Santa Barbara, Acte 2 | ||||||
Chapitre 1 : Tel un phoenix... |
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30 juillet 1993
Parc de la propriété Capwell.
"Effectivement comme vous le précisez, je me trouve à quelques mètres de la ligne de front de cet immense incendie. Cela fait maintenant près de cinq jours que les flammes ont commencé à s'étendre, gagnant jour après jour des kilomètres sur la forêt. Aujourd'hui, en raison du changement de direction du vent, le feu se dirige en direction de notre ville. Je peux vous assurer que les pompiers ont pleinement conscience du danger qui nous menace. Et afin d'accentuer activement leur lutte contre les flammes, ils ont installé leur quartier général au sein même de la propriété Capwell, dans laquelle je me trouve actuellement. Channing Capwell, dont la réputation n'est plus à faire à Santa Barbara, a sans hésiter ouvert les portes de sa propriété et de sa villa. Aujourd'hui, les flammes ne sont plus qu'à quelques kilomètres du quartier résidentiel menaçant dangereusement les propriétés Capwell et Lockridge. Fort heureusement, les pompiers de Santa Barbara ont reçu l'aide de plusieurs compagnies de toutes la Californie.
J'ai d'ailleurs à mes côtés le capitaine Hank Fisk, qui a la lourde tâche de coordonner les équipes au sol et les équipes aériennes.
- Capitaine Fisk, pouvez vous nous dire quel danger menace directement la ville ?
- Pour le moment, la ligne de front se trouve encore à plusieurs kilomètres de la ville. Il n'y a, et j'insiste bien, aucun danger pour la population. De nombreuses équipes au sol, solidement appuyées par les nombreux canadairs venus de tout l'Etat, parviennent à repousser les différents assauts des flammes. Il faut cependant que le vent qui a brusquement changé de sens ne s'intensifie pas dans les jours à venir. Actuellement, nous nous inquiétons pour les villas Capwell et Lockridge qui se trouvent directement sur la route des flammes.
- Capitaine, peut-on espérer que vous viendrez à bout des flammes dans les jours à venir ?
- Il est beaucoup trop tôt pour répondre à cette question. Comme je vous l'ai dit, tout dépend du vent...
- A-t-on une idée de l'origine de cet incendie ?
- Non. Il est beaucoup trop tôt pour répondre à cette question. D'ailleurs, toutes nos forces sont concentrées sur le combat contre les flammes. Ce n'est que lorsque nous aurons gagné cette dure bataille, et seulement à ce moment là, que nous pourrons nous pencher sur cette question.
- En tant que spécialiste, n'avez-vous pas la moindre idée du point de départ de l'incendie ?
- Non... Il semblerait, mais cela n'a rien d'officiel, que d'après le chemin parcouru par les flammes, l'incendie se serait déclaré près de Catalina Bay, sur un terrain appartenant aux Capwell. Mais, il est beaucoup trop tôt pour tenir comme exacte la moindre information.
- Avant de vous laisser partir, avez-vous une idée des conséquences d'une telle catastrophe sur l'environnement ?
- Comme après un tel incendie, les conséquences peuvent être des plus dramatiques. Il faut bien avoir conscience que les flammes ont ravagé des hectares et des hectares de forêt. De plus, les flammes ont détruit plusieurs entrepôts qui contenaient peut-être différents produits toxiques. Il est certain qu'on peut dire qu'il s'agit sans conteste d'une catastrophe écologique. Mais, je pense que des spécialistes de l'environnement seront mieux à même que moi de répondre à cette question. Excusez-moi, mais maintenant, il faut que je retourne à mon travail.
- Merci, capitaine Fisk, pour cet entretien."
Le capitaine Hank Fisk ramassa son casque à ses pieds, puis salua le journaliste avant de rejoindre ses hommes qui l'attendait devant la villa.
"Voilà précisément Roland ce qu'on peut dire aujourd'hui sur l'incendie. Derrière moi, comme vous pouvez le constater, tout ce qui peut être humainement fait pour lutter contre ces flammes est fait. Je crois qu'il faut conserver l'espoir. Et puis, Channing Capwell s'est lui-même impliqué sérieusement dans la lutte contre les flammes : ses propres hommes ont rejoint la grande équipe de volontaires qui prêtent mains fortes aux soldats du feu. Roland, je vous rends l'antenne, et je vous reprendrai l'antenne en cas de brusque changement."
Chambre
de Minx Lockridge.
Confortablement installée sur son lit, Minx Lockridge respirait avec difficulté. Ses traits, certes marqués par les années, ne conservaient plus ni la même fraîcheur, ni la même force que par le passé. Aujourd'hui, elle paraissait sans artifice ; simplement une vielle femme, usée par les années et fatiguée par les nombreux combats qu'elle avait dû mener.
Lentement, elle remonta le drap sur elle. Malgré la chaleur, elle n'arrivait pas à réchauffer son corps.
- Comme je vous l'ai déjà dit à plusieurs reprises, Minx, il faut que vous alliez à l'hôpital. Là bas, je pourrais vous soigner convenablement.
- Graham, vous savez très bien ce que j'en pense. Je ne veux pas aller à l'hôpital, et si vous continuez à insister, je vais finir par changer de docteur.
- Voyons, Minx, cela fait combien de temps que je suis votre médecin ? 20 ans, peut être 30. Vous n'allez pas me faire croire que vous arriverez à vous passer de moi...
Minx toussa avec violence. Gentiment, le docteur Graham Allen, médecin de la famille Lockridge depuis de longues années, remonta le cousin qui la soutenait.
- Vous savez ce que je veux, Graham... Je sais très bien que je vais mourir, et je veux mourir, ici, dans cette maison. Dans ma maison. Je ne veux plus entendre parler d'hôpital, est-ce clair ?
- Très bien. Je vais vous laisser, maintenant. Surtout reposez vous bien, et pensez à prendre vos comprimés. Je passerai vous revoir demain.
- A demain... Peut-être...
Minx tourna alors la tête vers la religieuse qui était assisse, silencieuse, sur le luxueux fauteuil de velours rouge, à côté de la fenêtre fermée depuis plusieurs jours. La religieuse tenait entre ses mains les grains d'un chapelet, et Minx en la regardant eu la certitude que durant son entretien avec son médecin, son amie n'avait pas cessé de prier pour le salut de son âme.
- Tu peux cesser de prier, il est trop tard. Enfer ou paradis, cela n'a aucune importance pour moi. J'ai commis bien trop de péchés, menti de trop nombreuses fois pour pouvoir espérer que l'on rachète mes crimes...
- Ne parle pas ainsi. Il n'est jamais trop tard pour pardonner... ou pour apprendre... Regarde moi, Minx. Qui aurait pu savoir qu'un jour je consacrerai ma vie à Dieu.
- Pardonner... Si tu savais la longue liste de mes fautes, tu ne resterais pas là, à prier pour moi. D'ailleurs, me connaissant, je serais capable de prendre le diable à ses propres piéges.
- Tu sais, pour ceux qui te connaissent, tu n'es pas comme celle que tu t'amuses à dépeindre. Je lis clairement en toi. Je sais que cette apparence qui ne te quitte pas, ce n'est que du vernis... Tout comme ta soi-disant méchanceté...
Un bruit à proximité de la chambre les fit interrompre leur conversation. Une ombre que remarqua tout de suite Minx, se dessinait.
- Encore cette traînée de Gina qui rôde... Que le diable l'emporte celle là.
Effectivement, le visage souriant de Gina Lockridge apparut à la porte.
- Belle maman, vous désirez quelque chose...
- La paix...
Emportée par sa rage, Minx fut prit d'une violente quinte de toux.
Gina, en s'éloignant de quelques pas, l'oreille tendue pour espionner la fin de la conversation, murmura assez fort pour que Minx puisse entendre :
- Rassure toi, vieille peau, c'est pour bientôt...
Après un long moment, Minx retrouva une respiration paisible et, durant tout ce temps, la religieuse avait simplement baissé les yeux, retournant à ses prières.
- Même le diable ne voudrait pas de cette garce... Je n'ai jamais compris les goûts de mon fils pour les femmes...
