfaitement incapable de la situer. Pour l'heure, son esprit se concentrait sur le passé, sur son propre passé, dont elle espérait retrouver les fils. Elle n'écoutait ni les idées de Venise, ni les objections de George ou de Lionel.

Alors que le ton montait dans la réunion, discrètement, par une porte située sur le côté, Marcello entra dans la salle de réunion. A la dérobée, il observait Sophia. Il reconnut sur le champ le regard de la femme qui traversa sa route, un jour de mai 1969. Il y lisait la même peine et la même force. Marcello souri à l'adresse de Venise : la raison de Sophia avait bien basculé, il en était certain.

- D'accord, je veux bien accepter de partager la co-présidence avec Monsieur Lockridge, ici présent; mais, je vous assure que pour le bien de la société, il faudra trancher.Il n'y a qu'à voir la perte de notre action. Depuis mon retour, nous avons perdu plus de vingt points par rapport à notre concurrent.

- Il n'y a qu'à rendre la présidence à Madame Armonti. La vraie.

- Monsieur Lockridge, vous me paraissez bien naïf... Si vous croyez que je n'irai pas jusqu'au bout... C'est bien mal me connaître.

- Ce que je constate, c'est que pour d'obscures raisons, dont je ne veux pas discuter, vous êtres prête à détruire la société de votre oncle...

- Non, pas à détruire. A reprendre le contrôle.

Tout le monde, comme à un match de tennis, observait tout à tout les ripostes des deux adversaires.

- D'ailleurs, je vais vous montrer que je ne cherche pas à détruire la société...

Venise fit un signe à Gianni, qui s'éclipsa et qui revint trente secondes plus tard, accompagné de T.J. Daniels.

- D'ailleurs, voici le mannequin principal de ma nouvelle campagne. En Italie, nous obtenons plus de cinq fois le chiffre d'affaires du marché américain, en ce qui concerne le marché masculin. Pour inverser ici la tendance, j'ai décidé de lancer une contre-offensive. Voici le mannequin vedette de ma nouvelle campagne, Sous le ciel de Toscane...

T.J. s'avança. Il était élégamment vêtu d'un costume en lin, pantalon blanc, veste blanche portée à même la peau. Son corps musclé et halé mettait parfaitement en valeur le costume.

Tout en présentant son modèle, Venise distribuait des photos de T.J. aux différents actionnaires.

- Sous le soleil de Toscane est le deuxième point fort de ma politique, après l'installation de SPA dans nos plus grands magasins. Les hommes jeunes, virils, vont chercher à s'identifier à notre modèle...

Lionel reconnut tout de suite l'ancien amant de Sophia. Pensant qu'il en était de même pour elle, Lionel lui prit la main et la serra dans la sienne. Il aspirait à lui transmettre de sa force.

Mort semblait bien entendu acquis au projet de Venise. George ne savait que dire, car il savait que les chiffres sur le marché américain pour les hommes était catastrophique. Et au premier abord, la campagne de Venise ne lui paraissait pas si inutile que cela. Il chercha du soutien auprès de Lionel et Sophia.

Sophia restait de marbre et avant tout muette. Si son regard s'était posé sur T.J., elle ne le reconnut pas. Lasse de tout ce monde, de tout ce bruit, elle détourna la tête et elle remarqua alors la présence d'un homme assis sur un fauteuil roulant, et qui la dévisageait. Leurs regards se croisèrent. Sophia essaya d'articuler un mot, et seul Marcello nota cette différence de comportement. Autour d'eux, tout le monde parlait, criait sur l'objectif de cette nouvelle campagne.

Lionel finit par remarquer une nouvelle raideur dans la main de Sophia. Il se tourna vers elle et elle lui glissa doucement à l'oreille.

- Cet homme, je le connais...

Lionel songea à T.J.. Il ne savait quoi répondre.

- C'est... C'est exact, Sophia, tu le connais.

- Avant il n'était pas tout à fait comme cela.

Lionel avait beau observer T.J., il ne lui trouvait aucune différence.

- Je propose donc d'ajourner la réunion et de considérer comme officiel le lancement de la campagne Sous le ciel de Toscane... Il me semble que la co-présidente n'a rien à dire. Peut-être sur le choix du modèle... Peut-être veut-elle voir la collection de sous-vêtements...

