Chacun sa manière | |||||
Par Michael Logan, Soap Opera Digest, 1989 |
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Jouer l'ultime, l'inaccessible objet du désir - un prêtre - fait monter Frank Runyeon au paradis. Il se rue sur des appareils de musculation qui, si le souvenir est correct, n'existaient pas quand il aurait pu les utiliser lors de son interprétation du romantique Steve Andropolous dans As the World Turns. Jamais, dit-il, il a été aussi à l'aise. Jamais il n'a été aussi motivé à travailler physiquement, à l'air libre, à courir sur la plage. Et jamais, semble-t-il, tant de moiteur n'a émané du courrier de ses fans. Des lettres d'adolescentes s'extasiant "Père Michael, j'aime vos muscles" et "Vous êtes si sexy et si beau et je rêve d'un prêtre exactement comme vous" arrivent avec une régularité qui le rend presque abasourdi. D'une certaine manière, c'est comme si être trouvé attirant était comme une sorte de nouvelle expérience. Aussi délirant que cela serait pour l'intello de la classe de grandir, se regarder dans un miroir un jour et de découvrir qu'il s'est transformé en William Hurt.
Mais c'est loin d'être accidentel. Avant d'accepter de devenir l'homme en habits de Santa Barbara, Runyeon a posé ses cartes sur la table. «J'ai voulu l'engagement des producteurs que ce personnage soit intensément masculin,» explique-t-il. «Je ne voulais pas qu'il soit efféminé.» Ses demandes ont été satisfaites, de telle sorte que l'ancien Père Michael doit être le premier ecclésiastique de télé à faire ses pompes aussi souvent qu'il lit son rosaire. Et le premier à connaître un tel engouement.
«Je ne pense pas qu'il y ait quoique ce soit de mal à ce sujet,» dit Frank pour se défendre. «C'est un comportement que nous avons tous. On ne se balade pas toujours avec des pensées enthousiasmantes. On se réveille le matin et on se demande "Suis-je trop gros ?"... "Est-ce que je vieillis ?" Je trouve que c'est super quand des gens disent : "Physiquement, je te corresponds." Sur une échelle de vanité, j'aime ça. Quand les gens me disent qu'il y a du sexe dans mon jeu, je pense "Parfait, c'est important - parce que depuis la Grèce antique, le drame a fondamentalement eu pour sujet le sexe et la violence. Naturellement, si 95% de mon courrier disaient "Père Michael, je n'en peux plus d'attendre de vous retrouver dans une caravane abandonnée", je dirais que quelque chose était mal dosé.» Oui, mais ça lui donnerait toujours un intérêt.
Runyeon, contrairement à son penchant pour un peu d'hédonisme sain, est réellement un homme dévoué à sa famille. Dévoué presque au point de s'en rendre malade. Bien qu'il ait engendré trois enfants - de sept ans, quatre ans et dix semaines - il ne veut pas que leur nom soit rendu public. Sa femme Annie, qu'il a rencontrée dans les années 70 où il était secrétaire et elle directeur de bureau du personnel, complète le clan si confidentiel. «Mes sentiments pour eux sont si intenses, si privés que je n'en parle pas trop. Dans les sociétés anciennes, le nom de Dieu n'était pas prononcé en raison d'un sens de la révérence et de l'amour. J'estime que ma famille est comme sacrée.»
L'acteur, qui, ironiquement, est diplômé en religion à Princeton, a quelques avis au sujet d'autres familles. «Je suis ainsi affligé par le nombre d'acteurs que j'ai connu et vraiment aimé qui ont détruit leur épouse et leurs enfants en cherchant à savoir si leur renommée était au top de la semaine. Je ne peux pas vous expliquer combien cela me déchire. La seule chose qui compte est votre engagement envers votre famille et vos amis. Je ne me suis jamais écarté de mon épouse et mes enfants comme d'autres gens que je connais ont pu le faire.»
Il parle beaucoup - et au risque d'épuiser son auditoire - au sujet des concepts d'honneur et d'engagement. «J'ai été élevé par mes parents et mes grand-parents avec un sens profond du respect de la parole. Si je vous regarde dans les yeux, secoue votre main, et vous donne ma parole, je l'honore - c'est pourquoi j'ai été si perturbé par ce que j'ai vécu ces deux dernières années après avoir quitté As the World Turns. Je suis toujours en train de récupérer; toujours marqué par ma découverte de l'implacabilité de ce métier.»
