Santa Barbara en deuil

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1992

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Elle était pour tous leur grand-mère chérie, mais aussi une femme de poigne que l'on respectait : Judith Anderson, connue pour son rôle de Minx Lockridge dans le feuilleton Santa Barbara, est décédée le vendredi 3 janvier à l'âge de 93 ans. Malgré ses trop rares apparitions en public, elle occupait au sein de la profession une place enviée de tous. Tant sur l'écran que dans la vie privée, son caractère matriarcal lui valut les amitiés de tous ses confrères, de Cruz (A Martinez) à Eden (Marcy Walker), en passant par Alfred Hitchcock et Cecil B. DeMille... car elle fut aussi une grande (mais méconnue) actrice de cinéma.

Judith Anderson doit surtout sa renommée au théâtre. Sur toutes les scènes du monde, elle a interprété la plupart des rôles classiques, de Médée à Lady MacBeth en passant par les oeuvres de Tennessee Wîlliams et celles d'Eugene O'Neill. Dans les années 70, Judith Anderson eut même l'audace de se produire sur les planches dans le rôle de Hamlet de Shakespeare, habituellement joué par des hommes ! Si elle accepta le rôle de la mère de Lionel Lockridge (interprété par Nicolas Coster), c'était essentiellement dû à la sympathie qu'elle portait aux producteurs de la saga. L'un d'eux se souvient : «Nous nous étions rencontrés lors du tournage de Crimes sans Châtiment, réalisé en 1942 par Sam Wood. A cette époque, nous la taquinions parce qu'elle n'avait pas remporté l'Oscar de la meilleure actrice pour son rôle de Mme Sanders dans Rebecca, l'illustre film du maître du suspense, Alfred Hitchcock. Bien plus tard elle estimait que l'oeil d'une caméra était froid et impersonnel. Néanmoins, elle n'hésita pas à revenir sur cette opinion. Minx Lockridge était née...»

Née en Australie, à Adélaïde, le 10 février 1898, la comédienne s'était expatriée aux Etats-Unis lors de la Première Guerre mondiale. Très vite, elle élut domicile à Montecito, une banlieue proche de... Santa Barbara. «La ville exerçait sur elle un pouvoir de séduction inimaginable», raconte A Martinez. «Je ne pourrai oublier le premier jour où elle s'est présentée à tous les acteurs», explique de son côté un technicien. Elle était là avec sa boîte de biscuits et en proposait à quiconque la croisait». Marcy Walker, qui a travaillé durant plusieurs saisons avec Judith Anderson, renchérit : «C'était une dame exceptionnelle. Elle m'a toujours maternée. Lorsqu'une scène me paraissait compliquée, elle quittait sa loge et m'apprenait certaines ficelles du métier. Je savais qu'elle avait été anoblie par la reine Elizabeth II d'Angleterre. Ce titre m'a toujours impressionnée. La Preuve ?  Je ne suis jamais arrivée à la tutoyer...»

C'est à sept ans que Judith Anderson a découvert sa vocation. Après s'être lancée dans la danse et la musique classique, elle brilla au théâtre, dans divers rôles dramatiques. Rowland Brown fut le premier à faire appel à ses talents en 1933 dans Blood Money. Par la suite elle tourna Rebecca (1940), Crimes sans Châtiment (1942), Laura (1944), Dix Petits Indiens ( 945), Spectre of the Rose, Le cabaret des Etoiles, La Vallée de la Peur, Taikoun, Les Furies (1949), Les Dix Commandements (1957), La Chatte sur un Toit Brûlant (1958), Cendrillon aux Grands Pieds (1960), MacBeth (1960), Troublez-moi ce Soir (1961), Un Homme Nommé Cheval (1969), Inn of the Damned (1974), Star Trek III : A la Recherche de Spock (1983).

Côté vie privée, ses liaisons étaient réputées pour être tumultueuses. Son mariage, en 1937, avec un professeur d'anglais fut un véritable désastre. Après la rupture, Judith Anderson vécut avec un homme de théâtre très réputé aux Etats-Unis. Croyant avoir découvert enfin le grand amour, elle déchanta très vite, leur aura populaire les accaparant bien trop... «Sa seule raison de vivre fut le spectacle», explique Nicolas Coster, alias Lionel Lockridge, son fils à l'écran. «Lorsque j'ai appris sa disparition, j'ai su immédiatement qu'elle allait me manquer.» Peu de temps avant de mourir, Judith Anderson déclarait encore : «Si je n'avais pas eu la possibilité d'être une actrice, je me serais certainement suicidée...»