«Santa Barbara est plus fort que Dallas

 Par Joan Mac Trevor, Ciné Télé Revue, 1987

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Dans la marche triomphale de Santa Barbara, le nom de Judith McConnell reste lié à une remarquable performance d'actrice. Cette jolie femme blonde, gracieuse et sexy dans la vie, incarne en effet plusieurs personnages dans le feuilleton : celui de Sophia Capwell, maman de Todd McKee et autres, celui de Dominic portant barbe et moustache, sans oublier d'autres identités comme celle d'une vieille dame qu'elle interprète avec le même talent. Obligée parfois de changer de visage à quatre reprises dans la même journée, Judith stupéfie chaque jour les producteurs par ce côté caméléon qui lui vaut déjà une belle renommée en Amérique. Mais la jeune femme n'est pas une inconnue dans le métier : dans Another World, un autre soap-opera diffusé avec succès, elle donna si bien vie à une femme très méchante que celle-ci lui valut plusieurs expériences mémorables. «Un jour», raconte-t-elle, «à l'époque où le feuilleton passait à la télévision, j'avais invité mon père au restaurant lorsqu'une femme s'approcha de nous et me cria : «Vous me rendez malade !». Il est beaucoup plus facile de faire connaissance avec le public quand vous jouez un gentil personnage...». Remarquable danseuse, diplômée de la Carnegie Mellon University, Judith McConnell est apparue aussi en guest-star dans des séries comme Star Trek, Docteur Marcus Welby, Mannix. Mais c'est Santa Barbara qui lui a permis réellement d'exploser. Joan Mac Trevor a rencontré cette femme délicieuse dans son appartement moderne et élégant de Beverly Hills.

Le rôle de Sophia dans Santa Barbara a-t-il été écrit pour vous ?

Non. A l'origine, Sophia était un homme, et c'est d'ailleurs un homme qui l'a joué durant les quatre premiers mois de juillet à octobre 1984. C'est alors que j'ai reçu un coup de téléphone à New York me demandant de reprendre le personnage - sous un déguisement d'homme toujours - dans les deux jours. Le temps de prendre l'avion et de débarquer à Los Angeles.

Incarner un personnage masculin, était-ce très difficile pour une femme aussi féminine que vous ?

C'était assurément un défi, et j'étais quelque peu effrayée au départ. Dès ce moment, je me suis mis à observer les hommes comme jamais je ne les avais observés auparavant. La démarche surtout. Il fallait que je l'adopte car le centre de gravité d'une femme est plus bas que celui d'un homme. Le timbre de la voix également. Il fallait que je m'habitue à parler d'une voix plus grave. Le plus pénible fut le maquillage : je passais un temps fou à l'appliquer et autant de temps à l'éliminer. Je portais un faux nez, de faux sourcils, une barbe et une moustache postiches, et une perruque. Sur ma peau, chaque jour, on tendait une deuxième peau que je devais retirer le soir à l'acétone avant de plonger mon visage dans l'eau pendant une demi-heure et retirer plaque par plaque ce que l'acétone n'avait pu enlever.

Avez-vous eu des difficultés à vous introduire dans le personnage de Sophia ?

Pas vraiment, car le scénario est bien écrit et les personnages sont riches. En outre, les sentiments de Sophia ne me sont pas totalement étrangers et j'ai pu produire d'autant plus facilement des souvenirs et des expériences personnels pour en étoffer quelque peu la psychologie.

Vous êtes entourée de nombreux jeunes gens dans le feuilleton. Est-il agréable de travailler avec eux ?

Enormément, quoique je ne me sente pas si vieille que cela. Robin (Wright) et Marcy (Walker), mes deux filles, sont intelligentes en plus d'être mûres et belles. Todd (McKee) a beaucoup de charme et de séduction. L'atmosphère entre les prises est très détendue, très amicale. Nous rions beaucoup. De vrais gosses. Le fait que cette série est la nôtre, que son échec ou sa réussite dépendent de notre travail, nous lie aussi. Nous nous sentons solidaires et sommes d'autant plus heureux aujourd'hui que Santa Barbara marche de mieux en mieux, aux Etats-Unis et dans le monde.

A quoi attribuez-vous ce succès ?

Au charme des acteurs. A l'existence aussi d'une grande concentration de bons acteurs sur le même plateau. Et puis au fait également que la psychologie des personnages prime sur l'action. Il se passe beaucoup plus de choses dans Santa Barbara que, par exemple, dans Dallas.

Est-ce que le tournage d'un feuilleton comme Santa Barbara requiert beaucoup de la part d'un acteur ?

