Tous les secrets du nouveau Santa Barbara !

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1988

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A Burbank, dans les studios de la NBC, Santa Barbara, durement secoué ces dernières semaines, relève la tête. A la chute des sondages (le soap-opera est à la treizième place) s'est succédé le licenciement de Bridget Dobson, la créatrice du feuilleton, celle qui, pendant quatre ans, a mis beaucoup d'elle-même dans l'aventure pour l'aider à vaincre, sur un terrain difficile, celui des soap-operas où beaucoup sont mort-nés. Pour ceux qui devinrent les Capwell et les Lockridge, Bridget était un peu une seconde maman. Sévère mais juste. L'affaire est désormais entre les mains des avocats des deux parties.

Mais la vie continue. Et, à l'écran, elle doit même continuer comme si rien ne s'était passé, pour que les téléspectateurs rêvent encore et vivent de passions, au rythme des coups de coeur de Cruz, d'Eden, de Ted. Au même moment, le feuilleton doit également surmonter le départ de Robin Wright, une des pièces maîtresses, fatiguée par son rôle et tentée par l'aventure du cinéma. Robin est partie, mais le personnage de Kelly est toujours là, repris par une autre comédienne, Kimberly McArthur. Comment le public va-t-il accepter, lui qui a fait de Robin une princesse du petit écran ? Joan Mac Trevor s'est rendue sur le plateau de Santa Barbara pour savoir ce qui s'y passait. Elle raconte comment le feuilleton tente de surmonter la passe difficile qu'il traverse, comment il fourbit ses armes et prépare la contre-attaque. Pour le plus grand plaisir du téléspectateur.

Après l'orage, il y a toujours une éclaircie. Pendant des semaines, les acteurs de Santa Barbara se sont forcés à être optimistes et à croire en l'avenir. Aujourd'hui, sur les visages se redessinent des sourires. Eden, Cruz, Kelly et les autres attendent le verdict du public, mais ils sont confiants. Pour eux, le premier rayon de soleil a brillé lors de la cérémonie des Daytime Emmy : en enlevant l'Oscar du meilleur feuilleton quotidien de la télévision américaine, ils ont su qu'ils ne faisaient pas fausse route.

«Nous avons compris qu'on nous aimait, qu'on nous aimait encore», répète Marcy Walker, étincelante dans un ensemble jaune, la couleur du soleil revenu… «Nous avions besoin d'être rassurés, de recevoir ce feu vert pour nos nouvelles idées. Cette récompense ne signifie pas que les autres feuilletons sont mauvais, mais que Santa Barbara doit vivre ! A un certain moment, moi-même je me suis mise à douter : le mariage de Cruz et d'Eden (son personnage) était-il vraiment une bonne chose ? Cette romance était un accident. Elle est née seulement parce que des personnages ont disparu et qu'une espèce de magie nous rapprochait. Mais le public l'a tant réclamé. Nous ne pouvions plus le lui refuser.»

Aujourd'hui, les nouvelles idées, les nouvelles intrigues, les nouveaux personnages sont là. Justin Deas (lui aussi récompensé par un Oscar de la télévision), qui incarne le juge Keith Timmons, tourne une scène avec sa jeune épouse, Gina (Robin Mattson a remplacé Linda Gibboney dans le rôle). Elle porte de la lingerie fine qui la rend très sexy. Un peu plus tard, c'est vers une jeune nonne que tous les regards convergent. Elle s'appelle Sarah, elle fait des signes avec ses mains et ses doigts pour se faire comprendre :  c'est en effet une actrice sourde et muette, Phyllis Frelich, qui l'incarne. Les nuits perturbées de Sarah vont révéler chez elle une âme de meurtrière.

Mais les patrons du feuilleton dirigent aujourd'hui Santa Barbara sur d'autres routes, celle de l'humour et d'un ton plus moderne. «L'histoire d'Eden et de Cruz repose sur de vieux clichés», expliquent-ils. «Avec Keith et Gina, les "vilains" du feuilleton, les rapports seront plus corsés. Ils vont s'envoyer des tartes et de la boue à la figure.» «Quand nous avons découvert ce scénario au petit matin», ajoute Robin Mattson, «nous nous sommes regardés en disant : "Ils veulent nous faire jouer cela ?!" Certains acteurs n'auraient pas été très à l'aise en répétant ce texte incisif, mais je suis persuadée que le résultat ne peut être que gagnant.»

Pour captiver un nouveau public, pour que le feuilleton trouve son second souffle, Santa Barbara veut prendre des risques. Les paroles de Bridget et Jerry Dobson, qui l'ont crée, reviennent souvent à la mémoire des acteurs : «Si l'on n'ose pas, on mourra comme d'autres soaps !»