Minx se redressa.
- Avant de partir définitivement, il faut que je te confesse quelque chose. Nul ne doit jamais savoir... Tu sais, je n'ai jamais vraiment choisi la vie que j'ai eue. La famille Lockridge et ses secrets me sont tombés dessus par accident...
Contre le mur, Gina tendit l'oreille. Dès qu'elle entendait le mot secret, son coeur se mettait à battre plus vite, et dans ses yeux se dessinait des montagnes de dollars.
- Je suis la seule survivante aux crimes du passé. Il est normal qu'ils disparaissent avec moi. Ecoute-moi bien, car il ne me reste plus beaucoup de temps.
- Ne dis pas cela. Personne ne sait quand Il choisira de nous rappeler à lui.
Minx fut prise de nouveaux râles.
- Je n'ai pas peur de mourir, alors cesse avec des divagations. Je vais mourir. Je le sais. Et tu le sais. Alors, à quoi bon se mentir. Plutôt que de dire n'importe quoi, écoute-moi. Je t'ai donné, il y a plus de 20 ans, un coffre de bois. Je veux que tu le déposes dans mon cercueil, et qu'il soit enterré avec moi. Prends toutes les précautions que tu veux, mais personne ne doit découvrir le contenu de ce coffre. J'ai passé une partie de ma vie à me battre pour que jamais ces secrets ne remontent à la surface. Demain, je sais qu'il y a une chance pour que la page soit définitivement tournée. Il faut que tu me le promettes.
- Je te le promets si cela peut te faire plaisir. Mais tu sais, Minx, avec tout le recul que j'ai, je peux t'assurer que personne ne peut garder éternellement un secret. Il finit toujours par remonter à la surface.
- Oh, non, pas avec moi. Tu peux me croire... Et si jamais j'apprends que tu as trahi ta promesse, je te promets de venir hanter tes nuits...
De l'autre côté du mur, Gina n'en croit pas ses yeux ou ses oreilles. Son cerveau tortueux se posait mille interrogations sur l'éventuel contenu de ce coffre. Tous les sens en éveil, elle cherchait la nature de ce terrible secret qui hantait l'esprit de cette vieille Minx, alors qu'elle se trouvait à l'article de la mort. Quel secret, autre que celui lié à la naissance de Channing Capwell Junior, cachait-elle ? Non, il est impossible que Brick ne soit pas celui que tout le monde croit qu'il est... Alors que cache-t-elle d'autre ? Il faut que je le découvre. A moi, de découvrir le coffre et de le dérober avant que cette vieille sorcière n'aille rejoindre le diable...
Bureau
de la villa Capwell.
Le
coude appuyé contre le dossier de son lourd fauteuil de cuir, Channing
Creighton Capwell regardait l'agitation des pompiers par la large baie vitrée
de son bureau, qui s'ouvrait sur le parc de son immense propriété. Son
regard se perdait vers le lointain. Certes, C.C. comme on l'appelait ici,
s'inquiétait pour l'incendie. Mais au-delà des flammes, le regard de C.C.
se perdait dans le passé. Aujourd'hui, c'était un jour tragique... Cela
faisait exactement 26 ans que son fils chéri, son héritier, était mort, tué
accidentellement par Sophia... Oh, Sophia...
Pendant un court moment, des larmes troublèrent son regard. Sophia était partie de la villa. Tout comme Eden. Tout comme Ted. Et comme Kelly... Il ne lui restait plus aucun de ses enfants... Il était seul.
Des coups frappés à la porte de son bureau le ramenèrent au présent.
- Entrez.
Mason entra dans le bureau.
Non, il n'était pas seul, il lui restait un autre de ses enfants : Mason... En ce jour de triste anniversaire, la vue de Mason réveilla de vieux souvenirs. Il restait Mason, à ses côtés. Mais Mason ne serait jamais Channing Junior. Il ne lui arriverait jamais à la cheville. Durant, un bref instant, il regretta que Mason ne soit pas mort à la place de son fils tant aimé.
- Bonjour papa.
- Bonjour, Mason. Entre je t'en pris.
C.C. s'installa dans son fauteuil. Et comme à son habitude, Mason pris place sur un des accoudoirs d'un des fauteuils qui lui faisaient face.
- As-tu des nouvelles au sujet de l'incendie ?
- Non, absolument aucune que tu ne connaisses déjà, j'imagine. Le feu progresse vers la propriété. J'ai discuté avec leur capitaine, Hank Fisk, et il craint qu'une grande partie de la propriété ne parte en fumée.
- Et pour la villa ?
- Il n'a aucune certitude.
- Je ferais tout pour que la maison de mes ancêtres ne disparaisse pas.
Même si le ton se voulait menaçant, il n'y avait pas de passion dans les paroles du chef du clan Capwell. Toutes ses forces vitales se concentraient sur le sinistre anniversaire. Et plus que tout, il se languissait de revoir Sophia. Sa douce et tendre Sophia. Il avait besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer, un bras pour le soutenir. Aujourd'hui, il se sentait prêt à défaillir. Il avait besoin de son ancienne épouse comme jamais il n'avait eu besoin de quelqu'un. Cela le terrifiait. Blessé dans son orgueil, C.C. changea brusquement de sujet de conversation.
- Des nouvelles de tes frères et soeurs...
- Non. Depuis que Ted est parti au Moyen Orient, je ne lui ai pas parlé. Kelly est à New York. Quant à Eden, depuis son coup de fil, à Noël dernier, personne ne sait où elle est. Il ne reste que moi, que Mason, le mauvais fils, pour te soutenir...
- Non, je sais qu'ils pensent à moi, qu'ils pensent à lui...
- A lui... Cela m'étonnerai. Depuis toutes ces années, l'ombre de Channing a fini par quitter cette villa.
- Tais-toi. Tu ne peux pas comprendre... Channing est et restera toujours mon héritier.
- Ton fils... Tu oublies que ton Channing n'était pas celui que tu aimais... Il faudrait peut être que tu tournes la page. Channing est mort. Mort, il y a 26 ans. Et avec lui sont morts des rêves de dynastie, d'héritiers... Channing n'est pas ton fils. Il ne l'était pas il y a 26 ans, et il ne le sera jamais. Un autre, Brick a pris sa place. Brick qui n'est autre que le fils de Lionel. De Lionel.
- Tu n'as pas changé, Mason... Tu es toujours le même... A cracher du venin. A salir tout ce qui est beau et que tu ne comprends pas. Tu caches ta haine derrière peur et jalousie. Jalousie... depuis toutes ces années, tu es encore jaloux de lui. Et tu as peur... Peur de ne pas être à sa hauteur. C'est pour cela que tu ne veux pas prendre les rênes des Entreprises Capwell, parce que tu as peur...
- Peur... Si tu savais comme je plains Channing Junior et comme je te plains. Ta compagnie tu n'as qu'à l'offrir à Ted ou Kelly ou Eden quand elle reviendra... Tu me fais tellement de peine. Tu t'enfonces dans le passé, et tu en oublies le présent. Regarde toi...
Fou de colère, C.C. se leva. Les années qui passent ne changent rien. Cette bataille, cette dispute, ils l'ont déjà eu, il y a si longtemps.
Colère et rage se lisaient sur son visage.
- Comment oses-tu me défier, aujourd'hui... le jour de sa mort...
- Le jour de sa mort, papa. Il faudra bien que tu finisses par l'accepter. Il est mort. Channing junior, ton fils tant adoré, est mort.
Channing contourna son bureau et se dirigea vers son fils. Les deux hommes se défièrent du regard. Il y avait de la haine et de la rage dans son regard ; et alors qu'il plongeait ses yeux dans ceux de son fils aîné, il savait que l'affrontement ne s'arrêterait pas là.
- Pour moi, Channing est encore vivant. Il vit toujours en moi, dans les Entreprises Capwell dont il aurait repris le flambeau. C'est pour cela que tu te dois te prendre leur direction. Tu me le dois. Tu le dois à ton frère.
- Non, je ne lui dois rien. Ta compagnie je n'en veux pas.
