Charles Pratt Jr.

 Soap Opera Digest, 1986

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Le co-chef scénariste de Santa Barbara, Charles Pratt, Jr., répond à quelques questions et bien d'autres sur la rigueur dans l'écriture d'un daytime soap.

Comment débute-t-on comme scénariste de soaps ?

Mon conseil est, et a toujours été, d'écrire autre chose en premier. La plupart des scénaristes de soaps sont engagés sur la base d'un autre travail d'écriture qu'ils ont réalisé. Cela peut inclure des romans, des pièces, des scénarios... ou n'importe quel autre écrit dramatique original. Ce que les producteurs et les chaînes recherchent, ce sont des approches nouvelles et originales qui font preuve d'un flair pour le dramatique. Dans le cas de scénaristes, on recherche pour l'écriture de dialogues et les définitions de personnages. J'ai commencé comme scénariste, ce qui, à mon avis, est la meilleure place. On y apprend les formulations correctes et ce qui marche et ne marche pas.

Combien de temps passez-vous à écrire l'équivalent d'une semaine de scénarios ?

Ca va demander un peu d'arithmétique. Il y a vingt-quatre heures dans une journée, 168 heures dans une semaine... Nous produisons cinq heures de scénarios par semaine. Nous avons environ sept scénaristes qui travaillent sur la série. Chacun de nos sept scénaristes travaille environ 160 heures par semaine. Pendant nos huit heures de repos, nous mangeons, dormons, payons nos factures, appelons nos agents, visitons nos psychiatres, refaisons connaissance avec nos enfants et nos épouses... A présent, si chacun des sept scénaristes travaille 160 heures par semaine, cela nous fait arriver à 1120 heures investies dans chacune des cinq heures d'épisodes, ou 224 heures pour un épisode d'une heure, et si tout cela est trop confus, tournons-le dans ce sens : nous travaillons sept jours par semaine et ce n'est jamais suffisant. Nous mangeons, buvons, dormons et respirons notre série.

Combien d'avance (avez-vous) dans le contour de l'histoire en général ?

A combien d'avance êtes-vous en terme de scénarios ? Certaines de nos histoires sont prévues en avance sur un an, mais en moyenne, nous réfléchissons dix semaines à six mois à l'avance. Les grands traits, ou contours, pour chaque épisode individuel, sont prévus environ six semaines en avance. Les scénarios arrivent quatre ou trois semaines avant d'être tournés. On essaie de rester autant en avance que possible, mais pas au point de rester piégé dans une intrigue qui ne marche pas. On appelle ça "a good bail-out position" ("une bonne position de renflouement") - d'avoir environ quatre semaines d'avance.

Une fois que vous avez établi une intrigue sur le long terme, combien est-elle flexible ? Travaillez-vous de manière proche avec la production ?

Une intrigue doit rester extrêmement flexible. Si quelque chose ne marche pas, vous devez être préparé à la modifier. Cela signifie considérer l'apport des téléspectateurs, des producteurs, des réalisateurs et des acteurs. En fait, la plupart des scénaristes de soaps essaie de conserver une histoire prévue aussi lâche qu'elle le peut, afin de laisser de la place pour des retournements de situations à venir. Quand une histoire marche, on veut en tirer autant de jus que possible. La plupart de nos contacts avec la production se fait à travers les scénarios et les grandes lignes. Ils nous disent ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire. La production se repose évidemment lourdement sur l'équipe scénaristique et inversement. C'est comme une sorte de partenariat, ou mieux, un mariage. Chaque partie doit donner un peu pour faire marcher les choses. Et si toutefois, occasionnellement, le divorce est évoqué, les deux parties réalisent qu'elles ne seraient rien l'un sans l'autre.

Prenez-vous en considération les avis des acteurs au sujet de leurs personnages ?

Seulement s'ils sont attirants et féminins - et connaissent les bonnes techniques de persuasion. Sérieusement, les scénaristes accueillent toujours les apports des acteurs mais, malheureusement, les acteurs n'ont pas toujours les points de vue les plus objectifs sur leurs personnages. Mais une bonne équipe de scénaristes écoute toujours. C'est la clé. Beaucoup d'idées viennent à vous de toutes parts. On essaie de toutes les accueillir, puis on se repose sur son instinct viscéral pour (prendre) la décision finale. Les scénaristes parlent beaucoup de leurs tripes - parce que sincèrement c'est là que repose notre talent - la capacité à faire la distinction entre ce qui est bien et ce qui est mauvais.

