Dans les coulisses du tournage de Santa Barbara

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1987

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L'authentique cité de Santa Barbara se trouve à quelque 140 km d'ici. Régulièrement, une équipe fait le voyage pour tourner là-bas en décors naturels quelques scènes du feuilleton qui a rendu célèbre dans le monde entier cette cité du bord de mer, en Californie du Sud. Les téléspectateurs n'étaient pas vraiment nombreux à suivre la chaîne NBC par ce bel après-midi ensoleillé du 30 juillet 1984 où pour la première fois se présentaient sur l'écran la famille Capwell et le clan Lockridge. Santa Barbara fêtera bientôt ses trois ans et, comme les deux précédents, le gâteau d'anniversaire aura le goût de la victoire. Aux Etats-Unis, Santa Barbara a sans doute encore gagné plus d'un million de nouveaux fidèles cette dernière année, et quelques places dans le classement des feuilletons quotidiens. Ailleurs, quelques autres pays ont été atteints par cette fièvre qui touche, en France par exemple, plus de téléspectateurs que le sacro-saint Journal de la Une !

C'est à Burbank, pas très loin des fameux studios Walt Disney, que Santa Barbara a axé son quartier général. Impossible de manquer l'immense édifice de NBC, au 3000 sur la route d'Alameda, à l'Ouest de la viIle. Au centre du bâtiment, la chaîne a créé spécialement pour Santa Barbara un studio à la dimension de son succès : 1800 m2, le plus grand jamais conçu pour un feuilleton quotidien. Dans les dédales du studio 11, où s'accomplit chaque jour l'exploit de mettre en boîte une demi-heure de grand spectacle, souffle un vent de folie. Un technicien sprinte dans le couloir, évitant avec souplesse un groupe de visages connus, plongés dans la lecture d'un épais scénario en attendant leur tour devant l'atelier de maquillage. Une jeune fille à la magnifique chevelure blonde relève la tête un instant et laisse apercevoir l'irrésistible regard bleu d'Eden Capwell. «Hi, Ciné-Revoûw !», lance Marcy Walker. « Je suis contente de vous revoir. Vous savez, depuis l'interview qu'on a faite ensemble, je n'arrête pas de recevoir des lettres d'Europe. Je ne croyais pas que notre Santa Barbara était aussi connu là-bas...! Vous venez voir Bridget ? C'est un étage plus haut».

Bridget Dobson est le grand patron de Santa Barbara. Elle dirige depuis le départ ce feuilleton dont elle a imaginé tous les personnages avec son mari, Jerry. Bridget Dobson baigne dans les soap opera depuis l'enfance (ses parents créèrent un autre succès de la télé américaine, Hôpital Central, aujourd'hui, ironie du sort, concurrent direct de Santa Barbara). Et elle en a donné le goût à son époux, un ancien militaire reconverti dans la production de noix ! «Mon mari et moi avons une maison à Santa Barbara, sur la côte californienne. Et l'idée de la série nous est venue en songeant qu'il serait peut-être amusant de mettre en scène tous les personnages excentriques, biscornus et tout à fait extraordinaires dont nous étions entourés.»

Depuis, les Dobson ont renoncé à leur fatigante navette entre Santa Barbara et Burbank : 300 km chaque jour. Ils vivent aujourd'hui à Bel-Air, sensiblement plus près du studio 11. Avant que ses anciens voisins lui inspirent Santa Barbara, Bridget Dobson avait accumulé plus de vingt ans d'expérience comme scénariste au service de quelques grands feuilletons de la télévision américaine. Même si cette mère de deux grands enfants, Mary et Andrew, travaille dans l'ombre des coulisses de Santa Barbara, elle n'a rien à envier en charme et en élégance aux stars du feuilleton. «En fait, la moitié de ma garde-robe personnelle est inspirée de Santa Barbara. Je fais totalement confiance à Richard Blewer, le costumier particulier du feuilleton. Il s'occupe des achats et tient à l'oeil les arrivages des plus belles boutiques de mode.»