- Mason, ne te défiles pas...
- Arrête avec ce discours, je ne l'ai que trop entendu. Ta compagnie je n'en veux pas. Comme tu dois être aux abois pour me la confier... Faut dire qu'avec autant d'enfants absents, on est obligé de se contenter de celui qui reste...
C.C. empoigna violemment Mason par le col.
- Tu sais, papa, il y a longtemps que je n'ai plus peur de toi.
- Mon pauvre garçon, tu me fais pitié. Je t'offre la fortune, je t'offre le pouvoir...
- Mason se dégagea facilement des mains de son père.
- Tu devrais finir par changer de refrain. Je ne suis pas Channing Junior, tu me l'as assez répété tout au long de ces années, et maintenant tu voudrais que je devienne lui...
Tout en parlant avec son père, Mason se servit un large verre de whisky.
- Je ne changerai pas papa. Je resterai celui que j'ai toujours été, le vilain petit canard de la famille.
- Allez bois. Bois, trouve ta force dans l'alcool, comme tu l'as toujours fait. Tu es tellement lâche...
- Ah tout ce que je pourrais faire si j'étais Channing Junior... Que ferais-je si j'étais lui...
Tout en narguant son père, Mason se resservit un verre d'alcool.
- Si j'étais Channing Junior, j'aurais une belle voiture, une puissante compagnie...
- Arrête Mason, ne l'insulte pas. C'est toute la famille que tu insultes avec lui.
C.C. s'écarta de son fils et se dirigea vers la porte. Il n'avait pas le coeur de se livrer à une nouvelle bataille, avec Mason. Pas aujourd'hui... Pas aujourd'hui...
- Bois Mason... Bois. Tu peux prendre tout l'alcool que tu veux. Cela ne fera pas de toi un homme. Tu as raison, je n'ai pas d'autres choix que toi... Mais continue sur cette route et tu n'auras rien... Rien...
C.C. laissa tomber les bras, le long de son corps. Epuisé, il avait besoin d'être seul. Seul avec les souvenirs de Channing Junior.
Resté seul, Mason se versa un autre verre, puis un autre...
- Tu as raison, je ne veux rien... Tu n'as qu'à me rayer de ton testament, cela ne serait pas la première fois...
Cimetière de Santa Barbara.
Assisse derrière le volant de sa voiture, Sophia Capwell Armonti attendait depuis de longues minutes de trouver en elle la force nécessaire pour se rendre sur la tombe de son fils. Sophia était de ces femmes d'apparence fragile, capables au fond de surmonter bien des épreuves de la vie. Et c'est ce qu'elle avait toujours fait : revenue à la vie, il y a plusieurs années, elle avait dû se battre pour se faire accepter par son mari et par ses enfants qui la croyaient morte depuis si longtemps. Elle avait dû regarder en face et surtout reconnaître aux yeux de tous sa culpabilité dans le meurtre de son fils aîné. Car, peu importait en fait ce que les autres en pensaient, c'est elle, et personne d'autre, qui a appuyé sur la détente ce soir-là. Depuis, elle vivait avec cette culpabilité au fond d'elle. Même si sa famille lui avait pardonné, Sophia, dans son coeur de mère, se sentait toujours coupable. Coupable de ne pas avoir suffisamment aimé cet enfant. Et même si par les hasards de la vie, ce fils tant aimé lui avait été rendu sous les traits de Brick, elle n'avait pas su le retenir à nouveau...
Sophia finit par cacher son regard, embrumé de larmes, derrière d'épaisses lunettes noires, et sortit de sa voiture. Tout en gagnant le cimetière, elle continua de songer à toutes ces fautes en tant que mère.
Car depuis la naissance de Channing Capwell III, Sophia ne cessait de penser à ses enfants. Elle se reprochait de les avoir abandonnés, de ne pas les avoir suffisamment aimés. Tous. Et aujourd'hui, elle se retrouvait toute seule... Kelly, à qui elle avait transmis sa fragilité, était partie se reconstruire à New York. Ted, qui de tous ses enfants était certainement le seul sur qui ne pesaient pas toutes les responsabilités d'être un Capwell, s'occupait de missions humanitaires au Moyen Orient. Il avait trouvé sa voie, loin de toutes pressions de son père. Et Eden... Eden qui lui ressemblait tant... Elle portait en elle sa force et sa souffrance... Eden, hantée par le meurtre de Channing, non par l'esprit de son frère. Eden qui, pour le moment, semblait être incapable de faire face aux personnalités qui avaient pris le contrôle de son esprit. En dépit de tout l'amour de Cruz, de tout l'amour de ses enfants et de sa famille, Eden ne voulait pas revenir à Santa Barbara. Elle ne voulait plus être une menace pour les membres de sa famille. La famille Capwell...
Sophia s'arrêta un instant. Elle resserra ses doigts autour du bouquet de fleurs qu'elle tenait fermement. La famille Capwell depuis son retour paraissait avoir explosé. Plus personne n'habitait la grande villa sur les collines, pas même elle. Seul Channing restait fidèle au poste. D'ailleurs, elle savait qu'un jour il lui faudrait répondre à sa énième demande en mariage. Que pouvait-elle dire ? Leur couple avait-il déjà été heureux. ? Sophia ne pouvait s'empêcher d'en douter. Ils avaient connu le bonheur seulement lors de leur premier mariage. Et encore, leur relation était construite sur un mensonge. Un terrible mensonge : Channing Junior n'était pas le fils de C.C., mais celui de son pire ennemi, Lionel Lockridge, le premier homme qu'elle avait vraiment aimé. Ensuite, ils n'avaient connu que des batailles, des guerres pour le contrôle de ci, pour éviter la ruine de cela. Déjà à l'époque, elle avait voulu divorcer, et elle n'était revenue sur sa décision que pour leurs enfants...
Sophia s'arrêta devant le caveau des Capwell. Une immense plaque de pierre, au nom et au blason de la famille, en délimitait l'espace. Elle dépassa plusieurs tombes avant de s'agenouiller sur celle de Channing Junior. Les années n'avaient jamais eu raison de son absence. Son regard se promena sur la pierre : "In Loving You. 1961 – 1979".
- Oh, Channing, combien tu manques à ma vie...
Sophia ne pouvait retenir plus longtemps ses larmes.
- Qu'ai-je fait ? Mon petit garçon.... Mon tout petit garçon... Si tu savais combien tu me manques.... Je voudrais tant remonter le temps, revenir en arrière et te prouver combien je t'aime ? Je n'arrête pas de me dire que je suis coupable.... Tout est de ma faute. C'est moi qui ai détruit notre famille. Si je n'étais pas revenue, rien de tout cela ne serait arrivé.... Il faut que tu me pardonnes, Channing... Tant que tu ne m'auras pas pardonné, jamais je ne pourrai le faire. Jamais, je ne trouverai la paix... Ni moi, ni tes frères et soeurs... Pardonne-moi tout le mal que je t'ai fait... J'aimerais tant que l'on puisse tous, non pas oublier, mais vivre avec cette peine. C'est pour cela que je te demande de cesser de hanter l'esprit d'Eden. Elle n'est pas responsable de ton malheur. Je suis la seule à blâmer. La seule...
De grosses larmes roulaient à présent sur les joues de Sophia. Sans trop savoir pourquoi, sa culpabilité venait de rejaillir au fond de son coeur, plus violente que par le passé, et surtout, elle modifiait toute sa perception de la vie. Son coeur et son âme se laissaient, sans se battre, ronger par ce sentiment.
Elle déposa son bouquet de fleurs sur l'herbe grasse. Elle caressa tendrement la pierre, dernier lien physique, entre une mère et son fils. Elle cherchait à l'étreindre, même par delà la mort. Elle ressentait le besoin de lui témoigner toute la force de son amour car, avec lui, Sophia caressait l'espoir d'étreindre chacun de ces autres enfants, et peut-être de redonner un souffle de vie à la famille Capwell.
