Santa Barbara : coulisses, drames et mystères

 Par Isabelle Caron, Télé 7 Jours, 1989

 Accueil   This page in English  

Acceptez-vous de prendre Mason Capwell pour époux ? Oui répond tendrement Gina. Mais soudain Mason, le fils du terrible C.C. Capwell s'écroule. Quelqu'un, caché parmi les invités, vient de tirer sur lui. Gina se précipite à la manière de Jackie Kennedy lors de l'attentat de Dallas. C'est l'affolement et, très vite, on va transporter le blessé à l'hôpital le plus proche. Dans le coma... Stop ! dit le réalisateur dans son micro depuis une cabine d'où il surveille le tournage. En se relevant, Lane Davies sourit : «Les producteurs et les scénaristes de Santa Barbara sont les plus imaginatifs que j'ai rencontrés. Ils parviennent toujours à nous surprendre.» Debbie Bachtell, qui est chargée de coordonner toute la production, approuve : «Notre succès est dû, avant tout, à cet art du rebondissement que nous exigeons d'eux et aussi à des comédiens qui sont vraiment devenus les héros qu'ils incarnent au point d'avoir du mal à s'en débarrasser !»

Robin Mattson, qui joue le rôle de Gina, la jeune épouse éplorée, en robe et talons hauts, a bien du mal à marcher dans les vastes studios de la chaîne NBC, situés au coeur de Los Angeles... «Ma robe est magnifique.» Comme pour les mariages de Kelly-Robin Wright et Eden-Marcy Walker, les producteurs ont demandé à Richard Bloore, leur styliste, de dessiner une robe de rêve, toute de satin rose, brodée de dentelle, paillettes et petites perles avec une traîne de dix mètres : «Il a choisi le style western, dit Robin, puisque Mason se prend pour un cow-boy. J'ai les épaules nues comme dans les saloons...»

Des costumes par milliers

Richard Bloore, le costumier, dans son antre où il garde en permanence plus de 1000 robes et costumes et 300 paires de chaussures. «Quand on les a trop vus, nous les offrons à des oeuvres. Parfois les comédiens les empruntent pour une soirée ou un voyage. A Martinez m'a ainsi pris un smoking pour venir en France...»

Cet épisode ne sera pas diffusé, en France, avant au moins deux ans. Aux États-Unis, la chaîne NBC proposait, ces jours-ci, le 1150ème épisode alors que TF1 en est seulement au 400ème. Avec une moyenne de 25 % d'audience Audimat, cette chaîne a déniché un feuilleton-vedette devenu un véritable phénomène de société. Un sondage du très sérieux Institut Médiamétrie l'a classé feuilleton préféré des 8-16 ans, mais la Santa Barbara manie atteint un public de 7 à 77 ans et de toutes les conditions sociales : «Dans le monde entier aussi, explique Mary Andersen, l'attachée de presse... Notre volumineux courrier le montre. Nous avons dû engager trois secrétaires pour aider les comédiens à y répondre...»

Lane Davies, le héros du jour, reçoit ainsi jusqu'à 100 lettres par jour, dont beaucoup de France : «Sans doute, dit-il, parce que je suis un personnage compliqué, presque fou par moments. Avec moi tout peut arriver.» Il appartient en tout cas à la famille par laquelle tout est arrivé : les Capwell. Il a suffi, en effet, que Channing, le fils de C.C. Capwell meure dans d'étranges circonstances pour que deux clans se déchirent : les Capwell et les Lockridge. Dans un univers plus impitoyable que dans Dallas, mais où l'amour est toujours le plus fort.

Dominic Messinger, directeur de la musique dans son studio : «Je compose des airs et je prends des chansons connues.»

Avant d'en arriver là, que de complications. Ainsi Mason, en épousant Gina, se marie avec l'ex-femme de son père : «J'ai même été, dit Robin Mattson, deux fois Mme C.C. Capwell. Nous avons divorcé et nous nous sommes remariés.» Mason est le fils du premier mariage de C.C. Capwell avec Pamela. C.C., divorcé de Pamela, a épousé Sophia (Judith McConnell). Avec Sophia, C.C. a un autre fils, Ted que joue Todd McKee et deux filles Eden Capwell, la belle Marcy Walker, et Kelly Capwell, incarnée tour à tour par Robin Wright puis Kimberly McArthur...

