Pourquoi une série aussi top est-elle un tel flop en audience ?

 Par Michael Logan, Soap Opera Digest, 1989

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A première vue, personne ne fait mieux que l'impertinent et élégant Santa Barbara. Remporter l'Emmy de meilleur soap-opera 1988, tout comme recevoir treize nominations cette année (plus que n'importe quel soap-opera), est une réussite spectaculaire considérant les débuts honteusement incertains du soap il y a seulement cinq ans. Santa Barbara est envié pour ses mélanges nerveux de romance, de bravoure et de satire, le tout enveloppé de manière séduisante dans de luxuriants niveaux de qualité de production. Aucun autre soap a attiré de manière systématique de tels excellents talents ou monté des campagnes publicitaires aussi agressives et chères. Et aucun autre soap - à part Des Jours et des Vies - peut se vanter d'une légion de fans aussi fervents qui écrivent des courriers des lecteurs, ou rejoignent des fan-clubs. A l'international, c'est un grand succès - surclassant souvent des produits populaires américains tels que Dallas et Dynastie. Mais, sur le front national, un simple regard sur les très importants indices d'audience Nielsen - où la série n'a jamais été autre chose que de l'eau de gouttière - va révéler la surprenante vérité. Malgré tous ses efforts vers le contraire, Santa Barbara est un indéniable flop.

Pour certains, la raison est évidente. «Nous appelons sa plage horaire la Zone de la Mort», révèle Bridget Dobson, la détrônée productrice exécutive de Santa Barbara qui, en compagnie de son mari Jerome, a créé ce soap ensoleillé en 1984. Ironiquement, Santa Barbara concourt avec deux soaps au long court qui sont chers à con coeur : le toujours robuste Les Vertiges de la Passion / Haine et Passions, que les Dobson, en tant que chefs scénaristes ont transformé de dinosaure à succès populaire en 1975; et Alliances & Trahisons / Hôpital Central, l'atout gagnant d'ABC créé par ses parents Frank et Doris Hursley.

De plus, une telle compétition constitue soixante-trois années de fidélité des téléspectateurs et, contre lui, sa propre création stagne - particulièrement avec le pas très suivi Another World qui la précède. A l'heure où nous mettons sous presse, les résultats Nielsen de Santa Barbara révèlent une audience de 4,4 et une part de marché de 14 (chaque point d'audience représente 904 000 foyers, tandis que la part de marché représente le pourcentage de tous les postes de télévision allumés qui sont tournés vers Santa Barbara), un niveau auquel, ces quelques derniers mois, il semble tristement s'être stabilisé. Avec le temps, le soap a plongé aussi bas que 8 dans ses pires semaines et, seulement dans de rares occasions, est monté jusqu'à 17. Comparez cela à la part de Les Vertiges de la Passion / Haine et Passions (un peu moins de 20) et Alliances & Trahisons / Hôpital Central (au-dessus de 20) et le tableau n'est pas brillant. «Peu importe ce que nous faisons ou combien de récompenses nous gagnons, la plage horaire est un mur qui est, de nombreuses manières, insurmontable», pense Chuck Pratt, Jr., le chef scénariste de la série.

Le sentiment que les téléspectateurs devraient plutôt se battre que changer est relayé par l'actrice Nancy Grahn (Julia) : «Les publics de soaps résistent à ce qui est nouveau. Ils n'aiment pas le changement. Pour eux, regarder son soap favori est comme se glisser dans ses chaudes, confortables et agréables pantoufles. C'est confortable - et les téléspectateurs doivent ne plus se sentir à l'aise avec une série avant de changer pour une autre». Cela étant, juste combien de temps NBC et New World Television, la société de production à qui appartient Santa Barbara vont tenir ? «Depuis que je m'y intéresse, Alliances & Trahisons / Hôpital Central a toujours dominé cette plage horaire», dit la productrice exécutive actuelle de Santa Barbara, Jill Farren Phelps. «NBC a placé plusieurs choses contre lui, mais Santa Barbara est la seule série qui semble y être coincée». Bridget Dobson ajoute : «Le simple fait qu'il est difficile de débuter une série dans cette plage horaire signifie également qu'il est difficile d'en remplacer une. Vous terminerez avec les mêmes faibles audiences qu'avec lesquelles Santa Barbara a commencé. Je pense que faire un échange - que ce soit avec un autre soap ou un jeu ou peu importe - condamnerait la chaîne à cinq années de plus basses audiences encore». Et Jon Feltheimer, président de New World Television, pense : «Un soap prend historiquement longtemps à se construire une audience. Nous avons des producteurs géniaux, des scénaristes géniaux et des acteurs géniaux sur Santa Barbara. Nous sommes certains de trouver aussi une belle audience». Justin Pierce, directeur de la publicité chez New World est d'accord : «Nous avons une formidable foi dans la série et je crois que NBC la regarde avec affection également. Nous avons la ferme résolution de la garder à l'antenne et de venir en renfort autant que nous le pouvons. Même si ce n'est pas possible, dans les deux ou trois prochaines années dans cette plage horaire, nous pensons qu'il est réaliste d'arriver à une seconde (plage) plus forte».