Venise explosa de rire.

- Merci.

Lionel se leva le premier.

- George, je vous confie les détails à voir avec...

- Très bien, Monsieur Lockridge.

Lionel aida Sophia et il la fit sortir de la salle avant que T.J. ne puisse venir l'importuner. Au passage, il passèrent près de Marcello. Sophia ne put s'empêcher de l'observer.

Une fois dans le couloir, ils tombèrent nez à nez avec le mannequin.

- Bonjour, Sophia.

T.J. tendit une main vers Sophia.

- Je ne pense pas que ce soit ni le lieu, ni le moment pour des retrouvailles. Vous étiez parti pour Palm Springs et vous auriez dû y rester.

- Ce n'est pas à vous que je parlais, mais à Sophia.

Sophia restait immobile entre les deux hommes.

- Sophia, je suis si content de te revoir.

- Laissez-la tranquille.

Violemment, Lionel écarta T.J..

- Je suis revenu, Sophia, pour te voir.

- Vous ne trouvez pas que vous en faîtes trop ? La scène de l'amoureux transi, c'est peut-être un peu déplacé, non ?

- Lâchez-moi. Sophia, on se reverra...

T.J. s'éloigna, et Lionel et Sophia purent prendre l'ascenseur.

- Lionel, qui est cet homme ?

- T.J.. Oh, pas grand-chose...

- Non pas lui, celui sur le fauteuil roulant. Je crois que je me souviens de lui.

- Marcello ! !

- Peut-être. Mais, c'est étrange, son regard posé sur moi... Il me semble que ce n'est pas la première fois. Peux-tu me dire qui il est ?

- Marcello... C'est l'homme qui t'a trouvée sur la plage, le jour de l'accident..

Et alors qu'ils quittèrent le building où se trouvait le siège d'Armonti's, Lionel dévoila une partie du passé à Sophia. Il lui parla de Marcello, de cet homme qui la sauva en 1969, qui prit soin d'elle, puis la conduisit en Italie, où elle épousa le père adoptif de Marcello, l'oncle de Venise, à savoir le Comte Armonti.

 

Hôpital de Vancouver. Canada.

Au chevet de Brick, toujours dans le coma après son opération, Jane pleurait, priait Dieu pour que Brick ouvre enfin les yeux. Elle venait de quitter le capitaine de l'unité dans laquelle Brick travaillait : à nouveau, il lui avait témoigné son soutien. Jane l'en remerciait. Elle qui se trouvait loin de sa famille, appréciait d'avoir une présence à ses côtés.

- Je n'ai pas encore réussi à joindre Lionel ou Sophia. A chaque fois que je téléphone chez Lionel, je tombe sur cette mégère de Gina. Et je ne veux pas lui laisser de message. Demain, je préviendrai les Capwell... Même si je sais que tu ne le souhaiterais pas, je suis certaine que c'est la meilleure chose à faire... Demain, je préviendrai ta mère... Oh mon chéri, j'ai tant besoin de toi. Johnny aussi a besoin de son papa.

Jane prit la main de Brick dans la sienne. Elle ferma les yeux et laissa le temps s'écouler lentement.

 

Villa Capwell.

Channing referma la lourde porte de sa villa derrière Julia et Daniel. Toute son équipe à présent était là. Ils allaient pouvoir se mettre au travail et tenter de réparer les dégâts causés par la lettre de Mason au journal, et publiée par Deanna Kincaid

- Venez, on va se mettre dans le bureau, on sera mieux pour travailler.

- Comment se porte Sophia, Channing ? Est-ce que je peux passer la voir avant de commencer ?

- Non. Pour le moment, elle dort. Elle a pris un sédatif. Elle a été obligée de se rendre à une réunion pour Armonti's et quand Lionel l'a ramenée, elle était dans tous ses états.

- Et ce n'est pas bien...

- Je ne sais pas. Et sincèrement, pour l'instant, je songe à la survie des Entreprises Capwell. Et puis, Lionel est à son chevet.

Augusta qui accompagnait Julia ne broncha pas. Après avoir réglé son compte à Gina, elle avait eu une longue conversation avec son ex-mari, et si Julia n'était pas rentrée à ce moment dans le salon, Augusta était certaine que Lionel aurait fini dans ses bras.

