Santa Barbara menacé de disparition !

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1989

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«Des millions de gens se passionnent pour Santa Barbara. Pour eux, c’est un formidable succès, et personne ne peut les convaincre du contraire», résume Bridget Dobson, la créatrice du feuilleton, aujourd’hui écartée de la production. Dans une large mesure, Santa Barbara est effectivement un succès sans précédent parmi les feuilletons quotidiens américains. Il est celui qui connaît, et de loin, le plus grand succès hors des Etats-Unis. Il est le seul à avoir jamais collectionné treize nominations aux Emmy awards, les Oscars de la télévision, cette année. Tout cela en plus, évidemment, de ses légions de fans inconditionnels, évoqués par Bridget Dobson. Pourtant, l’honnêteté oblige à informer de la menace qui pèse actuellement sur Santa Barbara aux Etats-Unis, où les derniers sondages ne sont pas brillants ! Or, ce sont eux qui décident là-bas de la vie ou de la mort d’un feuilleton…

«Comment comprendre le public américain ?», plaisante le vétéran des soap-operas, Jed Allan (C.C. Capwell dans Santa Barbara). «C'est simple. Vous avez déjà goûté les bières des Etats-Unis ? Pour un marché de 200 millions de clients, on trouve quatre ou cinq grandes marques, pas plus. Et elles ont toutes le même goût. Seulement, il y a des américains qui ne prétendront pas boire autre chose que de la Budweiser, d'autres qui ne jure que par la Miller… En télévision, c'est pareil !»

Les téléspectateurs des Etats-Unis (qui reçoivent parfois plusieurs douzaines de chaînes !) se contentent généralement de faire leur choix entre trois grands réseaux privés : ABC, CBS et NBC. Dans l'après-midi, tous trois diffusent des soap-operas les uns à la suite des autres. Au moment où, sur NBC, passe Santa Barbara, les chaînes concurrentes proposent Hôpital Central et Haine et Passions. Les chiffres de l'institut de sondage Nielsen donnent à peu près huit millions de téléspectateurs à Hôpital Central, six millions à Haine et Passions et "seulement" quatre millions à Santa Barbara... Le feuilleton, il faut le préciser, est très jeune à l'échelle américaine, cinq ans, alors que Hôpital Central tient l'antenne depuis un quart de siècle et le troisième depuis 1952 !

«Le public américain résiste à la nouveauté», explique Nancy Grahn (Julia dans Santa Barbara). «Il n’aime pas le changement. Pour lui, regarder son soap-opera préféré, c’est un peu enfiler une paire de vieilles pantoufles, chaudes, confortables... Il faut vraiment qu'elles soient usées jusqu’à la corde pour qu’il envisage seulement d'en changer. Le créneau horaire appartient depuis toujours à Hôpital Central. Face aux habitudes, le résultat de Santa Barbara constitue déjà un triomphe ! Tous les autres programmes lancés jusque là par NBC se sont lamentablement plantés...»

Malgré cela, la popularité de Santa Barbara est réelle. Le dernier référendum du magazine populaire Star sur les vedettes les plus sexy du petit écran a classé dans le tiercé gagnant et Nancy Grahn et A Martinez (Cruz Castillo). Sans compter les nominations et les trophées raflés depuis cinq ans aux Emmy awards. Une enquête parmi tous les acteurs de la télévision indiquait que Santa Barbara se classait bon second parmi leurs feuilletons préférés. Certains en viennent à mettre en doute la valeur des sondages eux-mêmes. «Ce n'est pas possible. Nous recevons des tonnes de lettres. Plus de courrier qu’aucun autre feuilleton !», révèle Robin Mattson (Gina). «Je suis allée récemment rendre visite à un ami hospitalisé. Partout dans l'hôpital, les récepteurs de télé étaient tous branchés sur Santa Barbara. Dans les écoles, nous sommes incontestablement numéro un... Le problème, c’est que les sondages Nielsen ne comptabilisent pas les téléviseurs installés dans les dortoirs, les hôpitaux, les maisons de repos, etc. Pas plus qu'ils ne tiennent compte des gens qui programment leur magnétoscope pour regarder l'émission plus tard.»

«Santa Barbara possède un public très fidèle», explique Bridget Dobson, «mais aussi très particulier, différent de celui des autres soap-operas. Les téléspectateurs de Santa Barbara sont souvent des gens qui travaillent, ils sont en moyenne plus jeunes, ont suivi des études plus poussées… Le feuilleton est le plus faible là où les autres soaps sont les plus forts : dans les grandes villes du Sud, où la majorité de la population est noire, pauvre et au chômage.»

Selon A Martinez, Santa Barbara ne doit pourtant pas rejeter toutes ses responsabilités dans les mauvais sondages : «Il faut balayer devant sa porte. Nous avons aussi commis des erreurs. Quand Bridget Dobson a décidé de congédier Harley Kozak et de faire disparaître son personnage, Mary DuVall, l'audience a dramatiquement chuté. Il nous a fallu ramer pendant un an et demi pour retrouver le même niveau. A mon avis, trop d'acteurs sont apparus et ont disparu prématurément sans qu'on leur donne réellement leur chance.»

Pour Jed Allan, Santa Barbara n'a non plus tiré aucun profit de la bagarre entre les créateurs du feuilleton, Jerome et Bridget Dobson, et la maison de production, New World. Depuis l'éviction sans ménagement des Dobson, c'est une suite de procès... «L'ambiance s’est répercutée sur les scénarios. Personne ne savait plus trop vers quoi nous allions.»

Malgré les menaces qui pèsent sur l'avenir de Santa Barbara, la panique ne règne pas aujourd'hui dans l'équipe. «Si imposer un nouveau soap-opera au public américain est un processus très difficile et très lent», explique A Martinez, «il est tout aussi dur de le remplacer. Si NBC voulait introduire un nouveau programme à notre place, elle recommencerait à zéro. Ce serait cinq ans de perdu.» «Je ne pense pas que Santa Barbara puisse s'arrêter prochainement», rassure Robin Mattson. «Notre succès à l'étranger rapporte de toute façon autant aux producteurs que si nous étions numéro un aux Etats-Unis. Nos sauveurs, ce sont les téléspectateurs espagnols, suédois, italiens, français...»