Exemple : son rôle principal dans le film Sudden Death, l'histoire d'un détective (Runyeon) qui étudie un cas de viol et tombe amoureux de la victime. L'acteur a retardé le versement de son salaire afin que le film puisse se faire, mais maintenant qu'il est destiné à devenir un grand succès sans fin sur le câble, le producteur a renégocié l'accord et a payé Frank une misère. Un autre exemple : alors qu'il lui avait été promis un rôle régulier sur la récente série musicale de Dolly Parton - il a même entendu les mots précis de la bouche de Parton - la place a été donnée à un autre acteur après onze heures. À la douzième heure, le personnage a été supprimé et c'est son remplaçant qui a obtenu le salaire de consolation. Finalement, le programme s'est avéré être l'un des plus grands désastres artistiques et créatifs de l'histoire de la télé - mais Runyeon maugrée toujours à son sujet.
Avant les soaps, Runyeon s'est essayé mais sans succès à une carrière de comédien de one-man-show («Je n'étais pas toujours très bon, essentiellement parce que je ne pouvais et je ne voulais pas me lever et lancer des blagues lesbiennes et sexuelles»), et a toujours un intérêt pour ça. Jusqu'alors, rien de fait. «Toujours, toujours et toujours,» clame Frank, «les gens veulent me voir jouer une petite frappe intense, passionnée, sombre». D'accord, il rend les clients satisfaits. Et aussi hautes que ses pensées peuvent l'être (il admet totalement que la première question qu'il se pose quand il se voit proposer un travail est : «Est-ce que ce rôle nourrit nos âmes ou non ?»), Runyeon a aussi un côté pratique. «Un acteur a de la chance de se voir proposer un travail. Il y a des centaines de personnes avec un talent incroyable, séduisants, sexy et tout ce qu'il faut et ils n'obtiennent jamais de travail.»
Ainsi donc son retour au soap ? Peut-être. Probablement. Mais Frank Runyeon ne fait pas que s'asseoir et dire des bénédictions. Comme beaucoup d'acteurs de soaps, il peut être enchanté par le salaire, mais n'est pas au-dessus du fait de récrire les scripts. «Parfois les scénaristes passent à côté de leurs intentions,» note-t-il. «C'est le travail de l'acteur de l'améliorer. L'autre jour, dans une scène dans laquelle je parlais à l'évêque, j'avais une réplique qui disait : "Mon Père, je me sens perdu et si petit." J'ai juste dit : "Mon Père..." et j'ai alors joué l'idée silencieusement. Ce n'est pas que je raie le dialogue du scénariste, c'est juste que je n'ai pas besoin de le dire tout haut. Les téléspectateurs le comprendront. Peut-être que si les scènes n'étaient pas difficiles à jouer, cela ne serait pas la peine de prendre des risques et, en conséquence, cela serait moins intéressant. Si vous tombez sur un dialogue vraiment mauvais, ça pourrait être votre grande opportunité.»
Mais Runyeon, dans toute sa sincérité, a beaucoup de plaisir à en jouer. Pourquoi un acteur comme lui se sent ainsi libre de prendre un crayon et de devenir scénariste ? Monterait-il sur un échelle pour recentrer un éclairage ? Détruirait-il le travail des couturières du studio et se coudrait-il un autre ourlet ? En y pensant le temps d'une seconde, il revient en arrière. «En général, les scénaristes ont une meilleure compréhension des motivations d'un personnage que la plupart des acteurs - particulièrement l'acteur qui s'est juste débarrassé de sa planche de surf ou s'est juste levé de son canapé pour critiquer tout le script et pour changer les dialogues que les scénaristes ont passé trois jours à peaufiner. Parfois l'acteur a raison mais fréquemment l'acteur a tort. Beaucoup de fois, si un acteur laisse le texte et passe deux ou trois heures en répétition, il découvrira que le dialogue est réellement un grand cadeau.»
Oui, il y a énormément de contradictions. Mais c'est ce qui fait l'homme. Un moment il brasse de l'air, le suivant il revient sur son discours. Un moment le scénariste doit se demander : «Ai-je réalisé la bonne histoire ?» Le suivant : «Existe-t-il une bonne histoire ?» Le penchant de Runyeon pour l'intimité et pour des diversions énerve et il n'y a aucune question qu'il n'oriente pas vers le dramatique. Mais au moment-même où vous voulez l'étrangler, il peut revenir en arrière et complètement vous désarmer en se demandant : «Comment bon sang allez-vous réussir à me rendre intéressant ?»