Please, Spell the Name Right

 Par Jed Allan, avec Rusty Fischer, 2004

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(...) C'était en 1984 et je venais d'entendre parler d'un casting pour une nouvelle série intitulée Santa Barbara. Me sentant à la fois peu apprécié et sous-employé dans Des jours et des Vies, j'ai passé un coup de fil au patron des programmes de la journée à ce sujet. L'appel était adressé à un homme appelé Brian Fronz qui, à ce moment-là, venait d'avoir tente-six ans.

Essayez de paraître quelques années de moins que cinquante ans, et de dire à quelqu'un de trente-six ans ce qui est «bien pour vous». Je sentais au ton de sa voix qu'il ne voulait pas de moi, spécialement quand il a dit : «Non, ce rôle n'est pas fait pour vous, vous êtes trop jeune...». Evidemment, ça a été une surprise. C'était la première fois depuis longtemps que j'entendais dire que j'étais «trop jeune» pour un rôle, mais Brian m'a expliqué que le rôle en question était celui du patriarche de la dynastie Capwell, à la tête de la famille la plus riche de Santa Barbara, une ville moyenne d'environ 90 000 habitants, à une heure et demie au nord de Los Angeles.

Bien sûr, m'entendre dire que ce rôle n'était pas fait pour moi n'a fait qu'aiguiser mon appétit. Désormais,  je le voulais ardemment ! Mais ils ne voulaient pas me laisser quitter Des jours et des Vies et ne voulaient pas m'accorder d'audition pour le nouveau feuilleton, donc j'étais, comme on dit, le «derrière entre deux chaises...»  Finalement, ne pas me donner ce rôle leur en a coûté, en termes d'argent, d'audience et de temps, et ils l'ont amèrement regretté comme je vous l'expliquerai plus tard.

J'ai donc traversé l'année 1984 dans une espèce de chaos, professionnellement je peinais sur le tournage de Des jours et des Vies, où je n'avais plus que quelques répliques et où je perdais en assurance. Je me présentais à toutes les auditions qui se présentaient, ne fût-ce que pour tester mes capacités et, plus important, me préparer à l'inévitable. Finalement, 1985 est apparue non seulement comme une nouvelle année qui commence, mais également comme une nouvelle opportunité.

J'avais raté ma chance sur Santa Barbara, comme le rôle de C.C Capwell avait été confié à un acteur plus âgé et plus expérimenté qui recueillait apparemment de bonnes critiques : la série avait l'air de plutôt bien marcher, d'après les rumeurs. A ce stade, ça m'était devenu égal, bien sûr. A quoi bon regarder le navire quitter le port si vous n'êtes pas dedans ? La frustration avec Des jours et des Vies et l'occasion manquée  sur Santa Barbara me laissaient avec un goût amer, amertume qu'un renouvellement de mon contrat plus tard dans l'année n'arriva pas à dissiper.

(...)

Je suis rentré à notre résidence familiale en Californie au milieu du mois d'octobre 1985, et seulement quelques jours après je reçus un coup de fil de mon agent : «Tu ne devineras jamais qui s'intéresse à  toi !» dit-il, me répondant avant que je ne puisse parler : «Santa Barbara ! Ils veulent que tu viennes auditionner pour le rôle du patriarche de la série.» «Pourquoi, que s'est-il passé ?» «Je n'en sais rien» a-t-il répondu, «je suppose que le programme se cherche encore. Ils ont déjà épuisé quatre acteurs pour ce rôle, tous des pros en plus. Le premier d'entre eux, Lloyd Bochner, serait peut-être toujours là s'il n'avait pas eu une crise cardiaque. Le dernier en date est Charlie Bateman... Je suppose qu'ils veulent que tu remplaces Charlie...»

«Je n'arrive pas à y croire», dis-je. «Ils n'ont pas pu obtenir ce qu'ils voulaient de ces acteurs ?» «Les audiences ne sont pas bonnes» fut la seule explication que mon agent ait pu me donner. «Franchement je n'ai pas tous les détails, et peut-être que tu ne veux peut-être pas les connaître...» «Oui, peut-être pas» ai-je pensé en raccrochant.

