«La vie serait vaine sans une belle cause à défendre !»

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1990

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Nancy Grahn se sent très proche de Julia Wainwright, son personnage dans le feuilleton Santa Barbara. Avec Lane Davies (Mason), elle a formé pendant quatre ans un couple harmonieux et idéal, secoué par des crises et des ruptures certes, mais parfaitement soudé. Une unité si perceptible à l'écran qu'on s'est empressé d'associer amoureusement Lane Davies et Nancy Grahn dans la vie. Mais l'un et l'autre démentent énergiquement cette rumeur. Une rectification qui n'exclut pourtant pas une profonde amitié. Depuis, cependant, Lane Davies, fatigué de son personnage, a rendu son tablier. C'était en juin dernier. Mason n'en est pas mort pour autant. Depuis le début de l'année, les téléspectateurs américains peuvent le retrouver sous les traits de Terry Lester, mieux connu des Européens pour le personnage de Jack Abbott dans Les Feux de l'Amour. Et qu'a fait Nancy Grahn entre-temps ? Elle n'a pas pris le voile des veuves, mais a profité de ce flottement pour consolider son personnage et mettre de l'ordre dans sa vie.

Depuis qu'elle s'est offert, avec les gages de Santa Barbara, une petite maison dans la San Fernando Valley, qu'elle occupe avec son chien Barney, Nancy Grahn est la plus heureuse des femmes. Dans la foulée, elle s'est acheté une BMW décapotable… pour faire ses emplettes. «Pendant des années», explique Nancy Grahn avec enthousiasme, «je me suis persuadée que seule une relation stable avec un homme me déciderait à acheter une maison. J'étais désemparée à l'idée de devoir m'occuper d’une maison toute seule et d'en payer les traites mensuelles. Depuis, j'ai radicalement changé d'avis. J'apprécie ce que Santa Barbara m'a donné. Je me sens même mieux dans mon travail, et l'achat de cette maison m'a totalement épanouie dans ma vie de femme. Je crois que je resterai célibataire longtemps encore.»

Pendant quatre ans, Nancy Grahn a partagé la vie de Sam Behrens, l'un des protagonistes du feuilleton Hôpital Central. Mais elle se garde bien, aujourd'hui, de recommander ce genre de relation. «La plupart de mes relations amoureuses, c'était avec des acteurs. Toutes des échecs. Les comédiens sont généralement pleins de charme, séduisants, mais incapables de rester en place. Ils sont toujours persuadés qu'il y a mieux à découvrir derrière le coin et se sentiraient frustrés d'en être privés.» Ce qui n'empêche pas Nancy Grahn de sortir régulièrement avec un producteur de la télévision... «Un producteur, mais pas un acteur», corrige-t-elle sans rancune. «J’ai eu des rapports avec des "civils", comme on appelle les gens qui n'appartiennent pas au show-business, mais ils étaient en général incapables de vivre avec une célébrité du show-business.  Je les sentais effrayés par le métier que je faisais. Une impression inconfortable !»

En neuf mois, Nancy Grahn a eu le temps de se faire à l'absence de Lane Davies, mais elle a toujours regretté le départ de l'acteur qui était devenu son ami et son confident. D'un naturel optimiste, Nancy ne veut pourtant voir que le bon côté des choses et a accueilli avec enthousiasme le nouveau Mason. «Lane était un Mason plus mystérieux, plus sombre, plus tragique. Terry est plus drôle, moins secret, plus accessible. Ils ne se ressemblent pas. En outre, le Mason de Terry est plus aimant. Une chaleur qui manquait à mon personnage. J'aime beaucoup jouer avec Terry, presque autant qu'avec Lane, jusqu'à ce qu'il se lasse du rôle. Après, tout s'est détérioré. Il a pris une sage décision en quittant. Mais le téléspectateur européen a encore quelques belles années devant lui, car Lane est un comédien hors pair et il a su faire de Mason un personnage pivot dans Santa Barbara

Quand je lui dis combien le public européen est perturbé par les fréquents changements d'acteurs au sein des feuilletons américains, Nancy balaie philosophiquement l'objection d'un grand geste de la main. «Tout changement est troublant et demande une période d'adaptation. Que fait-on dans la vie sinon s'adapter en permanence à de nouvelles situations ? Une fois le personnage campé et le nouveau comédien adopté, cette petite frustration, comme moi-même je l'ai connue avec Lane, est oubliée.

Santa Barbara offre pourtant un paradoxe qui reste pour Nancy Grahn, malgré sa grande faculté d'adaptation, un perpétuel sujet d'étonnement : comment expliquer, en effet, que le feuilleton remporte de nombreuses récompenses, tout en occupant une place relativement modeste dans les relevés d'audience aux Etats-Unis ? «Je ne vois que deux explications», avance-t-elle hésitante. «Soit les téléspectateurs restent fidèles aux anciens feuilletons comme Hôpital Central et Haine et Passions et, par fidélité ou accoutumance, ne désirent pas se brancher sur un feuilleton plus récent comme Santa Barbara.  C'est une forme de conservatisme. Soit les sondages ne tiennent pas compte de tranches entières de populations. Je suis sûre, par exemple, que les nombreux collégiens qui nous regardent ne sont pas repris dans les sondages.» Nancy Grahn assume la responsabilité de ses explications. Mais la tentative de réhabiliter Santa Barbara aux yeux des Américains est méritoire. Elle traduit en tout cas l'enthousiasme de Nancy pour son travail et l'intérêt qu'elle porte à son personnage.

Quand elle ne travaille pas, Nancy Grahn sait goûter le calme de sa maison campagnarde. L'endroit qu'elle apprécie par-dessus tout, c'est sa chambre à coucher et la mollesse de son lit surmonté par quatre montants de bois. Elle peut y passer des heures, un livre de philosophie (sa passion !) à la main. Le repli sur soi n'est pourtant pas le fort de Nancy Grahn. Car, dès que se présente une bonne cause à défendre, elle est sur les barricades. Pour l'avortement, contre l'alcoolisme et la drogue, pour la protection de l'environnement, pour plus de considération à l'égard des handicapés moteur. «Ma vie serait vaine sans une cause à défendre ou un nouveau combat à livrer. Les droits de l'homme sont très à l'honneur aujourd'hui. Même en Russie et en Allemagne de l'Est. Ce n'est que justice après une décennie de matérialisme aveugle et un demi-siècle d'idéologies mensongères. Ce n'est pas un hasard si l'homme qui fait vibrer les foules aujourd'hui n'est pas Ronald Reagan mais Nelson Mandela.»

Dans cette vie parfaitement balancée, Nancy Grahn a préservé un bien majeur : son indépendance. A l'inverse de nombreuses stars de soap-operas, grisées par leur fortune soudaine et qui se montrent plus cigales que fourmis, Nancy-la-sage ne s'est pas lancée dans des dépenses outrancières. Sa maison est modeste et sa voiture est son seul luxe. Ainsi peut-elle se réserver le droit de dire à tout moment «non» au feuilleton, lorsqu'il lui prendra un jour le désir de découvrir d'autres horizons professionnels.