Rien ne va plus pour Santa Barbara !

 Par Paul Wallace, Ciné Télé Revue, 1990

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Aux Etats-Unis, après une première alerte et malgré de nombreux changements introduits par John Conboy, le nouveau producteur, l'audience du feuilleton ne cesse de chuter. En France, la baisse se manifeste aussi (mais dans une moindre mesure) et TF1 pense déjà à assurer la relève en remplaçant le feuilleton-vedette. Patrice Lelay et Etienne Mougeotte ont demandé à Jean Mazarin, alias Emmanuel Errer, un grand spécialiste des romans policiers, de réfléchir à un projet de feuilleton policier qui devrait tenir en haleine les téléspectateurs pendant une centaine d'heures. La relève serait prévue pour la fin de l'année 1991. Les acteurs de Santa Barbara préparent également, en douceur, leur reconversion. Leurs décisions ne sont pas faites pour rassurer les admirateurs. A Martinez est apparu au cinéma, aux côtés de Meryl Streep, dans La Diable, et actuellement, il tourne un téléfilm. Marcy Walker, quant à elle, ambitionnait de tenir la vedette d'une nouvelle série télévisée, Bar Girls. En août dernier, elle pressentait même son départ du feuilleton. Finalement, vu l'échec de Bar Girls, Eden est restée à Santa Barbara. Mais il n'empêche que le malaise subsiste au sein de l’équipe et Marcy Walker a d'ailleurs eu des mots très durs pour la nouvelle direction du feuilleton.

Au même moment, il est vrai, les patrons de Santa Barbara compliquent l'intrigue et sèment l'incompréhension dans l'esprit du public. Eden et Cruz, le couple vedette, s'aiment et se déchirent au gré de l'humeur des scénaristes. Il y a quelques mois, Lane Davies (Mason) quittait le soap. Terry Lester, qui l'a immédiatement remplacé dans les nouveaux épisodes américains, est déjà lui-même écarté pour laisser sa place à Gordon Thomson… Comment être crédible ? Comment faire encore croire au personnage de C.C. Capwell qui en est déjà à son cinquième acteur, tout comme Kelly qui a également pris les traits de plusieurs actrices différentes ? Tous les échotiers américains l’affirment : Santa Barbara est à bout de souffle, la mort du feuilleton est proche !

C’est Marcy Walker qui a révélé, la première, le malaise qui règne actuellement au sein de l'équipe de Santa Barbara. En août dernier, elle envisageait de quitter le feuilleton et avait tenu des propos sévères vis-à-vis du nouveau producteur, John Conboy. «Aux Etats-Unis, Santa Barbara n'est déjà plus ce qu'il était. John Conboy est maintenant là depuis huit mois. En huit mois, on peut déjà porter un jugement sur le travail accompli. Ce que je déplore, c'est qu'au lieu de développer des personnages existants et auxquels le public s'est attaché et qu'il aime, on crée de nouveaux couples à partir de rien ! Chaque fois que quelqu'un de nouveau prend une série en main, au lieu d'améliorer le matériau qu'il a, on dirait qu’il y va de son honneur d’ajouter, d'apporter quelque chose de neuf et de personnel. Aujourd'hui, Robin Mattson peut s'estimer heureuse si elle travaille encore deux jours par semaine ! Elle mériterait mieux qu'être la femme et la partenaire de Keith Timmons. Judith (McConnell) et Jed (Allan) attendent depuis des années qu'on développe leurs personnages. Mais la démarche n'est pas rassurante si l'on songe au public qui va se retrouver tout à coup avec deux ou trois nouveaux couples qu'il ne connaît pas. Là, il peut décrocher…»

La blonde Marcy Walker s'était investie dans le tournage de l’épisode-pilote d'une nouvelle série Bar Girls. Elle fondait beaucoup d'espoir dans cette série et voyait là l'occasion d’échapper à son rôle qu'elle tient maintenant depuis six ans. Elle avait clairement annoncé que si cet épisode fonctionnait auprès du public, elle serait amenée à faire un choix entre Bar Girls et Santa Barbara. Malheureusement pour Marcy Walker, Bar Girls a été un échec et les producteurs ont décidé de ne pas poursuivre le projet. La douce Eden revenait donc à Santa Barbara.