A l'écart de la tombe, un homme entièrement vêtu de noir ne cessait de regarder en direction de Sophia Capwell. D'ailleurs, il l'avait suivi depuis qu'elle avait quitté son appartement pour se rendre au cimetière. Il ne la quittait pas des yeux, depuis plusieurs jours maintenant, épiant chacune de ses rencontres, chacun de ses faits et gestes. Discrètement, il sortit de son sac un appareil photo, équipé d'un puissant téléobjectif. Il prit de nombreux clichés d'elle, appuyée contre la pierre, pleurant les pires larmes qu'une mère puisse avoir à verser pour son enfant. De là où il se trouvait, il ne pouvait pas saisir la moindre de ses paroles, mais cela n'avait pour lui aucune importance.
Cabinet
d'avocats de Julia Wainwright Capwell.
-
Bon et bien, je crois qu'on vient de clore mon tout dernier dossier.
Rendue
radieuse par sa grossesse, Julia Capwell rangea les documents concernant sa
dernière affaire dans une épaisse chemise. Comme à l'accoutumée, elle
s'arrêta un instant pour caresser son ventre. Elle s'autorisait à tout
moment à se laisser aller à ces petits moments de tendresse. Elle n'avait
pas eu le temps de jouir de ces instants, lors de la grossesse de Samantha,
alors maintenant que tout aller bien dans sa vie, elle n'hésitait pas à en
profiter. Sa grossesse la rendait particulièrement épanouie. Julia, toujours
souriante, resplendissait de l'intérieur. Seule la fatigue, par moment,
trahissait son état. Il faut dire aussi, qu'elle venait de défendre une
association écologique contre une puissante multinationale, et ce n'était
pas sans difficulté qu'elle avait réussi à les obliger à assainir le site.
Lasse
de sa journée, Julia se laissa choir dans son fauteuil face à sa secrétaire.
-
Pfou... je crois qu'un bon bain ce soir me détendra... J'en ai bien besoin.
J'ai les pieds qui ont enflé et je ne sens plus mes jambes.
- Julia, je crois qu'il est temps que tu prennes un peu de repos.
- J'ai encore quelques papiers à classer, avant de rejoindre Mason. Je vais finir, Gracie, je te remercie.
Julia
regarda un moment sa jeune secrétaire avant de se remettre à ranger, classer
et trier les divers papiers qui ornaient son bureau. C'est avec une grande
affection que Gracie Lee Lively regardait sa patronne. Depuis que Mason et Julia
étaient entrés dans sa vie, elle n'avait plus rencontré la moindre
difficulté. Ils s'étaient occupés de tout. Et si aujourd'hui, elle avait
un travail, un toit pour elle et pour son petit Chester, et bien elle le devait
à Mason et Julia. Ils étaient devenus sa seconde famille ; elle qui
n'avait pas connu la première. Intérieurement, Gracie se réjouissait de la
grossesse de Julia, et elle était certaine, bien que Julia et Mason
l'ignorent, que son Chester aurait un autre compagnon de jeu. Julia était
enceinte d'un petit garçon, c'était une évidence pour elle.
Julia,
en quelques minutes, termina de ranger son bureau.
-
Alors, Gracie, tu te souviendras de tout pendant mon absence. J'ai rangé dans
l'armoire tous les dossiers terminés, et les affaires en cours sont triées
dans les tiroirs. Je pense que Jenny n'aura aucun soucis à les conclure.
-
Julia, tu m'as déjà dit tout ceci, des centaines de fois... J'ai tout noté.
Il n'y a qu'une affaire importante en cours à régler au plus tôt, c'est
celle qui concerne les étangs de Santa Tecla. Pour les autres, tu as déjà mis
Jenny au courant. Et je ne dois prendre aucun nouveau dossier, pendant ton
absence. Tu vois, il ne faut pas t'inquiéter, j'ai bien retenu la leçon.
-
D'accord, j'ai compris.... Je me tais. Ah, j'oubliais, officiellement, je
ne m'intéresse pas à l'incendie qui menace la ville, mais si tu peux me préparer
un dossier complet. Je voudrais savoir de quoi il en retourne, surtout que ma
famille pourrait être impliquée dans cet incendie...
-
Il n'y a aucun problème. Et je dirai à la commission de l'environnement
que tu ne peux pas t'occuper de ce dossier, si jamais on vient à te le
proposer.
-
Tu es parfaite, Gracie, que ferais-je sans toi ?
-
C'est moi, Julia qui dois te dire merci, pour tout ce que tu as fait avec
Mason pour moi. C'est moi qui n'en serai pas là, sans vous.
D'un
pas décidé, Gracie se leva et ouvrit la porte du bureau de Julia.
-
Maintenant, Julia, tu me suis et tu ne discutes pas mes ordres.
-
Oh là, tu vois bien que je ne peux plus marcher...
-
Laisse tes chaussures si tu veux, on ne va pas loin.
En
prenant milles précautions, Julia se leva de son confortable fauteuil, pour
suivre sa secrétaire. Elles traversèrent le hall, qui servait aussi de bureau
à Gracie, pour se rendre dans la pièce située en face du bureau de Julia. Dès
qu'elles poussèrent la porte, Julia entendit : Surprise !!! Le
bureau de Jenny McKay, l'assistante de Julia, avait été décoré de ballons
et de guirlandes pour fêter un bon repos à Julia. Visiblement touchée par la
surprise, Julia remercia chaleureusement Jenny et Gracie.
-
C'est une jolie surprise...
Jenny,
une jeune femme aussi blonde que Julia est brune, s'avança vers elle. Et elle
la saisit dans ses bras avant de lui tendre une flûte de champagne sans alcool.
-
Alors, Julia pas trop triste de prendre des vacances...
-
Oh, non, je vais enfin pouvoir me reposer et me laisser aller..
-
Je ne suis pas certaine que tu tiendras toute la fin de ta grossesse, comme tu
l'as promis, sans venir au bureau...
-
Si si, je tiendrai... A moi, le farniente, les massages...
-
Alors, buvons à ta grossesse, au petit frère ou à la petite soeur de Sam, et
à ton repos bien mérité.
Les trois femmes levèrent leurs verres et trinquèrent en riant. Car personne n'était dupe, Julia, très certainement, continuerait de temps à temps à passer au cabinet, sous le prétexte de faire un petit coucou pour s'assurer que tout se passait bien durant son absence.
Villa
Capwell.
Fou de rage, Mason serrait fermement son verre de whisky dans sa main : après toutes ces années, comment son père pouvait encore le traiter de la sorte ? Il avait passé des années à se battre contre ce rival, contre ce premier fils de Sophia, alors que lui, bien qu'il soit l'aîné de tous les enfants Capwell, il n'en restait pas moins le fils de Pamela... le canard boiteux de la famille.
- Channing, où que tu sois, ne cesseras-tu jamais de me hanter ?
Depuis tant années, son père n'arrivait pas à faire le deuil de ce fils chéri, de cet héritier...
Mason se servit un autre verre. Son regard se porta tout autour de lui, dans le bureau. Depuis sa plus tendre enfance, il n'avait jamais aimé cette pièce. Son père ne voulait pas qu'ils viennent y jouer, à l'exception de Channing Junior. Lui seul avait l'autorisation de pénétrer dans l'antre de leur père. Et curieusement, c'est ici même, qu'il avait trouvé la mort. Mason se laissa gagner par les souvenirs de cette terrible journée du 30 Juillet 1979. Pendant une fraction de seconde, il revit le corps de Channing étendu sur le sol, Joe Perkins à ses côtés. Il se souvient des cris autour du bureau...
Son esprit remonta encore davantage dans le temps. Un peu plus tôt dans la journée, Channing et lui avaient eu une violente dispute. Channing voulait l'obliger à quitter la villa. Il n'était pas, selon lui, digne de prétendre à l'héritage Capwell.
Mason, se remémorant cette conversation, se mit à rire.
- Ah Ah Ah, toi qui ne voulais pas de moi, voilà que papa me harcèle pour que je prenne les rênes des Entreprises Capwell... Si je voulais, je pourrais avoir le pouvoir Capwell entre les mains... Et je n'en veux pas...
