«Ma vie privée n'est l'affaire de personne»

 Par Richard Gianorio, Madame Figaro, 2011

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Dans sa suite de l'hôtel Le Meurice, Robin Wright tourne comme une lionne en cage. Ce petit lutin survolté combat le jet lag à coups de champagne, de rire et de fromage français. Officiellement divorcée de Sean Penn après quatorze ans de mariage houleux, l'actrice sort à contrecoeur de l'ombre de son illustre mari, regagne l'arène publique et redécouvre une liberté qu'elle considère sûrement avec un sentiment de vertige mêlé d'appréhension. Elle est pourtant loin d'être dépourvue d'armes : une forte personnalité, un talent incontestable - on n'a jamais compris pourquoi le Festival de Cannes ne lui avait pas attribué le prix d'Interprétation pour She's So Lovely en 1997- et un énorme potentiel de sympathie chez les femmes. Trois raisons parmi d'autres qui font que la maison Gérard Darel l'a choisie comme égérie de ses nouvelles campagnes sobrement shootées par le maître Peter Lindbergh, qui l'adore.

Robin Wright, anti-star par nature, célèbre pour avoir refusé des films qui ont fait la gloire et la fortune d'autres, a déserté Los Angeles et ses vanités, le temps d'élever ses deux enfants, Dylan, 20 ans, et Hopper, 17 ans. Elle vient de rallier Hollywood et y retrousse ses manches : elle a enchaîné les participations prestigieuses, avec Robert Redford (The Conspirator) ou David Fincher (The Girl With the Dragon Tattoo). Assumant fièrement son âge (45 ans) et son absence de retouches esthétiques, cette actrice américaine atypique touche tout autant par sa volonté de ne jamais baisser la garde que par sa fragilité et son discours teinté de désenchantement. Une femme blessée ? On l'ignore, toute allusion à son cher ex-mari ayant pour effet immédiat d'entraîner un verrouillage automatique et de voiler son beau regard bleu d'une ombre menaçante. Rencontre avec une forte tête d‘une dignité exemplaire.

Vous voilà de retour avec une kyrielle de films, des réalisateurs prestigieux (Robert Redford, David Fincher) et des partenaires ad hoc (Brad Pitt). Un retour en force ?

Je ne suis pas dans le grand bain, je ne l'ai jamais été, mais je viens d‘enchaîner des collaborations de qualité, ce qui me comble. Avec Fincher par exemple, c'était dingue, une expérience incroyable. Je suis bénie de continuer de travailler à 45 ans : mes agents font vraiment un super boulot. (Elle rit.)

Votre carrière est pourtant atypique...

C'est exactement ce que j'avais prévu, et je n'aurais pas pu concevoir l'exercice de ce métier autrement. Il y a beaucoup de monde sur le marché, et nombreux sont les acteurs laissés sur le carreau. Je suis reconnaissante à la vie d‘avoir obtenu des rôles qui auraient pu être attribués à d'autres... La compétition est féroce, mais je me suis toujours dit qu'on était faite pour un personnage ou non. Ce raisonnement ne m'a pas toujours été profitable : ces vingt dernières années, j'ai souvent décliné des propositions de films en pensant que je ne serais pas à la hauteur. Ai-je eu raison ? Je ne sais pas. Mais il m‘est arrivé d‘avoir peur.

A vous écouter, on a l'impression que l'ambition ne faisait pas partie du programme...

Quand j'ai décidé de devenir actrice, j'ai aussi pensé qu'il me faudrait durer. Je n'ai jamais fantasmé sur les superstars instantanées, celles qui alignent tous les films et cultivent leur hypercélébrité. J‘ai considéré et isolé les projets les uns après les autres, et mon questionnement est devenu une ligne de conduite, si ce n'est une condition de vie. J'envisage mon chemin comme une succession de saisons émotionnelles. A chaque chapitre, je me pose les mêmes questions : où en es-tu ? que veux-tu ? de quoi as-tu envie ? de quoi es-tu capable ? Parfois, on accepte un film parce qu'il faut gagner de l'argent, mais le plus souvent, c'est pour l'art.

Que se passait-il dans la tête de cette jeune fille née au Texas et qui a grandi à San Diego ?

Je pensais consacrer ma vie à des associations humanitaires. Je me voyais bien infirmière en Afrique ou ailleurs, dans des camps de réfugiés. Qu'est-ce qui m‘est arrivé ? (Elle rit.) Je ne sais pas ce qui s'est passé... Je faisais un peu de mannequinat pour gagner de l‘argent, lorsque quelqu'un a dû me dire : «Vous devriez jouer, mademoiselle...»

Quel souvenir gardez-vous de cette expérience de modèle ?

C'était atroce. J'avais 17 ans, j'étais un mannequin de seconde catégorie. J'étais trop petite pour défiler, mais j'ai fait beaucoup de catalogues, des photos de beauté et de lingerie. J'ai même posé pour La Redoute ! Je travaillais à Paris, à Milan, à Munich. Je ne me souviens plus exactement, mais je sais que l'expérience a été traumatisante. C'est une compétition brutale et totalement injuste, puisqu'elle n'est pas fondée sur le talent, mais sur le seul physique : vous n'êtes pas traitée comme une femme, mais comme un spécimen. Je courais les castings pour entendre que je n'avais pas les bonnes dents, pas les bonnes jambes ou pas les bonnes fesses. Vous avez 17 ans et vous pensez : c'est ça, le monde ? C'est complètement destructeur. Cela m'a endurcie et éloignée des vanités.