Dans le même temps, toutefois, les responsables de certaines stations locales affiliées à NBC n'apprécient pas les scores dérisoires de Santa Barbara et ont exercé leur droit de reléguer la série à des horaires étranges, ou même de ne plus la diffuser du tout. «Dans certaines parties du pays», dit Jed Allan (C.C.), «nous sommes à 9 heures du matin - et comment Diable pouvez-vous gagner à cette heure-là ?». Une chaîne affiliée - WXFL à Tampa, en Floride - a complètement laissé tomber le soap et l'a remplacé par des épisodes de la vieille série de Jim Garner, Deux Cents Dollars Plus les Frais. Après plusieurs mois, les revendications des fans furieux, couplé avec un bombardement de courriers de haine, ont eu pour résultat un inversement de la décision - mais, si l'avenir ne devient pas plus rose, d'autres chaînes affiliées mécontentes risquent de recourir à la même mesure drastique. En créant un cercle vicieux, cela ne ferait qu'envoyer les audiences chuter encore plus bas.

Le désintérêt écrasant des téléspectateurs ne peut certainement pas être reporté sur le manque de publicité, cependant. Santa Barbara reste le seul soap à l'antenne à employer une coordinatrice presse/relations publiques interne, Mary Andersen, et l'un des rares à avoir un publicitaire externe indépendant, Deborah Kelman. L'effort conjoint a résulté en une extrêmement haute visibilité pour la série. «Nous avons l'image d'un succès», dit Robin Mattson (Gina). «On écrit dessus (dans la presse) de cette manière, les gens en parlent de cette manière et grâce à l'Emmy, les gens sont persuadés que les audiences sont élevées».

N'étant avares d'aucune dépense, NBC et New World invitent fréquemment la presse à manger et à boire sans compter à des soirées anniversaires, des soirées de Noël et des soirées des Emmy (New World est si ravi des nombreuses nominations de Santa Barbara. Il a même envoyé par avion des acteurs non nominés à New York pour des soirées pré-récompenses). Avec Andersen le génie de la presse à la barre, le menu d'une récente soirée a inclus du veau au citron, du saumon bouilli, des bars à sushis et à pâtes - alors que d'autres soaps, si déjà ils divertissent la presse, le font avec du fromage et des tartines.

Un peu de corruption ? Justin Pierce de New World répond : «Il n'y a pas de résultats substantiels aux soirées que nous donnons. Oui, nous aimons que les membres de la presse sentent qu'ils sont traités de manière un peu plus particulière, mais nous considérons simplement cela comme un geste de bonne volonté. Si la série n'était pas d'un haut niveau de qualité, combien de fêtes nous lançons n'aurait pas d'importance». Et, même si les médias ont, dans les faits, offert un soutien considérable à Santa Barbara, la stimulation ne l'a pas fait monter en flèche vers la stratosphère des audiences Nielsen. Pierce continue : «Tout ce que la publicité peut faire est de rendre de plus en plus de non-téléspectateurs au courant de Santa Barbara et de maintenir l'intérêt des personnes qui le regardent déjà». En espérant que le diagnostic de la série s'inverse, il maintient que New World va continuer de dépenser des dollars dans la promotion, en constatant : «Une fois que vous avez un public, il faut travailler tout aussi dur pour le conserver».

