«La télévision est un fléau !»

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1987

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Il vient d'apparaître dans Santa Barbara sous le nom de Pearl, personnage qui apporte dans son bagage un vent de fantaisie, de liberté et de décontraction qui manquait jusque-là au célèbre feuilleton. S'il ne partage pas nécessairement les goûts vestimentaires et l'excentricité de son personnage, Robert Thaler dégage néanmoins une réelle sympathie et un authentique bonheur de vivre. Quand on parvient à lui faire retrouver son sérieux, il parle de son sujet favori : l'aide aux plus défavorisés qu'il a d'ailleurs concrétisée en travaillant pour Operation California, organisation qui s'occupe d'envoyer vivres et matériel en Ethiopie, au Mexique et en d'autres endroits déshérités du globe. Il dit de Pearl «qu'il s'assure d'abord du confort d'autrui avant de s'assurer du sien propre», mais cette définition pourrait tout aussi bien s'appliquer à l'homme Robert Thaler.

Robert Thaler est loin d'être mécontent du personnage qu'on lui a créé dans Santa Barbara. Il le voit promu à un grand avenir et aussi riche et complexe que celui de Mason interprété par Lane Davies. Comme il dit lui-même «Je suis le seul personnage de soap à avoir survécu longtemps sans relation féminine, sans famille et sans passé.» De fait, un peu moins de deux ans après son entrée dans le feuilleton, on commence seulement à entrevoir son passé : il viendrait de la côte est, d'une famille aristocratique, et ne serait pas ce qu'il parait être.

«Pearl est une sorte de feu follet, libre de corps et d'esprit, et qui ne voit jamais que le bon côté des choses», précise le comédien. «Il est l'ami de Cruz, avec lequel on le voit toujours, même si le détective trouve qu'il n'est pas toujours très présentable avec ses cheveux en queue de rat, ses vêtements pas nets et ses boucles dans les oreilles. Mais, comme il le sait plus perspicace que lui, il l'envoie souvent à la chasse aux renseignements. A vrai dire mon personnage a quelque chose d'expérimental. Les héros des feuilletons américains sont généralement présentables et conservateurs dans leurs attitudes. Et c'est bien dommage. Dans les soaps surtout, où les acteurs ne se mouillent guère, aspirant toujours à des rôles un peu vides de mecs sympas, lisses, pleins aux as, en accord avec le goût du public, le contraire de ce qu'on nous encourage à être dans les cours d'art dramatique.»

Prompt à ruer dans les brancards de la bonne conscience, Robert Thaler n'en déplore pas moins la perte de certaines valeurs américaines telles que la famille et une certaine sobriété dans le mode de vie. «En Europe, la famille demeure encore le pivot de la vie sociale. Aux Etats-Unis, elle est devenue pratiquement inexistante. La société américaine est devenue trop matérialiste. Bien sûr, les vertus de l'honneur, du sacrifice, de l'intégrité ne sont pas totalement perdues, mais l'argent est devenu pour beaucoup le seul et unique stimulant.» Robert Thaler est d'autant plus désolé de cette tendance que, né dans un milieu campagnard, dans l'Iowa, où son père était médecin dans une petite localité, il a appris les vertus de tempérance et de frugalité. Plus tard, avant de s'engager dans la voie du théâtre et de la comédie, il a vécu sobrement sur les pentes des montagnes qui bordent le lac Tahoe, l'un des plus beaux sites des Etats-Unis. Moniteur de ski à temps partiel, il tenait également une librairie et donnait des cours de guitare le soir.

«La télévision est un des fléaux de notre société. Je sais j'en fais, mais jouer est mon métier, et la télé est une façon de survivre en tant que comédien. Ce ne sont pas tant ceux qui font la télévision qui sont à blâmer que ceux qui la regardent. Elle devient la seule référence pour beaucoup, la vérité dont tout émane, l'alibi pour s'épargner toute activité créatrice. On copie la mode vestimentaire des héros, de séries, on aspire à leur mode de vie, on rêve d'égaler leur fortune. On s'émeut de leurs déboires sentimentaux. On finit par devenir une imitation d'une imitation.»

Robert Thaler est devenu comédien par accident. Il a fait des études d'économie politique à l'université de Berkeley, l'une des raisons pour lesquelles il parle si bien des rapports de forces économiques dans le monde. Mais c'est la fréquentation de la vie théâtrale à San Francisco qui lui a donné le déclic. Suivirent les habituels cours d'art dramatique et deux années de tournées théâtrales à travers le pays, avant de poser son baluchon à New York où il peaufina le métier. Santa Barbara est son premier rôle pour la télévision. Autre originalité du personnage : il est membre d'un centre zen à Los Angeles, où il s'adonne à la méditation, ce qui ne l'empêche pas de faire de l'équitation et du golf avec des compagnons plus conventionnels. Ce qu'il aime par-dessus tout ? Se baigne sous les étoiles; les femmes, et même les hommes, qui ont de l'humour; la franchise des rapports humains; et, dans un registre plus terre à terre, la cuisine exotique. Des défauts? «Je déteste perdre». Un souvenir malheureux ? «Quand je me suis fait jeter hors d'une équipe de football parce que j'étais trop petit de taille.»

Cet acteur toujours souriant et naturellement ouvert aux autres se referme cependant devant l'injustice et l'inégalité. Il n'est pas improbable qu'un jour il renonce à son métier pour s'intégrer à quelque association d'entraide à l'échelle mondiale. «Etre acteur apporte énormément de satisfactions, mais ce n'est pas la seule façon dont je souhaiterais pouvoir m'exprimer dans la vie», conclut ce jeune homme, dont il n'est pas difficile de deviner que l'amour et l'aide à autrui peuvent lui apporter autant de bonheur qu'un bon rôle.