A l'origine Mason devait épouser Julia Wainwright, dont il a une fille, Samantha. Mais soudain devant le prêtre, Julia a dit non ! Pour se venger de l'avoir surpris la veille dans les bras de Gina. Mason souffre, en effet, d'un dédoublement de personnalité et croit de temps à autre être Sonny Sprocket, un cow-boy, héros de son enfance. «Quand je suis Sonny, je hais mon père C.C. Capwell parce qu'à l'âge de 6 ans, il m'a obligé de me débarrasser de ma tenue de cow-boy à laquelle je tenais tant.» Alors Mason-Sonny décide de se venger. Il découvre que dans l'usine de C.C., un produit chimique a provoqué la mort de douze ouvriers. Tous souffraient d'un cancer. Il dérobe, alors dans le coffre de l'avocat de C.C., les preuves et les revend à son père pour la somme de 10 millions de dollars. Furieux, C.C. menace de faire enlever à Gina, qu'il soupçonne d'être à l'origine de ce chantage, la garde de son fils adoptif. Gina décide donc d'épouser Mason et y parvient... Les Capwell assistent à la cérémonie pour essayer de l'empêcher et c'est là qu'apparaît le mystérieux tireur. «C'est très simple, dit Lane Davies qui tourne les pages de son scénario pour se remettre en mémoire la scène suivante. Et il faut faire vite...» Ici on tourne 43 minutes de rêve par jour. Aux Etats-Unis, en effet, c'est la durée de chaque épisode, qui dure une heure en comptant les publicités : «Il faut donc tourner un épisode par jour, explique Debbie Bachtell et tout doit être réglé à la minute près.»

Cinq scénaristes en direct

Cinq scénaristes travaillent exclusivement pour Santa Barbara, aidés de nombreux "donneurs d'idées". Ils assistent à tous les tournages pour mieux voir vivre leurs héros et écrire ainsi les prochains épisodes "en direct", en écoutant très souvent les réflexions de chaque comédien. Chaque épisode est tourné trois semaines avant sa diffusion et soumis auparavant à une "séquence critique".

Les caméras se remettent bien en place et sur un brancard, très mal en point, Lane Davies s'éloigne vers l'hôpital, bref vers les coulisses. A 20h tout s'arrête et les comédiens me saluent, à commencer par A Martinez qui explique : «Je dois me lever tôt demain matin et apprendre mon texte avant de m'endormir !» Debbie Bachtell, qui considère tous les comédiens de Santa Barbara comme sa famille, essaye de leur rendre la vie plus facile : «Si l'un d'eux tourne dans la première scène tôt le matin, j'évite de lui donner également la dernière scène le soir pour que sa journée ne soit pas trop longue.»

Les candidates pour un rôle

Une ribambelle de jeunes comédiennes, toutes ravissantes et vraiment sexy, attendent d'être reçues par Barbara Claman, chargée de choisir les nouvelles "têtes" de Santa Barbara : «Nous cherchons une maîtresse pour le docteur Scott Clark - un héros que vous ne connaissez pas en France - pour rendre sa petite amie jalouse, médecin également. Nous aimons beaucoup ce genre de "triangles" dans Santa Barbara. Nous demandons aux candidates d'apprendre des pages de dialogue qu'elles joueront devant nous. La véritable audition, plus longue, aura lieu le lendemain. Il ne suffit pas d'être belle pour nous convaincre.»

Déjà, autour de nous les décorateurs s'affairent. Debbie leur indique ce qu'ils ont à faire pendant la nuit, préparer, par exemple, la chambre d'hôpital où sera soigné Mason Capwell, la maison de Kelly et Jeffrey et le bureau de C.C. Capwell. Seul le salon d'Eden et Cruz, où je m'installe avec Debbie est permanent car chaque jour, il y a au moins une scène tournée avec eux et chez eux. Les décorateurs ne finissent jamais avant l'aube quand les premiers comédiens arrivent. Une véritable chaîne... J'assiste à tous ces préparatifs en buvant du café avec les techniciens.

Le salon d'Eden et Cruz, le couple-vedette de Santa Barbara, a été réalisé selon leurs plans. «Nous avons l'impression d'être chez nous», expliquent A Martinez et Marcy Walker. Celle-ci s'arrête pour trois mois, bébé oblige.