Tout comme moi, le dernier acteur vétéran à avoir incarné le patriarche C.C. Capwell dans Santa Barbara était un habitué des soap-operas. En fait, Charlie Bateman avait joué le rôle de Maxwell Jarvis dans Des jours et des Vies au début des années 80. Apparemment, il avait également été victime du jeunisme ambiant alentour. Et maintenant on voulait aussi l'exfiltrer de Santa Barbara. Je me sentais mal pour Charlie, mais j'ai tout de même accepté de passer l'audition. Que pouvais-je faire d'autre ? Ca me faisait bizarre, au début, de retourner dans les studios de NBC à Burbank, mais c'était le rôle que je convoitais de jouer depuis deux ans et il me semblait naturel que j'y aille. Et en dehors de cela, j'avais besoin d'un boulot !

Il est devenu rapidement assez clair, cependant, que mon audition n'était pas organisée en l'honneur de Jed Allan. Les producteurs étaient toujours indécis et on m'a informé du fait que pour les essais caméras je serais en compétition avec six autres acteurs ce jour-là. Sans parler du fait qu'ils avaient sûrement dû voir quelques types avant moi, et pouvaient être en train de s'arrêter sur n'importe lequel d'entre eux au même moment.

Ayant déjà fait ce genre de choses une fois ou deux jusque là, je savais à quoi m'attendre. Lors d'une audition pour le rôle principal dans un soap-opera, on ne se contente pas de se présenter avec son script et de serrer la main des producteurs. On doit aussi signer un "contrat test" qui stipule d'avance quel sera son salaire, juste au cas où on réussirait l'audition et remporterait le rôle.

Au premier abord, ce genre de contrat semble être favorable aux acteurs, en réalité ils ne peuvent profiter qu'aux acteurs mourant de faim ! En fait, ils sont conçus pour que les producteurs puissent vous payer aussi peu que possible avant votre audition, juste au cas où ils vous aimeraient à en crever. Ils couvrent ainsi leurs arrières. Du moins pour le premier contrat, qui peut durer trois ans. En principe c'est fait avant même que l'acteur ne lise le script, mais cette fois-ci, on m'avait envoyé le script sans contrat. Pour moi ça signifiait que l'offre n'était pas si sérieuse que ça ou que, peut-être, ils avaient déjà confié le rôle à quelqu'un d'autre et oublié de m'en avertir. Croyez-moi,  j'avais vu des choses plus étranges que celle-là. Pour cette raison, je n'avais fait que lire distraitement le script, sans me donner la peine de mémoriser mes répliques comme je l'aurais fait pour une "vraie" audition. Il y avait tellement de choses qui paraissaient bizarres au sujet de l'audition, pourquoi mémoriser mes répliques ferait une différence ?

Vient le jour de l'audition, je n'avais toujours pas signé de contrat, et je n'avais que partiellement mémorisé le script. Comme je le suspectais, ils ne voulaient pas que je passe d'audition sans m'avoir d'abord fait signer un contrat. Dix minutes avant l'audition, un contrat est apparu. Je l'ai signé et, une demi-heure après, j'auditionnais avec Judith McConnell, celle qui allait devenir ma femme dans la série, Sophia. Après l'audition, ma chère Judy m'a murmuré à l'oreille combien nous avions été bons, et qu'à son avis, j'avais remporté le morceau, même après avoir auditionné avec autant d'hommes qu'elle l'avait fait dans la journée. J'avais des réminiscences de mes scènes d'amour avec Deidre Hall tout du long, mais cette fois ce n'était plus moi qui dirigeais.

Mais même si Judy avait apprécié ma performance, je savais que les producteurs m'avaient vu jeter un oeil au script de temps en temps pendant l'audition et se sont inquiétés que je «ne sois pas capable de mémoriser mes dialogues» Et ce malgré le fait que j'avais passé chaque jour pendant treize ans dans Des jours et des Vies, sans "presque" jamais louper un dialogue... enfin, peut-être juste un de temps en temps.

Après tout, je comprenais leur hésitation. Ils avaient déjà engagé quatre acteurs chevronnés qui n'avaient pas l'alchimie qu'ils recherchaient. Pour eux, je n'étais qu'un numéro qui pourrait convenir ou pas...

Je pense qu'ils étaient satisfaits de ma performance jusqu'à un certain point, mais j'avais le sentiment que quelque chose les dérangeait. Ils ne pouvaient se fier à cette seule audition. Je suis parti sans trop savoir, et reçu un coup de fil le jour suivant me disant «qu'ils me feraient connaître leur décision» dans «une semaine environ». La vieille rengaine du show-biz pour dire : «Ne nous appelez pas, on vous appellera...»