- Je suis certaine que mon époux saura trouver les mots pour réconforter Sophia.

- Je n'en doute pas, Augusta.

C.C., accompagné de Julia, Augusta et Daniel, entra dans le bureau. C.C. exigea de la bonne qu'on ne les dérange qu'en cas de nécessité absolue. Tout le monde s'installa autour du bureau. Channing prit place sur son fauteuil en cuir, à sa droite se tenait Harold. Et face à lui, Augusta, Julia, Daniel et Pilar. Harold sirotait un verre d'alcool.

- Quand je pense à tout le travail que nous avons fait pour cette campagne... Echouer si prêt du but serait catastrophique.

- Mais nous n'allons pas échouer...

Devant lui, Channing avait tourné le journal, pour que Julia en particulier puisse lire l'article.

- Je pense que je ne vais pas vous apprendre une grande nouvelle si je vous dit que Mason a encore une fois ouvert les hostilités contre moi.

Julia se terra dans son fauteuil.

- Cette fois-ci, il a encore dépassé les bornes... Avez-vous lu les propos qu'il tient à mon sujet... Et dire que c'est mon fils !!! C'est inadmissible... Vous en conviendrez, Julia, cette fois-ci je ne peux pas laisser passer cela. Raconter que depuis la mort de Channing Junior, je ne vis que dans l'attente de voir un héritier potentiel et que j'ai créé de toutes pièces Harold... C'est pure folie.

Tout le monde autour du bureau se dévisageait.

- Sincèrement, Channing, je ne vois pas où est le mal...

- Mais, Julia, vous ne comprenez pas. Je fais tout pour que Harold soit indépendant de moi, et cet article me dépeint comme un parrain de la mafia. Comme si je commandais tout le monde... Ma famille, mes enfants, mes actionnaires, tout le monde... Julia, il est impératif que vous donniez une conférence de presse où vous démentirez tout.

- Channing, pour vous connaître un peu, je peux dire que l'image dépeinte par Mason n'est pas loin de la réalité...

- Augusta, cette fois-ci je vais me passer de votre avis. C'est à Julia que je parle.

Julia se leva et passa derrière son fauteuil. Elle cherchait à mettre de la distance entre Channing et elle. Entre les problèmes de Sophia et ceux des Entreprises Capwell, elle le sentait au bord de la rupture.

- Channing, si vous me demandez de trahir mon époux, je vous préviens tout de suite, c'est non.

- Trahir... Trahir... Non. Juste rétablir la vérité.  Etes-vous de mon côté, Julia ?

- J'ai accepté de défendre les intérêts des Entreprises Capwell dans le cadre de l'incendie. Je n'ai jamais dit que je serais aux côtés de Harold pour sa campagne.

- Julia...

- Sincèrement, Mason est le père de ma fille, je me dois de lui rester fidèle.

- Parce que vous croyez qu'il l'est avec vous ou avec moi ?

- Les problèmes entre Mason et moi ne regardent que moi.

Alors que le ton ne cessait de monter, on frappa à la porte.

- J'avais ordonné qu'on ne nous dérange pas.

- Monsieur Capwell, des hommes de la police désirent vous parler.

- Voulez-vous que j'aille voir, Channing ?

Channing se leva.

- Merci Daniel, mais nous allons tous y aller.

Tout le monde suivit Channing dans l'atrium, à l'exception de Julia, qui s'effondra sur un fauteuil. Au passage, Daniel lui posa une main amicale sur l'épaule. Du bureau, Julia entendit que Channing hurlait dehors. Elle se leva et se précipita vers l'atrium.

Dans l'atrium, cinq hommes attendaient Channing Capwell.

- Dehors, tous, vous n'avez rien à faire ici !

- C'est là où vous vous trompez, Channing. Je sais que nous nous connaissons... Alors pour les autres, je suis David Raymond, et je suis le juge qui aura la chance de présider le procès. Vous connaissez tous notre policier, Connor McCabe. Et voici un ami... Kirk Cranston.

Channing s'étouffa. Ce n'était pas possible. Il se précipita sur Kirk et l'empoigna à la gorge.