Enormément. Nous sommes totalement accaparés par le feuilleton. Nous commençons à 7h30 du matin pour terminer le soir entre 7 et 10 heures selon les difficultés du jour. Ensuite, il nous faut encore mémoriser notre texte pour le lendemain. Sans parler du personnage de Sophia en particulier dont les différentes identités (homme, vieille dame, comtesse italienne) requéraient quelque fois un maquillage différent et compliqué. Un jour qu'il me rendait visite sur le plateau, mon père m'a pris à part et m'a murmuré dans le creux de l'oreille : «Mais que se passe-t-il donc avec toi ? Il y a tant de gens qui entrent et qui sortent de ta chambre...».

Vous avez donc une excellente mémoire pour mémoriser chaque jour des dizaines de pages de script...

Ni plus ni moins qu'une autre. Souvent les gens me demandent comment je fais pour parvenir à tout mémoriser en aussi peu de temps. C'est simple : si je ne le fais pas, je perds mon job. Il y a des jours où tout est plus facile quand on est curieux d'une nouvelle situation et passionné par l'intrigue, mais il en est d'autres où vous avez l'impression d'apprendre par coeur l'annuaire du téléphone.

Vous étiez une comédienne de théâtre avant de faire de la télévision. Y a-t-il une grande différence dans la façon de travailler ?

Oui. Au théâtre, il y a un lien direct entre l'acteur et le public que l'on ne retrouve bien sûr pas en face d'une caméra. Jouer devant un public, sans intermédiaire, doit procurer le même effet de vertige et de frayeur que se jeter du haut d'une falaise. Il faut beaucoup de courage. Chaque fois que je suis en coulisses, avant d'entrer en scène, je me dis : «Je dois être complètement folle pour gagner ma vie de cette façon...». Mais, dès le moment où l'on est sur scène, ce trac qui vous prend au ventre, disparaît.

La vie dans le monde du show-business hollywoodien est-elle plus dure qu'au théâtre ?

Beaucoup plus. La compétition y est acharnée. Il y a trop peu de rôles pour trop de comédiens talentueux. La pression est de ce fait continuelle. En fait, un acteur passe plus de temps à chercher un rôle qu'à vraiment travailler. Le plus facile pour un comédien est de jouer. Le plus dur est de se demander : «Quand et où trouverai-je mon prochain rôle ?». Une situation qui permet de comprendre que lorsqu'on a un rôle de longue durée, on s'y accroche.

Le personnage de Sophia vous apporte-t-il du courrier ou des réactions de la part du public ?

Beaucoup de courrier. Et, paradoxalement, surtout de mères qui me demandent des conseils sur la façon d'élever les enfants, ou de la part d'enfants, malheureux en famille, qui me demandent de les adopter. Il est étrange comme les gens s'identifient facilement à un personnage de pure fiction. Cette identification est d'autant plus facile que le feuilleton fait partie de la vie quotidienne des téléspectateurs qui nous regardent.

Si c'était à refaire, vous choisiriez à nouveau la carrière de comédienne ?

Probablement, car je ne sais rien faire d'autre. Il m'arrive d'avoir des regrets, car il n'y a rien de plus instable que le métier du show-business, mais à quoi bon ? Toutefois, je ne conseillerais pas à un jeune d'entrer dans le métier. C'est très dur, c'est un miroir aux alouettes, et le glamour n'est là que pour sortir le métier de la banalité. Pour devenir comédien, il faut étudier et s'entraîner. Toujours. Moi-même je ne m'arrête pas. Un comédien c'est comme un athlète : il doit constamment pratiquer sa discipline.

Vous partez bientôt en vacances. Où allez-vous ?

A Paris, mais pour une semaine seulement. Nous ne disposons guère de plus de jours de congé.

Une semaine !  N'est-ce pas un peu peu ?

Oui, bien sûr, c'est très dur. Mais, c'est ce que je vous disais à l'instant : le glamour c'est pour le public.

Et dans l'éventualité où vous tombez malade pendant le tournage ?

Cela m'est arrivé d'avoir des migraines, ou de ne pas me sentir en forme, mais il faut y aller. Avant d'entrer en scène vous vous sentez vaseuse et mal dans votre corps. Mais, une fois que vous êtes sous les projecteurs, le miracle s'opère : vous oubliez tout, votre rhume et votre migraine. Ce n'est qu'après que vous vous effondrez. Oui, pour faire ce travail, il faut aussi une bonne santé, d'où l'importance de manger sainement et de vous maintenir en forme.

Qu'aimez-vous faire quand vous avez du temps libre ?

Nager, danser, aller au théâtre, et surtout cuisiner. Je suis un excellent cordon bleu mais il faut éviter de passer dans la cuisine après moi : un cataclysme !