Une semaine passa, puis deux, puis trois, et j'ai entendu dire qu'ils continuaient à auditionner d'autres personnes. J'ai appelé mon agent et lui ai dit : «J'en ai assez ! Appelle-les et dis-leur que j'arrête les frais. Dis-leur que je ne veux plus de ce boulot...»

Pourquoi j'ai passé ce coup de fil, je n'en ai pas la moindre idée. Je n'avais pas d'autres propositions d'emploi et, en fait, n'avais pas travaillé depuis un mois et demi. La dernière série que j'avais tournée était Come Blow Your Horn, qui s'était achevée à la fin du mois d'octobre. Je crois que leur indécision me mettait sur les nerfs. «Si ça n'a pas marché avec ces quatre autres acteurs en un an et demi, ils doivent être terrorisés à l'idée de prendre une décision.» me dis-je «C'est à moi de le faire pour eux.»  Une idée stupide peut-être. Mais peut-être pas...

Mon agent leur a téléphoné pour leur exprimer mon sentiment. Ils lui ont répondu : «Il est encore sur les rangs», mais comme je le pensais, ils avaient peur de se tromper à nouveau. Je lui ai demandé de les rappeler pour leur dire que je partais en Europe pendant la période de Thanksgiving et que «la balle était dans leur camp». Où ai-je trouvé le courage d'une telle réponse, je ne le saurais jamais.

Toby, moi-même et un autre couple avions décidé de quitter la ville sur un coup de tête pour aller nous amuser au lieu de nous morfondre en attendant que le téléphone sonne, comme je l'avais fait durant pratiquement toute ma carrière. «S'ils me cherchent», dis-je à mon agent, «voici le numéro de l'hôtel où je serai...»

L'Angleterre était magnifique, le temps pour Thanksgiving était parfait, nous avons passé de merveilleux moments avec nos amis, et nous avions d'ailleurs prévu de rester quelques jours de plus, lorsque devinez quoi ? Le téléphone sonna dans la chambre. C'était l'un des producteurs qui me demanda : «Seriez-vous prêt à passer une autre audition ?» J'ai pensé : «Je n'y crois pas. Encore ? Je ne comprends pas. Pourquoi ? Que pourrais-je réellement faire lors d'une seconde audition que je n'ai pas déjà fait à la première ?» Mais à nouveau, le côté professionnel en moi dit : ils veulent juste être sûrs de faire le bon choix. «D'accord» répondis-je, mais apparemment ils voulaient autre chose. «Cette fois-ci tu ne pourras pas t'aider du script» ajouta-il. C'est cela, étaient-ils complètement dingues ?

D'abord on ne m'avait pas envoyé de contrat et je n'avais reçu le script que deux heures avant la première audition. Maintenant je n'avais que deux jours. J'avais emporté le script avec moi, juste au cas où. Par chance, j'avais un long voyage de retour. En chemin, j'ai demandé à mon ami de prendre la place de Judith pendant que je répétais mon rôle. Après une journée pour me remettre du décalage horaire, j'y suis retourné et ai passé l'audition. Encore...

Deux jours plus tard, j'obtenais le rôle et devins pour les sept prochaines années et demi C.C. Capwell dans l'un des soap-operas les plus populaires de NBC. La cerise sur le gâteau, c'est que j'avais carte blanche pour façonner C.C. à ma manière. C'était la plus grande joie de toute ma carrière. C'était le plus grand rôle qu'on pouvait avoir dans un soap. Je pouvais ajouter une épaisseur puis une autre et une autre pour faire de C.C. ce que je voulais qu'il soit. Ah liberté, liberté. Moi qui jusqu'ici en avait eu si peu dans ma carrière, je comptais complètement profiter de pouvoir insérer de la vie dans ce merveilleux rôle. Et je pense pouvoir dire que ça a porté ses fruits...

Comme le savent la plupart des acteurs de soap-operas (Charlie Bateman a dû s'en douter, sans vraiment vouloir y croire), au moment où votre personnage plonge dans un coma profond dans un soap, cela signifie que vous êtes proche de la sortie. Lui, en revanche, n'avait aucune idée du fait qu'on allait le remplacer et, apparemment, le défilé de types aux cheveux argentés dans le bureau du producteur pour auditionner auprès de Judith ne lui avait pas mis la puce à l'oreille non plus. Ils ne lui en avaient rien dit. Et j'étais surpris par le fait que la productrice exécutive, Mary-Ellis Bunim, qui sera plus tard connue comme celle qui a "inventé" la télé-réalité sur MTV avec ses émissions phares The Real World et Road Rules, et qui deviendra avec son mari Bob une de mes proches amies, n'avait pas prévenu Charlie de son départ imminent de la série.