Mason s'assit sur l'angle du bureau de son père, un autre verre à la main. Son regard détailla la bibliothèque, puis s'attarda sur les photos de ses frères et soeurs : Eden, partie à Saint Domingue, possédée par ce frère qu'elle cherchait elle aussi à dépasser. Kelly, qui s'était réfugiée dans une galerie d'art à New York. Ted, parti se trouver au Moyen Orient. Greg, disparu on ne sait où. Et Channing Junior... Channing Junior, mort depuis plus de 20 ans... Mort et enterré... Et C.C. qui continuait de le sacraliser, s'il pouvait construire un autel à sa mémoire...
La sonnerie du téléphone le sortit de ses pensées. Il décrocha.
- Allô.
- Monsieur Capwell ?
- Oui.
- C'est Harold. Je tenais vous remercier personnellement pour...
- Me remercier ?
- Oui, pour votre chèque de soutien. C'est vraiment très aimable à vous, surtout que votre fils aussi se présente à la municipalité.
En un éclair, l'esprit de Mason dissipa les brouillards de l'alcool.
- Mais c'est normal...
- Je tenais à vous dire, Monsieur Capwell, que je vous suis redevable de ce coup de pouce. Et si je peux vous être utile...
- Merci, merci. Je vous contacterai, Harold.
Mason raccrocha avec violence. Son esprit, avec rapidité, analysait la situation. Une nouvelle fois son père se tenait contre lui : cette fois-ci il soutenait officiellement un autre candidat, plutôt que lui, au poste de maire. Son père le trahissait pour un inconnu. Son sang accéléra sa course. Après Channing Junior qui avait toujours eu amour et soutien, voila qu'il se rangeait aux côtés d'un inconnu. Mason voyait rouge. Avec violence, il lança son verre contre la porte du bureau.
- Tu vas me le payer... Cette trahison est de trop, papa...
Difficilement, Mason se leva. Il n'était que colère et frustration. Il s'en voulait d'avoir cru en son père. Il s'en voulait d'être blessé comme par le passé, blessé d'attendre de l'amour et de la considération de la part d'un homme qui lui préférait un fantôme.
- Il est mort, papa. Tu m'entends : mort, et moi je suis vivant. Vivant...
Mason cria. Il se dirigea vers le bar et prit la bouteille de whisky. Il but à même le goulot.
- Papa, je crois qu'il va falloir qu'on discute...
A moitié saoul, Mason quitta le bureau, à la recherche de son père...
Cimetière de Santa Barbara.
L'homme en noir se cacha derrière le tronc d'un arbre. Aux aguets, il avait entendu des pas qui se rapprochaient de la tombe de Channing Capwell Junior. Masqué derrière le tronc, il se félicita de sa vivacité d'esprit, en effet un homme s'approchait de Sophia Capwell. Bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés, il reconnut tout de suite Lionel Lockridge. Lentement, il contourna l'arbre, afin de mieux les épier.
Lionel s'arrêta à quelques pas de Sophia. Elle ne l'avait pas entendu. Lionel sentit son coeur se serrer, tandis qu'il l'observait. Elle n'avait pas changé, malgré les années et surtout malgré les peines. Elle était toujours cette jeune actrice qui, d'un seul regard, lui avait enflammé le coeur. Et même si, aujourd'hui, ils savaient l'un et l'autre que leur coeur appartenait à un autre, ils conservaient, l'un pour l'autre, une profonde et sincère amitié. Un enfant, d'ailleurs, incarnait cette amitié, qu'ils avaient su conserver et développer au fil des années. Car, ils avaient eu un fils, fruit de leur amour clandestin : qu'il s'appelle Channing Junior ou Brick Wallace, cela n'avait pas d'importance. Ils avaient eu un enfant ensemble, et maintenant cet enfant, ils le pleuraient tous les deux à leur manière...
Lionel prit une profonde inspiration avant de s'avancer, avec douceur vers Sophia. Avec une infinie tendresse, il posa une main réconfortante sur son épaule. Sans même regarder à qui elle appartenait, Sophia répondit à son étreinte. Son coeur de mère souffrait des mêmes maux : cela ne pouvait être que Lionel.
Ils restèrent un long moment dans le silence, comme coupés hors du temps, en communion avec l'âme de leur fils disparu. Sophia pleurait cet enfant qu'elle avait tant aimé et qu'elle avait tué. Lionel pleurait ce fils qu'il avait tant haï et qu'il ne pourrait jamais aimer. L'absence de Channing Junior les rongeait de l'intérieur, et bien qu'en réalité l'homme étendu là, depuis cette terrible nuit de Juillet 1979 n'était pas leur fils de sang, cela n'apaisait nullement leur souffrance. Car, maintenant qu'ils avaient réussi à taire leur colère, le départ de Brick, leur vrai fils de sang, avait ravivé cette souffrance : lui aussi était parti pour suivre leur route, lui aussi les avait abandonné, les laissant comme amputés d'une partie de leur être. Ni Brick, ni personne ne pourraient combler ce manque : même le retour de Channing Junior n'y changerait rien.
- Tu es venu, toi aussi...
- Il fallait que je vienne... Pour toi, pour moi. J'avais besoin d'être là, de lui faire sentir qu'on ne l'oublie pas.
Sophia se détourna vers Lionel, les yeux remplis de larmes, elle le regardait, puisant soutien et réconfort auprès de cet homme avec lequel elle partageait un passé. Lionel l'entoura de ses bras, serrant Sophia contre lui.
- Oh, Lionel... Comme je m'en veux... après toutes ces années, je n'arrive toujours pas à me pardonner. Je ne pourrais jamais expier ma faute. Je l'ai tué...
- Chut Sophia... Se torturer en espérant changer le passé n'est pas la solution. Tu ne savais pas... Tu ne pouvais pas savoir que l'arme serait chargée...
- J'étais aveuglée par ma haine... Et j'ai tué mon fils... Mon bébé...
Les reproches, le poids de l'absence pesaient si lourdement sur les épaules de Sophia. Sa vie lui paraissait jalonnée de tellement de regrets. Son retour à Santa Barbara avait semé le malheur autour d'elle...
- Lionel, je n'en peux plus de tout ce gâchis... Je n'arrive plus à vivre avec. Depuis mon retour, combien de vies ai-je brisées. Si je n'étais pas revenu une toute première fois, Channing Junior serait en vie. Joe Perkins aussi. Eden ne serait durement pas hantée par l'esprit de son frère. Et peut être que C.C. et toi, vous auriez fini par faire la paix...
- Tu n'es pas responsable de tout, Sophia... Ce n'est pas toi qui as tué Joe. Eden arrivera à surmonter ce cap et elle retournera à Cruz, il ne peut en être autrement... Crois-moi, ce n'est pas de ta faute...
Sophia s'éloigna de Lionel, mais elle conserva ses mains dans les siennes.
- J'ai peur Lionel. J'ai si peur... Eden me manque. Kelly me manque. Ted me manque. Je me retrouve seule. Plus aucun de mes enfants n'est là pour me soutenir. Regarde autour de nous, personne n'est venu pour pleurer Channing Junior. Personne, pas même C.C.. Je suis seule, seule avec ma peine et le poids de mes fautes....
Sophia
s'effondra en sanglots. Doucement, Lionel l'attira à nouveau contre lui. De
toute la force de ses bras, il la blottit contre lui, la protégeant de ses
sombres pensées qui risquaient de l'anéantir. Intérieurement, Lionel se
promit de prendre soin d'elle, de la protéger, de prendre sur lui une grande
partie de son fardeau. Même si pour cela il devait solliciter l'aide de
Channing Capwell lui-même...
Toujours caché derrière son arbre, l'inconnu en noir ne cessait de les mitrailler avec son appareil photo. Totalement pris par son espionnage, l'homme ne remarqua pas l'arrivé d'un autre homme. Le nouvel arrivant s'arrêta net à la vue de l'intime étreinte entre Lionel et Sophia. Aussitôt, le sang monta au visage de Channing Capwell. Sophia et Lionel... Comment osaient-ils se retrouver, ici, sur la tombe de son fils. Une violente colère, entretenue par de longues années, explosa en lui. C.C. se figea, et se déplaça de quelques pas afin de les observer sans être vu.