Puis il y a eu le soap Santa Barbara, qui vous a rendue célèbre...

Oh ! C'est un autre monde, une autre vie. C'était il y a vingt-cinq ans. Je m'en souviens à peine... Ce n'est pas que j'ai effacé ça de ma mémoire, mais c'est très lointain. Ce que je peux dire, c'est que j'étais très contente de tenir un rôle régulier qui m'a permis d'apprendre toutes les ficelles techniques du métier et de mémoriser des textes kilométriques. Et puis, j'ai tourné Princess Bride pour le cinéma (NDLR : en 1987), et on a liquidé mon personnage dans Santa Barbara avant de le faire ressusciter puisque j'étais tenue contractuellement de terminer la saison... Tout ça est si loin ! (Elle rit.)

C'est durant ces années-là que vous êtes devenue une célébrité...

Je n'ai jamais été une célébrité et je ne le suis toujours pas, Dieu merci ! J'ai toujours farouchement défendu ma vie privée. Quand je vois le sort réservé à Angelina Jolie et à Brad Pitt, deux êtres formidables, je suis en colère. Laissez-les tranquilles ! Et quand on ose dire que la violation de la vie privée fait partie du package, je sors de mes gonds. La promotion, les red carpets ? O.K. Ma vie privée ? Hors de question ! Ce n'est l'affaire de personne, et surtout pas d'une bande de piranhas enragés... Dieu merci, je n'ai pas connu ça.

Vous voila néanmoins exposée en tant qu'ambassadrice de Darel. Cela vous amuse d'être une égérie beauté ?

Egérie beauté ? S'il vous plait ! Certains matins, je ne ressemble à rien, même si je suis comme tout le monde et que j'ai envie qu'on me trouve jolie. Et comme tout le monde aussi, j'aimerais être différente. Avoir de jolis seins, par exemple...

C‘est possible...

Je ne ferai jamais ça ! Je préfère rester avec mes affreux petits seins... (Elle rit.) J‘avais des seins avant la naissance de mes enfants, et puis hop ! ils ont disparu...

Vous êtes impeccable...

S'il vous plait ! J'ai 45 ans, et c'est dur de vieillir. On se réveille le matin et on découvre une petite ride qui n'existait pas la veille. Que faire ? Lui souhaiter la bienvenue ! (Elle rit.) Je ne ferai jamais de lifting, je ne toucherai jamais à mes lèvres. Quand je vois ça chez d'autres femmes, cela me terrorise et me donne envie de pleurer.

Une actrice non retouchée a-t-elle la possibilité de continuer de travailler aux Etats-Unis ?

Je vous dirai ça bientôt... Mais regardez Annette Bening : elle porte fabuleusement ses 50 ans. Le pire dans cette histoire, c'est que ces nouveaux physiques conditionnent le regard des spectateurs : bientôt, ils se cacheront les yeux en découvrant une ride chez leurs proches. Peut-être faudra-t-il partir vivre en Afrique ! (Elle sourit.)

Vous sentez-vous américaine ?

Je suis une Californienne qui adore l'Europe. J'adorerais vivre ici. Tourner avec Yvan Attal, qui est un ami. J'aime la façon dont vous vivez. En Amérique, vous travaillez jour et nuit et vous déjeunez dans votre voiture. J'adore l‘idée de prendre mon temps, même si les Français parlent trop : ils disent en un quart d'heure ce qu'un Américain résume en une phrase. Vous aimez vous écouter, non ? (Elle rit.)

Vous non ! Il parait que vous détestez les interviews...

Vous ne pouvez pas imaginer à quel point ! Je déteste parler de moi. Et puis ce n‘est pas toujours rendre service aux acteurs que de les laisser s`exprimer. Parfois je lis une interview d'Untel, je n'aime pas ses réponses, je n'aime pas son point de vue ou ce qu'il défend, et, du coup, j'en viendrais presque à ne plus avoir envie de considérer son travail et d'aller le voir au cinéma, ce qui est injuste. Et puis, vous le savez bien, au fond, toutes ces interviews, c'est juste du "gossiping" déguisé. Ce que les journalistes veulent saisir de nous ? Des ragots et des indiscrétions, rien d'autre...

Vous avez visiblement du tempérament. A votre sujet, les réalisateurs évoquent une grande force intérieure...

Je suis forte jusqu'a un certain degré. Parfois, il s'agit juste de pilotage automatique. Je peux me montrer vulnérable ou même dépourvue de volonté. Par exemple, je suis incapable d'arrêter de fumer, je n'arrêterai probablement jamais, et c'est une faiblesse. Mon atout, en revanche, c'est la compréhension d'autrui. Je peux ne pas partager un point de vue, mais je suis toujours dans l'acceptation. C‘est une gymnastique que je pratique en permanence : apprendre à positiver. Je me repose beaucoup sur l'espoir et sur la foi. J'espère en tirer un jour un bénéfice qui prendrait la forme de l'harmonie ou d'un semblant d'harmonie...