A trois heures du matin arrive, aussi, le directeur de la photographie, Brian McRae. C'est lui qui décide la veille, avec le réalisateur qui filmera l'épisode du lendemain - il y a cinq réalisateurs, un par jour - l'endroit exact où se tiendront les comédiens : assis sur le divan, debout sur la terrasse... Il met au point l'intensité de l'éclairage : «Tout dépend de la scène. Une lumière douce pour la tristesse, forte si c'est comique.» Puis, il repart se coucher une heure ou deux avant de revenir pour être prêt pour les premières répétitions à 9h30. Le tournage réel n'a lieu que l'après-midi...

Carlos Yeaggy, le chef maquilleur, m'accueille ensuite dans la vaste pièce qu'il partage avec ses deux assistants Dawn et John. Il dispose aussi d'un "maquilleur de corps" (les bras, les épaules... ) - c'est le terme américain - pour les comédiennes seulement et de deux coiffeurs. Il est vraiment fou des héroïnes de Santa Barbara : «Marcy Walker, Kimberly McArthur et Nancy Grahn sont si belles, ont la peau si pure qu'elles n'ont besoin que d'un maquillage très léger. Nos hommes, de A Martinez à Jed Allan, eux, sont tous très bien bronzés... Cela ne m'empêche pas d'utiliser des tonnes de poudre. Sous nos grands éclairages, les comédiens n'arrêtent pas de transpirer. Un grand nez qui brille à l'écran, c'est laid...» Carlos se surnomme, lui-même, le "confesseur" de tous les héros : «Ils me parlent beaucoup pendant les trente minutes de maquillage quotidien. Je connais leur désarrois, leurs problèmes sentimentaux. Quand ils sont malades, comme Marcy Walker au début de sa grossesse, je leur raconte des blagues, des potins pour les faire sourire.»

Steve Nelson, l'accessoiriste nous rejoint. Voilà un homme heureux. Le seul, en effet, à ne pas se plaindre d'un budget par trop limité : «Je loue, je troque et j'achète sans arrêt ! Je suis la bénédiction des producteurs.» Il me montre ses placards remplis à ne plus pouvoir les fermer et j'aperçois des verres en cristal, un magnifique service de porcelaine de Limoges : «C'est pour les Capwell. Les autres familles en ont de moins belles ! Ils ont aussi des draps en satin ou coton, c'est selon !» Steve Nelson est un ancien cuisinier et c'est lui qui prépare certains plats que vous voyez dans Santa Barbara. «A Martinez est allergique aux coquillages et à tout ce qui vient de la mer. Quand je sers du homard, je remplace la chair par du poulet ! On ne voit pas la différence à l'écran. Quand les acteurs boivent du vin, c'est du jus de raisin et pour le champagne, je mets du cidre ! Jamais d'alcool fort pendant le tournage.» Il lui arrive aussi de brûler une dinde ou un rôti. Volontairement. «Les scénaristes ont imaginé que Gina était une mauvaise cuisinière. Alors je dois aller au bout de leurs idées...»

C'est lui aussi qui fournit en armes diverses les héros du feuilleton : «Chaque soir, je mets sous clés les poignards et les revolvers. On ne sait jamais ! C'est moi d'ailleurs qui leur apprend à s'en servir. Et puis, je change les fleurs tous les jours. Avec l'éclairage, elles se fanent très vite et toutes nos plantes sont vraies. Nous refusons le plastique...» Les producteurs l'ont surnommé "M. Miracle" : «Je trouve tout ! Aussi bien cent papillons pour une scène avec Eden que des tarentules ou des papillons. J'ai même loué Bubble, le chimpanzé de Michael Jackson - qui d'ailleurs a été très capricieux pendant le tournage, comme son maître - un lion et un gros cochon. Si on me demande demain de dénicher un extraterrestre, je le ferai.» A Santa Barbara, l'imagination est toujours au pouvoir.

Chiffres choc

Le premier épisode de Santa Barbara a été diffusé sur la chaîne NBC aux Etats-Unis le 30 juillet 1984 et depuis le feuilleton a été vendu dans les pays du monde entier, aussi bien en Australie qu'au Zimbabwe. Chaque épisode coûte 400 000 dollars, environ 2,4 millions de francs. Actuellement, les Américains peuvent le regarder du lundi au vendredi de 14h à 15h. Santa Barbara a remporté un Emmy award en 1987. Il y a 25 comédiens principaux dont les salaires demeurent très secrets. Ils seraient de 2000 dollars par comédien et par jour (environ 12 000 francs).