Les amoureux de Santa Barbara antistars et rois du business

 Par Chantal Van Tri, Télé Star, 1986

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C'est dimanche. Il fait beau en Californie. Tout au long de Sunset, le boulevard le plus long de Los Angeles, sans dépasser les 60 km/h, la vitesse limite, les Californiens ont pris la direction de l'océan en files serrées. Stranger in the Night, sur 101.92, Radio California diffuse une rétrospective des chansons de Frank Sinatra. Après la courbe, le canyon, et, cent mètres plus bas, Sycomore Road. Au trois cent soixante-huit, la maison de Dane Witherspoon et Robin Wright, alias Joe Perkins et Kelly Capwell, les amoureux malheureux de Santa Barbara, vivent ici une très jolie histoire d'amour qui a commencé avec le feuilleton, il y a maintenant deux ans.

C'est dans le quartier chic de Santa Monica qu'ils ont élu domicile, mais on ne trouve pas chez eux de piscine en forme de coeur. La maison en lattes de bois, comme bon nombre des maisons des alentours de Los Angeles, est plutôt petite. Une véranda, un salon kitchenette, un bureau et leur chambre, et le tour du propriétaire est fait. Rien qui s'apparente au style des stars. La colline de Hollywood se trouve exactement à l'autre bout de Los Angeles. Et ce n'est pas un hasard si Robin et Dane ont décidé d'en habiter le plus loin possible. Non seulement ils ne vivent pas comme des stars, mais ils avouent ne pas être en bons termes avec le show-business qui a fait leur succès depuis Santa Barbara. Dans la réalité, Santa Barbara, à deux heures de Los Angeles, est une superbe station balnéaire où Ronald Reagan possède une résidence secondaire. Un paradis pour milliardaires, un endroit magique, propice à faire rêver les téléspectateurs surtout lorsqu'on y place une ravissante héritière, Kelly, alias Robin, et un très beau garçon, Joe, alias Dane, qui, non content d'être beau, a aussi le malheur d'être accusé à tort du meurtre du frère de sa bien aimée...

Au rythme de treize heures par jour, de cinq jours par semaine, et de cinquante-deux semaines par an, Robin incarne Kelly depuis deux ans. «Je travaille beaucoup mais il est vrai qu'ici il fait toujours beau et qu'on vit plus en liberté que dans une ville comme Paris. On a à la fois la campagne, la mer, la ville, la montagne. C'est superbe, mais cela n'empêche que, chaque matin, je me lève à 6h30 et que je rentre chaque soir à 9 heures.» Vue par le petit bout de la lorgnette, la vie de la jolie héritière de Santa Barbara prête moins au rêve. Derrière la maison, il y a juste la place pour un oranger, qui donne des fruits superbes, et un massif de rhododendrons. Robin a meublé le salon avec des meubles de récupération. Un canapé blanc qu'elle n'aime pas, une grande armoire normande dans laquelle Dane a installé une chaîne hi-fi et deux baffles, une table basse constituent l'essentiel du mobilier. Sur la table, un livre de photographies sur Paris. Paris où habite le meilleur ami de Dane. Ils veulent monter un restaurant à Hollywood. Justement, l'ami appelle. Après une longue communication téléphonique, Dane résume leur conversation. Son ami est désolé parce que le gouvernement français n'a pas laissé les Américains survoler notre territoire pour aller en Libye. No comment, comme dirait Gainsbourg. Dane n'est pas le premier et ne sera sans doute pas le dernier à nous parler de la "vilaine attitude" des Français dans le combat contre Kadhafi.

Nous sommes loin de Santa Barbara, mais Robin y revient pour s'écrier : «Santa Barbara, j'en ai assez, je suis fatiguée de la télévision. La série est réalisée par quatre metteurs en scène. On change d'équipe deux fois par semaine, c'est-à-dire qu'à chaque fois on a un nouveau producteur, un nouveau scénariste et un nouveau directeur d'acteurs, qui n'a pas la même idée du rôle que le précédent, bien entendu. Le plus ennuyeux, c'est que les scénaristes ne lisent pas les scénarios du tournage précédent. Parfois, ils nous font même dire le contraire de ce que nous avons dit la veille. Ce n'est pas facile. En fait, en dehors des comédiens, aucun technicien ne connaît vraiment l'histoire. Les personnages apparaissent et disparaissent de la série au gré de la fantaisie des metteurs en scène et des producteurs. Au début nous étions quinze acteurs, aujourd'hui nous sommes trente-cinq. En fait, poursuit Robin, tout dépend de la réaction des téléspectateurs, du courrier des fans. S'ils veulent voir Joe plus souvent, il apparaîtra cinq fois au lieu de trois dans l'épisode.»

