«Je ne suis pas bankable»

 Par Marguerite Baux, Grazia, 2011

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Dorures, meubles Louis XVI, lourds rideaux, décors de pastorale au mur. C'est là, dans l'immense salon d'un hôtel de luxe rue de Rivoli, que surgit une silhouette blonde montée sur ressorts, démarche élastique dans un jean noir très slim, bottes courtes et grand pull anthracite troué sous le bras. Look de concert rock plus que de suite présidentielle. Oubliez les clichés sur la quarantaine épanouie : Robin Wright est une jeune fille. Pas seulement à cause de son corps à la ligne prépubère, mais de son naturel désarmant. Tour à tour rieuse, sérieuse, rêveuse, le visage expressif, la peau fine et pâle, mais pas fragile pour autant. Le portrait de l'ex-Madame Sean Penn, souvent dépeinte comme une victime des frasques de son mari, colle mal avec sa personnalité affirmée. Robin Wright est une vraie star : pas capricieuse, mais forte tête. Après les succès de Princess Bride et Forrest Gump, elle est célèbre pour avoir refusé les blockbusters Batman et Jurassic Park : ses enfants avant sa carrière, les scénarios qui lui parlent avant la stratégie guerrière. Aujourd'hui, ses enfants sont grands, et les tournages s'enchaînent avec Robert Redford, Ari Folman, David Fincher... Elle a l'air espiègle, impatiente. Mais elle s'est toujours méfiée des journalistes et se jette sur la moindre occasion de parler d'autre chose. Interviewer Robin Wright, c'est un peu jouer au chat et à la souris. Et ce n'est pas le chat qui gagne.

Vous avez été mannequin à 16 ans et vous avez décrit cette expérience comme un traumatisme. Pourquoi avoir recommencé pour Gérard Darel ?

Je connaissais Charlotte Gainsbourg, c'est elle qui m'a présenté Madame Darel, et je l'ai tout de suite appréciée. Je ne parle pas français, elle ne parle pas anglais, mais on est sur la même longueur d'onde. Et j'aime ce qu'elle représente: il y a quelque chose d'élégant dans sa retenue. Quand on joue, mieux vaut le faire pour des gens avec lesquels on se sent en accord.

Ce n'est pas tout à fait un rôle comme les autres : c'est vous-même que vous jouez.

C'était leur intention, et je trouve qu'ils ont réussi. Je me reconnais. J'ai été mannequin, je sais porter les vêtements, mais Peter Lindbergh a vraiment su me saisir. Et à la fin, c'est toujours ça qu'ils veulent : vous.

Vous avez cultivé une certaine discrétion, et soudain vous acceptez de jouer avec votre image.

Ce qui compte, c'est comment vous jouez avec cette image, ou plutôt comment on vous représente. Le fait que ça ne me ressemble pas de faire ça a aussi été un attrait pour moi.

Il paraît que vous ne vous intéressez pas tellement à la mode. A Paris, vous allez voir les défilés ?

Nooon.

Vous avez dit que vous aviez presque l'air "française" sur les photos. Qu'est-ce que vous vouliez dire ?

Qui a dit ça ? Moi ? Je n'ai jamais dit ça ! Vous voyez, c'est pour ça que je déteste faire des interviews...

Vous détestez ?

Tellement ! Ne le prenez pas pour vous, ça n'a rien de personnel. Je fais ce métier depuis que j'ai 20 ans, et j'ai toujours détesté ça. J'évite aussi de lire les articles sur mes acteurs préférés, pour ne pas être influencée.

Et votre propre image, qu'en pensez-vous ? On vous dit calme, discrète, naturelle...

C'est vous qui le dites. Je préfère évidemment ça plutôt qu'on dise que je suis une folle névrotique bourrée d'antidépresseurs. Dieu merci ! Mais je n'ai aucune idée de l'image que je donne. Ce n'est pas mon truc. Faire la couverture des magazines, donner des interviews, ce n'est pas ça mon métier. Jugez-nous sur notre travail, plutôt.

