«Les vieux séducteurs sont très demandés à la télévision !» | |||||
Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1989 |
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Il est le cinquième acteur à endosser l'identité de C.C. Capwell dans Santa Barbara, ce qui fait dire à un habitué du plateau que jouer ce personnage c'est un peu comme être marié à Elizabeth Taylor : on ne sait jamais si on sera là le lendemain. Jed Allan n'est pourtant pas homme à se lasser rapidement d'un rôle. Dans Des Jours et des Vies, un autre feuilleton quotidien très populaire aux Etats-Unis, il a incarné Don Craig, pendant douze ans, et le bonheur qu'il éprouve à travailler est légendaire. Aussi est-il déterminé à marquer le personnage de C.C. de son empreinte. S'il avoue volontiers une carrière en dents de scie et moins ambitieuse qu'il l'aurait voulue, Jed Allan admet pourtant que sa plus belle réussite est sa vie privée. Trente ans de vie avec Toby, et pas un nuage, et trois superbes fils, dont Mitch Brown qui fut un temps de la distribution de Capitol. Quand on lui demande ce qu'il souhaiterait pour son personnage, il répond sans ambages : «plus de sexe !». Non, rien vraiment ne peut altérer cette heureuse nature, pas même le spectre de la vieillesse et de la mort qui, de temps en temps, vient le visiter.
Vous êtes resté douze ans sur Des Jours et des Vies, un autre feuilleton très populaire. Avez-vous éprouvé des difficultés à vous intégrer à l'équipe de Santa Barbara et au personnage de C.C. Capwell ?
Personnellement aucune. Ce sont plutôt les producteurs qui ont dû s'habituer à moi et à ma façon de jouer. J'ai quitté Des Jours et des Vies en 1985 lorsqu'ils ont commencé à privilégier les moins de vingt ans et que mon rôle s'est amenuisé.
Comment conserver un enthousiasme intact sur un feuilleton lorsqu'on rendosse tous les jours le même personnage ?
Le même personnage, peut-être, mais pas la même situation. Au théâtre, vous recommencez quotidiennement la même pièce. Mais, sur un soap comme Santa Barbara, c'est tous les jours une autre pièce que vous jouez. Votre réaction au personnage dépend chaque jour de la façon dont vos partenaires abordent eux-mêmes leur personnage. Mais il est certain que dès que vous vous lassez d'un rôle, cette lassitude apparaît à l'écran et est perceptible par le spectateur. Ce qui n'exclut pas, bien entendu, qu'il puisse y avoir des jours «sans».
Quelle différence entre un feuilleton comme Santa Barbara et un autre comme Des Jours et des Vies ?
L'horaire ! Sur Santa Barbara, je ne suis jamais sur le plateau avant 7h30, parfois 9h30. Sur Des Jours et des Vies, c'était tous les jours 6h30. Et, le soir, je rentrais juste à temps pour me coucher, en priant que le sommeil vienne me visiter. Je n'avais plus le temps de voir des amis et à peine le temps de voir ma femme.
Comment avez-vous débuté dans le show-business ? Votre famille vous a-t-elle aidé ?
Je voulais être disc-jockey, ou toute occupation liée au show-business. Mon père était musicien, et l'est toujours d'ailleurs, mais jamais je n'ai eu d'encouragement de la part de mes parents, du moins pas au début. J'avais 21 ans quand j'ai commencé, en 1956, à Broadway. Un petit rôle, pas grand-chose, mais, au bout d'une semaine, la pièce était retirée de l'affiche. Puis j'ai été chorus boy, chanteur et danseur dans la comédie musicale All America avant d'être le témoin des débuts de Robert Redford dans la pièce Pieds Nus dans le Parc. En 1967, enfin, j'étais la vedette d'un show qui fut descendu en flammes par la critique. C'était la fin de ma carrière a Broadway. Peu après, j'ai fait mes bagages et suis parti pour la Californie. J'y ai aussitôt obtenu un rôle dans le film Zébra, Station Polaire.
Votre carrière s'est-elle déroulée comme vous l'auriez souhaité ?
Pas vraiment non. Mais j'ai cessé de m'en faire pour cela, préférant faire du mieux que je peux le travail que j'ai. C'est la condition du vrai bonheur et de la véritable entente avec soi-même. Si je n'avais pas été marié (il s'est marié en 1958), ma carrière aurait probablement pris un autre aspect. Mais, quand on a la charge d'un ménage et de trois gosses, cette responsabilité influence incontestablement vos choix professionnels. On a moins d'audace et plus de retenue. Ce qui ne veut pas dire que je regrette de m'être marié. Au contraire, mon union avec Toby est certainement une des réussites de ma vie.
Quel est le moteur le plus important dans une union conjugale et au sein d'une famille ?
La conversation ! C'est le ciment qui lie les membres d'une famille. Ma femme se montre particulièrement exceptionnelle dans cet art. Elle est très proche de mes enfants. En fait, nous l'idolâtrons tous à la maison. J'aurais souhaité, enfant, connaître les mêmes conditions d'épanouissement. Jamais ma mère ne s'est assise pour me parler. Mon père n'en avait même pas le temps. Toby, mes enfants et moi sommes très français dans nos relations familiales. Nous nous embrassons et nous nous étreignons beaucoup. Nous sommes très démonstratifs dans nos affections.
L'âge a-t-il beaucoup d'importance pour vous ?
Enormément. Trop peut-être. Je ne peux me faire à l'idée que ma vie s'écoule sans espoir de retour et qu'il me faudra vieillir et mourir un jour. C'est ma grande terreur. La mort est une idée qui vient régulièrement me hanter mais à laquelle je ne parviens pas à m'habituer. Quand je pense que j'ai 53 ans et que j'ai dépassé la moitié de mon existence terrestre, j'en reste abasourdi. Car je me sens encore jeune, terriblement jeune et vivant.
Vous êtes grand (1m90), vous êtes élégant et vous portez beau. Pensez-vous que ces atouts physiques vous ont favorisé dans votre carrière ?
Certainement pas ! Ils m'auraient plutôt défavorisé, du moins à mes débuts. Mes atouts physiques, comme vous le dites, me prédestinaient à des rôles de jeunes premiers («leading men»). C'est du moins le rôle dans lequel me voyaient ceux qui m'employaient. Mais comme les jeunes premiers foisonnaient et que j'étais prisonnier de cette image dans laquelle on m'avait enfermé, j'ai manqué le bateau. Aujourd'hui, mon apparence physique m'aide beaucoup. On demande souvent à de vieux séducteurs - regardez John Forsythe - d'être élégant, d'avoir de la présence et un charisme discret. C'est très prisé dans les séries depuis quelques années.
C'est quoi pour vous le succès ?
Je l'ignore. Je n'ai jamais vraiment connu le succès. Pas vraiment l'échec non plus. Le succès, pour moi, ç'aurait été de meilleures pièces. Plus de films, et en vedette. Des grandes séries. Dans Santa Barbara, je ne suis pas une star. Rien qu'un acteur dans un groupe de vingt-cinq.
Que verriez-vous comme le suprême honneur dans une carrière de comédien ?
Une récompense. Un Oscar ou un Tony très certainement. Je connais des acteurs qui snobent ce genre d'honneur. Mais, quand vous n'en décrochez pas, vous vous sentez frustré, déconcerté. Vous vous demandez pourquoi. Une récompense, c'est comme une reconnaissance de votre talent. L'absence de récompense vous fait douter de vous-même et de vos aptitudes. Suis-je donc si mauvais ou si ordinaire que je n'y ai pas droit ?