Comment est né le combat des Capwell et des Lockridge

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1988

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Au mois de juillet, Santa Barbara célébrera dans l'allégresse son quatrième anniversaire. Quatre ans déjà qu'au cœur de l'été, à 15 h (heure de New York), le lundi 30 juillet 1984, les téléspectateurs de l'après-midi découvraient sur la chaîne NBC le générique d'un nouveau feuilleton, un de ces soap-operas dont les américains raffolent. Seulement les américains ?... Apparemment non car, aujourd'hui, la renommée de Santa Barbara a largement débordé des frontières des Etats-Unis. Elle a touché d'abord la France, le Canada, la Grande-Bretagne puis la Belgique, le Luxembourg, la Turquie, un peu plus tard l'Italie, l'Australie et les pays scandinaves. Plus rien n'arrête la stupéfiante progression du phénomène Santa Barbara, immensément populaire partout où il passe. En France, non content de dépasser amplement des scores d'audience auxquels n'osaient même pas rêver les programmateurs de TF1, Santa Barbara a donné aux téléspectateurs le goût des soaps qui, progressivement, se sont taillés une belle place dans les grilles d'émission.

Aujourd'hui, par la magie de la télévision et la grâce d'un feuilleton, des millions de gens, aux quatre coins du monde, ont adopté dans leur vocabulaire quotidien le nom de Santa Barbara, une cité résidentielle de 80 000 habitants le long de la côte ouest, dans la banlieue chic de Los Angeles... «Mon mari et moi», explique Bridget Dobson, créatrice du feuilleton, «avions une maison à Santa Barbara. Et l'idée de la série nous est venue en songeant qu'il serait peut-être amusant de mettre en scène tous les personnages excentriques et tout à fait extraordinaires dont nous étions entourés».

Bridget Dobson et son mari Jerry n'étaient pas des nouveaux venus dans le monde des soap-operas. Ils avaient déjà une solide expérience de scénaristes pour avoir travaillé ensemble pendant 27 ans sur les intrigues d'Hôpital Central, de Haine et Passions (le plus ancien soap encore diffusé actuellement) et As the World Turns. Curieusement, les créateurs de grands feuilletons travaillent souvent en couple : Richard et Esther Shapiro ont "inventé" Dynastie; Bridget et Jerry Dobson, Santa Barbara et les propres parents de Bridget, Frank et Doris Hursley, étaient à l'origine du fameux Hôpital Central dans les années 60. Jerry Dobson avait, lui, commencé une carrière dans l'armée, puis dans la culture des noix avant d'en arriver à la télévision. «J'ai appris à écrire des scénarios de feuilletons en regardant par-dessus l'épaule de ma femme» sourit-il.

Il existe des "règles" dans l'élaboration d'un succès télévisé. «La première chose est de réunir des personnages captivants. Puis, vient l'histoire proprement dite. Elle doit créer l'émotion à tous les niveaux et frapper au coeur toutes les générations, de sorte que chaque spectateur s'y retrouve et se sente proche des personnages. Il faut donc cette idée de départ, et aussi la confiance de la chaîne qui doit obligatoirement croire en vous sans avoir vu le produit fini. Heureusement, en ce qui nous concerne, le vice-président actuel de NBC avait travaillé six ans avec nous avant d'occuper cette fonction. Nous avions donc un allié important dans la place. L'accord n'a été qu'une formalité. Ensuite, nous avons travaillé pendant un an pour élaborer un thème central autour duquel allaient s'articuler les différents épisodes, à développer les personnages, à rechercher les acteurs. Je veux d'abord un acteur qui sache jouer, mais il est tout aussi indispensable qu'il ait du sex-appeal. Le sexe est ce qui motive les gens. Il faut en tenir compte.»

La confiance de la chaîne était telle que NBC a fait construire pour Santa Barbara exclusivement le plus grand studio jamais utilisé par un feuilleton quotidien. Le studio 11, où se tournent les scènes d'intérieur du feuilleton, ne se situe cependant pas à Santa Barbara mais à 140 km de là, à Burbank, à côte des immenses bâtiments de NBC. Il couvre 1 800 m2, sur plusieurs étages et a coûté 12 millions de dollars.

Pendant longtemps, Bridget et Jerry Dobson ont imaginé eux-mêmes les intrigues et les complots de Santa Barbara. L'imagination se nourrit souvent de la réalité. «Nous créons souvent un personnage en partant de gens que nous connaissons. Cela m'étonne d'ailleurs que personne ne nous ait encore poursuivis en justice ! De temps en temps, mon mari reconnaît dans ce que j'écris une phrase qu'il m'a dite ou un geste qu'il a fait un mois ou deux auparavant, à la maison, dans notre vie privée... J'aime beaucoup écrire pour Mason. C'est un personnage tourmenté, qui me ressemble peut-être par certains côtes. Je lui ai fait dire à ses parents des choses que je n'aurais jamais été capable de dire aux miens, mais que j'aurais bien voulu leur sortir !»

«Depuis janvier 1987, mon mari et moi avons passé le flambeau à d'autres scénaristes. En permanence, il y a dix scénaristes à l'entière disposition de la série : trois qui se chargent de guider l'histoire et d'en tracer les grandes lignes, sept ou huit qui remplissent les blancs et habillent ce squelette.» Chaque jour, ces scénaristes fournissent à chaque comédien jusqu'à trente pages de dialogues. C'est ainsi que, depuis trois ans aux Etats-Unis, à raison d'une heure quotidienne de spectacle, s'élabore au fur et à mesure l'histoire mouvementée des Capwell et des Lockridge... «Notre défi, c'est de trouver des scénaristes et des acteurs qui peuvent travailler à un rythme très rapide et garder en même temps un niveau de qualité satisfaisant.»

Parmi tous les soap-operas diffusés par la télévision américaine, Santa Barbara est celui qui fut créé le plus récemment. Il contient aussi quelques innovations par rapport aux classiques du genre. Les scènes tournées à l'extérieur sont ainsi plus nombreuses que dans la plupart des autres soaps, apportant un cachet d'authenticité.

Le département des enquêtes de la NBC effectue aussi régulièrement des sondages pour connaître le public de Santa Barbara et ses désirs. «Ce sont les personnages, plus que l'histoire elle-même, qui passionnent les spectateurs», explique Bridget Dobson. «Le public de Santa Barbara est majoritairement féminin et une bonne partie de ces téléspectatrices n'avait jusque là jamais suivi fidèlement un soap-opera. Santa Barbara a attiré un nouveau public pour ce genre de feuilletons, grâce à des éléments qui manquaient souvent aux autres soaps : une touche d'humour, un peu plus d'audace dans les scènes d'amour et un zeste de "glamour" hollywoodien».