«Il faut du temps pour apprendre à s'aimer» | |||||
Par Céline Fontana, TV Magazine, 2025 |
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L'artiste
va recevoir une nymphe de cristal récompensant sa carrière au Festival de télévision
de Monte-Carlo, où elle évoquera par ailleurs The Girlfriend, série
qu'elle produit, réalise et interprète, diffusée à la rentrée sur Prime
Video. De Santa Barbara à House of Cards, elle a,
dans des registres fort différents, marqué l'histoire du petit écran. Sur le
grand, elle restera à jamais liée à Princess Bride et Forrest
Gump, mais aussi Crossing Guard, She's so Lovely,
Les Vies Privées de Pippa Lee, Millénium : Les Hommes qui
n'Aimaient Pas les Femmes ou Perfect Mothers. Robin Wright
a aussi découvert, grâce à House of Cards puis son long-métrage
Land, le plaisir de passer derrière la caméra pour diriger ses
pairs et tracer son propre chemin. Discrète, rare en interview, elle nous a
accordé un entretien exceptionnel depuis les États-Unis, avant sa venue au
Festival de télévision de Monte-Carlo où son Altesse Sérénissime le prince
Albert lui remettra, le 17 juin, une nymphe de cristal.
Vous allez recevoir une nymphe de cristal récompensant votre carrière. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
C'est un honneur d'être dans ce métier depuis près de quarante ans. On se sent béni d'avoir pu travailler avec constance, d'avoir été sélectif. On est honoré pour ces choix, son oeuvre. Et on se dit : «C'est incroyable !» Encore une fois, j'ai eu beaucoup de chance d'avoir décroché les rôles qu'on m'a proposés et d'avoir pu côtoyer de grands réalisateurs. Mais aussi de pouvoir réaliser. J'adore travailler avec d'autres acteurs et voir ce qu'ils apportent.
En 2014, vous aviez reçu le Golden Globe de la meilleure actrice dans une série dramatique pour House of Cards. Est-ce que cela avait changé quelque chose pour vous ?
Quand on débute dans le métier très jeune, ce qui est le cas pour la plupart d'entre nous, au début de la vingtaine, il faut apprendre à s'aimer, à avoir confiance en soi et à surmonter ses peurs. Et cela demande du temps, de l'expérience. J'ai eu la chance que ce soit le cas dans cette industrie, j'en suis très reconnaissante.
Vous dites n'avoir jamais rêvé de devenir une star, mais plutôt avoir cherché à durer...
Ce n'est pas tant une question de célébrité, que de vouloir continuer à travailler. En recherchant une certaine régularité, on reste dans le jeu.
Mais vous êtes quand même devenue une star...
Vous savez, certaines personnes ne peuvent pas sortir sans être bombardées de questions ou poursuivies par des paparazzis. Les gens ne les perçoivent pas comme elles sont. Je n'ai jamais été comme ça. Je n'ai pas ce rapport à la célébrité. Je ne suis pas une grande star. Je mène une vie normale. Les gens ne me reconnaissent pas dans la rue. Ou alors, parfois, on vient me féliciter pour mon travail et je réponds simplement : «Merci beaucoup. Je suis ravie que ça vous plaise.»
Quelle est la genèse de The Girlfriend, une série pour Prime Video que vous venez d'achever et que l'on découvrira à la rentrée ?
Il s'agit d'un thriller psychologique adapté du livre éponyme de Michelle Frances (2007). J'ai travaillé quatre ans à le produire, jouer et réaliser certains épisodes. J'ai participé au développement, à l'écriture aussi. Cela représentait énormément de travail de cumuler tout cela mais j'ai adoré. En fait, on m'a d'abord demandé si je voulais réaliser cette série, j'ai dit oui car je trouvais génial de diriger Olivia Cooke (House of the Dragon). Et puis on m'a demandé si je voulais jouer également, afin de pouvoir financer plus rapidement le projet, et j'ai accepté. Mais ce n'était pas l'intention initiale. Il s'agit de la lutte entre deux femmes «amoureuses» du même jeune homme, fils de l'une et petit ami de l'autre. Une bande-annonce sera dévoilée au Festival de Monte-Carlo.
Qu'est-ce qui vous a plu dans votre personnage ?
Ce qui a le plus résonné en moi, c'est l'amour inconditionnel que l'on porte à son enfant en tant que parent. Et quand vous sentez que quelqu'un est toxique pour lui, vous devenez très protecteur et vous faites tout pour le libérer de ça.
Beau
Willimon, créateur de House of Cards, a confié : «Robin possède
naturellement une forte présence et, quand on la filme, même si elle ne dit
pas un mot, elle a cette capacité. Nous avions besoin d'une femme aussi forte
que son mari.» Vous ressentez-vous ainsi ?
Bien sûr, je suis ainsi, enfin je suppose. Et c'est ce dont ils avaient besoin. Cette présence apparaît quand on ressent quelque chose profondément ou qu'on est plongé dans ses pensées. C'est alors que ça résonne à l'écran. C'était l'un de nos principaux sujets de conversation autour du scénario. La façon dont Claire Underwood s'exprimerait par rapport à son mari Frank. Je pensais qu'il devait être l'orateur, parler davantage, que je serais plus silencieuse, un peu à la manière d'un aigle, observant et surveillant tout.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de passer à la réalisation ?
Je pense que c'est simplement en participant à House of Cards pendant tant d'années. J'ai tellement appris en observant d'autres réalisateurs et en posant des questions, notamment sur les raisons d'utiliser tel ou tel objectif. J'ai fini par me sentir prête. Je crois avoir toujours voulu réaliser, mais j'avais peur de ne pas en savoir assez, alors j'ai pris le temps d'apprendre, de regarder. Le producteur m'a demandé : «Pourquoi ne réalises-tu pas un épisode ? Vois ce que ça donne.» C'était tellement incroyable que j'ai dirigé dix épisodes tout en jouant dedans !
Est-il possible d'apporter sa touche personnelle dans une série comme dans un film ?
Dans House of Cards, non, nous étions clairement limités par un certain style, et c'était un vrai cadeau car il fallait s'y tenir. On pouvait apporter sa propre touche, bien sûr, à chaque plan ou dans la façon de diriger un acteur dans une scène, mais nous adhérions à la charte établie au début par David Fincher.
Votre film Land (2023) était une ode à la nature et à son pouvoir émancipateur...
Il s'agissait pour le personnage - une femme qui a perdu son mari et son fils dans un attentat - de s'éloigner de la civilisation, de surmonter la douleur, de se soulager, de continuer sa vie. Vous savez, les gens ont parfois besoin de se déconnecter. À ce moment, elle avait besoin de faire une pause, d'être seule. Ça m'arrive aussi.
Quelles valeurs vous ont transmises vos parents ?
Le message était : «Tu dois travailler, trouver un but, avoir une carrière et être autonome», c'est ce que j'ai reçu de mes parents. Et c'était très bien ainsi !
Et vous, qu'avez-vous transmis à vos enfants (Dylan, 34 ans, et Hopper, 31 ans) ?
Des valeurs de solidarité. Comme aider les gens qui ont moins, être compatissants et gentils et aimants. Nous vivons dans un monde tellement égoïste, égocentrique, méchant...
Est-il possible de rester positif dans ce monde ?
C'est le seul choix que nous avons, n'est-ce pas ? Parce que nous n'avons pas vraiment de contrôle sur la façon dont le monde va, nous devons donc choisir d'y être positifs.
Vous connaissez bien la France, qu'y appréciez-vous ?
C'est un pays magnifique mais, surtout, votre nourriture est incroyable !