Passé plusieurs minutes, Sophia s'écarta de Lionel. Elle semblait s'être apaisée. Il ne roulait plus que sur son visage de fines larmes, dénuées de colère.
- Je te remercie Lionel, pour ta présence, pour ...
- Ce n'est rien, Sophia... Tu sais, je serai toujours là pour toi...
- Merci.
Sophia serra longuement la main de Lionel.
- Je crois que j'avais vraiment besoin d'une présence.... Merci Lionel.
- Tu sais, Sophia, depuis toutes ces années, je crois qu'on finit par vraiment se connaître et se comprendre. Je partage ta peine, parce qu'elle est mienne aussi...
Leurs mains se détachèrent, et Sophia reposa son regard sur la pierre tombale.
- J'aimerais rester seule un moment Lionel, pour lui demander pardon...
- Je comprends. Appelle-moi, je t'en prie...
Doucement, Lionel se détacha de Sophia. Il déposa un chaste baiser sur ses cheveux et lui murmura encore des paroles de réconfort à l'oreille, avant de la quitter.
A quelques pas de lui, C.C. attendit que Lionel quitte le cimetière avant de s'approcher de son ex-femme. La colère et la rage le possédaient. Il faut dire qu'elle se tenait là, avec son ancien amant, devant la tombe de son fils chéri, de son héritier.
- Alors, c'est à nouveau ici que vous vous retrouvez. Comme dans le passé, peut-être...
Abasourdie, Sophia se retourna. Elle n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Il était venu... Enfin. Trop heureuse de le voir, elle n'entendit pas ses paroles.
- Channing, tu es venu....
- Oui. Pour te voir avec ce... ce maudit Lionel Lockridge. J'ai l'impression de revivre le passé...
Blessée, Sophia recula d'un pas. Elle voulait protester, mais les mots ne lui parvenaient pas.
- Comment peux-tu le revoir, ici... Devant la tombe de notre fils... de notre premier enfant...
Sophia pâlit.
- Regarde-toi. Comment peux-tu, après toutes ces années, continuer de fréquenter ce minable de Lockridge ? Comment oses-tu ? Je croyais qu'on s'était retrouvé à la mort de Ken... Je comprends maintenant pourquoi tu as refusé une nouvelle fois ma demande en mariage...
- Channing, ce n'est pas...
- Non, ne parle pas. Tu me dégoûtes.... Je te laisse. Tu peux aller le retrouver si tu veux....
Blessé dans son amour propre, malheureux d'être là, incapable d'exprimer ce qu'il éprouve réellement au fond de lui, fou amoureux depuis toujours de cette femme, forte et fragile, Channing s'en voulait de se laisser dominer par sa colère et par sa jalousie...
Incapable de prononcer le moindre mot ou de faire le moindre geste, Sophia regarda Channing s'éloigner. A sa démarche, elle pouvait aisément voir la colère qui torturait son ancien mari...
Chambre de Minx Lockridge.
- Tu es sûre que tu ne veux pas te confesser, Minx ?
- Me confesser... Tu crois vraiment que j'en aurais envie ?
Mêlé à son rire, Minx fut pris d'une violente quinte de toux. Elle se redressa sur son lit.
- Certaine. Il est trop tard pour moi maintenant...
La religieuse se leva du fauteuil.
- Veux-tu que je t'aide ?
- A obtenir le pardon de Dieu !! Non, mon heure est venue, et je n'ai pas peur.
- Alors je vais retourner au couvent. Je prierai pour toi, Minx. Car si, comme je le crois, tu t'obstines à refuser mon aide, tu pourrais avoir grand besoin de mes prières.
La religieuse s'approcha de son amie. Elle l'embrassa sur le front avant de lui étreindre chaleureusement la main et de lui glisser son chapelet. Les deux femmes, durant quelques secondes, semblaient être en parfaite communion. L'une et l'autre n'ignoraient qu'elles se voyaient pour la dernière fois. Minx acquiesça du regard, en signe de remerciement.
- Et n'oublie pas ta promesse. Je ne te le pardonnerai pas...
La religieuse lâcha la main de son amie.
- Au revoir Minx. C'était bon de t'avoir à mes côtés.
Sans nul autre regard, la religieuse quitta le chevet de son amie. Elles se connaissaient depuis de longues années maintenant. De si longues années. Elle avait connu Minx alors qu'elle était jeune ; elles avaient partagé une vie, si différente de celle qu'elles avaient aujourd'hui. Au fond d'elle, elle savait que Minx n'était pas que cette vieille femme acariâtre, remplie de haine et de colère. Non, au fond d'elle se cachait une toute autre femme.
- Si tu avais su montrer ton vrai visage !!!
Elle arriva dans le hall de la villa. La religieuse jeta un bref coup d'oeil autour d'elle. La maison semblait si différente. La décoration lui paraissait tant ostentatoire, trop surchargée à son goût, et surtout il s'en dégageait un manque de goût certain. La religieuse se rappela ensuite l'incendie qui avait ravagé la villa, quelques années plus tôt. Et des paroles de Minx à l'époque : elle lui avait parlé de sa nouvelle belle-fille et de son goût pour le tape-à-l'oeil.
Intérieurement, la religieuse pria pour qu'en ces jours sombres, la maison soit épargnée par l'incendie qui brûlait à proximité. Alors qu'elle allait partir, une voix l'arrêta :
- Vous prendrez bien une limonade, ou quelque chose d'autre ?
La religieuse se détourna et fit face à une étrange femme.
- Je suis Gina, la femme du fils de Minx.
- Ah.
Sans même attendre la réponse, Gina empoigna la religieuse par le bras et la conduisit au salon. Elle ne voulait lui laisser aucune chance : il fallait qu'elle découvre le secret de Minx, car le temps lui était désormais compté.
- Je tenais à vous remercier pour votre visite à ma belle-mère, la connaissant, je crois qu'elle aura bien besoin de vos prières si elle veut accéder au Ciel. C'est qu'avec son caractère et sa langue de vipère, elle a du commettre bon nombre de péchés.
Gina attendait que la religieuse confirme ses dires, ou du moins qu'elle réponde à sa conversation. Devant le mutisme de la vieille femme, elle décida de jouer franc jeu.
- Sans le vouloir, j'ai entendu votre conversation : étant donné son état de santé, je peux vous reconduire maintenant au couvent afin que vous me remettiez directement ce coffret. Cela vous éviterait de revenir, et surtout, comme malheureusement le temps nous presse, ma belle-mère pourrait retrouver une partie de ses souvenirs qui semblent tant lui tenir à coeur.
La religieuse regardait, immobile, Gina. Elle ne paraissait pas faire le moindre effort pour faciliter la tâche à Gina.
- Comprenez-moi, je comprends votre situation, mais je pense qu'il est préférable, pour ma belle-mère, de ne pas attendre qu'il soit trop tard pour peut-être réparer ses fautes. Ne pensez-vous pas ? D'ailleurs, si je ne m'abuse, cela fait partie de vos fonctions...
- Cessez d'importuner mon amie !!
Sans que personne ne s'en rende compte, Minx avait quitté sa chambre et descendu les marches de sa villa.
- Espèce de vipère, laissez-la tranquille.
Minx, avec les quelques forces qui lui restaient, menaçait de sa cane sa belle-fille.
Gina, surprise, recula d'un pas.
- Je ne suis pas encore morte et j'ai encore, croyez-moi, la force de vous foutre à la porte de ma maison. Espèce de traînée...
Minx toussa. Gina en profita.
- Regardez, belle-mère, cette maison ne tardera pas à être la mienne...
Minx leva à nouveau sa cane et tenta de l'abattre sur Gina. La religieuse s'interposa.
- Minx, retournez vous couchez. Il n'est nullement question que je lui donne votre coffret. N'ayez crainte.
- Allez-y, votre taxi vous attend, et rappelez moi quand vous serez arrivée. Je vais m'occuper de cette garce.
Obéissante, la religieuse quitta la villa.
Minx, en un éclair, retrouva ses forces, sa colère la stimula.