L'expérience de la télévision a appris à Bridget Dobson que le "glamour" et la force de séduction des personnages est l'un des ingrédients de base de la recette d'une série à succès. «La première chose est de réunir des personnages captivants. Puis, vient l'histoire proprement dite. Elle doit créer l'émotion à tous les niveaux et frapper au coeur toutes les générations, de sorte que chaque spectateur s'y retrouve et se sent proche des personnages. Il faut donc cette idée de départ, et aussi la confiance de la chaîne, qui doit obligatoirement croire en vous sans avoir vu le produit fini. Heureusement, en ce qui nous concerne, le vice-président actuel de NBC avait travaillé six ans avec nous avant d'occuper cette fonction. Nous avions donc un allié important dans la place. L'accord n'a été qu'une formalité. Ensuite, nous avons travaillé pendant un an pour élaborer un thème central autour duquel allaient s'articuler les différents épisodes, à développer les personnages, à rechercher les acteurs».

La sélection des comédiens est particulièrement importante pour la réussite d'un soap opera. «Je crois qu'ils doivent être parmi les meilleurs acteurs que l'on puisse trouver car il leur faut une grande capacité de mémorisation. Certains comédiens de Santa Barbara doivent assimiler jusqu'à 30 pages par nuit pour être sur le plateau le lendemain. Je ne sais pas comment ils y parviennent, mais le dialogue de chaque personnage doit être rendu au mot près. Je n'engagerai jamais un acteur parce qu'il est simplement beau. Je veux d'abord un acteur qui sache jouer. Mais s'il sait jouer, il est tout aussi indispensable qu'il ait du sex-appeal. Le spectateur doit pouvoir tomber amoureux de lui. Le sexe est ce qui motive les gens. Il faut en tenir compte. Les bons acteurs sont des perles rares. De plus, il faut retenir pendant plusieurs années l'attention du public. De nouveaux visages sont nécessaires pour donner de l'oxygène à la série, pour lui donner un nouvel élan et faire rebondir l'action. Nous essayons ainsi de maintenir l'intérêt du téléspectateur tout en conservant la colonne vertébrale de l'histoire : les Capwell et les Lockridge. L'arrivée régulière de nouveaux personnages ne fait d'ailleurs que refléter ce qui se passe dans la vie !»

Le hasard vient parfois contribuer à donner à Santa Barbara un parfum supplémentaire d'authenticité. Le jour même où l'on tournait les fameuses scènes du tremblement de terre, une véritable secousse (heureusement beaucoup moins meurtrière) faisait vibrer les maisons de Santa Barbara ! Mais, quoi qu'il arrive, il faut assurer au téléspectateur son épisode quotidien. Cela suppose une équipe impressionnante, un rythme de travail infernal et une discipline rigoureuse. Sous le velours, Bridget Dobson possède une poigne de fer. Quelles que soient les qualités des acteurs, dans un soap opera, il n'y a pas de place pour les caprices de diva. «Je crois qu'un acteur qui se donne la peine de venir trouver le scénariste pour tenter d'améliorer ou de modifier la psychologie du personnage est déjà suffisamment imprégné de son rôle pour qu'on tienne compte de son avis. Ceci dit, ce n'est pas pour cette raison que je suis nécessairement d'accord avec ses propositions.»

Jusqu'il y a peu, Bridget Dobson, en plus de ses tâches de productrice, écrivait encore elle-même beaucoup de scénarios. Mais, surchargée de travail, elle a dû laisser à d'autres la charge de son "enfant". «Depuis janvier, mon mari et moi avons passé le flambeau à d'autres scénaristes. En permanence, il y a dix scénaristes à l'entière disposition de la série : trois qui se chargent de guider l'histoire et d'en tracer les grandes lignes, sept ou huit qui remplissent les blancs et habillent le squelette. Pendant trop longtemps, j'ai été frustrée de travailler en chambre à la rédaction de scénarios. J'aime trop les contacts. Aussi, je me trouve parfaitement dans mon élément sur un plateau de tournage. Certains jours, je me sens terriblement fière de Santa Barbara et de son rayonnement à travers le monde. D'autres jours, je voudrais jeter ma voiture contre un arbre, tellement je suis déçue du travail de la journée. A ces moments-là, je prie le ciel qu'aucune de mes amies n'ait l'idée de suivre l'épisode à la télévision... Mais les déceptions sont rares».

...Et l'enthousiasme est de règle dans l'équipe de Santa Barbara. Tout le monde s'y sent en famille. Et les nouvelles en font apparemment vite le tour. Le séduisant Nicolas Coster a décidé pour les prochaines vacances de venir revoir le Vieux continent (il est né en Angleterre). «J'ai envie de faire le tour d'Europe. Vous n'avez pas quelques adresses ? Il paraît que les gens connaissent bien Santa Barbara là-bas. Comme Marcy, j'ai reçu beaucoup de lettres...»