Coup pour coup

 PaCaroline May, Xposé, 1998

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Deux nouvelles séries sont arrivées sur les networks américains l'an dernier, toutes les deux centrées autour du travail des profilers, ces agents du FBI dont la spécialité est de traquer les tueurs à partir d'indices abandonnés par ceux-ci sur les lieux de leurs crimes. Mais alors que tout le monde pensait que ce serait Millennium, créée par les responsables d'X-Files, qui remporterait ce duel haut la main, c'est finalement l'autre série, celle qu'on dénonçait presque comme étant une imitation frauduleuse, Profiler donc, qui s'est progressivement imposée auprès du public. Ce qui ravit d'aise A Martinez, le comédien qui incarne l'artificier Nick Cooper. Personnage conçu à l'origine pour n'apparaître que dans un épisode, Coop a si bien affirmé sa présence qu'il est maintenant devenu un "régulier" de la série. N'est-il pas désormais l'ami de coeur de Sam Waters elle-même (Ally Walker) ?

D'abord célèbre pour avoir été pendant trois saisons consécutives Daniel Morales, le père célibataire de la Loi de Los Angeles, A Martinez explique pourquoi il est heureux d'avoir trouvé de nouveau un emploi dans une série télévisée populaire : «Pendant les deux ans qui se sont écoulés depuis que La Loi de Los Angeles s'est arrêtée, j'ai dû courir de dramatique en dramatique, et ce n'est pas la meilleure façon de vivre lorsqu'on est père de famille et qu'on aspire à rentrer chez soi tous les soirs. Bien sûr, on prend l'avion tous les week-ends pour retourner au bercail, mais ce n'est pas vraiment la même chose. J'attendais avec impatience de trouver un emploi qui me permettrait de ne pas quitter la ville. J'ai refusé une ou deux propositions qui ne m'ont pas paru très intéressantes, mais il faut bien avouer que c'est seulement à l'arrivée qu'on sait si un rôle méritait d'être accepté ou non. Je remercie le ciel de m'avoir amené à accepter Profiler. J'interprète un rôle qui me plaît au milieu de gens avec qui je m'entends vraiment bien. Que pourrais-je demander de plus ?»

L'une des raisons qui ont poussé A Martinez à préférer Profiler à d'autres propositions était la perspective de travailler avec Ally Walker, qu'il avait déjà rencontrée il y a plusieurs années, à l'occasion de Santa Barbara : «Elle a participé à cette série pendant un an à peu près, et elle y interprétait une femme qui voulait me tuer. On peut le dire maintenant, cette partie de l'intrigue n'était certainement pas ce qu'il y avait de mieux dans Santa Barbara, mais Ally, alors même qu'elle n'était encore à l'époque qu'une débutante, ne s'est pas découragée. Elle y est allée vaillamment ! Elle était restée gravée dans mon esprit et je suivais depuis sa carrière du coin de l'oeil. Elle est vive, elle est gentille, elle a le sens de l'humour, et c'est une excellente comédienne. Lorsque, dans Profiler, vous la voyez en proie à des visions, vous avez vraiment l'impression qu'elle est dans un état second. Et, croyez-moi, ce n'est pas si facile pour un comédien de produire cet effet. A sa manière, elle symbolise assez bien les raisons du succès de Profiler : cette série montre au spectateur des personnages qui vont ailleurs, et le spectateur a l'impression de les accompagner dans ce voyage.»

A Martinez ne rend pas seulement hommage à ses camarades comédiens; il tient à souligner aussi la précision et l'efficacité des scénarios de la série, qui font du personnage de Coop pratiquement l'opposé du Daniel Morales qu'il interprétait dans la Loi de Los Angeles. «A la différence de plusieurs autres personnages de Profiler, Coop n'est pas noyé sous la paperasse administrative. C'est un homme qui, pour gagner sa vie, est contraint de la risquer tous les jours. Cela fait dix ans qu'il désamorce des bombes. Les gens qui font ce métier si longtemps finissent par se dire que "demain" est un mot qu'ils doivent employer avec beaucoup de prudence. Mais cette absence de prospective a son avantage : elle oblige à apprécier plus profondément le moment présent. Finalement, je crois que ce que je recherche le plus dans ma vie, c'est la conscience, la conscience d'être là, tout simplement. Il y a tant d'éléments dans la vie quotidienne qui nous incitent à oublier que nous sommes là, pour le meilleur et pour le pire... Rien ne disait que nous devions être là un jour, et pourtant nous sommes là. L'un des traits qui me plaisent le plus chez Coop, c'est qu'il est toujours hic et nunc