Outre les jeunes (une grande action est menée actuellement pour les faire revenir vers le feuilleton), Santa Barbara veut reconquérir les téléspectateurs avec un rythme plus rapide. «Notre feuilleton va beaucoup plus vite qu'il y a quelques mois, il s'y passe beaucoup plus d'événements» explique le producteur exécutif Jill Farren Phelps. «De plus en plus, nos histoires commencent et finissent le même jour. Les téléspectateurs ne devront plus toujours attendre le lendemain pour savoir ce qui s'y passe ! Nous voulons que Santa Barbara soit le feuilleton le plus moderne de la télévision. Nous avons simplifié le dialogue et crée une nouvelle bande musicale, pour que ce ne soient pas toujours les sempiternels violons et orgues qui reviennent.»

La modernisation du feuilleton est bien l'élément-clef de cette offensive de charme. Le compositeur-superviseur Dominic Messinger, lui aussi lauréat des Daytime Emmy, a même imaginé, avec ses collègues Rick Rhodes et Liz Lachman, des thèmes musicaux spécifiques pour chaque personnage. Et pour la mariage de Keith et de Gina, il a même enregistré une marche nuptiale au synthétiseur. Mais pour une scène de poursuite, il a préféré une composition signée Beethoven !

Au studio 11 de la NBC à Burbank, Santa Barbara est arrivé à un tournant. Ses dirigeants ont engagé un audacieux coup de poker. Une complète refonte dont l'une des bases est aussi une jeune femme qui ne tardera pas à faire beaucoup parler d'elle : Kimberly McArthur, la remplaçante de Robin Wright dans le rôle de Kelly. «Cette succession est très lourde», reconnaît cette jeune actrice de 25 ans, blonde et mince comme Robin Wright. Mais cela suffira-t-il ? «Après chaque scène, les même questions me reviennent : "Vont-ils aimer ce que je fais ? Vont-ils m'adopter comme Robin ?" Je ne veux pas qu'on l'oublie comme si elle n'avait jamais existé. Le personnage de Kelly est comme un enfant que l'on recueille et qu'il faut aider à bien grandir.»

Danseuse et chanteuse de formation, Kimberly fait ses premiers pas dans le métier d'actrice. Elle a tourné récemment la mini-série Elvis and Me inspiré par le livre de Priscilla Presley, quelques épisodes de Magnum également et de Les Portes du Paradis avec Michael Landon, mais c'est d'abord via la publicité (notamment dans des spots pour Kleenex) qu'elle s'est révélée. En tout cas, la France part avec une longueur d'avance sur les autres pays et la connaît déjà : en 1986, Kimberly faisait partie d'une revue de music-hall en tournée à Monte-Carlo ! «Je suis impatiente de connaître le verdict des français», dit-elle (mais on ne la verra pas avant plusieurs mois). «Je sais que ce sont eux qui ont fait du feuilleton ce qu'il est en Europe.»

La nouvelle destinée de Kelly ne passera d'ailleurs pas inaperçue. A peine son mariage avec Jeffrey Conrad (Ross Kettle) a-t-il été célébré qu'un autre homme va s'immiscer petit à petit dans sa vie : le beau T.J. qu'incarne Chip Mayer. Un bourreau des cœurs car, dans les épisodes futurs de Santa Barbara, il sera l'amant de Sophia Capwell (Judith McConnell).

Malgré l'arrivée en force de l'humour (les préparatifs au mariage de Gina sont une caricature du savoureux film Eclair de Lune avec Cher), les sentiments et le romantisme seront toujours bien présents. Scénariste, Anne Howard Bailey révèle : «Cruz a eu jadis un enfant d'une autre femme, qui était droguée. Eden ne peut pas l'admettre. Comment finira-t-elle par l'accepter ? Quant au personnage de Cain (joué par Scott Jaeck), c'est un vétéran du Viêt-nam et il va retrouver sa fille, une Eurasienne. Une situation que plusieurs ménages américains ont vécue au lendemain de la guerre du Viêt-nam.»

Grâce à une mobilisation de tous les instants, les pourvoyeurs de rêve de Santa Barbara ont déjà réussi l'impossible : passer au-dessus de la grève des scénaristes qui affecte beaucoup Hollywood actuellement. Personne ne veut dire d'où viennent tous ces scénarios qui constitueront les épisodes à venir, mais à voir l'enthousiasme des acteurs, personne, non plus, ne peut cacher la vérité : grâce aux efforts de tous, un autre Santa Barbara est en train de voir le jour. Un feuilleton plus fort et mieux armé dans le futur contre les coups du sort qui surgissent toujours au moment où on les attend le moins...