Au grand désespoir de Robin, Dane a été remplacé dans la série à la suite de différends avec les producteurs, qui ont imaginé de l'assassiner. «Pendant quatre semaines, ajoute Robin, j'ai joué avec quelqu'un d'autre, mais le public ne paraissait pas satisfait. Les téléspectateurs réclamaient Dane, en vain. Le producteur m'a trouvé un nouvel amoureux. Il ne plaît pas beaucoup car l'audience a baissé.» Pour Dane le drame était surtout de quitter Robin dont il était tombé amoureux dès le premier jour de tournage. Il a été aussitôt engagé dans Capitol, une série actuellement diffusée sur Antenne 2. «Je joue le rôle d'un jeune avocat, fils du héros. Comme dans toutes les séries, il y a une famille de bons et une famille de méchants. Cette fois, je suis dans la famille des gentils. En fait, je souffre deux fois moins que Robin dans ce feuilleton car il dure deux fois moins de temps à l'écran, une demi-heure au lieu d'une heure !» On se prend à les plaindre, surtout que Robin a encore d'autres motifs de mécontentement à propos de Santa Barbara. «Le comédien n'a aucune possibilité de vraiment jouer. Tout ce qu'on lui demande c'est d'apprendre ses quarante pages de dialogues, de dire ensuite des phrases comme "Vos lèvres ressemblent à des pétales de rose", et de rendre ces inepties crédibles.» Lourde tâche en effet, mais ne peuvent-ils l'un et l'autre échapper à cet enfer ? «J'ai signé un contrat de trois ans, explique Robin, qui s'achève en juillet 1987 et je me suis promis que plus jamais je ne ferai ce genre de série.»

Dane devra donc attendre encore deux ans pour se libérer de Capitol. Et après ? Après, nos deux sympathiques héros ont bien l'intention de faire du cinéma. Du vrai. Avec des dialogues, des sentiments et, pourquoi pas ? des messages. Dane a écrit un scénario. «C'est l'histoire de deux jeunes garçons qui font du moto-cross. Tout le monde est contre eux, mais ils finiront par remporter la finale nationale et à représenter la firme Honda. Nous avons vendu le synopsis et obtenu une aide financière de différents sponsors. Nous avons ainsi réuni un million de dollars. C'est un petit budget, mais même sans utiliser des stars on peut faire de bons films», ajoute-t-il optimiste. Vivre en marge du show-business tout en produisant des films, Dane et Robin n'en sont pas à un paradoxe près. Robin rêve de quitter Los Angeles. «Nous voudrions nous installer à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Nous aimons le désert, l'architecture, la sérénité de ce pays...» Mais comment feront-ils pour travailler là-bas ?

A force de pratiquer la semaine de soixante-cinq heures chacun de son côté, Dane et Robin se sont constitués un très joli bas de laine. «Nous gagnons plus que 90% de la population en faisant de la télévision, dit Dane, mais, dans le show-business, c'est nous qui travaillons le plus et qui gagnons le moins !» Il avoue d'ailleurs avoir très envie d'arrêter définitivement le métier d'acteur. «Je veux créer, explique-t-il, c'est tellement frustrant de n'être qu'un interprète. Je vais me diriger vers la production, grâce à mes revenus. Je suis copropriétaire d'une société qui fabrique des tas de gadgets, des tee-shirts, des cassettes, des badges. Avec mon associé, nous inventons des modèles et nous les faisons fabriquer dans notre usine de Taiwan. Notre dernier modèle, ce sont des badges des voitures des années cinquante. Ça marche très bien à Los Angeles...»

«Pour ne pas dépendre du show-business, ajoute Robin, nous faisons de gros investissements et nous avons des affaires parallèles. Moi, je possède deux puits de pétrole au Texas, car le père de Dane possède là-bas une compagnie de pétrole. Et j'ai investi récemment encore cinq mille dollars pour creuser un autre puits. Si le prix du pétrole monte, nous aurons assez d'argent pour les trente ans à venir.» Dane reprend : « En fait, nous n'avons pas besoin de travailler. Si nous le faisons c'est parce que nous aimons notre métier.» «C'est vrai, ajoute Robin, et, à force de nous voir à la télévision, les gens vont s'habituer à nous. Nous ferons des films et nous deviendrons des stars. Nous voulons travailler ensemble et devenir assez célèbres pour que les producteurs nous disent : "Faites tout ce que vous voulez." A ce moment-là, nous pourrons montrer ce dont nous sommes capables...»

Voilà comment, au détour de la conversation, il s'avère que la belle Robin, qui vient tout juste de fêter ses vingt ans, est une redoutable femme d'affaires et qu'elle n'a rien à envier à son si souriant compagnon. Pour nous prouver qu'ils savent malgré tout rester très simples, Dane et Robin m'ont montré leur dernière acquisition : des vélos, de course il est vrai, mais de simples vélos, pour lesquels ils délaissent leur superbe BMW, la voiture à la mode. «Car, précise Robin, depuis quatre mois le vélo fait fureur à Los Angeles. Dans les collines c'est très amusant de se promener à vélo. Malheureusement avec nos emplois du temps on ne peut en faire que le week-end...»