Vous avez refusé des rôles dans de gros films. Comment choisissez-vous ?

C'est un ensemble, ça dépend du scénario, du réalisateur, des autres acteurs. Parfois, il faut aussi travailler pour gagner de l'argent.

Pour «chauffer la piscine», comme vous dites...

Oui, ça me fait rire, c'est une expression que j'ai piquée à un producteur d'Hollywood. C'est tellement californien, comme de dire : «Il faut bien que je paie mon chauffeur ! Ou le champagne, les domestiques...». (Elle s'interrompt pour admirer le coucher de soleil qu'elle déclare «mauve», en français dans le texte avec un très long "o", les yeux perdus à l'horizon. Pas facile de revenir à nos moutons).

J'ai retrouvé une irrésistible interview de vous à l'époque où vous jouiez dans Santa Barbara (reproduit sur ce site). Vous disiez : «J'ai deux puits de pétrole au Texas (...) Si le prix du pétrole monte, nous aurons assez d'argent pour les trente ans à venir.»

Oh, c'est touchant. Mais ça n'a pas marché ! Le puits s'est asséché. On s'est remboursé de nos 5000 dollars d'investissement, mais c'est tout ! J'avais 20 ans, on m'avait convaincue que c'était un gros coup, et ça aurait pu marcher, regardez les prix maintenant !

Vous ne pourriez donc pas arrêter de travailler ?

Non ! Vous savez, je ne gagne pas beaucoup en tant qu'actrice, je fais surtout des films indépendants à petit budget. Je ne suis pas dans la catégorie "box-office" et ça ne va pas s'arranger au fur et à mesure que je vieillis. Je n'ai jamais fait de film qui rapporte de l'argent. A part Forrest Gump, ou Princess Bride, mais les budgets n'étaient pas les mêmes, c'était il y a vingt ans, f... !

Et si votre fille voulait devenir actrice, vous le lui déconseilleriez ?

Oui, si elle doit se battre, si elle n'est pas assez bonne. Mais elle est très douée. Je veux que mes enfants fassent ce qu'ils ont envie de faire, mais je crois qu'ils sont trop intelligents pour être acteurs !

Vous dites que vous n'avez jamais voulu être une actrice. C'est toujours vrai ?

J'adore mon métier. Je l'ai toujours adoré. Mais je n'ai jamais été satisfaite de mon travail. Je suis très critique, je m'énerve, je veux recommencer encore et encore... J'ai aussi recommandé d'autres actrices pour des rôles qu'on me proposait... et j'avais raison, elles étaient vraiment meilleures que moi !

On ne peut pas savoir avant d'avoir essayé.

C'est vrai, et maintenant je m'en rends compte. Maintenant j'ai envie de tout essayer. Quand on est jeune, on a peur de l'échec. On est perfectionniste. Mais dans la vie, il faut prendre le risque de l'échec, parce qu'il y a peut-être quelque chose de magique qui vous attend. Peut-être... J'essaie plus de choses maintenant.

Vieillir n'a pas l'air de vous angoisser.

Si bien sûr. Mais c'est une discipline : se dire, 47 millions de fois par jour, «il faut s'y faire, get over it, parce que de toute façon, tu vieillis» et se réveiller tous les jours avec une nouvelle ride... Je fais de la gym, mais pas assez. D'ailleurs, ça fait quatre jours que je n'ai rien fait et il faut que j'y aille ce soir, sinon je tue quelqu'un !

Vous faites très attention ?

Je fume, je bois... un peu. Quelques cigarettes par jour, et quand je sors, j'en fume une dizaine. Je suis plutôt dans la modération. Mais suivant les moments de sa vie, on passe par des extrêmes, bien sûr.

Il vous arrive donc d'être excessive ?

Parfois.

Dans votre couple, vous donniez l'image d'une personne stable, sage.

Vraiment ? C'est drôle comme les gens s'inventent des histoires. Il faut réserver son imagination pour les livres et les films. C'est très ennuyeux de voir sa vie transformée en fiction.