Martinez lui-même n'est pas du genre à tirer des plans sur la comète. Non, il n'avait pas imaginé, même dans ses rêves les plus fous, qu'un tel succès attendait Profiler : «Mais vous savez, c'est ce en quoi je me distingue de ma femme et de mes enfants : dès qu'ils voient les cadeaux au pied du sapin de Noël, ils meurent d'envie de savoir ce que contiennent les paquets et ils les secouent pour essayer de deviner. Moi, une pareille idée ne me viendrait même pas à l'esprit. Quand je suis sur le chemin, je ne suis pas impatient de savoir ce qui est au bout du chemin. Ce qui m'est arrivé ne lasse pas de me surprendre. A l'occasion d'une réunion d'anciens élèves de mon lycée, j'ai récemment pris conscience de la chance que j'avais eue en faisant ce métier qui est le mien. Un comédien qui n'est pas très connu, ce qui est mon cas, doit constamment faire des efforts pour s'améliorer. Mais ce travail professionnel touche à tant de choses, met en jeu tellement de décisions qu'il finit par retentir sur la vie personnelle et débouche sur une véritable découverte de soi. Oui, vraiment, j'ai eu de la chance...»

C'est à La Loi de Los Angeles que Martinez doit d'être devenu "un nom" à Hollywood. Cette série offre les mêmes qualités que plusieurs autres séries célèbres créées par Steven Bochco - Capitaine Furillo, New York Police Blues et Murder One : «Elle combine l'esprit et le coeur, tout simplement. Cette combinaison est finalement l'idéal que poursuit tout comédien. Je me rappelle Steven expliquant un jour à Jimmy Smits à propos de New York Police Blues : "Ne te demande pas si c'est dans un film ou dans une série télévisée que tu tournes. Demande-toi quels mots tu as à dire." Le secret est là. Les mots sont le reflet de la pensée, et que sommes-nous, sinon ce que nous pensons ? Rien que pour cela, tous les comédiens qui ont travaillé avec Steven Bochco lui doivent une reconnaissance éternelle. Dans chaque épisode, il y avait au début une scène dans laquelle on voyait tous les personnages ensemble autour d'une même table. J'adorais ce rite, parce qu'il me permettait de travailler au moins une fois dans chaque épisode avec tous les acteurs et parce que ce travail - mais est-ce bien le mot ? - correspondait à l'esprit même de la série.»

Il fallut un certain temps à A Martinez pour s'emparer du rôle de Morales dans La Loi de Los Angeles. Il dut sortir de l'espèce du confort qu'il avait acquis à force de tourner dans Santa Barbara. «J'avais passé huit ans avec un personnage que j'adorais, et voilà que je devais me mettre dans la peau d'un personnage beaucoup moins adorable. Or les relations que j'entretiens avec mes rôles sont essentiellement fondées sur l'émotion. Et si celle-ci n'est pas vraiment là, on perd, si je puis dire, un peu de lumière... Santa Barbara avait son lot de difficultés, mais liées surtout aux conditions mêmes du tournage. Les cadences semblaient parfois vraiment impossibles. Mais petit à petit, avec un peu de chance, on découvrait qu'on était capable de réagir plus vite face à certaines situations, on apprenait à mieux "gérer", comme on dit, son temps et son énergie, et finalement on parvenait à se hisser à un niveau de compétence supérieur. Cette gymnastique intellectuelle et morale quotidienne m'a manqué lorsque la série s'est achevée et j'ai senti  que mon petit moteur intérieur commençait à ronronner un peu trop gentiment...»

Mais Martinez n'est pas du genre à rester sans rien faire. Musicien à ses heures, il aime tant le rock country qu'il a déjà sorti un album et qu'il est même en train d'en préparer un autre, qu'il compte terminer pendant les "récréations" que lui laissera le tournage de Profiler. Et il donnera, pour célébrer la sortie de ce second album, une série de concerts. «Je ne suis pas aussi avancé dans le domaine de la musique que dans celui de l'art dramatique ! En fait, j'avais commencé à faire de la musique bien avant de jouer la comédie. Mais c'est une activité que j'ai presque entièrement laissée de côté pendant toute ma période Santa Barbara.» Le succès de Profiler et le tournage de nombreux épisodes dans les mois à venir ne lui permettront probablement pas de développer sa corde musicale autant qu'il le souhaite, mais il aurait mauvais jeu de se plaindre de sa participation à une série que certains ont déjà comparée à X-Files.

Comme X-Files en effet, Profiler réussit à merveille la combinaison entre des personnages sympathiques et des thèmes qui semblent souvent tout droit sortis de la littérature "gothique" du XIXe siècle : «D'une certaine manière, Profiler relève aux yeux de certains du genre de la science-fiction. Mais il n'y a aucune fiction dans la vie des profilers qui existent dans la réalité. Ce sont des agents du FBI dont la spécialité est maintenant établie depuis près de trente ans. Le principe de leur activité est fondamentalement simple : il s'agit, après avoir étudié certains schémas de comportement et certaines situations, de se projeter dans la tête de quelqu'un qui fait des ravages sur son passage. Les hommes qui accomplissent le mieux ce type de travail ont peut-être, si vous voulez présenter les choses de cette manière, un sixième sens, mais Profiler ne demande jamais au spectateur d'oublier la réalité comme certaines séries de science-fiction le forcent à le faire.»