Nadine Delanoë : La tête et les bottes (de cuir)

 Par Stéphane Lerouge, Génération Séries, 1999

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L'histoire de Nadine Delanoë est celle d'une jeune femme qui a pris en charge sa carrière, en s'inventant une nouvelle naissance professionnelle. De comédienne elle est devenue auteur, passant de Joanna Lumley ou Glynis Barber (avec lesquelles elle partage la même énergie combative) à Urgences, dont elle est l'une des dialoguistes attitrées. L'année dernière, elle part en croisade, non pas contre les derniers Cybernautes, mais contre la médiocrité des conditions de travail gangrenant la synchro. Cet ambitieux projet, une académie du doublage baptisée les Rythmos d'Or, rencontre, du propre aveu de son initiatrice, un accueil décevant auprès des gens du métier. Retour en arrière et évocation de parcours.

Dans quelles circonstances avez-vous débuté dans la synchro ?

D'abord, mon premier objectif professionnel était le chant. A dix-huit ans, j'ai quitté Avignon pour monter à Paris. Johnny Stark, l'imprésario de Mireille Mathieu, m'a fait travailler sur un projet de disque... Et puis, par un concours de circonstances, j'ai rencontré Maurice Ronet sur le tournage de La Femme Infidèle de Chabrol, en 1968. Il m'a suggéré de faire de la comédie. D'où trois ans de Conservatoire, vite suivis par des télévisions (avec Kerchbron, Santelli), du théâtre et même de la comédie musicale (Jésus-Christ Superstar), l'un de mes genres de prédilection. A la même époque, un directeur de plateau, Pierre Cholodenko, m'a proposé un essai de synchro... en l'occurrence sur des femmes karatékas ! Le doublage, j'en avais alors une idée nébuleuse, confuse. Je savais simplement qu'au lieu d'être sous les projecteurs, on travaillait dans l'ombre, sous l'écran et non sur l'écran. Une semaine après cet essai, Cholodenko m'a attribué Agostina Belli dans Revolver, un polar italien. Imaginez ma joie : une première synchro, un premier rôle féminin !

Comment avez-vous appréhendé la technique de cette discipline ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Non... J'ai vite compris qu'au doublage, le comédien doit fonctionner comme une éponge. Il lui faut retranscrire ce qu'il voit à l'image, impliquer sa propre personnalité dans les limites imposées par l'acteur présent à l'écran. On est vraiment obligé d'entrer dans cette enveloppe. Même si ni le rythme de la parole ni le style de langage ne sont les vôtres, vous devez vous y conformer. Moi, je me considère comme un transcodeur de "mes" comédiennes étrangères... Sauf dans le cas du dessin animé où, là, on peut mettre au point une création vocale totalement personnelle et originale. Ce que j'ai fait avec Maya l'Abeille : quand j'ai été convoquée pour un essai, la série était encore en cours de réalisation. On m'a donc simplement montré une planche dessinée de Maya, complétée par trois lignes définissant son caractère. Sur cette base, j'ai spontanément essayé de composer une voix naïve et sucrée, une voix d'abeille quoi ! (rires) Ma proposition a été retenue, ce qui m'a permis de suivre Maya pendant cent-quatre épisodes et de renouer avec le chant, en interprétant la chanson-générique, sur des paroles de mon homonyme, Pierre Delanoë.

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Comment positionnez-vous ces expériences par rapport à celle de Santa Barbara ?

Ça n'a rien à voir... Robin Wright/Kelly, dans Santa Barbara, est moins un personnage qu'un archétype, celui de la belle jeune fille blonde, innocente et passive, empêtrée dans des histoires d'amour compliquées et répétitives. C'est un soap, avec une dramaturgie en boucle, sans véritable fin... Sur le plateau, il fallait aller vite, sans trop prendre le temps de peaufiner les choses. Alors bien sûr, c'est parfois un peu la routine... Surtout quand vous enregistrez deux jours par semaine pendant huit ans. A vrai dire, j'aurais sans doute préféré passer ces huit années sur Chapeau Melon et Bottes de Cuir ! Néanmoins, je ne renie pas mon travail sur Robin Wright, même si je regrette de ne pas l'avoir suivie après Santa Barbara, quand elle a commencé à casser son image lisse pour aborder de vrais personnages. Là, en tant que comédienne, elle a prouvé l'étendue de ses possibilités. De la même façon, j'aurais bien aimé doubler la Joanna Lumley quadragénaire harpie d'Absolutely Fabulous. Malheureusement, la synchro a eu lieu dans un studio où je ne travaille plus. En revanche, ça m'a amusée, dix ans après, de retrouver l'actrice Wendy Kilbourne pour le troisième volet de Nord et Sud, dont nous avons enregistré la VF cet été. Pas de chance : à peine réapparu, le personnage de Constance mourait aussi sec ! (rires) J'ai fait un simple aller-retour entre chez moi et le studio, juste le temps d'embrasser mes copains Hervé Bellon et Richard Darbois !

Comment êtes-vous devenue auteur-adaptateur sur des françaises ?