Naturellement, il y a ceux qui ne croient pas dans l'exactitude des audiences. Selon une enquête de Penn & Schoen Associates en 1989 sur les styles de vie et opinions des stars de soap-operas, Santa Barbara s'est classé second parmi les acteurs qui regardent des soaps autres que les leur. Et selon Grahn : «Nous sommes la série à la mode dans les collèges et les lycées. Les gamins en deviennent fous, cependant aucun de ces postes de télé dans les dortoirs ou les magnétoscopes à la maison n'est comptabilisé dans les audiences Nielsen». Mary Andersen ajoute : «Cela n'a pas de sens. Nous recevons des tonnes de courrier. Je suis allée rendre visite à un ami à l'hôpital et le moindre écran de télé était branché sur Santa Barbara. Quoiqu'il en soit, j'ai une théorie selon laquelle tous les boîtiers d'audience Nielsen sont possédés par des nuls».

Même si les téléspectateurs, si l'on en croit les audiences Nielsen, sont petits en nombre, il n'y a aucun doute sur le fait qu'ils sont forts en voix. Santa Barbara et ses stars se placent souvent juste derrière les outrageusement populaires stars de Des Jours et des Vies dans les sondages des publications sur les soaps et, parfois, le pouvoir des fans se montre partout - comme dans le sondage national du magazine Star des "Hommes et les femmes les plus sexy des daytime soaps", dans lequel Nancy Grahn et A Martinez (Cruz) sont chacun placés dans le top trois, dépassant des dizaines de stars torrides de champions des audiences comme Alliances & Trahisons / Hôpital Central, Les Feux de l'Amour, La Force du Destin et On Ne Vit Qu'une Fois.

Sans aucun doute, les performances de nombreux acteurs de Santa Barbara donnent aux (fans) fidèles quelque chose après lequel s'exclamer. Les déjà mentionnés Grahn, Martinez et Mattson, tout comme Marcy Walker (Eden), Lane Davies (Mason), et le douloureusement regretté Justin Deas (ex-Keith), ont offert des performances principales si sublimes, qu'elles rejoignent facilement le meilleur de ce que la télé a à offrir - que ce soit en journée ou en soirée. Mais tant d'excellence, hélas, n'a pas apporté d'audiences plus larges, pas plus que de familiarité. Beaucoup des (acteurs) ci-dessus étaient précédemment populaires dans des soaps à forte audience, comme l'ont été d'autres interprètes de Santa Barbara, dont Vincent Irizarry (Scott), Frank Runyeon (Michael), Louise Sorel (Augusta), Jed Allan, Judith McConnell (Sophia), Kristen Meadows (ex-Tori), Lenore Kasdorf (ex-Caroline) et Nicolas Coster (ex-Lionel). Tandis que le soap est applaudi pour attirer de tels talents explosifs, il n'y a aucune preuve que leurs anciens fans l'aient remarqué, et s'en soient encore moins soucié. Et même si la lumineuse Robin Wright a obtenu des félicitations en tant que Princess Bride pendant qu'elle jouait toujours Kelly Capwell dans Santa Barbara, son film n'a pas fait venir des tonnes de gens pour autant. Un membre de Santa Barbara, qui préfère rester anonyme, dit : «Peu importe que nous ayons les meilleurs acteurs. Dernièrement les intrigues ont craint. Vous voyez la même chose jour après jour après jour. Je peux voir pourquoi les téléspectateurs seraient tenté de dire : "Hé, allons jeter un oeil sur ce qui se passe dans Alliances & Trahisons / Hôpital Central"».

Est-ce possible que cette plage horaire invalidante ne soit pas la seule cause des problèmes d'audience de Santa Barbara ? Quelques-uns avancent que, alors que de nombreuses intrigues ont été loin d'être brillantes, d'autres ont été suffisamment pestilentielles pour faire fuir les mouches. Une telle mauvaise écriture, souvent rendue plus visible par certains choix de casting médiocres, peut conduire les téléspectateurs à éteindre, selon Chuck Pratt, Jr., qui admet : «Nous les scénaristes les appelons "les histoires grumeaux". C'est quand tout un groupe de personnages - immanquablement joués par les pires acteurs - se retrouve réuni dans une histoire. Même si certains des acteurs sont bons, ils sont tous détruits par les intrigues mauvaises. L'histoire s'installe là, mourant d'une mort lente, et chaque semaine aux réunions de scénario nous nous demandons : "OK, que faisons-nous des grumeaux ?" Le public, lui, a regardé cette histoire se dérouler et se demande : "Qu'est-ce que c'est que ça ?" Ce n'est définitivement pas le moyen d'impressionner les téléspectateurs que nous avons, et encore moins de nouveaux».

