«Aujourd’hui, les femmes sont plus fortes que les hommes !»

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1990

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Une fois lancée, Stella Stevens est intarissable. Naturellement volubile et foncièrement optimiste de caractère, elle n'a jamais considéré l'éclipse de sa carrière, au début des années 70, comme une malédiction. Tout au plus comme un purgatoire. Aujourd'hui, elle a tout lieu d'être satisfaite du cadeau que lui fait le destin : le rôle de Phyllis, la mère de Gina, dans le célébrissime feuilleton Santa Barbara. Un contrat de deux ans, qui doit lui valoir un traitement de reine, dans la mesure où son personnage ne va cesser de s'étoffer. «Espérons qu’ils ne nous la tuent pas !» soupire-t-elle, faisant allusion à la fâcheuse habitude de certains producteurs d’éliminer un personnage, et par voie de conséquence son interprète, lorsqu'il leur semble usé. Stella Stevens n'en est pas à ses débuts dans les feuilletons télévisés. En 1981, elle fut Lute-Mae Sanders, la propriétaire d'une maison close dans Flamingo Road. Mais Santa Barbara est son premier feuilleton «full-time» : une présence quotidienne, qui lui permet de vivre plus étroitement avec Phyllis.

Stella Stevens est née à Hot Coffee (littéralement : "Café chaud"), dans l'Etat du Mississippi, en 1939. Particularité géographique amusante, qui avait fait dire à la célèbre commère hollywoodienne Louella Parsons qu'elle était «the cream of Hot Coffee» (la crème du café chaud). Mais comment une fille de fermiers d'une petite bourgade du Mississippi s'est-elle mise un jour en tête de devenir vedette ? «Tout est de la faute de Giulietta Masina, la femme et l'inspiratrice de Federico Fellini», avoue-t-elle avec un clin d'oeil malicieux. «J'étais allé voir La Strada dans un cinéma d'art et d'essai de Memphis. Et je me souviendrai toujours de cette petite face de clown, et la facilité avec laquelle elle passait de la comédie à la tragédie sans prononcer un mot. Uniquement par la façon de rouler les yeux et de bouger les lèvres. Cette scène m'a inspirée. Et, depuis, je n'ai jamais cessé de vouloir être actrice.»

Stella Stevens a connu les dernières années de l'âge d'or du cinéma, à l'époque où les acteurs étaient encore pris sous contrat par un studio. C'est ainsi qu'elle passa de la Fox à la Paramount, et de la Paramount à la Columbia. Farouchement indépendante, elle sait pourtant apprécier les avantages du "star-system" tout en avouant son plaisir de mener librement sa carrière. «Le contrat, c'était la sécurité. Mais trop de sécurité nuit au travail d'un acteur. Chez Paramount, j'étais payée à la semaine, que je tourne ou que je ne tourne pas. C'est débilitant pour un comédien. Pour n'importe qui d'ailleurs. L'argent devrait rester la récompense du travail. De plus, le studio refusait toutes les propositions de films qui me venaient de l'extérieur. Ils ne voulaient pas me prêter, même pour l'espace d'un film. J'en pleurais de rage. Je n'ai pas regretté la fin du star-system. La seule nostalgie que je m'autorise, c'est la perte du glamour.»

La nostalgie du glamour, c'est ce qui fait de Stella Stevens la parente des Joan Collins et des Jane Wyman. La plupart ont connu le star-system, peu ont regretté sa disparition, mais toutes entretiennent dans leur maintien et dans leur habillement cette flamboyance et ce faste d'un autre âge, que les studios leur avaient appris. A tel point que lorsque Darryl Estrine, le photographe de l'agence Onyx, qui réalisait la séance de photos en exclusivité pour Ciné-Télé-Revue, demanda à Stella Stevens si elle souhaitait paraître naturelle sur les photos, elle s'est écriée, presque indignée : «Ah ! Non. Epargnez-moi cela ! Je veux être belle, glamoureuse, mais certainement pas naturelle.» Un cri du coeur qui vaut tous les aveux. « Le défaut du glamour» renchérit-elle, «c'est que, dans notre monde, il n'y en a pas assez. Heureusement, à Hollywood, on n'a pas trop à se plaindre. C'est toute la différence entre un acteur de la côte Est et un acteur de la côte Ouest. A New York, un comédien se balade en jeans troués, les cheveux en bataille et le chandail fatigué. A Los Angeles, les maquilleurs et les techniciens sont encore mieux habillés que les acteurs.»

Peu encline à s'appesantir sur le passé, Stella Stevens sait bien qu'en trente ans l'image de la femme a changé et qu'il n'est plus question de revenir à l'époque où elle n'était qu'une héroïne fragile toujours dans l'attente d'un mâle protecteur. «Aujourd'hui», fait-elle, «les hommes sont des mauviettes. On est bien plus solides qu'eux. Et notre rôle dans la vie est d'autant plus difficile à affronter.»