Je suppose qu'elle était trop occupée à préparer la soirée de Noël, soirée à laquelle j'avais été invité en tant que dernier venu de l'équipe de Santa Barbara. Vous voulez savoir qui d'autre était également sur la liste des invités ? Dans le mille ! "L'autre" C.C., Charlie Bateman. Je n'en ai pas cru mes yeux lorsque j'ai vu mon ancien ami de Des jours et des Vies rentrer dans la pièce et me remarquer assis là au bar, sirotant mon cocktail.

«Salut Jed», me salua-t-il innocemment, ne m'ayant pas vu depuis l'époque de Des jours et des Vies. «Que fais-tu ici ?» On aurait pu entendre une mouche voler dans la pièce. Tous les invités dans la pièce, y compris moi, savaient que Charlie était sur le départ. Le seul à l'ignorer, semblait-il, c'était lui. Je voulais le lui dire et en même temps je ne voulais pas le lui dire. Mais je devais lui dire.

«Charlie», lui dis-je après qu'il ait terminé son premier verre (je supposais qu'il en aurait besoin !) «Puis-je te parler un instant ?» Pendant qu'on allait dans un coin plus calme, je lui demandais : «Est-ce que tu vas bien ?»

Il eu un petit rire nerveux et répondit : «J'étais un peu inquiet du fait d'être dans le coma, mais ils m'ont assuré que tout finirait bien et m'ont invité à la soirée. Donc je pense que ça veut dire que tout va bien, n'est-ce pas

J'ai poussé un soupir, pris mon courage à deux mains et lui ai dit : «Charlie, je dois te dire... Je suis ici parce que je te remplace.» «Tu plaisantes», me répondit-il quand il put de nouveau parler. «Tu veux dire que cette espèce de garce m'a invité à cette soirée en sachant que j'étais viré et elle t'a invité, toi aussi ?» A ce moment-là, il vit Mary-Ellis, qui avait été opportunément absente jusque-là, et voulu immédiatement foncer vers elle pour lui dire deux mots. Je l'ai pris par le bras et lui ai dit : «Ne fais pas ça, Charlie, ne fais pas ça. Ne te donne pas en spectacle, ne rends pas les choses plus difficiles. Je sais que c'est une garce, mais ne fais rien. Ca n'y changera rien.» Alors il est parti en claquant la porte et je ne l'ai plus jamais revu.

Par chance, il est devenu un homme riche grâce à un héritage et a depuis pris sa retraite, assez tranquillement j'en suis sûr. Mais se faire renvoyer d'une manière aussi insensible et sans coeur est une parfaite abjection et, jusqu'à ce jour, avoir dû l'en informer est l'une des tâches les plus ingrates que j'ai dû accomplir.

P.S. : Mme Bunim est tristement récemment décédée...

Santa Barbara allait révolutionner le genre des soap-operas, qui avaient eux-mêmes apporté des mini-révolutions depuis le début des années 80. «Sortis du placard» si on peut dire, et adorant chaque minute d'entre eux, les soaps sont devenus l'un des plaisirs coupables de ce pays, mais avec moins de culpabilité.

Comme les magnétoscopes sont devenus plus accessibles - et moins onéreux - et l'augmentation du "travail à la maison" ayant connu un soudain raz-de-marée, l'appétit des téléspectateurs a augmenté. En fait, dans les années 80, quelques 50 millions de téléspectateurs américains "suivaient" un ou plusieurs soaps, dont deux-tiers des femmes au foyer possédant un téléviseur.

Les audiences décuplèrent, les budgets aussi, et à présent les plateaux de soap opéras rivalisaient avec ceux des films de cinéma. En fait, la confiance de NBC était telle que la chaîne avait fait construire le plus grand studio jamais utilisé pour un soap jusque là. Le studio 11, sur lequel j'allais officier pendant sept ans et demi, avait coûté près de douze millions de dollars. Pas étonnant qu'ils aient été nerveux au sujet d'engager un autre C.C. !