- Quand je pense que mon fils vous a épousé... Il n'a jamais eu de goût pour les femmes. Mais le temps n'est pas encore venu où vous dirigerez cette maison.
- Ne vous en faites pas. Il ne me reste plus très longtemps à attendre avant que le diable vous rappelle à lui.
Les deux femmes se faisaient face. Ni l'une ni l'autre ne semblait avoir peur.
- L'enfer ne peut pas être pire que votre compagnie. Regardez-vous. Vous vous donnez l'air d'être une grande dame, mais vous cachez très mal ce que vous êtes en réalité : une traînée. Une petite traînée qui n'aurait jamais dû quitter le ruisseau d'où elle vient.
- Vous vous croyez peut être meilleure que moi, avec tous vos petits secrets...
- Allez-vous en de chez moi.
Minx frôla Gina de sa cane, qui reculait. Elle n'eut pas d'autre choix que de se placer derrière la table basse du salon.
- Ce n'est pas parce que vous portez le nom de Lockridge que vous en êtes une.
- Peut-être, mais bientôt, tout cela sera à moi. Vous avez beau être menaçante, espèce de sorcière, mais bientôt, oui bientôt, cette maison et tout le reste sera à moi. A moi. Et vous n'y pourrez rien changer.
Gina retrouvait de son assurance.
- Pauvre fille, jamais vous ne me battrez. Augusta avant avait déjà essayé, et elle n'a jamais réussi. Et pourtant, elle avait bien plus de classe que vous.
- Augusta, elle…
- Elle valait mille fois plus que vous. Elle pourra vous battre.
Minx se tenait de l'autre côté de la table et frappa Gina de sa cane.
- Aie... Vous êtes folle.
A nouveau, la cane de Minx s'abattit sur elle. Pour l'éviter, Gina s'affala lourdement sur le canapé, et elle en glissa, lentement, pour finir par terre. Bien qu'elle fût prise d'une bonne quinte de toux, Minx savoura sa victoire.
- Vous devriez rester à votre place, à ramper comme ceux de votre espèces : les cafards... Ah Ah Ah Ah...
Bar dans le quartier chic de la ville.
Rempli de rage, C.C. avait quitté avec précipitation le cimetière de la ville ; il ne s'était même pas recueilli sur la tombe de son fils adoré. Surprendre ensemble Sophia avec Lionel Lockridge, comme au temps de leur liaison, l'avait dégoûté. Il ne comprenait pourquoi elle s'entêtait à le fréquenter. C'était au-delà de toute considération.
Sans laisser la moindre chance à Sophia de s'expliquer, il était remonté dans sa voiture, et avait roulé en direction du centre ville. Sans trop savoir pourquoi, il avait gagné un bar, dans le quartier des affaires. Il voulait être seul, mais entouré de monde, d'une foule anonyme, qui ne viendrait pas lui présenter son soutien. Il avait fini au Club 71. Depuis le début de l'incendie, il ne voulait plus rester chez lui. D'ailleurs, avec tous ces pompiers qui tournaient autour de la villa du soir au matin, il ne se sentait plus vraiment chez lui. De plus, il était le seul à habiter encore la villa, en compagnie de peu de domestiques. Mason habitait avec Julia au bord de l'océan. Sophia louait une suite à l'Orient Express. Quant aux autres de ses enfants, ils avaient tous quitté la ville pour poursuivre leur vie. Depuis le début de l'incendie, il ne voulait plus rester chez lui. D'ailleurs, avec tous ces pompiers qui tournaient autour de la villa du soir au matin, il ne se sentait plus vraiment chez lui. De plus, il était le seul à habiter encore la villa, en compagnie de peu de domestiques. Mason habitait avec Julia au bord de l'océan. Sophia louait une suite à l'Orient Express. Quant aux autres de ses enfants, ils avaient tous quitté la ville pour poursuivre leur vie.
Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas la serveuse qui lui apporta son verre. Instinctivement, son esprit s'en retourna vers Sophia, le grand amour de sa vie. Il se souvenait de leur toute première rencontre, il y avait de cela une éternité. De la couleur de sa robe. Du parfum de sa peau. C'était ici-même à Santa Barbara, à l'occasion d'un gala de charité. Dès que son regard s'était posé sur elle, il avait su qu'il lui appartenait. Cela avait été terrible pour lui. Pour la toute première fois de sa vie, il sentait l'étrange sensation d'être dépendant. Il avait aimé Sophia dés le premier instant. Habitué à toujours obtenir ce qu'il désirait, il s'était montré sous vrai jour pour la conquérir... Que de longues années de bonheur ils avaient partagé ensemble. Mais, un jour, il l'avait perdu. Depuis ce jour-là, quelque chose s'était éteint en lui. Trop de souffrance. L'abandon. Pour la première fois, il était confronté à l'impuissance de l'argent et du pouvoir Capwell. Sophia était morte, et rien ni personne ne pourraient la ramener à la vie...
Et pourtant, par la grâce de Dieu, elle lui avait été rendue. Et en dépit de tous les secrets qu'il avait fallu affronter, ils avaient su se retrouver. S'aimer à nouveau.
Toutefois, derrière leur amour se cachait de lourdes déceptions. Oh, comme il s'était senti trahi lorsqu'il avait découvert que Channing Junior n'était pas de son sang, mais de celui de Lionel. Le premier grand amour de Sophia. Il avait fini par pardonner parce qu'il pensait que cet enfant était mort, et que jamais, plus jamais, il ne viendrait s'immiscer entre Sophia et lui. Mais, il avait fallu aussi apprendre que ce fils était bel et bien vivant et qu'il habitait en ville, qu'il s'agissait de Brick Wallace.
C.C. but une longue gorgée de son verre.
Il se souvenait parfaitement de cette époque, de sa haine, de sa jalousie envers Lionel. Lui, il avait perdu son fils chéri par deux fois, et Lionel se retrouvait un fils, un enfant de sa Sophia. Il les avait détestés, le père et le fils. Heureusement, il avait Brandon. Comme, il aimait cet enfant. C.C. en avait conscience, il l'aimait comme s'il était de sang Capwell. Il l'aimait tendrement. D'ailleurs, pour lui, il s'était même marié à la pire garce que Santa Barbara n'ait jamais connu : Gina DeMott. Toutes ces batailles qu'il avait fallu livrer contre elle l'avaient en réalité rapproché de Sophia. Leur amour n'avait jamais autant été passionné que durant le temps de son mariage avec Gina, comme si le fait de vivre dans la clandestinité et le risque l'avait sublimé.
Mais aujourd'hui, que reste-t-il de cette vie, de sa vie ? Des batailles. Et des mariages. La liste pourrait presque ressembler à un carnet mondain. Pamela, Sophia, Gina, Gina, Sophia... Et puis toutes celles qui avaient traversé sa vie : Santana, Lydia, Megan, Angela... Il les avait toutes aimées et il les a aussi toutes combattues... Tant de batailles... Pour la garde de Brandon, pour sauver Kelly, pour protéger sa famille, son héritage.
Une vague de nostalgie s'abattait sur lui. Comme chaque année, le passé le reprenait, le tourmentait. Et dans ces moments, C.C. se détestait. Il se détestait car il savait qu'il se faisait du mal, et aussi parce que cela le rendait vulnérable. Alors que jamais il n'avait été faible. Tous les combats, il les avait menés avec force : contre Peter Flint qui voulait tuer sa douce Kelly, contre Kirk Cranston qui désirait anéantir sa famille, contre Elena Nikolas, contre T.J. Daniels qui voulait lui prendre Sophia et Kelly, contre Ted qui s'était amouraché de la fille Lockridge, contre Ken Mathis qui voulait tuer Sophia, contre Robert et Quinn, les jumeaux, qui voulaient lui voler sa compagnie.
Et aujourd'hui, le jour anniversaire de la mort de son Channing Junior, voilà qu'il risquait de perdre une nouvelle fois Sophia. Elle lui échappait, lui glissait entre les doigts, alors que tout semblait les réunir. Elle s'en retournait vers ce minable de Lionel Lockridge. Toujours vers lui... Lui qui, en compagnie de cette traînée de Gina, élevait son dernier enfant, Channing Capwell III. Un Capwell élevé par les Lockridge.