Combien les apports des téléspectateurs importent-ils vraiment ?

Aucun scénariste ne vit sous cloche. Nous sommes tous, en fin de compte, les esclaves de nos téléspectateurs. Si on écrit pour se faire plaisir à soi-même, rien de tout cela n'importe si nous ne satisfaisons pas notre public. Leurs opinions et apports sont inestimables. Nous sommes principalement intéressés par ce qu'ils aiment et n'aiment pas. Vous devez prendre tout ce que le public dit avec des pincettes parce que s'il est impliqué dans l'histoire, son opinion sera très personnelle, forte et remplie d'émotion. J'ai toujours pensé que la responsabilité majeure d'un scénariste est de garder son spectateur soit sur le bord de son siège, soit à rire, ou à pleurer, ou à jurer, ou à s'intéresser. L'idée est qu'on ne peut jamais les laisser s'ennuyer. Si un téléspectateur s'ennuie, je ne fais pas mon travail.

Etes-vous tenté d'user des expériences de votre propre vie personnelle dans vos histoires ?

Constamment. C'est l'un des aspects les plus amusants dans le fait d'écrire. Pour intégrer, modifier et adapter votre propre vie dans l'histoire. Par exemple, ma nuit de noces. Mon épouse Barbara et moi... Attendez une seconde, je ne peux pas raconter cette histoire. On ne le pourrait pas à l'antenne, non plus. Malheureusement, c'est trop bizarre pour être traduit pour la télévision. Les meilleures histoires viennent d'un mélange hybride d'imagination, de vraie vie et de rêves. Vous seriez surpris de combien de bonnes histoires peuvent émerger d'une nuit de sommeil agitée. Peut-être est-ce pourquoi vous trouverez tant de scènes de rêves dans Santa Barbara.

Qui décide quand faire venir un nouveau personnage ? Quelles sont les considérations ?

Pas une seule personne sur une série d'une heure ne peut gérer tous les tournages et prendre toutes les décisions. C'est un effort de groupe. Même si la plupart des personnages et des histoires émane des scénaristes, les décisions finales sont prises par un groupe constitué des scénaristes, des producteurs et des patrons de chaîne. D'un point de vue créatif, on ne veut pas faire venir trop de nouveaux personnages d'un seul coup. Habituellement, on les fait venir pour des raisons spécifiques à l'histoire. Introduire ce nouveau personnage est probablement la considération la plus importante. Comment il ou elle va apparaître ? Qu'est-ce qu'il ou elle va faire dans ses tous premiers épisodes ? Qui sont ses amis ? Que veut-il ou veut-elle ? Ensuite on doit trouver le bon acteur - ce qui est un tout autre problème.

Y a-t-il des désaccords dans l'écriture ? Comment sont-ils résolus ?

«Oui» à la première question. «Sans commentaire» à la seconde. Sérieusement, si on était tous d'accord tout le temps, ça serait une série bien ennuyeuse. Même si nous n'en sommes jamais venus aux mains, nous en avons (déjà) été proche. Les scénaristes deviennent très passionnés au sujet de leur travail. S'ils aiment quelque chose et savent dans leurs tripes que cela fonctionne, ils déploieront beaucoup d'efforts pour le défendre. Plus leur conviction est passionnée, plus leur comportement sera puéril. Personnellement, je suis connu pour proférer des menaces... me pointer devant les portes d'entrée des gens avec des gants de boxe, démissionner et partir travailler pour Cas de Divorce. Au bout du compte, le compromis est la meilleure solution. Avec de la patience et un point de vue objectif, les pires désaccords peuvent ordinairement être résolus. D'un autre côté, de manière ironique, plus un scénariste se bat durement, plus il obtient du respect.

Vous êtes-vous déjà retrouvé en manque d'idée de scénario ?

Huit fois par semaine.

Que faites-vous ?

Je panique.

Alors que faites-vous ?

Je me tourne vers une pile de factures. Comme on dit, la nécessité fait loi.

Pour quelle raison peut-on vouloir écrire pour un soap-opera ?

Pour échapper à la réalité.

Vraiment ?

La plupart d'entre nous n'a pas le choix. C'est soit écrire soit abandonner son quotidien. Ecrire est comme un besoin, comme se ronger les ongles ou fumer. Une fois que c'est en vous, il est difficile de s'en débarrasser.

 

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