Charlie Bateman avait fait sa dernière apparition en décembre 1985, et peu après c'était moi qui étais allongé sur ce lit dans le coma. La transition ne s'est pas faite sans heurts, notamment le blanchiment de mes cheveux pour qu'ils soient raccords avec ceux de Charlie, mais ça n'a duré que quelques semaines parce que j'avais vraiment l'air ridicule. Je ressemblais moins à un patriarche millionnaire de la côte californienne qu'à George Washington.

Petit à petit, alors que je sortais du coma, sans parler que je m'étais débarrassé de cette ridicule chevelure présidentielle, je pouvais enfin rentrer dans la peau de C.C., et créer ma propre version de ce patriarche qui allait diriger Santa Barbara avec une main de fer. Je peux honnêtement dire que j'ai eu plus de plaisir que je n'en avais jamais eu. A cette époque, avant qu'ils ne changent le système, nous devions nous lever très tôt le matin. Sur le plateau à six heures du matin, nous étions souvent morts de fatigue à la fin de la journée de tournage, et comme de plus en plus d'acteurs se plaignaient, les producteurs furent obligés de réagir.

En aménageant nos horaires, développant de nouvelles idées, prenant de nouvelles habitudes de travail, nous avions au final le beurre et l'argent du beurre : un super boulot et un emploi du temps encore meilleur. Certains jours, nous finissions à midi et je pouvais être à la maison à deux heures de l'après-midi. D'autres jours nous prenions du retard et pouvions malgré tout finir à quatre heures. Quatre jours par semaines maximum. Qui pouvait se plaindre avec un emploi du temps comme celui-là ?

Mais l'un des meilleurs avantages était les jours de congés auxquels nous avions droit. Ma première année, j'avais droit à trois semaines de vacances, et à partir de là ça s'est toujours amélioré. Ma seconde année ça a été quatre semaines, la troisième cinq semaines et lorsque j'atteignis six semaines de vacances au bout de ma quatrième année, de quoi aurais-je pu me plaindre ? Les voyages que j'ai faits, les endroits où je suis allé, le temps que j'ai eu avec Toby, les heures que j'ai pu passer avec mes enfants, libre et tranquille, on ne pourrait pas rêver d'une meilleure vie que celle que j'ai eue à cette période. C'était comme être dans un soap-opera...

Ma première année dans Santa Barbara s'est avérée être aussi tumultueuse que mon combat pour obtenir ce rôle, apaisée seulement par l'augmentation des audiences pour lesquelles, en passant, je ne me dessers qu'un petit crédit. J'étais entouré par probablement l'une des meilleures distributions jamais rassemblée dans un soap-opera à l'époque, et j'étais honoré de sembler m'y intégrer sans heurts. Cela voulait dire beaucoup pour moi de faire partie de cet envol au sommet des audiences, dans parler des récompenses : nous avons remporté treize des seize Emmy Awards pour lesquels nous étions nominés pour ma seconde année dans la série. Les noms seront autant familiers aux fans qu'à ceux qui n'ont jamais entendu parler de la série : A Martinez, qui jouait Cruz à la perfection et connu un plus grand succès encore dans d'autres séries de prime-time comme son rôle dans la série à succès Profiler.

Il y avait ma fille dans la série, la jeune, talentueuse et magnifique Robin Wright, qui allait plus tard  marquer les coeurs et les esprits avec sa brillante performance dans le film Princess Bride. Un coeur, en particulier, qu'elle a marqué plus que les autres : celui de son mari, Sean Penn.

Dans Santa Barbara, j'ai été marié et remarié sept fois, mais la même femme auprès de qui je revenais toujours était Sophia, interprétée par la charmante et ravissante Judith McConnell, avec qui je parle encore souvent. Une autre beauté : l'extrêmement talentueuse Louise Sorel, ma chère amie qui jouait Augusta. Elle était mariée à Lionel, interprété par Nick Coster, et je n'étais pas seul dans ma vénération évidente pour la vraie star de la série : Dame Judith Anderson, paix à son âme, qui jouait le rôle de Minx Lockridge. Même si à la fin de sa vie la vieille dame avait besoin de prompteurs, elle était toujours capable de chanter ses dialogues comme Pavarotti. Les fans n'étaient pas les seuls à la pleurer sa perte quand elle est décédée d'une pneumonie le 3 janvier 1992.

Mon Dieu, je n'arrive pas à croire que c'était dans les années 90. Ca faisait juste quelques années que j'étais arrivé en Californie, non ? J'étais le père de trois jeunes garçons, le mari de la plus merveilleuse femme du monde, tout cela est toujours le cas, mais je me regarde dans le miroir tout en écrivant cela et je ne suis plus un homme qui jouait simplement un patriarche. Je suis un patriarche ! «Où est passé ce bon vieux temps ?»