Pratt réfléchit à la possibilité que le public de Santa Barbara soit un peu trop loin d'être traditionnel. «Oui, nous avons un public très fidèle mais c'est aussi un public très particulier. Nous attirons un groupe de jeunes cadres dynamiques qui est très loin de représenter l'ensemble du pays. Ils ne représentent pas la vaste majorité des personnes vivant dans des centres urbains du Midwest et du Sud, qui est là où nous sommes le plus faible. Nous devons nous étendre vers de plus larges publics - et pas en changeant la série, mais en l'ouvrant un peu avec de nouveaux personnages qui ont une attractivité plus large. Bien entendu, personne ne sait vraiment ce qui marche et personne ne fait confiance à ses instincts. On m'a toujours dit : "Mets un peu de ci, mets un peu de ça", et c'est difficile de faire fonctionner de telles suggestions. De nombreuses fois c'est : "Ajoute une famille noire - ça va le faire !" Et je réponds : "Et si on ajoutait simplement un bon personnage ?"».

A Martinez voit aussi quelques décisions créatives comme étant en partie à blâmer. «Nous nous approchions d'un bon niveau d'audience quand Harley Kozak a été mise à la porte», se souvient-il, se référant à l'actrice qui jouait l'ancienne nonne Mary DuVall et avait été virée par les Dobson en 1986. «Cela nous a pris dix-huit mois, sinon plus, pour obtenir la même part de marché que nous avions la semaine où son personnage a été tué. Bien sûr, je ne pense pas que cela a un quelconque effet sur qui regarde ou ne regarde pas aujourd'hui - mais c'est quand même une statistique qui donne à réfléchir. Je ne sais pas pourquoi nous n'obtenons pas de plus grands chiffres maintenant mais parfois je me demande si cela a à voir avec le fait que nous faisons aller autant de personnages dans la série aussi rapidement. Peut-être qu'on a laissé partir certains acteurs prématurément, avant qu'ils aient la chance de capter et se construire une audience».

Robin Mattson suspecte que la qualité soit le coupable. «Notre série», dit-elle, «a essayé d'incarner certains sujets de société. Le viol d'Eden, par exemple, d'une manière responsable - particulièrement comparé à Alliances & Trahisons / Hôpital Central, qui a fait violer Laura par Luke sur le sol de la discothèque puis les a transformés en couple romantique du siècle. Même si cette histoire a perpétué le mythe que toutes les femmes ont vraiment envie d'être violées et qu'il y a quelque chose de romantique et de glamour là-dedans, cela a été grandement populaire. La réalité du viol dans Santa Barbara - avec toutes ses peurs, sa douleur et sa souffrance - a été potentiellement moins plaisante et moins divertissante à regarder. La nôtre a été une bien meilleure façon de gérer le sujet, mais peut-être plus malaisante à voir».

Même si la série fait fréquemment lever les sourcils dans ce qu'elle présente à l'écran (comme un travesti nommé Bunny), les très médiatisées bagarres judiciaires en coulisses entre les Dobson et New World ont été tout autant controversées. Du point de vue de Jed Allan, elles ont, aussi, eu un effet inverse. «Quand la série a été à son sommet, en terme de qualité, nous avons aussi eu nos meilleures audiences», se souvient-il. «La combustion interne a eu lieu quand nous en étions à ce moment et cela nous a affaiblis. L'écriture a été chamboulée et les téléspectateurs n'ont plus su qui faisait quoi à qui. C'est ce qui a tué notre dynamique - et cela a été très difficile de la récupérer».

Quel qu'en soit la cause, et quel qu'en soit l'issue, la panique n'est pas prête de s'installer. «Je ne pense pas du tout que nous puissions être annulés», dit Robin Mattson. «Je suppose que, comme la série est bien distribuée et est un tel succès sur les marchés étrangers, quelqu'un doit bien se faire de l'argent quelque part». Et, selon Jill Farren Phelps : «Ce n'est pas comme si nous allions (écrire) des intrigues avec les audiences en tête. Ce que vous avez vu, et allez continuer à voir, est intrinsèque à la série et à son style».

C'est comme si les fans accros à Santa Barbara sont trop captivés pour paniquer. Comme le dit Justin Pierce de New World : «Des millions de gens adorent Santa Barbara. Pour eux, c'est un succès - et vous n'allez pas leur dire autre chose».