On touche là à l'une des spécificités de ce métier : le comédien est toujours tributaire de la demande. Un personnage important dans une longue série télé vous procure une certaine stabilité professionnelle, une sorte de garantie d'activité. Mais dès que la série s'interrompt, vous pouvez connaître un creux. Financièrement, ça n'est pas forcément facile à vivre... Pour minimiser ce côté aléatoire, j'ai souhaité m'offrir un rythme de travail plus régulier en devenant dialoguiste-adaptateur sur des VF. Après un galop d'essai sur un film iranien pour enfants, on m'a confié, en guise de test, un épisode de la série Tarzan, diffusée sur La 5, alors à ses débuts. J'ai vite enchaîné : Les Dessous de Palm Beach, les nouvelles VF des dessins animé Warner (Looney Tunes, Titi et Grosminet puis Superman, Freakazoïd, Animaniacs), Urgences... Depuis dix ans, ce nouveau statut a pris le pas sur celui de comédienne. Ce n'est pas une impression, c'est un état de fait. Cette année, je dois cumuler trois cachets comme actrice. Rien de plus.

Quelles sont, dans l'absolu, les qualités d'une bonne VF ?

Rester le plus près possible de l'anglais sans pour autant faire du littéral. Il faut que le texte coule de source et ne pose aucun problème aux comédiens. Se focaliser sur la qualité d'écriture du texte français, c'est risquer de s'éloigner de l'original et de commettre des contresens. Par exemple, on peut difficilement mettre une affirmation dans la bouche d'un comédien qui, en anglais, dit une négation... En ce sens, l'auteur de VF rencontre les mêmes contraintes que le comédien de doublage : pour eux deux, la marge de manoeuvre est très étroite. Il faut vraiment inventer la pièce de puzzle qui va le mieux possible à l'endroit défini par l'auteur anglo-saxon. Que l'on écrive bien ou mal, on doit impérativement raconter la même histoire que les dialogues originaux. Il ne s'agit donc pas de création mais bien d'adaptation.

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Pouvez-vous nous rappeler ce qu'était le projet des Rythmos d'Or ? Quelle en était la genèse ?

Tout est né d'un simple constat : notre métier, celui du doublage, n'a pas de mémoire. Il n'existe aucun ouvrage de référence, aucune bible qui inventorie qui a doublé qui au cinéma et à la télévision. Je voulais donc créer cette banque de données et la rendre accessible, sur papier, sur Minitel et sur Internet. Elle aurait facilité le travail des producteurs, des directeurs de plateau, voire intéressé certains (télé)spectateurs. Car, vis-à-vis de la synchro, le public est loin d'être passif : souvent, des copains non-professionnels me demandent pourquoi tel acteur américain a changé de voix ou me disent qu'ils ont apprécié ou détesté la VF de tel film ou telle série. A partir du moment où les spectateurs ont le droit de choisir un bon film, pourquoi n'ont-ils pas le droit de signaler un bon doublage ? Je voulais donc en partie m'appuyer sur eux pour établir le système de vote. Comme une remise de prix littéraire dans un grand restaurant, les Rythmos d'Or auraient été décernés aux comédiens et auteurs ayant accompli un travail de qualité dans l'année écoulée. Ça aurait été une façon originale de faire parler du doublage, d'attirer sur lui l'attention de la presse, des médias, tout en mobilisant le public, pour lequel nous travaillons.

Comment la profession a-t-elle accueilli votre projet ?

Sur les deux mille envois effectués courant 1997, la réaction génénale a été décevante... J'ai reçu tout au plus une centaine de réponses positives, émanant de comédiens comme Philippe Dumat, Patrick Préjean, Pierre Trabaud, Michel Barbey, Roger Lumont, Daniel Beretta, mais très peu de la nouvelle génération. Ça m'a un peu attristée. Certains comédiens m'ont expliqué leur refus d'adhérer au projet : «Ton idée est bonne mais trop idéaliste, trop utopique. Avec ta bible, je vais être complètement fiché, étiqueté, catalogué comme étant exclusivement la voix de tel acteur et rien d'autre». Ce type de position est franchement paradoxal : beaucoup de comédiens de synchro aspirent à plus de reconnaissance, à plus de légitimité et, en même temps, ils n'ont pas soutenu les Rythmos d'Or. Il est contradictoire de dire «Les gens ne savent pas qui nous sommes» et de rester sans réaction face à un tel projet. C'était pourtant un moyen de se serrer les coudes pour redonner à notre métier une cohésion, une éthique, un esprit de solidarité qui ont bien disparu depuis la grève de 1995. Grève dont un grand nombre de soi-disant "comédiens" ont profité... et profitent toujours en cassant les prix, au détriment de toute déontologie professionnelle. On n'entre pas par effraction dans une maison, même (ou surtout) si sa porte est ouverte.

Pour vous, les Rythmos d'Or sont-ils définitivement enterrés ?

En ce qui me concerne, oui. je leur ai consacré plusieurs mois de ma vie, beaucoup de conviction et d'énergie.  Pour l'instant, je ne suis pas prête à replonger. C'est dommage car, aujourd'hui, notre métier n'a plus d'identité. Sur les plateaux, on croise beaucoup de gens que l'on n'avait jamais vus auparavant. Ca m'agace d'autant plus que je souhaite sincèrement l'ouverture de la synchro à de nouveaux comédiens, à de nouvelles générations... qui ont vraiment du talent. Tant que les forces vives du doublage ne se réuniront pas, tant qu'elles ne se battront pas ensemble pour la même cause, les conditions de travail ont peu de chance de s'améliorer.