A présent, les garçons étaient devenus des hommes, Toby était toujours aussi magnifique, et soudain on aurait dit que j'avais séduit une jeunette. Je ne dis pas que j'étais devenu un vieux croulant, mais elle était restée tellement superbe. Quelqu'un qui sourit simplement toute la journée, est tout le temps heureux, reste perpétuellement jeune. Moi ? Je ferais mieux de me rendre à la réalité.

En tous cas, Santa Barbara fonctionnait toujours très bien. Il y avait eu beaucoup de changements dans la distribution, pas autant d'Emmys, mais nous avions toujours une super série et c'était toujours une joie d'aller travailler. Lane Davies, qui jouait mon fils aîné, a quitté la série et fut remplacé par deux personnes différentes, respectivement Terry Lester et Gordon Thomson. La fille de Beverly Garland, Carrington, a repris le rôle de Robin Wright, et d'autres nouveaux personnages sont aussi allés et venus.

Certains changements ont bien réussi, d'autres non, mais l'harmonie régnait toujours sur notre série et dans le département artistique spécialement, c'était une constante. Les problèmes que nous avons commencé à avoir sont venus d'en haut. Nous avons changé de producteurs exécutifs au moins quatre fois, peut-être cinq, je ne m'en souviens plus vraiment. Il y en a deux que j'ai adorés, un que j'appréciais, un que je tolérais et un était vraiment un trou du cul. N'est-ce pas de la grande poésie ?

Alors que les années passent, les amours, les haines et les tolérances changent, mais on retire du bon de tout le monde. Dans les soap-operas, à moins d'être un novice, on est extrêmement autonome. Il n'y a pas de temps pour que les réalisateurs vous disent où vous placer, pas vraiment de temps pour résoudre les problèmes. En fait vous devez arriver prêt en tous sens, être solide émotionnellement étant le plus dur, connaître ses répliques étant le plus facile. La dernière affirmation, pour moi, était vraie; pour d'autres pas tant que ça. Mais à cette époque il y avait encore des panneaux avec les dialogues, juste au cas où, à part les deux dernières années quand le producteur exécutif Paul Rauch a décidé de les supprimer. La panique a envahi le plateau, mais pour être franc, nous étions de meilleurs acteurs sans cela. Comme le temps me l'apprendrait, Paul était un personnage intéressant. Difficile à apprécier, mais il connaissait son boulot et avait tout sous contrôle. Nous nous entendions plutôt bien et je le considérais comme un ami, jusqu'au jour où il est devenu un peu plus grossier que d'habitude. Je ne supporte pas la grossièreté. J'en suis désolé. D'autres producteurs m'ont beaucoup déçu des années plus tard, particulièrement un que j'ai appelé à l'aide à la mort de Toby. J'y reviendrai plus tard.

Malgré les tumultes à la production, les merveilleux acteurs de Santa Barbara donnaient leur maximum. La série faisait toujours de bonnes audiences, mais pas autant que dans les quatre premières années. Nous ne savions pas vraiment pourquoi, mais n'étions pas vraiment inquiets à ce moment-là. Peut-être aurions-nous dû ? J'allais prendre mes quatre semaines de congés annuels, mais avais prévu de les prendre deux par deux pour ne pas trop perturber les scénaristes. En effet, être absent plus de deux semaines à la fois pour un personnage est une situation assez difficile à gérer pour les scénaristes.

(...)

La vie sur le plateau de Santa Barbara était toujours très animée, et la plupart du temps j'adorais m'y trouver. Il y a eu une exception : Rauch, qui était producteur à l'époque, avait engagé une jeune femme pour remplacer une actrice. Et cette femme devait être ma partenaire en amour de mai à décembre. Cependant, pendant les trois mois où elle a été là, cette personne a fait de ma vie un enfer. En tant qu'acteur, bien sûr, vous devez mettre de côté vos sentiments personnels et continuer à jouer votre rôle, quoiqu'il arrive. Mais cette fille était la personne la plus constamment en colère que j'ai jamais rencontrée. De la minute où elle arrivait sur le plateau, notre calvaire à tous commençait. Les membres de l'équipe technique ou les acteurs, il n'y avait presque jamais un mot gentil ou un sourire pour personne. C'était une très jolie fille, mais elle avait une telle rage en elle que ça se lisait sur son visage à chacune de ses répliques. Même si c'était une scène légère. «Pourquoi avoir pris ce rôle ?» lui ai-je demandé un jour. Sa réponse ? «Je tue le temps en attendant de trouver mieux.» J'étais scié. Quelle peste elle était, elle empoisonnait la vie de tout le monde, y compris la sienne. Elle vivait avec un homme extrêmement gentil, qui était aussi l'un des acteurs les plus populaires du moment, et personne ne pouvait expliquer ce mystère.