Stella Stevens n'est pourtant pas sans modèle, et ce n'est pas un hasard si les stars qu'elle a autrefois admirées ont pour nom Lana Turner, Ava Gardner et Brigitte Bardot. Quand on lui oppose que Lana Turner était une star sans être nécessairement une excellente comédienne, elle vole au secours de son inspiratrice en prétendant que le jeu n'est pas l'essentiel, mais bien le petit quelque chose en plus que seule une star peut apporter. On ne la chicanera pas sur ce point. Lana Turner est une star, et il faudrait être de mauvaise foi pour soutenir le contraire. Quant à Brigitte Bardot... «Elle ne m'a jamais déçue», avoue-t-elle de bonne grâce. «Je n'avais jamais vu autant de sensualité chez une femme. Il y a une scène dans En Cas de Malheur qui me restera toujours en mémoire, lorsque B.B. relève ses jupes devant Jean Gabin, sur un coin de table. Sans rien montrer, rien qu'en suggérant. C'est la scène la plus sexy que j'ai jamais vue dans un film. Mais de telles femmes sont impensables aujourd'hui. Il faut être une star du calibre de Cher ou de Diana Ross pour être crédible.»

A l'époque où elle faisait partie du Tout-Hollywood, Stella Stevens avait eu la chance de tourner avec les plus grands. Elle avait notamment présidé aux débuts de Bobby Darin dans le film de John Cassavetes, La Ballade des Sans-Espoir, en 1961. «C'est le plus beau souvenir de ma carrière», avoue-t-elle. «Non pas tant le tournage lui-même que mon séjour à Paris, où j'avais été invitée pour présenter le film à la Cinémathèque. Je ne suis jamais plus retournée à Paris, mais je conserve l'espoir d'y revenir un jour.»

Et Elvis Presley, avec lequel elle tourna Girls ! Girls ! Girls ! en 1961 ? «C'est le seul de mes films que je n'ai jamais vu», fait Stella Stevens avec une pointe de mauvaise humeur, comme si on avait évoqué un sujet tabou. «Le réalisateur (Norman Taurog) et le producteur (Hal Wallis) m'ont humiliée et m'ont traité de façon tellement dégradante que je me suis juré de ne jamais plus revoir ce film. C'est le souvenir le plus pénible de ma carrière.» Mais Elvis Presley… ? «Il était OK», lâche Stella sans beaucoup de conviction. «Mais il n'avait pas grand-chose à dire avec le colonel Parker toujours à ses côtés. Il m'a d'emblée donné l'impression d'un garçon qui ne savait pas prendre de décision. Comme j'ai toujours été très indépendante d'esprit, et que la situation me choquait, je lui ai dit qu'il avait les qualités pour être un grand acteur si seulement il ne se jetait pas sur la première bluette musicale qu'on lui proposait. Il l'a très mal pris. «Qu'est-ce qu'il y a de mal au succès ?», m'a-t-il répondu, croyant que je le critiquais. Je n'ai pas insisté.»

Si Stella Stevens demeure une figure familière aux yeux mêmes de la jeune génération, elle le doit à son rôle de Miss Purdy dans Docteur Jerry et Mister Love, film dans lequel elle était la partenaire de l'inénarrable Jerry Lewis. «On le repasse si souvent à la télévision que c'est devenu mon image de marque», reconnaît-elle. «D'ailleurs, Jerry a récemment repris con­tact avec moi, pour en tourner une suite.»

Mariée à quinze ans et mère à seize, Stella Stevens est aussi la maman d'Andrew Stevens (Dallas), l'ex-époux de la drôle de dame Kate Jackson. Vers la fin des années 50, au lendemain de son divorce, son acharnement à obtenir la garde de son enfant et les tentatives de kidnapping perpétrées par le père sur la personne d'Andrew avaient alimenté, durant de nombreux mois, la chronique à scandale de la capitale du cinéma.

Stella Stevens ne s'est jamais montrée avare de ses charmes. Elle posa nue pour Playboy en 1959 et ne s'en montre pourtant pas embarrassée. Tout au plus souhaite-t-elle que l'on n'y fasse pas constamment allusion. «La Fox avait mis fin à mon contrat de six mois et je mangeais de la vache enragée. On m'avait proposé trois mille dollars pour poser nue. J'ai accepté.» Inutile de préciser que sa volcanique nature n'est pas du tout opposée au sexe à la télévision et, a fortiori, au cinéma. «En quoi le sexe peut-il être nuisible ?», se demande-t-elle avec une certaine logique. «Personne n'a mal tourné pour avoir trop fait l'amour. D'ailleurs, à la télévision, les audaces en ce domaine sont très sages. En revanche, je m'oppose résolument à la violence. Elle corrompt toujours celui qui la regarde. Et, à force de la regarder, elle devient acceptable.»

On aura compris que Stella Stevens n'attend pas qu'on lui propose un rôle pour être heureuse et vivre pleinement sa vie de femme. Quand elle ne se livre pas à sa passion de la photographie, elle tourne des documentaires. Elle a même mis en scène son propre fils dans un film intitulé The Match. «Quand je repasse le film de ma vie», ajoute-t-elle, «je me dis que j'ai eu tout ce que je désirais : la maternité, des amis, une famille, une belle carrière... Pas aussi extraordinaire que je l'aurais souhaitée, mais, pour une petite paysanne de Hot Coffee, c'est une belle réussite. Tout ce qui m'arrive maintenant, je le considère comme un cadeau.»