De son côté, A Martinez déclarait à qui voulait l'entendre qu’il ne continuerait pas sans Marcy Walker. Même si le comédien a resigné un contrat pour deux ans, il prend de plus en plus de distance avec son personnage de Cruz. L'année dernière, il a tourné durant ses vacances un film avec Meryl Streep, La Diable. Actuellement, A Martinez tourne, en même temps que Santa Barbara, un téléfilm, Not of this World. «J'y incarne un policier qui vient au secours des habitants d'une ville du Missouri, cible de dangereux extra-terrestres. A mes côtés, il y a la belle Lisa Hartman (Côte Ouest), une actrice exceptionnelle et une femme superbe.» A Martinez, lui aussi, se prépare donc une porte de sortie. Il regrette cependant que les choses se passent ainsi. Santa Barbara lui a tout apporté : l’argent, la gloire, la popularité, mais aussi la maturité nécessaire à fonder une famille. «Le rôle de Cruz m'a permis de mieux me connaître et de me sentir mieux dans ma peau d’adulte. Avant, et malgré tous les rôles que j'avais déjà joués, j’étais un gamin, j'avais des réactions trop enfantines face choses de la vie. Santa Barbara m'a fait évoluer vers plus de maturité, de sérénité et d’équilibre.»

Mais tous le reconnaissent : le Santa Barbara d'aujourd'hui n’a plus rien à voir avec celui d'il y a six ans. C.C. Capwell a déjà changé cinq fois de tête, Kelly trois fois, Gina deux fois, et Mason connaîtra bientôt un troisième comédien. Lane Davies a quitté Santa Barbara à la fin de la saison 1989, remplacé par Terry Lester. Ce dernier laissera prochainement sa place à Gordon Thomson, ex-Adam Carrington dans Dynastie. Tous ces changements de comédien, bien sûr, ne sont pas faits pour clarifier la situation dans l'esprit des téléspectateurs. D'autant que ces derniers temps, les scénaristes ont multiplié les intrigues qui ne tiennent pas debout : trafic de drogue, prise d'otages, chasse à l'homme, rêves prémonitoires, anges salvateurs, pouvoirs surnaturels. Les scénaristes n'ont reculé devant rien. Cruz finira même dans un harem, en Arabie !

Ces dernières folies ont sans doute définitivement tué le feuilleton. Aux Etats-Unis, l'audience baisse considérablement. Après avoir occupé, pendant longtemps, la tête des sondages, Santa Barbara se retrouve aujourd'hui en avant-dernière position au classement des soaps. Les Feux de l'Amour, un feuilleton qui est apparu pour la première fois sur les écrans américains en mars 1973, fait plus du double de son audience et est classé premier. Même Amour, Gloire et Beauté (Top Models) devance Santa Barbara.

Pour tenter de sauver le peu qui leur reste, les producteurs ont lancé leur dernier atout dans la bagarre : un mariage-surprise. Kelly Capwell, interprétée aujourd'hui par Carrington Garland, se marie pour la troisième fois. Conscients que Santa Barbara leur a apporté plus que du bonheur, les acteurs du feuilleton sont prêts à tout pour sortir le soap de l'impasse où il se trouve. «Nous voulons tous sauver notre feuilleton qui a fait notre gloire», affirment-ils. «Nous devons tout à Santa Barbara et nous nous battrons jusqu'au dernier jour.»

Les téléspectateurs français ont aussi un rôle à jouer : si le feuilleton retrouve son lustre d'antan sur le Vieux Continent, les producteurs reverront peut-être leur jugement. De l’autre côté de l'Atlantique, les spécialistes de la télévision sont toujours très sensibles à l'écho du public européen, car un succès est synonyme de vente supplémentaire. Mais les chaînes de télévision, qui paient très cher les séries, leur en laisseront-elles le temps ?