- Dehors... Dehors, tu n'as rien à faire ici. Je ne veux pas de toi dans ma maison. Dehors !

Les deux autres policiers usèrent de toutes leurs forces pour séparer les deux hommes.

Daniel et Harold retenaient Channing.

- Mettez-le dehors, ou je le tue...

- Channing, calmez-vous, des menaces de mort ne font jamais bon effet...

- Je suis chez moi ici, et je veux qu'il parte...

- Channing, Kirk est ici comme étant mon conseiller personnel...

Kirk souriait, il jubilait de plaisir.

- Channing, après toutes ces années, me voilà de retour dans cette villa...

- Je vais l'étriper, lâchez-moi, je vais l'étriper...

Tant bien que mal, Harold et Daniel maintenaient C.C.. Julia s'avança avant que tout ne dégénère.

- Monsieur Raymond, que désirez-vous ?

David blêmit. Il ne s'attendait pas à revoir Julia comme cela, sans s'y être préparé.

- On va avoir votre peau à tous. Je vais avoir votre peau...

- Kirk ?

- J'ai ici un mandat.

Connor tendit le document à Julia.

- Dans ce mandat, il est dit que j'ai le droit de venir chercher des documents au bureau des Entreprises Capwell. D'ailleurs, des hommes sont en train de mettre les pièces à conviction sous scellés. Et il me donne l'ordre aussi de geler tous vos comptes, les privés comme ceux de la société...

Channing se figea.

- Vous n'en n'avez pas le droit.

- Si, Channing, j'en ai le pouvoir.

David s'approcha de lui.

- Je vais enfin me venger pour Angela.

Julia lisait attentivement le mandat avec Daniel.

- Channing, ils ont la loi de leur côté.

Daniel escorta les hommes dans le bureau, tandis que Channing assistait impuissant à la scène. David s'approcha de Julia et posa sa main sur son bras.

- Ne me touchez pas...

- Voyons Julia... Ne pouvons-nous pas redevenir amis...

- Amis ? Il n'en est pas question...

Il insista sa pression.

- Lâchez-moi. Même si vous avez pris de l'assurance auprès de Kirk, vous restez toujours la même personne... La même plante verte !

David la lâcha.

Tandis que les hommes fouillaient, Kirk dévisageait Channing et se moquait de lui, de sa fortune défaite.

- Pauvre Channing Creighton Capwell, te voilà sans le sou !!! C'est dommage, je n'ai même pas un dollar sur moi. Je crois que Pacific Sud s'effondre avant même d'avoir vu le jour. Channing, je te prendrais tout pour venger mon père... Je te prendrai tout jusqu'au dernier dollar. C'est la fin des Entreprises Capwell ! Quant à Pacific Sud, il ne verra jamais le jour. Je t'en fais la promesse !

- Je te...

- N'en soyez pas si sûr !

Augusta s'avança.

- Tiens, la vieille vipère d'à côté !

- Kirk, il va falloir compter avec moi. Je vais me battre pour Pacific Sud. Je saurais me défendre et je n'ai pas peur.

- Ah Ah Ah... Les choses ont bien changé si les Lockridge ont de l'argent ! !

Le retour des policiers mit un terme à la discussion.

- Allez, on a ce qu'il faut, on remballe.

Tout le monde partit. Pilar, Daniel, Harold, Julia et Augusta formèrent un cercle autour de Channing.

- Comment allons-nous faire ?

- Pour Pacific Sud ?

- Pour le procès ?

- Pour ma campagne ?

- Chaque chose en son temps.

Augusta prit la parole.

- La campagne, je m'en fiche. Pour le procès, j'imagine que, Channing, vous avez d'autres capitaux qu'on peut utiliser... discrètement.

- Et pour Pacific Sud ?

- Channing, j'ai l'héritage Tonell, je peux dépenser sans compter.

Certain et confiant grâce au soutien d'Augusta, Channing se laissa aller à la confidence. Et l'arrivée de Kirk en particulier l'avait déstabilisé.

- Augusta, il retient Ted et Warren en Irak !

- Je sais, Channing, et j'ai envoyé là-bas Craig Hunt. Il est déjà en Irak et je sais qu'il libérera nos fils...

Chapitre 15