Citer des noms lui ferait du tort à lui, ce que je ne veux pas. Elle est enfin partie après trois mois à torturer tout le monde, et il n'y eut pas de fête de départ. Pendant toute ma carrière, je n'ai vu cela arriver que deux fois. Je veux dire, nous avons tous des choses que nous devons gérer personnellement chaque jour dans nos vies, mais en tant qu'acteurs vous ne pouvez pas les apporter avec vous. Ca vous rattrape un jour. Même si vous êtes trop jeune pour avoir tant de passif...

Mais revenons à la série, ou devrais-je plutôt dire à la fin de la série ? A la fin de 1992, des rumeurs persistantes annonçaient l'annulation de Santa Barbara. Les tensions internes, les poursuites judiciaires, les continuelles guerres d'ego ainsi que les nombreux changements dans la production avaient fait pas mal de dégâts et il se murmurait qu'il nous restait au maximum six mois. Personne n'a vraiment paniqué, mais nous étions tout de même inquiets. Nous adorions notre série et voulions qu'elle dure pour toujours.

L'idée d'arrêter Santa Barbara était une abomination pour nous. Toutes les semaines pendant les six mois suivants, nous entendions des rumeurs nous disant «peut-être», «peut-être pas», «peut-être que oui,  peut-être que non». Enfin, en janvier 1993, c'est finalement arrivé, on nous a annoncé officiellement que nous serions «morts dans quatre semaines !».

(...)

J'étais C.C. Capwell, patriarche du monde entier. Tous les studios se bousculeraient pour m'avoir. Ah oui, vraiment ? Un, deux, trois mois passèrent... et rien. La panique commençait à s'installer, et j'avais de plus en plus le trac comme lors de mes premières années à Los Angeles. Je ne m'étais jamais imaginé que je revivrais cela un jour... Et soudain me voilà de retour à la case départ.

(...)

Même si Santa Barbara avait été retiré de l'antenne aux Etats-Unis, la série était toujours diffusée dans le monde entier au début de l'année 1994, quand le service presse de Santa Barbara a appelé et a demandé si Toby, Louise Sorel, ma très chère amie et partenaire à l'écran, et moi aimerions passer un mois en Europe à faire de la promo. Bien sûr, j'ai dit «Non». J'étais bien trop occupé à lire, regarder la télé et jouer au golf. Mais j'ai décidé de laisser tout cela tomber pour ces quatre semaines payées de vacances en première classe pour rencontrer les fans en Europe. Ca a été une décision difficile à prendre, mais je me suis forcé à y aller...

Waouh, quel voyage ! Je me sentais de nouveau comme un roi. On nous traitait comme des princes partout où nous allions. Berlin, Tallin, Oslo, Helsinki, Stockholm et Moscou. Un voyage de rêve, s'il en est ! En Europe, Santa Barbara était la série la plus regardée à la télévision, et on nous attendait partout comme le messie, ou je ne sais quoi. Quels moments de plaisir nous avons eus. Louise est encore plus folle que Toby, et avec elles deux il n'y avait jamais un moment de tranquillité, on riait tout le temps. Il n'y a pas eu une ville où "Lulu", ou Louise, n'oubliait pas quelque chose dans sa chambre d'hôtel. Le plus souvent son passeport !

Partout où nous allions, des agents de sécurité nous accompagnaient pour contenir les foules. Ces lieux étaient si différents des Etats-Unis, que j'aurais du mal à les décrire correctement. Nous étions adorés et idolâtrés au point d'en être gênés. Enfin, je n'ai jamais été jusque là. J'adorais ça... Quatre semaines plus tard, nous étions de retour chez nous, et je recommençais à fainéanter. Sans emploi et à habiter au sommet d'une colline. Mais pas pour bien longtemps. (...)

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Par Jed Allan, avec Rusty Fischer
© McKenna Publishing Group, 2004