C.C. crispa ses mains autour de son verre. Le sang cessa d'irriguer ses doigts, tant il maintenait la pression. Dans sa tête, des images se bousculaient : Channing Junior, allongé mort sur le sol du bureau, Sophia et Lionel qui s'embrassaient, Gina qui lui annonçait sa grossesse, Sophia, Lionel et Gina qui vivaient ensemble et élevaient son enfant, un repas de famille où se retrouvaient Lionel, Sophia, Gina, Mason, Ted, Eden et Kelly, et lui se retrouvait seul...
- Non, non...
Comme seul signe de son trouble, C.C. laissa échapper quelques murmures. Il savait, non, il espérait que ces rêves n'allaient pas durer. Demain, tout rentrerait dans l'ordre...
Parc de la villa Capwell.
Après sa dernière journée de travail, Julia avait pris un taxi pour aller de son bureau à la résidence Capwell, où Mason l'attendait. Fatiguée par sa grossesse et par le stress de sa dernière affaire, Julia se languissait de rentrer chez eux, et surtout de retrouver leur petite Samantha. Bien qu'elle ait parfaitement réussi sa vie professionnelle, Julia adorait sa petite fille plus que tout. Et il lui tardait de mettre au monde son second enfant. Mason et elle n'avaient pas voulu connaître à l'avance le sexe de ce second enfant, laissant la nature faire son travail.
Devant l'entrée de la villa, elle terminait de raconter sa journée à Mason. Elle n'était pas sûre qu'il ait entendu, mais depuis le temps, elle connaissait son mari. Elle se rendait parfaitement compte que quelque chose le torturait, et plutôt que de lui poser directement la question, elle préférait attendre qu'il lui en parle le premier.
Afin de rejoindre leur voiture, ils traversèrent une partie du parc. Une grande partie de l'allée principale était pour le moment occupée par les nombreux véhicules de pompiers. Julia risqua un regard vers l'incendie. Alors que le soir tombait, le ciel se teintait de rouge et d'orange. Par moment, on distinguait derrière les arbres, les flammes qui se dressaient vers le ciel. Le feu avait commencé à détruire une partie de la propriété. Fort heureusement, les canadairs avaient réussi à lui barrer la route vers la villa, ainsi que vers celle des Lockridge. Il fallait maintenant prier, prier pour que le vent tombe, ou qu'il change de direction, et repousse les flammes vers l'océan.
Inquiète et un peu apeurée, Julia attrapa la main de Mason, qui marchait tête baissée, en direction de sa voiture. Ce dernier se sentit rassuré par cette présence à ses côtés. Julia l'aimait. Et il l'aimait. Elle n'avait jamais cherché à le blesser ; elle l'aimait même si, très souvent, leur relation a connu de difficiles périodes. Mason répondit à l'étreinte de sa femme. Il sentit alors qu'une partie de sa colère le quittait. Pour lui, Julia avait toujours eu ce don d'effacer sa colère et de lui rappeler tout ce qui avait de l'importance. Tandis qu'il marchait, il se détendit et se risqua à raconter sa sordide journée à sa femme.
- Comme tous les ans, à la même date, il n'a fait que de me parler de Channing. Il n'arrive pas à admettre qu'il est mort.
- Tu sais, il faut le comprendre. Cela doit être une journée terrible pour lui. En plus, il se retrouve complètement seul.
- Seul ? Non, il veut être totalement seul, pour se rapprocher de Channing. Il ne voit pas que je suis là. Il ne se rend pas compte que je suis vivant, moi.
- Tu es injuste avec lui. Il a perdu son fils, et tous ses autres enfants ont quitté le nid. Je crois qu'il est vraiment malheureux.
- Non, tu ne vas pas prendre sa défense.
Mason se tendit. Il ouvrit la portière de la voiture à Julia, avant de prendre place derrière le volant. Julia s'installa confortablement dans le fauteuil. Et tandis qu'elle se massait doucement le ventre, Mason s'engagea à quitter la propriété.
- Je te remercie de conduire, je crois que je suis plus fatiguée que ce que je ne croyais.
- Hum...
Mason se referma. Il lui semblait que personne ne voulait se rendre compte de sa souffrance. Aujourd'hui encore, il continuait à être en concurrence avec son frère. Son père voulait lui donner la direction de la compagnie parce qu'il n'avait pas d'autres choix. Et s'il l'avait refusé, c'est parce qu'il savait que son père aurait critiqué toutes ses décisions, en disant que Channing aurait su mieux faire. Non qu'il aurait fait mieux. Toujours. C'est pour cette raison qu'il se tournait vers la politique, vers une route que Channing Junior n'aurait jamais eu à suivre.
Meurtri dans son amour-propre, Mason chercha du réconfort auprès de Julia.
- Tu ne sais pas ce qu'il veut : que je dirige les Entreprises Capwell.
- Ah...
La voiture roulait à vive allure sur la route. Mason conduisait toujours vite lorsqu'il était énervé. De plus, dans l'après-midi, il avait beaucoup bu, et Julia ne s'était encore rendu compte de rien. Elle avait mis sa mauvaise humeur sur le dos de sa dispute avec son père.
- Il n'a toujours pas compris que je ne suis pas Channing Junior. Pire, il veut que je soit son remplaçant, tout en ayant l'intime conviction que je ne serai jamais à la hauteur.
- Si tu ne veux pas diriger les Entreprises Capwell, tu dois lui dire et lui donner les raisons, Mason.
Mason ne ralentissait toujours pas, alors qu'ils s'engageaient sur la partie comportant de nombreux virages.
- C'est ce que j'ai fait... Mais tu ne sais pas ce qu'il a fait. Parfois, je crois qu'il fait tout pour que je le déteste... Il soutient la candidature de Harold pour les élections. Plutôt que de soutenir son fils, il préfère offrir son argent et l'appui de son nom à un inconnu.
- Tu en es sûr ?
- Si j'en suis sûr. J'ai eu Harold lui-même au téléphone, qui voulait le remercier de son chèque. Il croit qu'avec son argent il peut tout acheter. Mais cela ne marchera pas. Je sais ce qu'il veut. Pour lui, c'est évident, si je perds les élections, je n'aurais pas d'autres solutions que d'accepter la direction des Entreprises Capwell.
Mason criait sa rage. Et tandis qu'il parlait, il n'entendit pas le gyrophare d'une voiture de pompiers qui roulait en direction de la propriété Capwell.
- Mais cela ne va pas se passer comme cela. Il veut la guerre, il va l'avoir.
- Tu ne crois pas que vous vous êtes assez battus, lui et toi.
- Et que voudrais-tu que je fasse ? Il ne reste que moi comme fils à ses côtés, et regarde comme il me traite...
C'est alors que Mason et Julia, en même temps, remarquèrent la voiture.
- Attention !!!!
Le conducteur de la voiture de pompiers leur fit un appel de phare. Mason, dont les réflexes étaient ralentis par l'alcool, tenta d'éviter la voiture. Il freina, mais il était trop tard. Ils allaient se rentrer dedans. Julia, instinctivement, plaça ses deux mains sur son ventre. Elle n'arrivait pas à crier.
A côté d'elle, Mason tenta d'esquiver la voiture, en tournant complètement le volant du côté opposé. Les yeux pleins de brume, il se rendit compte trop tard de son erreur. Il freina de toutes ses forces. Le contrôle de la voiture lui échappa complètement. Elle continua sur sa trajectoire. Elle fonça hors de la route, écrasant les arbres, dévalant la pente. Malheureusement, la voiture de pompiers, qui avait poursuivi sa route, ne vit pas l'accident.
La voiture finit par perdre un peu de vitesse. Dans l'habitacle, ni Julia ni Mason n'arrivait à parler. Puis, la voiture frappa lourdement un vieil arbre et la violence du choc la fit basculer du côté de Julia. Mason, le visage en sang, hurla, avant de perdre connaissance à son tour...